28 juin 2012

Les acteurs à qui se fier les yeux fermés

A certains acteurs vous pouvez faire totalement confiance : s’ils figurent à l’affiche c’est assurément mauvais ! Il ne s’agit même pas de mal jouer ; il ne s’agit pas de leur capacité de comédien mais de leur capacité humaine à choisir les mauvais films. Ces acteurs deviennent alors nos complices infiltrés dans le monde du cinéma : ils nous indiquent les navets avant même leur sortie. C’est on ne peut plus simple : s’ils figurent à l’affiche, vous n’y allez pas.


Travolta + Cage : vous voilà prévenu !


Nicolas Cage ou John Travolta ne sont pas les plus mauvais acteurs, mais ils ont par exemple un sens inné pour dégoter les films franchement navrants. Leur palmarès est tel qu’il est devenu statistiquement impossible de les voir jouer dans quelque chose de bon. Tom Hanks est la promesse d’un film fade et inodore, à un point tel qu’il devient impossible de dire si c’est lui qui donne son insignifiance au film ou si c’est l’inverse. Denzel Washington, Harrison Ford… sont eux le gage d’un film faussement complexe et ennuyeux, qui ne tend ni tout à fait vers l’action, ni vers la réflexion, non plus vers l’émotion, et qui bien sûr est dénué d’humour ; films où se croisent avocats, hommes d’affaires, hommes d’Etat… Autant de personnages qui ne sauraient en aucun cas faire le sel d’une histoire réussie. Quel chef d’œuvre a jamais eu pour héros un président de la république ? Ou pour scène de dénouement un tribunal ?

En France, ce sont Sophie Marceau, Frédéric Diefenthal ou Charles Berling qui garantissent vos mauvais moments de cinéma. Leur accréditation au générique certifie une histoire plan-plan, qui semble commanditée par quelque ministère pour ses vertus pédagogiques et citoyennes, où les méchants sont tout désignés (un mari beauf qui n’écoute pas les envies de sa femme, un promoteur immobilier un peu raciste qui veut acheter un terrain au maire d’un village pittoresque, un chef d’entreprise qui trouve que l’argent est important…).


Aoutch ! Celui-là vous l'avez cherché !

L’inverse existe également : les acteurs que l’on peut aller voir les yeux fermés, quel que soit le film. Ceux qui font tellement plaisir à voir qu’ils parviennent, par leur simple présence, à rendre attendrissant un film initialement faible. Steeve McQueen, Jack Nicholson, Jean Rochefort, Michel Serrault… Ceux-là ne sont pas nécessairement meilleurs comédiens que les autres, mais ils ont ce quelque chose, cette épaisseur qu’ils apportent et qui rend le tout digne de curiosité quelles que soient les qualités du film par ailleurs. Comme s’ils lui imprimaient un peu de leur âme.

En somme, il y a tout simplement les acteurs qui sont quelqu’un et ceux qui ne sont personne. Les seconds semblent être arrivés là un peu par hasard (quelqu’un comme Colin Farrell est acteur par exemple, mais pourrait aussi bien être pêcheur sur un chalutier). Ils naviguent à vue ; s’ils sont chanceux ils ont un agent qui les aide à faire des choix pas trop stupides, mais eux-mêmes n’ont pas l’air d’avoir une idée de ce qui fait un bon film. Les acteurs qui sont quelqu’un, eux, eh bien ils sont quelqu’un ! Quelqu’un de plus qu’un comédien, et de plus qu’un artiste. Ils savent jouer, mais ils savent avant tout faire autre chose, être autre chose. Et probablement étaient-ils habités par quelque chose de plus grand que le rêve de « faire du cinéma ».

25 juin 2012

Elections en Egypte

Ferveur populaire après l'élection du président Mohamed Morsay :


En direct de la place Tahrir de Clichy-sous-bois

24 juin 2012

Front NationaliSSte : hymne officiel

"C'est ma terre où je m'assois
Ma rivière l'eau que je bois
Qu'on n'y touche pas
C'est mes frères autour de moi
Mes repères et ma seule voie
Qu'on n'y touche pas"

Le ventre est encore fécond... Et ce n'est pas parce que c'est rédigé en petit nègre que nous sommes dupes, Barrès ne passera pas !


