10 septembre 2019

Mon nom est personne

Nouveaux-prenoms-les-plus-originaux_2 

À quel moment s’est-on mis à penser que le domaine des prénoms devait être celui de l'inventivité la plus totale ? À quel moment s’est-on persuadé que tout, absolument tout était permis en la matière ? Qu’est-ce qui a fait qu’un jour, on a cessé de choisir parmi les saints du calendrier, de prendre le nom d’un oncle ou d’un ami pour l’honorer, de piocher dans un dictionnaire d’existants, pour se mettre purement et simplement à inventer des trucs ?

Résultat : dans une classe de 30 élèves aujourd’hui, non seulement il n’y en a plus deux qui ont le même prénom, mais c'est à peine s’il s’en trouve cinq dont on peut dire que le prénom existe, qu’on le connaissait ou qu’on l’avait déjà entendu quelque part. C’est malin !

C’est progressivement que l’originalité s’est immiscée. Au départ, elle a consisté à choisir des consonances exotiques et charmantes : un petit -a par-ci, un petit -io par-là... Puis on a arrêté les chichis : c’est le prénom entier qu’on a fait venir tel quel du bout du monde jusque sous nos climats pluvieux, sans chaussettes ni manteau adaptés. Et voilà comment un petit Français peut aujourd'hui se trouver camarade d'un Curtis, sans avoir à bouger de chez lui. Curtis habite Brive-la-Gaillarde, où il est né, et s’appelle en réalité Curtis Chamfoin. Mais c’est toujours mieux que rien.

Malgré cette extension du champ des prénoms possibles, les Mattéo et les Jason ont rapidement envahi le marché. Il a fallu, pour innover, recourir à de nouvelles audaces. Cette fois on fit tomber la règle selon laquelle les noms ont une orthographe donnée. Jérémie est devenu Jérémy. Cyrille est devenu Cyril. C’est vrai quoi, l'orthographe qu’est-ce qu’on s'en fout ! A l'inverse, d’autres ont appliqué la règle grammaticale de la plus rigoriste des manières : Daphné est ainsi devenue Daphnée ! Logique, puisque c’est une fille. Si elle avait été plusieurs, les parents l'auraient appelée Daphnéent.



Arrivés à ce stade, on était mûr pour intervenir à l'intérieur même de la structure des prénoms : on initia des expérimentations génétiques, mêlant les alchimies pour obtenir des choses absolument neuves et jamais vues : ajout de lettres perturbatrices pour faire plus “viking”, modifications de sonorités, diminutifs passés à l'état civil... Nolan, devenu trop commun après plusieurs années au Top50, fut par exemple transformé en Nolhan, avec un h. Daniel, passé par les formes Danny puis Dan, muta une fois encore pour évoluer en Dann. Avec deux n. Et pourquoi pas ! Ça te pose problème ? Si tu m’emmerdes je l’appelle Dahnn ! Ou même Dannn, si je veux ! J’ai l’droit !

Arrivés à aujourd’hui, tout est envisageable en matière de prénoms. Le but, quel que soit l’artifice, est d'en trouver un qui n’ait jamais été porté par personne. Exact inverse de la coutume baptismale qui, par le prénom choisi, cherche à établir une filiation spirituelle avec un prédécesseur. Illustre ou pas, mais avant tout prédécesseur. Originel. Le but désormais : un prénom flambant neuf, jamais servi, encore sous plastique, jamais porté ! Comme les départements marketing, on se met en quête d'appellations et de slogans libres de droit, que personne n’aurait déjà déposés. Pas surprenant que les petits garçons et petites filles finissent avec un nom de bagnole ou de forfait téléphonique. Pas surprenant qu’on puisse s’appeler Lizéa même si on a deux jambes, deux bras, et qu’on n’est pas une Toyota ni une carte de réduction SNCF.

