27 septembre 2019

Faire chier


Pourquoi une personne irait revendiquer le droit au burkini à la piscine quand elle a déjà le loisir d’évoluer librement en voile dans la rue, au travail, quand elle vit ses manières radicales où ça lui chante sans courroucer la police ni les citoyens, quand elle bénéficie d’horaires de piscine aménagés pour barboter à son aise, pourquoi irait-elle encore réclamer davantage alors que tout se passe déjà au mieux ?

Pour faire chier.

Et pourquoi, en réponse à ces provocations adressées entre deux attentats au couteau, vous mettez-vous à riposter ? Pourquoi délaissez-vous la nuance, les pincettes, et tirez-vous comme un âne dans le sens opposé ? Pourquoi vous faites-vous plus con que vous n’êtes et jouez-vous de l’amalgame et de l’injure, alors qu’en vérité vous cernez les enjeux plus finement que ne le feront jamais les bienpensants qui vous réprouvent ?

Simplement pour faire chier.

Comment arrive-t-on, en tant que férue féministe, à fermer les yeux sur les agressions sexuelles qui jonchent l’actualité migratoire, alors que le reste du temps on ne badine pas avec le viol, ni même avec le frôlement de fesses dans le métro ? Pourquoi laisse-t-on passer ça, quand le reste du temps on perçoit l’oppression masculine derrière le moindre mot ? Et si l’on prétend tenir là un sujet extrêmement grave, pourquoi l’accommoder ainsi à toutes les sauces, sur tous les tons, en toutes occasions surtout les plus grotesques, finissant par le rendre dérisoire ?

Parce qu’on veut surtout faire chier.

Et ne vous leurrez pas : c’est pour faire chier en retour que vous vous faites taquin sur l’égalité salariale, mitigé sur les violences fétofam, dubitatif sur la nécessité de la parité... C’est pour faire chier et seulement pour cela que vous vous emparez de ces sujets sur lesquels vous vous seriez autrement montré plus coopératif. Faire chier à même hauteur que Marlène Schiappa. Œil pour œil. Dent pour dent. Bec pour ongle. Faire chier.


14 septembre 2019

A l'arrêt du 95




J’étais resté tapi au fond de mon lit tiède jusqu’à l’extrême limite de la bienséance, mais enfin vers neuf heures il avait bien fallu briser là et partir en quête de la justification quotidienne de mon existence. J’arrivais à l’arrêt de bus déjà suant et tenaillé par la douloureuse inquiétude de l’employé qui sait qu’il encourra le légitime déplaisir de ses supérieurs, le front plissé par l’injustice absolue de devoir ainsi sacrifier cette brillante matinée à l’assommoir quotidien du travail salarié, ses abîmes de réunions interminables où ne se décide jamais rien, altitudes de power points, slides en pagaille, torture garottante des urinoirs où l’on arrive en même temps que son chef de service, ce qui suffit à vous étrangler la vessie, liquider la bite, condamné à repasser plus tard, écrans infinis des ordinateurs, jappement strident des téléphones, immense désert de surveillance des bureaux partagés, modernes et conviviaux. J’en étais donc là, le front rongé par de sourdes tenailles, me pressant nerveusement à l’arrêt du bus 95, fantomatique et encore invisible masse de ferraille, lorsque soudain mes yeux fatigués se posèrent sur toi :

10 septembre 2019

Mon nom est personne

Nouveaux-prenoms-les-plus-originaux_2 

À quel moment s’est-on mis à penser que le domaine des prénoms devait être celui de l'inventivité la plus totale ? À quel moment s’est-on persuadé que tout, absolument tout était permis en la matière ? Qu’est-ce qui a fait qu’un jour, on a cessé de choisir parmi les saints du calendrier, de prendre le nom d’un oncle ou d’un ami pour l’honorer, de piocher dans un dictionnaire d’existants, pour se mettre purement et simplement à inventer des trucs ?