Hymne officiel du Front NationaliSSte

19 juin 2012

Et adidas inventa les chaussures racistes.

Je vais mettre quoi  moi maintenant avec mon pyjama rayé, hein ?


Grotesques et horriblement laides ne suffisaient visiblement pas à décrire les dernières nées d'Adidas, il aura fallu les décréter racistes pour éviter de les voir déferler dans nos rues ou dans les magazines aux pieds de Kanye West qui doit être tout chagrin à l'idée de rater cette faute de goût ultime à l'heure où j'écris cette bafouille.
Tout fier de sa connerie, Jeremy Scott ("couturier" chez Adidas) n'a pas cru bon de produire du contenu rédactionnel pour expliquer sa démarche, de ces placards psychologisants où se côtoient les plus grands mots et les concepts les plus forts comme dans les expos d'art moderne où il faut bien une cinquantaine de lignes boursouflées pour réussir à persuader le chaland qu'il n'est pas du tout en train de regarder une merde insignifiante mais une œuvre d'art révolutionnaire. Et mal lui en pris car le voilà maintenant raciste.
Alors que s'il avait fait shooter ses pompes par le vendeur de polos fabriqués en Chine qui refilent des MST : Oliviero Toscani, ou plus simplement s'il avait fait appel à CGB Global Communication (devis sur simple demande), c'était les hourras de la presse, les pompes aux pieds des plus grandes stars et la Une des Inrocks à tarif préférentiel.
Car que voyons nous là chez CGB Global Communication (-25% aux 10 premiers appels) ?
"Une démarche artistique novatrice qui bouscule tous les clichés et détourne habilement les codes de l'industrie vestimentaire. Une fine critique de la tyrannie des marques qui rêvent d'un consommateur captif, une délicate métaphore de l'emprisonnement consumériste de notre société. En 250 grammes de cuir et de plastique, Jeremy Scott résume le No Logo de Naomie Klein, la bible de la critique anticapitaliste et le rend accessible à l'ensemble de la société. Un pamphlet éminemment politique, une œuvre de salubrité publique."
 Et ouais, ma gueule, c'est ça les professionnels du concept. Résultat des courses, Adidas va devoir au minimum créer toute une gamme de vêtements signés "Jesse Jackson", racheter Fubu et garnir considérablement le compte en banque de la campagne d'Obama et le faire savoir.
Le vénérable Jesse Jackson préfère y voir que :
"La tentative de commercialiser et de rendre populaire plus de deux cents ans de mépris, au cours desquels les Noirs étaient considérés comme humains seulement aux trois cinquièmes dans la Constitution, est offensante, épouvantable et insensible".
 Étonnant de réussir à voir un rappel de l'esclavage dans ces chaussures débiles alors que depuis 30 ans les lignes de sportswear n'ont que deux sources d'inspiration : le ghetto et l'univers carcéral qui lui est accolé. L'uniforme sportswear porté par vos chers enfants (au CGB on est interdit de procréation par décret ministériel) vient de l'univers carcéral américain, l'ignoble mode du bas de pantalon retroussé avec chaussette en coton épais (déjà siglé par adidas) apparent sur canne de serin lui aussi vient de là, à la base cette mode lancée par les rappeurs était censée rappeler l'habitude de devoir laisser la place aux fameuses entraves de pieds qui sont monnaie courante dans les prisons US. Les écrase-merdes de Jeremy Scott rendant enfin apparente les chaines n'étaient que le dernier étage de la fusée rappelant ce douteux fantasme de la prison promis à bientôt la moitié de la population américaine.
Bien sûr Jesse Jackson aurait pu s'inquiéter de la carceralisation outrancière que connait la société US, de son impact jusque dans la société civile, du fait que cette menace constante de la détention touche d'ailleurs très fortement la communauté dont il se fait le représentant depuis une cinquantaine d'années et ses début aux cotés de Martin Luther King.
Il aurait pu pousser l'idée jusqu'aux conditions de fabrication des dites chaussures, proches de la servitude avec des ouvriers corvéables à merci et quasi enchainés à leur chaine de production. Mais une telle prise de position demande de faire un petit peu de politique, d'agir et de dénoncer un problème concret et très actuel. Investir le domaine du symbole, des horreurs passées, de réalité d'il y a plusieurs siècles, se poser en grand père moralisateur est une situation plus confortable assurant une rente quasiment à vie et une bonne exposition médiatique, ça mange pas de pain, ça remet pas grand chose et ça donne ce petit supplément d'âme sur lequel on aime bien terminer un JT. C'est la voie qu'a préféré emprunter le révérend Jackson. Cette voie si irritante qu'elle finit par en être improductive.