Des prénoms ex-nihilo. Hors-sol. OGM. Pas bio du tout. La tendance est forte : elle transcende les classes sociales. Les pauvres s’appellent Jenny (et sans doute même Djayni à l’heure qu’il est) tandis que les plus aisés s’appellent Timotei ou Thao. Un peu partout et à tous les niveaux, l’Occidental ne parvient plus à se nommer. Un voyageur extérieur observant le phénomène y verrait le signe d’un égarement certain. L’expression d’une volonté collective de dissolution. Une soif inexplicable de jeter l’éponge, de se perdre. Une mode durable à ranger sur l'étagère des tatouages et gribouillis tribaux recouvrant le bras, de l’auto-dénigrement sous toutes ses formes, de la prise massive d’anti-dépresseurs, de la démographie en berne...

Et nous ne sommes pas au bout de nos peines. Attendons-nous à voir débarquer des prénoms avec des chiffres, avec des smileys dedans. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Elle est finie l’époque où Shirley et Dino n'étaient envisagés que comme des noms de scène, supposés évoquer le grotesque.

45 commentaires:

  1. À l'époque, pas si lointaine, où je roulais en Mégane, j'ai rencontré une jeune fille qui se prénommait comme ma caisse. Ce qui, je peux en jurer solennellement, ne se produisit jamais dans les temps reculés où j'utilisais les services d'une R 25 ou d'une 190 E.

    J'attends avec une certaine impatience le moment où les constructeurs automobiles, pour se démarquer, faire original, vont décider d'appeler leurs nouveaux modèles Chantal ou Marie-Christine.

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  2. Le plus drôle, c'est que chez ces couillons-là, lorsqu'il y a un chien ou un chat, il s'appelle "Rex", "Fido", ou "Félix". Je l'ai constaté plusieurs fois.

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    1. D'ailleurs on est dans une époque où les animaux de compagnie sont limite mieux nommés que les gosses, c'est dire

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  3. les seuls prénoms qu'on ne dit jamais sont ceux des auteurs de "féminicides".
    pour les victimes, pan pwoblem, les tv et radios les appellent Laure, Lucie, marie, etc...mais pour les coupables, on n'entend jamais parler de Selim, Mohammed ou Mamadou

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    1. D'autant que les Mohammed et les Mamadou sont des Brandon et des Kevin comme les autres.

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    2. Exact. Hors sujet. Complètement à l'ouest.
      Merci de sortir et de laisser u CGB la classe et l'humour hors de portée de la pollution.

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    3. D'abord, les noms des Mokhtar sont assez souvent disponibles quand ils font irruption dans les faits divers, sauf bien sûr pour les gens qui se contentent de lire Libé (c'est à dire, d'après les chiffres, PEU DE GENS...). Ensuite, les "féminicides" ne sont pas le sujet de ce billet, c'est incontestable, c'est évident, c'est peut-être regrettable mais c'est ainsi. Enfin, la classe et l'humour dépollué ne signifient pas que le CGB soit aveugle, ni bouché. On serait bien bêtes de ne pas voir ce que tout le monde voit parfaitement, n'est-ce pas ? Simplement, on traite la question avec d'autres moyens que Panchovilla. On peut ?

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  4. La soif d'originalité des parents va se heurter au mur de la réalité, notamment quand les merdeux aux prénoms venus de nulle part, devenus adultes, aligneront des destins bien plus banals que ce que leurs blazes laissaient entrevoir. Un Youwanne devenu plombier-zingueur, ça fait plus misérable encore que s'il s'appelait Gilbert.

    Une leçon s'impose clairement à nous, et pourrait devenir théorème : quand on libéralise un domaine, il faut s'attendre à voir rapidement s'y développer des comportements aberrants.

    On peut rire un peu de tout ça sur ce site, ou y pleurer nos dernières larmes : http://liguedesofficiersdetatcivil.fr/2019/09/58988/

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    1. Gros débile...un plombier zingueur gagne sans doute mieux sa vie et est certainement plus utile à la société qu'un nuisible du tertiaire comme toi...

