30 juillet 2012

Liberté & Egalité

Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Livre III, Chapitre VIII « Comment la Révolution est sortie d’elle-même de ce qui précède », 1856

  Ceux qui ont étudié attentivement, en lisant ce livre, la France au XVIIIe siècle, ont pu voir naître et se développer dans son sein deux passions principales, qui n’ont point été contemporaines et n’ont pas toujours tendu au même but.
L’une, plus profonde et venant de plus loin, est la haine violente et inextinguible de l’inégalité. Celle-ci était née et s’était nourrie de la vue de cette inégalité même, et elle poussait depuis longtemps les Français, avec une force continue et irrésistible, à vouloir détruire jusque dans leurs fondements tout ce qui restait des institutions du moyen âge, et, le terrain vidé, à y bâtir une société où les hommes fussent aussi semblables et les conditions aussi égales que l’humanité le comporte.
  L’autre, plus récente et moins enracinée, les portait à vouloir vivre non seulement égaux, mais libres.
Vers la fin de l’ancien régime ces deux passions sont aussi sincères et paraissent aussi vives l’une que l’autre. A l’entrée de la Révolution, elles se rencontrent ; elles se mêlent alors et se confondent un moment, s’échauffent l’une l’autre dans le contact, et enflamment enfin à la fois tout le coeur de la France. C’est 89, temps d’inexpérience sans doute, mais de générosité, d’enthousiasme, de virilité et de grandeur, temps d’immortelle mémoire, vers lequel se tourneront avec admiration et avec respect les regards des hommes, quand ceux qui l’ont vu et nous-mêmes auront disparu depuis longtemps. Alors les Français furent assez fiers de leur cause et d’eux-mêmes pour croire qu’ils pouvaient être égaux dans la liberté. Au milieu des institutions démocratiques ils placèrent donc partout des institutions libres. Non seulement ils réduisirent en poussière cette législation surannée qui divisait les hommes en castes, en corporations, en classes, et rendaient leurs droits plus inégaux encore que leurs conditions, mais ils brisèrent d’un seul coup ces autres lois, oeuvres plus récentes du pouvoir royal, qui avaient ôté à la nation la libre jouissance d’elle-même, et avaient placé à côté de chaque Français le gouvernement, pour être son précepteur, son tuteur, et, au besoin, son oppresseur. Avec le gouvernement absolu la centralisation tomba.

