22 septembre 2020

La folie croît

Je nous revois, il y a quelques années encore, nous précipiter sur le blog les jours de faits divers, tels des clébards accourant le long du grillage qui borde la RN. Il s’agissait d’être premier sur le coup, à couvrir la bévue d’un politique, la bouffonnerie d'un comédien, l’inélégance d’un journaliste... Tarder, c’était prendre le risque que Kroulik ait déjà défouraillé le photo-montage définitif. Que Léstat ait déjà épandu ses proses obsédantes et épuisé tous les jeux de mots qui faisaient mouche. Que Beboper ait déjà écrit la morale de l’histoire. Que Skymann ait fait prout. Que Fouquet ait pris la dernière bière de la glacière. 

Que voulez-vous, à cette époque l'abracadabrance ne se présentait pas tous les jours. Seulement une fois par quinzaine. Elle faisait relief dans un quotidien aux semblants de normalité. On l’entendait venir, on ajustait le fusil, pan ! et on retournait sur sa paillasse jusqu’au prochain passage de train. Il pouvait encore se passer des jours sans qu’une actualité désole, qu’un pan de monde s’écroule laissant voir l’effarante pourriture grouillant sous l’enduit. Entre le dérisoire du lundi et le désastre du vendredi, on avait le temps de poser la plume et de reprendre ses esprits. 

Aujourd’hui c’est une autre affaire. Tout se multiplie et s’enchaîne. Qui a le temps d’écrire 1 500 signes à peu près perspicaces avant que la vague suivante ne vienne balayer le chaos pour le remplacer par un autre chaos ? Twitter est le seul exercice de blog possible dans le temps imparti - et quel exercice misérable ! Aujourd’hui, tout se présente déjà incroyable, déjà exagéré, tout est ridicule sans nécessiter d’être ridiculisé. Essayez simplement de vous remémorer la liste de ce qui vous a estomaqué ces trois derniers mois... Impossible. L'aberration est quotidienne. Aujourd’hui, ce sont les ministres droits et peignés qui parlent de partition, de guerre civile, de séparatisme, en des termes que le pire droitard complotiste des années 90 n’osait même pas utiliser. Aujourd’hui, aujourd’hui... Comment crier au fou alors qu’on est soi-même soumis à des hallucinations quotidiennes ? Alors que soi-même on se promène dans la rue au grand jour avec un masque respiratoire sur le nez ? 

On ne rit pas sous la tempête. On n’analyse pas, tambour battant, depuis l’intérieur de la machine à laver. Il n’est plus vraiment temps d’amuser ni d’écrire. Il n’est plus temps de prédire. Il est temps d’enfouir et mettre à l’abri ce qui peut l’être. Et ne plaignons rien ni personne, surtout ! Ce qu’il se passe est souhaité ou du moins consenti. Soumission. Désertion. Regard au plafond. Plus d'innocents désormais. Personne qui puisse dire qu’il ne sait pas. 

Ne cédez pas aux Cassandre !” qu’y disait - Cassandre dont le tort était d’avoir raison et de n’être jamais crue.

13 septembre 2020

Portrait du littérateur en son paletot

 


Cette rumeur caniculaire, c’est celle de mille jets d’eau tiède rebondissant à travers les murs de papier, ruisselant d’appartement en appartement sur les corps chauds des mignonnes, toute théorie de citadines accablées, cherchant dans le pommeau salvateur le remède à l’anéantissante pesanteur dans la nuit écrasée de chaleur –  corps d’albâtre, corps de miel, poignets délicats, toutes mille variétés, brillants petits fessiers pommelés français, bien élevés, de race, en coquinerie – errant dans des chambre étrangères, incapable de trouver le sommeil au bord de lits défaits, je cherche, je palpe… des bibliothèques inconnues. Je suis à Paris ! Paris !


Je descends, je m’aventure, les rues désertes, les bars du quartier ouverts la semaine dernière, les ravissantes clochardes attablées une clope au bec un verre de blanc à la main, je file, je marche, Strasbourg-Saint-Denis, allures de bas-empire, Babel luxuriante, tous les peuples de l’empire y dégorgés ; je suis pas dépaysé, peut-être en état d’ivresse, un peu, légèrement, je me retourne, convulsif : qui donc me colle aux basques ? Mauvais rêve, delirium peut-être… C’est Chichnarfne ? à mes trousses ! Il me suit depuis Helsingfors ! louche loufiat ! Sans passeport ! c’est ça l’Europe !

