1 octobre 2021

Anachorisme


On connaît l’anachronisme, ce détail incohérent situé à une époque historique où il ne devrait pas être. Mais il n’y a pas de mot ou presque pour désigner son pendant géographique : l’incongruité spatiale, la chose qui pour le dire simplement, n'a rien à faire ici ! 

Il y a pourtant “anachorisme”, du grec khora qui signifie endroit ou espace. Le mot n'existe pas vraiment bien qu’on en trouve l’occurrence dans un ouvrage publié en 1987 : La notion d’anachorisme en géographie. Une fleur qui pousse sous un climat qui n’est pas le sien est un anachorisme, comme le serait un panda au Sénégal. Des sushis à la carte d’un menu chinois, un Jeff Koons trônant au milieu de la Galerie des glaces... sont des anachorismes, de type culturel ou civilisationnel, ceux-là. 

Le meilleur exemple pour saisir la notion d’anachorisme culturel est le cas Johnny Hallyday. Chanteur français issu de la vague “yé-yé” (mouvement anachorique par excellence), Johnny Hallyday alias Jean-Philippe Smet aura passé une existence entière en déphasage total avec sa géographie naturelle. Sa vie, son œuvre, son pseudonyme, sa passion pour les motos Harley ou les carrosseries aux portières peintes de flammes orange, son goût pour les débardeurs noirs imprimés de coyotes hurlant à la lune... Tout en lui relevait de l’anomalie géo-culturelle. Johnny en tant que phénomène, n’avait aucune raison de se produire là où il s’est produit et toutes les raisons de se produire ailleurs. 

Si l’exemple est probant, c’est aussi par sa synchronicité parfaite avec la phase historique qui a diffusé la première les anachorismes culturels. À savoir le plan Marshall ou l'investissement massif des Etats-Unis après 1945 pour la domination culturelle de l’Europe occidentale. Comme les chewing-gums et les cigarettes Lucky Strike, Johnny est un produit d’import, un effet secondaire du soft power américain débarqué sur notre sol pour équiper les foyers français, à la suite des GI, des frigidaires et des machines à laver. Si fantaisiste qu’il paraisse, l’anachorisme culturel n’est jamais gratuit ni spontané.