Mais quand cette génération vigoureuse, qui avait commencé la Révolution, eut été détruite ou énervée, ainsi que cela arrive d’ordinaire à toute génération qui entame de telles entreprises ; lorsque, suivant le cours naturel des événements de cette espèce, l’amour de la liberté se fut découragé et alangui au milieu de l’anarchie et de la dictature populaire, et que la nation éperdue commença à chercher comme à tâtons son maître, le gouvernement absolu trouva pour renaître et se fonder des facilités prodigieuses, que découvrit sans peine le génie de celui qui allait être tout à la fois la continuateur de la Révolution et son destructeur.
  L’ancien régime avait contenu, en effet, tout un ensemble d’institutions de date moderne, qui, n’étant point hostiles à l’égalité, pouvaient facilement prendre place dans la société nouvelle, et qui pourtant offraient au despotisme des facilités singulières. On les rechercha au milieu des débris de toutes les autres et on les retrouva. Ces institutions avaient fait naître jadis des habitudes, des passions, des idées qui tendaient à tenir les hommes divisés et obéissants ; on raviva celle-ci et on s’en aida. On ressaisit la centralisation dans ses ruines et on la restaura ; et comme, en même temps qu’elle se relevait, tout ce qui avait pu autrefois la limiter restait détruit, des entrailles même d’une nation qui venait de renverser la royauté on vit sortir tout à coup un pouvoir plus étendu, plus détaillé, plus absolu que celui qui avait été exercé par aucun de nos rois. L’entreprise parut d’une témérité extraordinaire et son succès inouï, parce qu’on ne pensait qu’à ce qu’on voyait et qu’on oubliait ce qu’on avait vu. Le dominateur tomba, mais ce qu’il y avait de plus substantiel dans son oeuvre resta debout ; son gouvernement mort, son administration continua de vivre, et, toutes les fois qu’on a voulu depuis abattre le pouvoir absolu, on s’est borné à placer la tête de la Liberté sur un corps servile.
À plusieurs reprises, depuis que la Révolution a commencé jusqu’à nos jours, on voit la passion de la liberté s’éteindre, puis renaître, puis s’éteindre encore, et puis encore renaître ; ainsi fera-t-elle longtemps, toujours inexpérimentée et mal réglée, facile à décourager, à effrayer et à vaincre, superficielle et passagère. Pendant ce même temps la passion pour l’égalité occupe toujours le fond des coeurs dont elle s’est emparée la première ; elle s’y retient aux sentiments qui nous sont les plus chers ; tandis que l’une change sans cesse d’aspect, diminue, grandit, se fortifie, se débilite suivant les événements, l’autre est toujours la même, toujours attachée au même but avec la même ardeur obstinée et souvent aveugle, prête à tout sacrifier à ceux qui lui permettent de se satisfaire, et à fournir au gouvernement qui veut la favoriser et la flatter les habitudes, les idées, les lois dont le despotisme a besoin pour régner.
  La révolution française ne sera que ténèbres pour ceux qui ne voudront regarder qu’elle ; c’est dans les temps qui la précèdent qu’il faut chercher la seule lumière qui puisse l’éclairer. Sans une vue nette de l’ancienne société, de ses lois, de ses vices, de ses préjugés, de ses misères, de sa grandeur, on ne comprendra jamais ce qu’ont fait les Français pendant le cours des soixante années qui ont suivi sa chute ; mais cette vue ne suffirait pas encore si l’on pénétrait jusqu’au naturel même de notre nation.

23 juillet 2012

Tatouage contre emploi




« Evitons de sombrer dans l’antinazisme primaire », demandait monsieur Cyclopède il y a quelques années. Hélas, les paroles du sage se perdent dans la fureur combattante du nouveau siècle, et les dénicheurs d’affreux les pourchassent jusque dans les chiottes, où ils se trouvent chez eux.

Devant jouer à Bayreuth le rôle principal du Vaisseau fantôme, de Wagner, un chanteur russe vient de renoncer parce qu’une télévision a révélé qu’il porte une croix gammée tatouée sur le torse. Bigre ! Le petit reportage qui lui est consacré montre en effet le chanteur à tête de tortionnaire sous toutes les coutures, notamment celle de son ancien métier : batteur dans un groupe de heavy metal. Le type se met à la batterie, évidemment torse nu (les musicologues sont formels : le son est meilleur quand le batteur ôte son gilet), et là, horreur, une croix gammée comac apparaît, mal dissimulée sous un tatouage plus affreux encore ! En fait, le nazillon est recouvert d’une collection de trucs moches, des croix mal fichues, des flammes noires, des symboles pour demeurés, des toiles d’araignées, des saloperies fourmillantes. Sur sa main gauche, l’ancien intellectuel a trouvé judicieux d’orner chacun de ses doigts d’un chiffre ; l’ensemble donne une date mystérieuse et qui mérite sûrement qu’on ne l’oublie pas : 1972 ( ?) Il s’est même fait poser une merde sur le côté du crâne, espace de cerveau disponible. On en vient à se demander s’il n’a pas suivi l’exemple du führer desprogien, mais le reportage ne montre rien de l’arrière-cul du Ruskoff…

On trouvera sûrement des gens pour dénoncer le sort fait à ce guignol, et se moquer des chasseurs de faux nazi. On objectera que la jeunesse excuse ceci, explique cela, et que se couvrir de tatouages n’est pas un crime. Pour ma part, je trouve très morale, très méritée et très drôle la mésaventure du métalleux.

