24 novembre 2006

Dans le cimetière d’Eylau

Victor Hugo avait un père qui avait deux frères. L’un d’eux, Louis Joseph s’engagea dans l’armée de la république à 15 ans en 1792. Il participa aux batailles de Fleurus, d’Ulm, d’Austerlitz, de Iéna, de Friedland avant de rejoindre Joseph, son frère aîné et le père de Victor, en Espagne.
Ses mémoires sont quasiment introuvables. Capitaine des grenadiers du 55ème de ligne, Louis Joseph Hugo a raconté sa bataille d’Eylau, son 8 février 1807. En voici un extrait pour ne pas oublier, quoi qu’en disent aujourd’hui nos pseudo historiens donneurs de leçons, que l’épopée napoléonienne c’était avant tout des soldats sans grade qui, pour la plupart d’entre eux, étaient de braves gens.

J’étais capitaine de grenadiers au 55ème. On s’était battu toute la journée. On avait pris et repris Eylau. La nuit venue, nous fîmes le bivouac auprès du cimetière. Nos camarades avaient l’habitude d’aller chercher à coucher dans les maisons, moi je couchais avec mes grenadiers ; la première botte de paille était pour moi, et mes camarades n’avaient pas encore trouvé un gîte que je dormais déjà depuis quatre heures.



La bataille d'Eylau vue par le Baron Gros


Au milieu de la nuit, arriva un ordre qui prescrivait à la compagnie de se transporter dans le cimetière et de garder la position. Le colonel n’était pas là, son lieutenant n’était pas là. Je pris le commandement, et j’installai mes hommes. Tout cela sous la neige, par un froid de douze degrés.
En me réveillant, je m’aperçus que j’avais dormi sur un russe gelé. Je me dis : Tiens, c’est un russe.

À six heures le feu commença.
Le général Saint-Hilaire, commandant de la division, passa devant moi et me dit :
— Hugo, avez-vous la goutte ?
— Non, mon général.
— Je la boirais bien avec vous.
— Et moi aussi, mon général.
Il faut dire que, depuis trois jours ; nous n’avions rien pris. Un de mes grenadiers, un nommé Desnœuds, se tourna vers moi et me dit :
— Mon capitaine, je l’ai, moi.
— Bah ! tu l’as, toi ?
— Oui, mon capitaine ; tenez, ouvrez mon havresac. J’ai gardé une poire pour la soif.

J’ouvris son havresac, et je trouvai une bouteille d’eau-de-vie de France qu’il avait eu la constance de garder depuis Magdebourg, sans y toucher, malgré toutes les privations que nous avions eu à subir. Je bus une bonne goutte, et, avant de remettre la bouteille dans le sac, je lui demandai s’il voulait bien en faire boire au général.
— Oui, me répondit-il, mais ils voudront tous boire de mon eau-de-vie et il n’en restera plus pour moi.
Je pris alors un gobelet d’étain qu’il portait à la monture de son sabre, je le remplis et le portai au général, qui était à quelques pas sur un petit tertre.
— Qui est-ce qui vous a donné ça ? me dit-il.
- Mon général, c’est un grenadier de ma compagnie.
— Voilà vingt francs pour lui ! et il me remit un louis que je portai au grenadier et qu’il refusa, me disant
— Mon capitaine, j’ai été assez heureux pour obliger mon général, je ne veux pas d’autre récompense.


Le colonel Lepic à Eylau :
Haut les têtes, la mitraille c'est pas de la merde !


Pendant tout cela, soixante pièces tiraient à mitraille sur nous.
Un quart d’heure après, Desnœuds reçut une balle à la jambe. Il sortit de son rang, alla s’asseoir à quelques pas de là, et, tandis que les balles pleuvaient, ôta son havresac, en tira de la charpie, une compresse, des bandes de toile, se pansa, remit sa guêtre, et revint à sa place. Je lui dis alors :
— Desnœuds, va-t’en, tu es blessé.
— Non, mon capitaine, la journée est belle, il faut la voir finir.


Murat à la tête des 80 escadrons



Une heure après, il fut coupé en deux par un boulet.
Ce pauvre grenadier était un brave et avait déjà fait parler de lui. C’est le même qui, à Iéna, tandis que nous étions à la poursuite d’un détachement de prussiens, s’était jeté sur leur colonel, l’avait pris à bras-le-corps, criant à ses camarades : J’ai le mien, que chacun prenne le sien !


Louis-Joseph Hugo vers la fin de sa vie


Louis Joseph Hugo prit sa retraite avec le grade de colonel en 1823. Il devint maire de Tulle et se rallia à Napoléon III. Son neveu, qui détestait ce Bonaparte là, ne lui en voulut pas. Il mourut en 1853 à l’âge de 76 ans.


2 commentaires:

  1. Merci Pascal!

    Merci encore de nous éclairer de tes lumières napoléoniennes!

    Tu devrait écrire un bouquin "Contre Claude Ribbes ou les falsificateurs de l'Histoire"

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  2. C'est marrant, mais si je me souviens bien, l'avenue d'Eylau à Paris s'est fait rebaptiser avenue Victor Hugo à la mort d'icelui.

    Comme quoi le sens de l'histoire...

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