7 septembre 2020

Élite intellectuelle

1582043812_eliteee

À son origine, le terme "méritocratie" est péjoratif, inventé par Michael Young pour les besoins d'une social-fiction dystopique écrite dans les années 50 : L'Ascension de la méritocratie. L'auteur imagine la dérive autoritaire d’une société où une élite de diplômés et d’experts, se considérant éclairée, ne veut plus prendre le risque de laisser les masses non savantes jouer avec la démocratie.

Le livre, que je n’ai pas lu, préfigure avec cinquante ans d'avance une certaine actualité où les pouvoirs politique et économique sont concentrés par une “élite intellectuelle” formée dans les mêmes quelques écoles, dépensant pour le capital éducatif de ses enfants afin d’assurer sa reproduction sociale, et se méfiant comme d'une lèpre de la classe des “non diplômés”. Le narrateur, commentateur réjoui et satisfait n'ayant cesse de louer le système, rappelle lui aussi non sans un certain trouble notre cher Christophe Barbier.

Aujourd'hui, la réalité de la fracture sociale et politique contre laquelle le livre mettait en garde est quasiment admise, objectivée par l'événement des gilets jaunes et les constats des meilleurs observateurs de notre temps. Il conviendrait toutefois de prendre quelques précautions en définissant plus précisément ce que l’on entend par "élite" ou "bourgeoisie intellectuelle", et de ne s'en exagérer ni l'élitisme, ni l'intellectualité.

Les happy few dont on parle sont en réalité assez nombreux, s'accumulant derrière la vaste catégorie CSP+, qui mêle à la bourgeoisie classique toute la génération montante d’une classe moyenne aisée. Ça fait du monde. Et si l'on qualifie cette élite “d’intellectuelle”, c'est davantage par opposition à “manuelle” que pour souligner une faculté d'esprit extraordinaire. Bien au contraire, il est frappant de constater combien les jeunes de cette classe “privilégiée” ont tout autant été concernés que les autres par l’effondrement de la culture générale, du savoir et de la civilité.

19 août 2020

Les MQALADNPEEU

Que voulez-vous, ça arrive à tout le monde. Il n'y a pas à s'en vouloir. Les MQALADNPEEU n'ont rien de honteux. On n'y peut pas grand chose de toute façon. 

Voilà comment ça se passe en général : une chose se présente à vous dans le domaine artistique, intellectuel, humain... Elle vous tombe sous la main, au premier abord elle vous semble de bonne facture. Vous la sous-pesez, elle vous paraît valable et même "géniâle" : le vernis est chouette, ça sonne bien, la finition est chiadée, rien à redire, "y'a du potentiel ou j'm'y connais pas !" songez-vous en esquissant la mine de l'expert à qui on la fait pas.

Mais peu après que votre sympathie pour la chose ait déclose sa robe de pourpre au soleil (une semaine, un an, une décennie...), vous y jettez un oeil de nouveau et l'examen plus approfondi dément votre enthousiasme initial. Le truc qui tenait la route est désormais bancal, l'originalité s'avère trompe-l'oeil, la qualité a passé... Mirage, l'oasis ! L'or s'avère être un fer blanc vilainement ciselé par un artisan sinon malhonnête, trop habile... Vous vous êtes fait couillonner, mon vieux ! 

Oui, vous venez de vous faire avoir par... une Merde Qui Avait L'Air De Ne Pas En Etre Une (MQALADNPEEU). La Merde Qui Avait L'Air De Ne Pas En Etre Une désigne une chose que vous avez aimé démesurément, ou même un peu, par erreur, étourderie ou inexpertise à un moment de votre vie, alors qu'elle n'en vaut pas la peine. Vous vous êtes TROMPE ! 