Encouragé par un business local qui rapporte, l’infantilisme ambiant refuse de voir que se tatouer la peau n’est pas anodin, et bientôt, au train où vont les conneries, chaque citoyen aura son dragon sur la cuisse, sa ronce sur le mollet, son Spider man entre les omoplates. Chaque boulangère aura sa devise philosophique tatouée sur l’épaule (« connais-toi toi-même », « stand up for your rights », « le changement c’est maintenant »), chaque fraiseur mouliste s’ornera d’une tête de chef indien, chaque chômeur de longue durée aura son arabesque dépassant du cou, chaque poinçonneur des Lilas clamera « BORN FREE » en lettres bleues sur sa poitrine d’insecte. On a beau alerter, on a beau argumenter, on a beau en appeler à la raison, à la prudence, à l’esthétique, rien n’y fait : le tatouage, c’est cool. Qu’un de ces bousilleurs d’épiderme soit rattrapé par son mauvais goût est donc une des meilleures leçons qu’il puisse donner sur son cas.


En matière de tatouage, le tatouage rebelle est la catégorie supérieure, celle qui veut marquer que décidément, le tatoué n’appartient pas au troupeau commun. Le rebelle qui s’estampille comme tel a bien dans l’intention que ça ne s’arrête pas de sitôt. Sinon, pourquoi recourir à une technique aussi radicale ? Je suis un insoumis, je suis un méchant, je suis une mauvaise herbe, je veux que ça se sache, merde, se dit le Che assujetti à l’assurance sociale. Loin de chercher à « faire joli », comme ces connes à fleurs colorées artistement arrangées au creux de leurs reins, le tatoué concerné milite avec sa peau et s’en sert d’étendard. La persistance du tatouage implique que le parti pris le reste éternellement, et que le rebelle ne change pas d’avis. Il ne s’agit pas d’écrire « ni dieu, ni maître » quand on a vingt ans et de se faire ordonner prêtre à quarante. Il ne s’agit pas de se tatouer « resistanza » et de se retrouver, les études finies, spécialiste des RH et des licenciements de masse. Avec ses sentences définitives et ses symboles guerriers, le tatoué militant compte bien que son radicalisme dérange le bourgeois et l’empêche de ronronner tranquilos. Le légionnaire de la chanson s’était fait graver sur le cœur « ici, personne », et il s’y tenait. Hélas, les rebelles modernes ont parfaitement intégré les possibilités sans limite de la société de consommation. Ils peuvent dire je veux tout ! en exigeant à la fois un look à faire détaler les vielles dames ET une vie de famille pépère, des piercings à affoler les ferrailleurs ET une existence réglée par le bio, des fringues paraissant empruntées à des zombies ET un CDI dans une super boîte.
Nous avons même aujourd’hui un batteur russe à svastika qui cherche une place, mine de rien, dans un des plus prestigieux conservatoires du monde…

En cette période estivale, des milliers de benêts profitent du temps pour exhiber enfin le tatouage qu’ils se sont payé pour Noël (un mollet orné d’un révolver, oh ! qui aurait pu croire que l’intérimaire employé à l’expédition du courrier était un tel bad guy ?). L’invraisemblable pantacourt a été inventé pour eux, pour qu’ils puissent montrer leur laideur jambière augmentée de leurs choix ornementaux. Leur déferlement ne connaît ni limite, ni d’obstacle. Tant qu’il reste de l’encre pour s’esquinter le derme, ils persévèreront, fiers d’eux-mêmes, exposant toujours plus crânement ce qu’ils considèrent comme beau, joli, intime ou que sais-je. Qu’un de ces peinturlurés se fasse virer d’une bonne place après une petite polémique offuscatoire, voilà au moins de quoi consoler les minoritaires dans mon genre, qui n’ont qu’une peau pâle et virginale à se mettre.