Résultat : dans une classe de 30 élèves aujourd’hui, non seulement il n’y en a plus deux qui ont le même prénom, mais c'est à peine s’il s’en trouve cinq dont on peut dire que le prénom existe, qu’on le connaissait ou qu’on l’avait déjà entendu quelque part. C’est malin !

C’est progressivement que l’originalité s’est immiscée. Au départ, elle a consisté à choisir des consonances exotiques et charmantes : un petit -a par-ci, un petit -io par-là... Puis on a arrêté les chichis : c’est le prénom entier qu’on a fait venir tel quel du bout du monde jusque sous nos climats pluvieux, sans chaussettes ni manteau adaptés. Et voilà comment un petit Français peut aujourd'hui se trouver camarade d'un Curtis, sans avoir à bouger de chez lui. Curtis habite Brive-la-Gaillarde, où il est né, et s’appelle en réalité Curtis Chamfoin. Mais c’est toujours mieux que rien.

Malgré cette extension du champ des prénoms possibles, les Mattéo et les Jason ont rapidement envahi le marché. Il a fallu, pour innover, recourir à de nouvelles audaces. Cette fois on fit tomber la règle selon laquelle les noms ont une orthographe donnée. Jérémie est devenu Jérémy. Cyrille est devenu Cyril. C’est vrai quoi, l'orthographe qu’est-ce qu’on s'en fout ! A l'inverse, d’autres ont appliqué la règle grammaticale de la plus rigoriste des manières : Daphné est ainsi devenue Daphnée ! Logique, puisque c’est une fille. Si elle avait été plusieurs, les parents l'auraient appelée Daphnéent.

9 septembre 2019

La révolte des ordures


Dans un monde parfait, personne ne donnerait un micro à un ancien footballeur, personne ne ferait attention à ce qu’il dit, ce qu’il écrit ni ce qu’il pense. Mais nous ne sommes pas dans un monde parfait, nous sommes en France, en 2019 : je vais donc commenter, le plus brièvement possible, les insanités proférées par un être dépourvu de tout intérêt.

1 septembre 2019

Messe à F***



La vieille église romane aux pierres lavées par le vent gisait en ruines depuis 1956, éternellement en chantier, jamais rénovée, et depuis plus d’un demi-siècle les paroissiens se réunissaient dans une construction provisoire, cube de béton posé à la hâte en face des membres grandioses et désolés de l’église, bas « lieu de culte » trapu, nu et fonctionnel, temporaire depuis plus d’un demi-siècle. L’intérieur était aussi froid et sale et déjeté que l’extérieur ; chaises en plastique, tapis noyés par l’humidité, statues en plâtre de Jeanne d’Arc et de Sainte Thérèse de Lisieux sauvées de la vieille église, deux ou trois scènes pieuses accrochées aux murs nus et lézardés – Une fois sur dix, une fois sur vingt, qu’on la donne, la messe, à F*** : un prêtre qui fait la tournée du diocèse, arrive en retard, s’habille devant tout le monde, murmure quelques mots d’excuse, et les paroissiens qui attendent gentiment, souriant, ils ne lui en tiennent pas rigueur, ils savent que c’est dur, la route est difficile quand on ne connait pas la région. Ils espèrent de lui la vie, littéralement, la vie gratuite du don de Dieu, alors ils attendent patiemment dans leur « lieu de culte » abject et humide et infiniment triste et sale. Le prêtre ne peut pas ne pas le remarquer, c’est sans doute la pire du diocèse, la plus humble, la plus moche, cette église de F***, on dirait les catacombes – non, pas les catacombes, celles-ci étaient le sentier souterrain de la foi qui croissait, jaillissait comme une source, préparait sa subversive suffusion parfaite et épiphanique avec le monde gréco-romain. Ici à F*** les catacombes sont des tranchées à ciel ouvert, des catacombes d’indifférence éventrées comme des boyaux exposés à l’air libre, au mépris, au rien.