Afin de vous éviter ce désagrément à l'avenir, le CGB présente ici une liste non limitative de MQALADNPEEU :


1. Les BD 
Les BD sont des MQALADNPEEU la plupart du temps. Qui, en effet, n'a jamais été attiré par une somptueuse couverture d'album, lumineuse, profonde, impressionnante de couleur, plongeant l'imagination dans une ambiance... et aussitôt déçu quand il en a ouvert une page ? Neuf fois sur dix, la couverture est plus belle que le contenu, le niveau ne suit pas, le coloriste n'a pas été payé pour les pages intérieures, c'est tout juste si on ne dirait pas que le dessinateur n'est pas le même... 
La faute revient aux progrès réalisés conjointement par l'édition et les logiciels d'image, qui permettent au premier clampin de pondre une couverture qui en jette, d'intégrer de la photo, de retoucher, d'ajouter des effets, du volume, à moindre effort... 
Oui, les bandes dessinées sont très souvent des merdes qui avaient l'air de ne pas en être une. Le phénomène qui l'atteste est le "roman graphique" : sous cette catégorie qui peut occasionnellement donner du bon, se glissent quantité de merdes qui, sous prétexte de s'émanciper des structures et codes du récit BD, usent de médiocrité de façon désinhibée. "Roman graphique" habilite quiconque a envie de s'exprimer (et ils sont légion) à se répandre en textes-fleuve, récit social ou psychologique à deux sous, et en croquis plus ou moins minables. Vas-y que je t'ose un petit crayonné de merde à peine relevé par un subterfuge coloriel ou une trame de papier façon "journal de bord à petits carreaux" afin de donner un tour intimiste à la daube. Ainsi emballé, le tout a l'air présentable sur étal. Mais c'est de la MQALADNPEEU !

Oeuvre courageuse et sans concession
sur la "charge mentale", un sujet tabou.

2. Kirsten Dunst

7 août 2020

Le souverainisme de Balzac

Dans Le Médecin de campagne, Balzac fait le récit d'un homme bienfaiteur qui par les conseils prodigués à un hameau misérable, le fait prospérer en commune florissante. S'ensuit une réflexion du médecin sur la façon dont une nation devrait être administrée pour connaître le même succès :

Hélas, on n'éclaire pas un gouvernement, et de tous les gouvernements, le moins susceptible d'être éclairé, c'est celui qui croit répandre des lumières. (...) Ce que nous avons fait pour ce canton, chacun devrait le faire dans la sphère d'intérêt où il agit. (...) Là où j'ai encouragé la fabrication de chapeaux de paysan, le ministre soustrairait la France au joug industriel de l'étranger, en encourageant quelques manufactures d'horlogerie, en aidant à perfectionner nos fers, nos aciers, nos limes ou nos creusets (...). En fait de commerce, encouragement ne signifie pas protection. La vraie politique d'un pays doit tendre à l'affranchir de tout tribu envers l'étranger, mais sans le concours honteux des douanes et des prohibitions. L'industrie ne peut être sauvée que par elle-même, la concurrence est sa vie. Protégée, elle s'endort ; elle meurt par le monopole comme sous le tarif. 
Le pays qui rendra tous les autres ses tributaires sera celui qui proclamera la liberté commerciale, il se sentira la puissance manufacturière de tenir ses produits à des prix inférieurs à ceux de ses concurrents. La France peut atteindre à ce but beaucoup mieux que l'Angleterre, car elle seule possède un territoire assez étendu pour maintenir les productions agricoles à des prix qui maintiennent l'abaissement du salaire industriel : là devrait tendre l'administration en France, car là est toute la question moderne. (...) 

5 août 2020

Benoît et Benjamin prennent le train



Il fut un temps où l’on employait l’expression « la vie de tous les jours » pour distinguer d’un côté les jours ordinaires, où la routine règne, et de l’autre les jours exceptionnels, rares, où une aventure arrive, une nouveauté survient, un rouage grippe. Ce temps n’est plus : désormais, chaque jour apporte à l’homme moderne au moins une occasion de s’étonner ou, comme disent les formateurs en management, de « se remettre en question ». Hier, j’ai pris le TGV.