18 juillet 2012

Tintin au pays des soviets - Je jette l'éponge - Vive les macaques

Nul besoin de tergiverser cent ans, la France est un pays ultra-idéologique et à un point où ça en dépasse l’entendement. Lorànt Chleuh est en train de le confirmer à ses dépens. Le comédien n’a jamais caché ses sympathies pour une monarchie de gauche, mais n’en a jamais fait un prosélytisme affiché ou sournois, juste évoqué une ou deux fois lors d’interviews. Ce n’est pas ma gnole, mais à la limite pourquoi pas ? C’est original chez une vedette, contrairement à ses somptueux confrères pour qui le régime démocratique est uniquement l’avènement du bien, vision adolescente et stupidement utopiste, et refusant d’entrevoir que parallèlement elle est aussi le triomphe du mal. L’ange et le démon juchés sur les épaules de la démocratie. Et on peut le dire tout en restant démocrate.
Alors qu’il est le seul, c’est encore beaucoup trop pour des dingos de gauche qui reprochent à notre homme de faire de l’idéologie… ké pas d’gauche, cela s’entend. Or après avoir zieuté quelques émissions en question sur Arte, je n’ai pas spécialement trouvé une orientation doctrinale manifeste là-dedans, juste le souci de conter le passé de Paris par le haut. Ça démange le front collectiviste qui souhaiterait une condamnation implacable des acteurs de l’histoire de la Francaoui, genre « Vers 1370, cet enculé de Charles V entreprit de rénover la forteresse militaire du Louvre par de nombreux embellissement pour en faire une résidence royale. Maints ouvriers s’écorchèrent les mains en s'attelant à ce gigantesque ouvrage. Ce qui prouve que ce roi était un fils de pute ! », et de promotionner une vision par le bas, style « En 1123, Jean le pouilleux, forgeron de métier sans sécurité sociale, acheta trois merlans à Jeannette la glauque sur le marché du Châtelet afin de nourrir dignement sa famille, alors que la noblesse s’empiffrait comme des traders de la City, protégé par des goldens parachutes d’époque !».
Ils en sont réduits à taper dans le vide, la gauche. Alors qu’ils ont gagné moralement depuis belle lurette, ils ont encore le courage de s’en prendre à la seule célébrité qui ne cautionne pas spontanément la démocratie. Putain, mais quel exploit ! Quel cran ! Quels hommes ! Le général Bonaparte qui chargeait devant ses troupes n’a qu’à bien se tenir !