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    2. Du calme. J'aurais sans doute pu prendre un autre exemple que plombier-zingueur, ok. ça t'a vexé parce que tu es descendant de plombiers-zingueurs depuis Charlemagne, je comprends et te présente mes plus plates. Mais j'aime bien la sonorité de "plombier-zingueur", que veux-tu, et dans ce que j'écris, même en faisant mine d'être sérieux, je ne résiste jamais à une sonorité marrante. j'aurais dû choisir pompiste, qui est marrant aussi et qui, probablement, ne t'aurait pas tant choqué. Mais bon, le fond de l'affaire, c'est : un plombier-zingueur nommé Youwane, ou Zbiboune, c'est ridicule, ou pas ? Quelle que soit "l'utilité sociale" du job, un travailleur avec ce genre de blaze, direct tu te fous de sa gueule, ne nie pas !

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    3. Je connais un pompiste qui est un homme extraordinaire. Retire tout de suite !

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    4. En quoi être plombier zingueur serait misérable ?
      Répondez, si vous l'osez !

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  5. Dans les années 70 un ami s'est vu refuser Jesse James par l'officier d'état civil, le gamin s'appelle aujourd'hui Jessie ! Il a malgré tout assuré sa descendance. Le positif avec les prénoms actuels c'est qu'ils révèlent souvent le niveau intellectuel des parents.

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    1. 'Tain, le mec n'a eu qu'un seul rêve dans sa vie : s'appeler Jessie James ? Respect.

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  6. Le parallèle avec l'art contemporain est frappant : d'abord un refus de l'académisme, puis une émancipation des règles admises, puis des expérimentations individuelles, et enfin une cacophonie qui aboutit non pas à la variété, mais à la réplication du même, quoique sous d'innombrables étiquettes.

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    1. Bien vu! A ceci près, toutefois, que la libéralisation des prénoms fut l'effet d'une décision politique, d'une licence donnée à tout un chacun de faire quasi n'importe quoi avec le nom des gosses. L'art contemporain, de ce point de vue, est plus "spontané".
      Ceci dit, si l'on continue ton parallèle, on peut imaginer que, comme dans l'art contemporain, les prénoms de demain seront essentiellement d'ordre scatologique. Merdive, Etthron, Dee-Fake...

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    2. J'ai entendu de deux personnes qui ne se connaissaient pas les exemples de "Clithie", en hommage à Clint Eastwood.

      Évidemment, la sonorité "Clit" m'avait inspiré autre chose.

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  7. Toute chose vient en son temps, Nathanaël ; chacune naît de son besoin, et n'est pour ainsi dire qu'un besoin extériorisé

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  8. Grâce-Divine, Quoc, Thaddée, Zéphyr... 67 des prénoms les plus rares de France
    http://madame.lefigaro.fr/enfants/grace-divine-quoc-thaddee-zephyr-67-des-prenoms-les-plus-rares-100919-166768

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    1. Et avec tout ça, c'est mon fils, Jean-Claude, 3 ans, qui est la risée de la classe !

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    2. Jean-Claude ? Jean-Claude ? Et l'officier d'État civil vous a accepté un prénom pareil ? Ça va durer longtemps, ce laxisme effréné des pouvoirs publics ?

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    3. Jean-Claude, ça déboite. Après ça aide pas à trouver des copains et encore moins à attirer des greluches quand arrive l'âge de se servir de son zbob. Mais Jean-Claude, Didier, Michel, Bernard, René, Achille etc. seront les blazes des résistants de demain. Longue et belle vie à Jean-Claude.

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    4. Je lui fais porter des slips kangourou et des chaussettes de tennis pour qu'il soit prêt le jour venu.

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    5. Je me demande, si en remontant loin dans les archives du CGB, par exemple dans les billets des années 60, on ne trouverait pas une critique des prénoms-composés...

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    6. On trouverait une critique d'à peu près tout !

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  9. En occident, la mode est à la personnalisation, la cul-se-tomme-isation.
    C'est bon de se sentir unique alors qu'on regarde, qu'on écoute et qu'on bouffe tous la même merde standardisée.

    Culture du narcissisme.