20 juillet 2020

Une tentative de définition du gauchiste

Le Manifeste de 1971 est un texte de Theodore Kaczynski, professeur universitaire tombé par la suite dans la marginalité puis l'action armée contre le monde technologique, envoyant des colis piégés anonymes. Le texte expose un projet radical assez proche de celui du film L’Armée des 12 singes, contre le “complexe industrialo-technologique". L'écriture est d'une certaine maladresse et laisse apercevoir la plume du "raté” introverti, cependant elle n’est pas dénuée d’intérêt. Le texte connaît une certaine postérité dans les milieux radicaux anarchistes et situationnistes.


Y'a pas à dire, la cravate ça vous change un homme.

Kaczynski décrit un système technophile libéral qui aurait pris la manie, depuis la révolution industrielle, de répondre aux problèmes humains par des moyens scientifiques et techniques. Ce penchant devenu irrésistible et hors de contrôle finit par inverser les priorités et faire prévaloir les besoins technologiques sur ceux humains. Ainsi, le système tend à organiser une ingénierie psychologique et biologique pour manipuler les individus et les faire correspondre aux besoins industrialo-technologiques. Pour comprendre sa phobie, il n’est pas inintéressant de savoir que Theodore Kaczynski a participé durant ses études à des expériences de manipulation psychologique et sociale menées à Harvard pour la CIA.
"La technologie va permettre à la société dominante d’imposer partout ses propres valeurs. Ce résultat ne sera pas le fruit de quelques salopards assoiffés de pouvoir, mais le produit des efforts de gens socialement responsables qui veulent bien faire et croient sincèrement à la liberté.
"Si la liberté se détériore, ce n’est pas qu’elle soit la proie d’une philosophie anti-libertaire - la plupart des gens croient au contraire à la liberté. Mais c’est que les gens utilisent la technologie dans leur travail et leur vie quotidienne. Le système est créé de telle façon qu’il est toujours plus facile de choisir ce qui va renforcer l’organisation.
"Par des méthodes toujours plus efficaces à mesure que se développera la psychologie de l’éducation, on apprendra aux enfants à devenir créatifs, curieux, forts en sciences ou en lettres, passionnés par leurs études. On leur enseignera peut-être même le non-conformisme. Ce ne sera pas un non-conformisme choisi par hasard mais un non-conformisme “créatif”, orienté vers des fins socialement désirables. Par exemple, au nom de la liberté on enseignera aux enfants à se libérer des préjugés irrationnels de leurs aînés.

17 juillet 2020

Paul Mccartney randomisé


Extrait de la première interview de sir Paul McCartney depuis la fin du confinement.

Patrick Elkrourdin
Paul McCartney nous a fait l’honneur de nous accorder cet entretien dans un moment difficile, et je veux dire ici que toute la France, que je représente durant cette heure, l’en remercie.
Paul McCartney
Je n’en demande pas tant !
Patrick Elkrourdin
Alors je vous pose tout de go la question qui brûle les lèvres : qu’est-ce que c’est que cette histoire de chanson ?
Paul McCartney
Oh c’est peu de choses, c’est juste une chanson que j’ai composée durant le confinement et que j’ai postée directement sur Youtube.
Patrick Elkrourdin
Une contribution de solidarité ?
Paul McCartney
C’est ça. En donnant cette chanson, j’ai voulu simplement offrir quatre minutes de divertissement aux gens enfermés chez eux.
Patrick Elkrourdin
Une chanson libre de droits ?
Paul McCartney
Non, mais diffusée gratuitement ; personne n’a besoin de payer pour l’entendre ou la télécharger. Et elle a recueilli 850 millions de vues en deux jours. (applaudissements)

7 juillet 2020

District 10 - Promenade au coeur de la ville tiers-mondisée


Il existe comme cela des quartiers qui marquèrent leur époque. Mai 68 et le Quartier latin. Greenwich Village et le Velvet Underground. Bullit et les hauteurs de San Francisco. Tian'Anmen et l'émancipation du communisme...

S'il fallait représenter la nôtre aujourd'hui, son atmosphère post-mondialisée de guérilla civile en gestation, son ambiance torve, viciée, absurde, malsaine, fiévreuse, le 10ème arrondissement de Paris me semblerait parfait.