  Ils sont marrants ces gens humains de gauche. Oui, moi aussi ça m’a surpris lorsque l’on m’a appris que c’était des gens humains, les gauchistes. Au départ j’y croyais pas. J’me disais « Nôôôn ! On n’est quand même pas de la même espèce ? ».
Reprocher à Lorànt Boche de faire de l’idéologie, et c’est certainement un peu le cas, mais de manière ténu, franchement, par des militants du Front Kick de gauche aux interprétations raides et figées comme des perroquets-sampler, est à pleurer de rire ! Ce serait comme si Marc Dutroux dénonçait l’unique faute de Roman Polanski. Un éléphantesque foutage de gueule qui rendrait Torquemada admiratif de la soldatesque Mélanchonnienne. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, dit-on toujours, de son côté l’extrême droite applaudit frénétiquement le comédien, qui avait bien besoin de ce soutien, et qui a pour conséquence d'énerver deux fois plus les gauchistes. Pris entre deux feux, il n’est pas sorti de la Bastille làçui !
En ce moment, j’ai de plus en plus de mal avec l’actualité et la suis peu à vrai dire. C’est pour ça que je n’écris presque plus ici. Je fatigue. Je suis rentré au couvent des scribouilleurs du web. Mais comme les médias m’ont conditionné à la pavlovienne, un peu le cas de tout le monde, je ne peux m’empêcher d’y retomber à la billebaude. Et ça ne loupe pas ! À chaque fois que j’ingurgite de l’actualité, j’ai envie de faire du gros caca.
Ce pays est devenu invivable, irrespirable et les désirs de le quitter ne manquent pas. Notre époque pue la secte qui dénonce le MAL absolu extérieur, se tamponnant elle-même des certificats de vertus, au même titre que le Mandarom raccusait les extraterrestres de l’Atlantide et de l’empire de Mû. Le Léviathan gauchiste s’empare de tous les navires et la droite chavire sous son poids, comdanmé à une moraline barbante sur le modèle d’en face. Dans ces conditions, comment voulez-vous que Yannick Noah puisse ne pas régner ? J’ai envie de jeter l’éponge à la gueule de Bob Marley, moi. Allez ciao, j’me nachav ! Adios les bourges, les prolos et les immigrés ! Continuez tous à vous foutre sur la trogne, je ne compterai plus les points désormais. Je vous laisse à vos hystéries, les coiffés d’entonnoirs. Le pays de la légèreté est devenu un asile psychiatrique, sauf que les malades sont dehors et les sains d’esprit n’ont pas d’autres choix que de se cloitrer comme dans The Walking Dead ou de vouloir s’envoler vers des azurs colorés.
Mais pour aller où ? Le résidu d’Europe semble mouler sur le même modèle. Les States, une maison de fous où les mass-médias sont des institutions plus puissantes que ne l’a été le christianisme en occident (la France n’est pas en reste toutefois) et si t’a pas un certain niveau social, t’es rien qu’un ver de terre, même si tu bosses. Là-bas, la reconnaissance, tu ne l’obtiens qu’en fonction de ce que tu portes au poignet. Séguéla Way of Life. Au Québec chez Dantec ? Mais m’hébergera-t-il et me fera-t-il tourner son bédo ? Dans un pays arabe ? Ça passe d’une dictature à une démocratie et rebelote vers une dictature d’un nouveau type aussi vite que Rocco permute les foufs dans un gang bang. En Asie ? Je ne donne pas dix ans avant que ce soit pire qu’en occident (et c’est peut-être déjà le cas avec le Japon. Vous avez maté leur télé aux Japs ? C’est le Club Dorothée qui reprend la formule trash de Jean-Louis Costes), vu qu’ils trouvent toujours le moyen de tourner tout à la radicale. En Amérique du Sud ou en Afrique ? Ça peut remuer salement là-bas à n’importe quel moment et petit boloss veut rester en vie ! Peut-être la Russie ? À moins qu’on se fasse des films sur son cas. Ou alors une ile tropicale à jouer du ukulélé, jusqu’au jour où un ouragan au nom de pisseuse t’embarque vers le cosmos ? (un peu comme le gros avec son ukulélé qui chante « Somewhere Over the Rainbow », sauf que pour lui, c’est la tornade qui jette l’éponge, essoufflée en vain d’avoir tenté de le soulever). Peut-être dans le virtuel. J’avais pensé à émigrer dans World Of Warcraft, mais le secteur est trop violent pour moi. Voir Second Life, mais c’est un camp de concentration pour geeks, bobos et ravis de la crèche de tous poils. À Sainte-Hélène ? Ou j’attends patiemment qu’on terraforme Mars.
Je crois que je vais me dégoter un coin à macaques. J’aime bien les macaques. C'est pas de sales bêtes ! Sont plus drôles et reposants que les sapiens. D’ailleurs, je ne veux plus être un humain. Je veux changer d’espèce. On change bien de sexe, de nationalité ou de nom, alors pourquoi pas d’espèce ! Je veux être un macaque de Java. J’espère qu’ils m’accepteront.

14 juillet 2012

Faciès of the world




Juin 2012 : le ministre de l’Intérieur se dit soucieux de lutter contre les « contrôles au faciès », car c’est un homme de gauche. Il lance l’idée d’un récépissé que les policiers remettraient aux gens qu’ils contrôlent, de façon à éviter qu’une même personne se retrouve avec huit récépissés en fin de journée. Dans ce cas, en effet, il pourrait être assez facile de porter plainte contre la police pour « harcèlement », notion à la mode.