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    1. Exact moins de liberté politique dirigisme économique mais ultra libéralisme CULTUREL la culture a d ailleurs pris une telle importance dans l occident moderne que plus rien ne lui résiste que plus rien ni personne n' est a l'abri de son influence

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  10. Cette article est une critique bienvenue à ce phénomène insupportable des prénoms inventés. En revanche,je ne suis pas d'accord, ça ne transcende pas les classes sociales. Plus que jamais le prénom est un marqueur social. A tel point j'en viens presque à être ému quand je vois des ploucs qui appellent leur jeune enfant avec un vrai prénom français.

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    1. Le phénomène ne touche pas toutes les classes, mais ne se limite pas en tout cas à la seule classe modeste cultivée par la télé. La nouvelle classe bobo y recourt. Quand elle donne un "vrai" prénom c'est seulement par ironie, pour se donner un parfum "Amélie Poulain" (Marcel, Louison, Lucien...)

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    2. Une remarque : ne laissons pas Internet restreindre l'expérience aux cas les plus pathologiques et les plus lointains. Aussi voici la mienne, d'expérience : quand j'entends ces prénoms trop originaux (hier un Zéphyre, du coup j'ai beaucoup pensé à vous), ils sont portés par des petites têtes entourées de parents aimants, et je me dis que ces parents ont voulu faire un joli cadeau. Non pas exprimer leur originalité, mais en offrir une à leur petit être, avec leurs moyens.

      Comme Proust vantant les fautes d'orthographe: elles sont le signe qu'on veut dire quelque chose. Et si un Bobo nomme son fils Porphyre, il le fait aussi parce qu'on l'a libérer, du côté des Kevin, et qu'il peut oser rendre hommage à Dostoïevsky. Et s'il joue l'ironie, sans doute sera-ce là le temps du bavardage (allez demander à quelqu'un de dire sérieusement qu'il a fait une chose simplement comme il la sentait).

      Enfin, je parle trop, un gars du CGB aurait été plus sobre: "chaque fois qu'il m'a été donné d'entendre ces prénoms étrange, je dis bien chaque fois, ce n'était pas faute d'amour".

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  11. En fait, les trous du cul nous ont tous piégés : à force d'appeler les mioches Kevin ou Anthéa, les gens "normaux" (ceux qui nomment leurs enfants Marcel ou Georges) semblent eux aussi avoir cherché l'originalité. Est-il possible, aujourd'hui, en France, d'appeler son mioche Michel ou Nathalie sans se voir accuser d'ironie, de préciosité ou d'être furieusement bobo ?
    Je pose la question.

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  12. J'ai encore entendu une grosse pouffe tatouée appeler son fils Timeo.
    J'en ai mal au cœur pour tous ces Timeo.
    Appeler son gamin d'un vocable signifiant "j'ai peur" c'est d'une cruauté....

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    1. La pondeuse pourrait être espagnole et s'appeler Dona Ferentes. Du dernier chic, Danaos en second ou deuxième prénom.

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  13. Cette semaine, une collègue vient de mettre au monde un petit Julyan. J'ai pensé à vous. J'ai aussi constaté sur le faire-part que ses parents, comme beaucoup de gens de ce genre-là, se nomment en mettant le prénom après le nom, façon administratif. C'est aussi à ça qu'on les reconnait, en plus des tatouages.

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    1. Christ. Jésus Christ.

      https://youtu.be/-xSORIDw1Sg

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  14. "ajout de lettres perturbatrices pour faire plus “viking”,"

    vu dans l'état civil de mon journal ce jour un petit Lého.

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  15. Et moi aussi j'ai pensé à vous, l'autre jour j'ai croisé un couple d'invertis qui a appelé ses mouflets Xix et Beboper, je suis resté interloqué. Purée, des prénoms de smartphones des années 90, pauv' gosses.

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    1. Et tu verrais nos tronches, bien années 90 aussi, avec un clapet dessus !

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  16. Quand on met 2 n à la fin de Jonathan, ça donne Jonathann. Comme dans "Jonathann Daval".
    Cette histoire de prénoms c'est pas si anodin.

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  17. l'influence d'un prénom à la con sur la psyché du gamin n'est pas neutre. Ajoutez un "n" à Jonathan" et ça vous donne un psychopathe meurtrier.

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