Je connais bien ce quartier pour y avoir travaillé quelques années. On pourrait en situer le coeur battant en traçant un triangle sur l'est de Paris dont la pointe, en bas, partirait de Bonne Nouvelle, coin où les Français encore majoritaires aiment humer l'air chaud des larges trottoirs, pour remonter en s'évasant en un large sillage jusqu'à Barbès (à l'ouest) et Stalingrad (à l'est) : segment supérieur du triangle, matérialisé par la ligne aérienne de métro 2, dans l'ombre de laquelle s'abritent les commerces de crack, de cigarettes contre-faites, les tas de déchets, les matelas calcinés, les bagarres au bâton entre clandestins...

A l'intérieur de ce triangle, on trouve les deux gares du Nord et de l'Est, encerclées dans leurs puissantes odeurs d'urines (c'est ici qu'aurait dû naître le projet de "Central Park" du candidat Benjamin Griveaux), la fameuse rue du Château d'Eau où pullulent les salons de beauté afro et leurs hordes de rabatteurs camerounais, nigérians, ivoiriens, qui alpaguent les femmes le matin et se soulent ou vendent le manioc après 15h ; les jeunes toxicos vingtenaires se tenant comme ils peuvent à l'entrée des salles de shoot d'Anne Hidalgo, demandant du feu aux passants pour leur pipe de crack sans arriver à lever le regard jusqu'à eux ; enfin, les bordures du canal Saint-Martin, ses graffitis, ses sacs plastique, ses pigeons agressifs et galeux, ses tessons de Heineken brisés sur le pavé...

4 juillet 2020

Pas la bonne époque


"C’est naître qu’il aurait pas fallu". C’est Céline qui disait ça. Et plus tard, Cioran fit une variation sur le même thème avec De l’inconvénient d’être né. Mais on a beau faire, on y est, on y reste.

J’ai parlé au téléphone avec un vieux pote il y a deux jours, et ce qu’on s’est dit, en substance, c’est qu’on était nés nous au bon endroit, mais pas au bon moment. Une autre époque nous aurait bien botté, n’importe laquelle, avec ses guerres, ses ratatinades, sa vache enragée, ses heures bien plus sombres, ses carences alimentaires, sa peine de mort, n’importe laquelle sauf la nôtre, quoi. Notre époque qui se faisande chaque jour un peu plus, puritaine et vicelarde tout en même temps, et qui projette son ombre hideuse sur ce con d’avenir, que les gosses sauront plus quoi en faire. Trop d’hystérie, trop de vulgarité, trop de fric, trop de bouffe, trop de connerie déferlante, trop de communication pour les cons, trop d'imposteurs, trop de nullité agressive et conquérante et proliférante et interminable. Productivisme oblige, et règne absolu du plus grand nombre, nos temps produisent presque automatiquement trop de trucs, à condition que ce soit de la merde.
C’est pas naître au mauvais moment qu’il aurait fallu.

Tenez, pour illustrer notre blues intime, plutôt que se répandre en phrases de plus en plus déprimantes, on va se passer l’épatante chanson de ce bon Dr John, une chanson de 1973, elle a eu le temps de bien mûrir (Dr John fit une énorme connerie il y a un an environ : il est mort).



6 mai 2020

Gens qu’on aime : les Inconnus


Je vous entends soupirer. Je vous vois lever les yeux. « Quel intérêt y a-t-il à écrire un hommage à ce trio comique parfaitement connu de tous ? ». Précisément, le propos est de faire observer que malgré toute sa célébrité, la troupe que formèrent Bernard Campan, Didier Bourdon et Pascal Legitimus n’a pas la reconnaissance qu’elle mérite à mon humble et infaillible goût.

On prend bien la peine de déplorer que la Légion d’honneur soit attribuée à M Pokora, Mimi Mathy ou toute autre chiasse dont l’apport à la culture est négligeable voire déficitaire. Alors soyons cohérent : scandalisons-nous qu’une France digne de ce nom n’ait jamais songé à sacrer nos Inconnus Chevaliers des Arts et des Lettres. Car je l’affirme : ils laisseront après eux une œuvre bien plus qu’amusante : conséquente, populaire, et à la fois parfaitement perspicace sur son temps.