Juillet 2012 : le ministre affirme qu’il renonce à mettre en place cette mesure. Les flics vont donc pouvoir continuer de faire comme avant. Le changement, c’est pour plus tard.

Il est évident que la France ne peut pas persister sur cette voie menant au fachisme et qui rappelle les heures les plus basanées de notre histoire. Soucieux d’apporter notre pierre à la déconstruction de l’édifice de domination policière appelé France, nous proposons donc que l’on rende obligatoire le port du tchador. Considérant que les hommes sont les principales cibles des contrôles policiers, la mesure leur est d’abord destinée : qu’on les voile ! Ainsi dissimulés aux regards de l’Inquisition, les visages ne seront plus suspectés pour ce qu’ils expriment et les personnes recherchées pourront vaquer librement, parce qu’un délinquant est aussi un citoyen.

Sans faciès, plus de délit de faciès !

La libre circulation est un droit de l’homme, messieurs les policiers !

14 juillet à l'ancienne


- Nous retrouvons immédiatement Jean-Michel Traitriz sur la place de la Concorde où, depuis maintenant cinq heures, une foule immense est rassemblée. Jean-Michel, pouvez-vous nous donner des précisions sur les rumeurs folles entendues depuis ce matin ?
- Oui, Gilbert, je peux hélas vous confirmer de façon certaine que des exactions se déroulent ici depuis plusieurs heures, dans une ambiance de kermesse, ce qui renforce encore le sentiment de fin du monde, de fin de la civilisation…
- Soyez plus précis, Jean-Michel, qu’avez-vous vu ?
- J’ai vu la voiture de Chris Viehbacher, le PDG de Sanofi, bloquée par la foule au moment où elle traversait la place. Chris Viehbacher devait se rendre au Ritz pour un petit déjeuner intime avec sa nièce, semble-t-il. On ignore qui a reconnu le PDG du groupe dans cette grosse berline aux vitres teintées. Toujours est-il que le véhicule a été bloqué par des badauds venus ici fêter la prise de la Bastille, et que des cris hostiles ont très vite fait monter la tension.
- Que faisaient les forces de police à ce moment-là ?
- Elles ne faisaient rien puisque rien de particulier n’était signalé. Dans tout Paris, des groupes de taille plus ou moins grande se dirigent vers les lieux principaux où l’on fête le 14 juillet, et la police ne peut pas être partout en nombre à la fois. Les choses sont allées très vite : la voiture a été renversée sur le flanc, Chris Viehbacher et son chauffeur ont été extraits de l’habitacle, ainsi que Nicolas Cartier, le Directeur Général de Sanofi France, qui s’était dissimulé dans la boîte à gants. Sous les gifles, Monsieur Viehbacher a tenté de calmer la foule mais hélas, il n’a pas été compris par le peuple.
- Il parle pourtant le français !
- Tout à fait Gilbert, mais ses mots ne semblaient pas avoir le sens habituel. On a reconnu quelques mots, comme « progrès », « valeur ajoutée » et « ressources humaines », mais la syntaxe, peut-être trop chargée de notions marketing, n’a eu comme effet que de d’amplifier la colère générale.
- C’est insensé !
- Tout à fait Gilbert… J’ai été témoin d’une scène de lynchage atroce, vous avez bien entendu, un lynchage en plein XXIème siècle, place de la Concorde à Paris ! A l’heure où je parle, monsieur Viehbacher est mort. Il a été mis en pièce par la foule et sa tête a été fichée au bout d’une pique.
- On se croit revenu en plein moyen âge !
- Je suis au regret de vous dire que Nicolas Cartier a subi le même sort que son patron. Tout est allé très vite. Après les avoir abondamment giflés, la foule a décapité les deux dirigeants, non sans leur avoir introduit leurs légions d’honneur dans le cul. Puis ce fut le tour du chauffeur, un homme parlant polonais et qui n’a sans doute pas compris ce qui lui arrivait. Il a pourtant su dire quelques mots en français, une formule probablement apprise par cœur, mais qui ne l’a pas sauvé : « sans papier ! sans papier ! » En ce moment sur la place qui fait face à l’Assemblée Nationale, la foule danse en promenant trois piques macabres au son d’un orchestre de reggae !