Il convient tout d’abord de remarquer comme cette œuvre a résisté au temps. Pour s’en convaincre, il suffit de visionner n’importe lequel de leurs sketchs télé et de le comparer à un Journal des Nuls, leur concurrent et mètre étalon exactement contemporain. D’un côté nous avons une satire finalement assez rare de la vulgarité médiatique et sociétale ambiante, de l’autre une simple débilité joyeuse, délire d’initiés et forts effluves d’années 80-90 dont le mérite qui subsiste est d’inaugurer la longue série d’humoristes dyslexiques que Canal+ saura produire à merveille par la suite. Chez Les Nuls, on cultive la nullité ; chez les Inconnus, on la déplore, on la démasque. Une dénonciation toujours faite avec le sourire, mais belle et bien présente et incisive.

2 mai 2020

Vol et brigandage à travers les âges

PUF_TOURE_2006_01 


Vol et brigandage au Moyen âge est un livre à recommander aux amateurs de la petite Histoire. Par l’étude d’archives judiciaires de différentes villes françaises, il raconte comment vol et voleurs ont été perçus, considérés, organisés et sanctionnés au long de cette période.

Il est intéressant de voir que la définition sociale du vol évolue au fil des siècles. Au début du féodalisme, le vol est fortement attaché à la nuit et à la notion d’obscurité dans laquelle il est commis. On vole de nuit, et par extension symbolique, on vole dans l’ombre, “dans le dos” de la société. L'acte de trahison et de fourberie est ce qui constitue la gravité fondamentale du crime, plus que la matérialité, l’objet du vol ou la valeur du bien volé. Ce qui est incriminé, c’est avant tout la rupture de confiance, la rupture d’un pacte social établi sur la loyauté au seigneur, et à la communauté.

18 avril 2020

L'étiquette, c'est pas fait pour les tapettes !


S’il est un domaine qui a considérablement progressé ces dernières années, c’est celui de la traçabilité et de l’étiquette. Prenez n’importe quelle barquette de fraises : vous pouvez savoir en lisant la boîte d’où elle vient, à quelle heure les fraises ont été cueillies, le prénom du portuguais qui les a mises en boîte, et la plaque d’immatriculation du camion qui les a faites venir. Je suppose que c’est très bien ainsi.

Dans le même élan, commerces, rayons, restaurants, se sont considérablement étiquetés eux aussi. Consommation intensive oblige, on a institué des catégories et sous-catégories pour à peu près tout, afin que les couillons disposent de ce qu’ils veulent au moment où ils le veulent, sans l’ombre d’une incertitude. Régimes spéciaux, avec ou sans option, “spécial Saint-Valentin", hallal, “pour fille”, “pour garçon”, “pour fille et garçon”, sans gluten, “réservé carte Pass”, vegan only, Wifi gratuit, etc. Il y en a absolument pour tous les goûts et tout le monde peut trouver son bonheur. Il suffit de lire l’étiquette.

Dans une telle société, pourquoi n’est-il pas aussi simple d’instaurer un label de plus ? Visible et distinctive, la mention que je propose d’ajouter sur l’étiquette renseignerait cette fois sur la contenance du produit en propagande homosexuelle. 30%. 10%. 0%. Chaque article - livre, place de concert, paquet de chips, série télévisée... trouverait sa place sur les étals selon sa composition gay. Une étiquette jaune “No Homo” sur le produit, par exemple, signifierait que ce pot de Nutella, cette boîte de rillettes, cet album de variété, cette huile moteur 4 temps ou ce livre pour enfants est - non pas homophobe ni nocif en quelque manière que ce soit aux membres de la communauté, mais simplement dépourvu de tout rapport proche ou lointain avec le fait de s’enculer ou de changer d’identité sexuelle. En somme : le produit est NEUTRE et n’offre au consommateur aucune garantie quant à l’enseignement de ces choses - le voilà prévenu !

Un tel étiquetage répond à une exigence croissante de la part des consommateurs. J'ai entendu plusieurs fois par exemple des spectateurs se plaindre des programmes Netflix et leur biais idéologique insidieux. Rentrer du boulot, embrasser Bobonne sur le front, ouvrir une Chouffe, croire démarrer une fiction prometteuse et finir par réaliser à l’épisode 3 que la lesbienne de service n’était pas dans le casting pour rien : la voilà qui s’apprête à nous bourrer le mou avec ses convictions sociétales ou biologiques. Tromperie sur la marchandise.

L’édition jeunesse n'est pas en reste : sans parler des livres pédagogiques sur la question, les banales aventurettes font couramment des allusions à la chose sous couvert de traiter des problèmes de notre temps. Les histoires pour 7-12 ans omettent rarement de glisser dans l’histoire “l’amoureux de tonton” ou “deux mamans” qui habitent l’étage du dessous. Au cas où l'enfant, chemin rentrant de l’école, serait passé à côté des affiches publicitaires montrant deux langues masculines qui s’enlacent en 4x3 pour lutter contre le sida ou vendre un gel lubrifiant.

Tonton et Tata

La fois dernière, me résumant la saga livresque qui l’occupe (un genre de Harry Potter / Club des Cinq à en croire la couverture), ma fille me raconte que l'héroïne a trois parents : ceux qui l’ont faite, une autre maman dans qui on l’a mise, puis les parents qui l’ont vraiment élevée... “Intéressant”, lui dis-je, “et sinon tu connais l'histoire des deux pédés dans un ascenseur ?”.

Eh bien quoi ? N’ai-je pas le droit moi aussi de glisser subrepticement des idées dans le crâne de mes gosses ? Bah. Tout cela n’est pas si grave. Ce le serait en revanche si un gauchiste découvrait la moindre allusion “pro-life” dans un livre qu’il aurait distraitement mis à disposition de sa progéniture. Là, on sommerait la maison d’édition de s’expliquer publiquement. Une cellule psychologique serait mise en place pour les enfants qui ont été en contact avec l’ouvrage... Mais dans l'autre sens, ce n’est pas bien méchant. Trouver à y redire serait pure pudibonderie. Rappelons-nous d’ailleurs le tollé provoqué par le président Poutine lorsqu’il y a quatre ou cinq ans, il avait annoncé son intention de “lutter contre la propagande homosexuelle”. Les âmes du monde libre avaient oscillé entre moquerie et scandale. Pourtant, comment appeler autrement l’étalage bientôt systématique d’allusions déplacées là où les enfants posent les yeux ?

Je comprends que des parents jugent capital et urgent de parler des pédés à leur enfant le plus tôt possible. Il existe pour eux un vaste choix de collections et ouvrages pédagogiques. Je demande simplement, pour les autres parents, le droit à bénéficier d’une information transparente et d’un étiquettage “No homo” sur les produits de consommation courante.

Pétition pour interdire le Roi Lion


Il est notoire que Walt Disney, sous sa moustache sympathique et ses mickeys sirupeux, était en réalité un infâme rétrograde. Je connaissais les comportements farouchement anti-communistes qu’il avait pu avoir de son vivant, mais n’avais jamais particulièrement remarqué que l'écœurante mentalité transparaissait jusque dans ses histoires animées.

Jusqu’au soir où je visionnai le Roi Lion dans sa nouvelle édition filmée. Depuis quelques temps en effet, la compagnie aux grandes oreilles s’est mise en tête de ressortir 90 ans de longs métrages dessinés, cette fois en films de synthèse réalistes. Roi Lion, Aladin, Dumbo et bien d’autres reparaissent ainsi, reproduits plan par plan à la virgule près avec des animaux plus vrais que nature. L’intérêt de la chose ? La technologie le permet, il fallait donc le faire. Si l’on trouvait avilissant de voir la gente animale réduite à exécuter un numéro de cirque, on sera peut-être gêné de voir les lions de son documentaire animalier prendre, par la grâce du numérique, des mimiques humaines, labiales, faire des clins d’œil, discuter, s’émouvoir, rigoler… Mais après tout ce n’est pas plus saugrenu que les sornettes sociétales qu’on entend dans la presse ou sur Twitter tous les jours désormais. Que voulez-vous, c’est triste mais on s’habitue à tout !