- Merci Jean-Michel. Nous avons réussi à joindre le ministre du redressement productif, qui réagit à ces événements. Monsieur Montebourg, vous avez la parole.
- Je tiens à exprimer ma solidarité avec les familles de messieurs Viehbacher et Cartier, victimes d’un assassinat qui rappelle les heures les plus sombres de notre histoire.
- La foule se réclame de la Révolution française, dit-on…
- C’est bien ce que je dis ! En ce moment même, les forces de police se mettent en position autour de la place. J’invite tous les parisiens à éviter le secteur de la Concorde et à se rendre en nombre, comme d’habitude si j’ose dire, aux réjouissances du 14 juillet. Plus nous serons nombreux à marquer notre attachement à un 14 juillet festif, citoyen et solidaire, plus nous marquerons notre refus de la violence, de l’injustice et du populisme.
- Monsieur le ministre, pensez-vous que l’annonce de milliers de licenciements par un groupe qui compte ses bénéfices en milliards puisse avoir un rapport avec les faits ?
- Absolument pas. Par ma voix, le gouvernement avait courageusement exprimé son opposition aux décisions de Sanofi. Toute autre action est illégitime au regard des lois de la République, du commerce de la libre concurrence.
- La situation peut-elle changer après ce massacre ?
- Non. Le gouvernement garantit que les décisions du groupe Sanofi seront respectées, et qu’il n’y aura pas de confusion des rôles quant à la gestion de son destin. Nous sommes dans un Etat de droit. Les marchés et les entreprises doivent être rassurés sur ce point !
- A propos du plan de licenciement de 8000 personnes chez PSA, le Président de la République vient d’affirmer que « l’Etat ne laissera pas faire ». Pouvez-vous nous dire comment ?
- Une commission d’experts va être nommée, composée de dirigeants des principales entreprises françaises et d’économistes reconnus, ainsi que de représentants de l’Etat. Elle devra définir les mesures d’accompagnement propres à garantir la pérennité de l’entreprise dans la transparence et le respect de l’autre.
- Formidable ! Les salariés de PSA vont être rassurés de l’apprendre.
- Cette commission sera présidée par Ségolène Royal. Elle devra rendre ses conclusions au début du deuxième semestre 2013. Nous serons très attentifs au respect des délais ! Afin de rassurer encore nos concitoyens, je précise que cette commission respectera une stricte parité hommes - femmes.
- Monsieur le ministre, une dépêche de l’étranger nous apprend que le patron de la banque HSBC vient à son tour d’être lynché par la foule dans les rues de Londres. Ça ne peut pas être un hasard ! Monsieur Stuart Gulliver avait fait parler de lui l’an dernier en annonçant 30 000 licenciements dans le monde, alors que sa banque faisait près de 10 milliards de dollars de bénéfices.
- Je tiens à exprimer mes condoléances à la famille de monsieur Gulliver, qui fut un géant de l’esprit bancaire et qui restera dans l’histoire comme le martyr de la modernité. Si les Anglais ne respectent plus la banque, je ne donne pas cher de la survie de notre système !
- Monsieur le ministre, à l’instant même, une autre dépêche nous apprend que Vladimir Poutine s’est félicité d’apprendre l’épisode de la Concorde… Il précise même que le gouvernement devrait, ce sont ses mots, encourager ses citoyens à « faire le ménage ».
- Monsieur Poutine fait encore une fois preuve de son mépris pour la démocratie et l’esprit d’entreprise. De toute façon, nous n’avons pas de leçon à recevoir d’un homme qui met des milliardaires en prison !
- Merci monsieur le ministre. Il fallait que ce soit dit.