Le Roi Lion, donc. Comment ai-je pu passer toutes ces années à côté de la double lecture odieusement nauséabonde de cette fable identitaire ? Le Roi Lion : l'histoire d'un mauvais chef qui avec l’aide de forces étrangères, renverse le noble roi et laisse entrer dans le royaume la horde des hyènes viles, idiotes et oisives, à qui il octroie tous les droits au détriment de ses propres sujets lions. Allô Amnesty International ?! Bonjour la morale de l’histoire ! Est-ce là une façon de raconter l’apport de l’immigration ?

Bien sûr, à partir de ce moment, tout bascule et est exagérément noirci, comme pour montrer que la société multiculturelle lions-hyiènes ne peut produire que le chaos ! Le royaume, qui jusque-là était abondant et baigné de soleil, devient gris et se couvre d’épais nuages ! Les hyènes ne travaillent pas et touchent les subsides. L’herbe ne pousse plus (quand on sait que les ancêtres des hyènes sont ceux qui ont inventé les premiers l’agronomie, on se marre !). La nourriture vient à manquer, bref, les bienfaits du multiculturalisme sont dissimulés de façon grossière et systématique !

Et c’est loin d’être fini. Mis face au vivre ensemble, Simba le lionceau héritier soi-disant légitime mais surtout profondément xénophobe, préfère s'exiler ! Durant sa cavale, la providence met sur son chemin Timon le suricate et Pumba le phacochère, deux amis vegan et anticapitalistes qui vivent à côté du système. Ceux-ci tentent de le convertir à la mentalité Hakuna Matata : « laisse donc ton pays à la ruine, oublie les tiens, ton père le roi des rois n’était qu’un con grotesque de toutes manières ! Qu’est-ce qu’on en a à foutre du territoire ! La terre est à tout le monde ! Fais comme nous, mange des larves jusqu’à en devenir une ! ».


Si ce bain de jouvence idéologique semble d'abord produire des effets sur l’ouverture d’esprit de Simba, ceux-ci sont de courte durée. En réalité, le cœur de Simba est profondément vicié : il conserve malgré lui un profond remords vis-à-vis de son passé d’enraciné. Timon et Pumba, trop naïfs et généreux, ont cru pouvoir débattre avec le fascisme. Ils ne savent pas qu’on ne devient pas de gauche, on le naît ! Ainsi, il n'est besoin que de l’irruption dans la vie des trois compères d’une femelle de souche pour réactiver chez Simba les instincts les plus crasses. Au feu la tolérance, la liberté, le métissage et la libération sexuelle ! Simba redevient ce gros con de beauf patriarcal qu’au fond il n’a jamais cessé d’être ! Il n’a qu’un mot à la bouche : « se souvenir de qui il est » ! Bravo...

Je vous le donne en mille : après s'être égaré avec les deux punks à chiens dont le film a soin de montrer que la philosophie ne mène à rien, Simba revient se battre pour sa terre et pour son sang ! C'est seulement au prix d'une politique brutale de remigration qu'il restaure le pays. Pire : il devient mâle alpha, tombe dans le schéma homme-femme / couple-enfant et fonde un foyer qu'il veut défendre ! C’est tout juste s’il ne se vante pas que sa mère, restée tout ce temps dans la société multiculturelle des hyènes, n'ait pas succombé au métissage qui lui avait été proposé à plusieurs reprises au long du film.

C'est ce monde-là qu'on veut pour nos enfants ?!

Le Roi Lion est sorti en 1994. Sa réalisation en film réaliste en 2020 rend son idéologie d'autant plus visible. Songez aux générations qui ont grandi avec cette propagande. Faites le calcul. Un garçon qui avait 6 ans à l’époque en a aujourd’hui 32. Il est en pleine possession de ses moyens et - terrifiant - en âge de voter ! On comprend mieux la montée du Front national, le Brexit, les Gilets jaunes. On comprend la Manif pour Tous. On comprend la culture du viol et les postes clés de France Télévision occupés par les vieux mâles blancs. Ainsi que les jeunes mâles blancs, se sentant autorisés depuis les terrasses de café à siffler les filles qui passent dans la rue.

Tout est plus clair à présent.