12 juin 2012

Un siècle d'écrivains : Emil Cioran

Les nouveaux dieux


« (...) Comment éberluer, tenir dans les chaînes toutes ces viandes mornes ?... en plus des discours et de l'alcool ? Par la radio, le cinéma ! On leur fabrique des dieux nouveaux ! Et du même coup, s'il le faut, plus idoles nouvelles par mois ! de plus en plus niaises et plus creuses ! Mr. Fairbanks, Mr. Powell, donnerez-vous l'immense joie aux multitudes qui vous adulent, de daigner un petit instant paraître en personne ? dans toute votre gloire bouleversante ? épanouissime ? quelques secondes éternelles ? sur un trône tout en or massif ? que cinquante nations du monde puissent enfin contempler dans la chair de Dieu !... Ce n'est plus aux artistes inouïs, aux génies sublimissimes que s'adressent nos timides prières... nos ferveurs brûlantes... c'est aux dieux, aux dieux des veaux... les plus puissants, les plus réels de tous les dieux... Comment se fabriquent, je vous le demande, les idoles dont se peuplent tous les rêves des générations d'aujourd'hui ? Comment le plus infime crétin, le canard le plus rebutant, la plus désespérante donzelle, peuvent-ils se muer en dieux ?... déesses ?... recueillir plus d'âmes en un jour que Jésus-Christ en deux mille ans ?... Publicité ! Que demande toute la foule moderne ? Elle demande à se mettre à genoux devant l'or et devant la merde !... Elle a le goût du faux, du bidon, de la farcie connerie, comme aucune foule n'eut jamais dans toutes les pires antiquités... Du coup, on la gave, elle en crève... Et plus nulle, plus insignifiante est l'idole choisie au départ, plus elle a de chances de triompher dans le coeur des foules... mieux la publicité s'accroche à sa nullité, pénètre, entraîne toute l'idolâtrie... Ce sont les surfaces les plus lisses qui prennent le mieux la peinture. (...) »
Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre (1937)

10 juin 2012

Jacques Cellard - La chambre aux miroirs


La vanité masculine, Monsieur, fait grand cas du fond sonore qu’une femme donne à son plaisir et que Josyane donnait au sien, au point que les bordels chics d’autrefois tenaient à la disposition des amateurs, outre la chambre aux glaces que vous connaissez, une artiste spécialisée, « la frimeuse », dont les manifestations tapageuses étaient censées stimuler le client paresseux de la braguette. Ces manifestations, je n’ai rien ni pour ni contre à la condition qu’elles soient sincères et qu’elles restent modérées. Que la femme de votre vie laisse filer quelques soupirs d’ange et quelques froufrous d’ailes en sentant monter son plaisir, c’est flatteur et c’est la moindre des choses, non ? Les gémissements ou les grincements de dents ont leur charme. Les grondements et les râles font un peu tigresse, mais je m’en accommode. Les sanglots ? Leur côté théâtral me met mal à l’aise. Les rugissements et les hurlements, très peu pour moi ! Un solo de violoncelle, oui ! La Philharmonique de Berlin, non et non ! À tout prendre, je préfère la gentille simulatrice qui en fait un peu trop pour vous être agréable, à l’hystérique dont les brâmes de jouissance tiennent tout votre immeuble éveillé et vous valent un rappel à l’ordre plus ou moins amène de vos voisins ou de votre propriétaire. Certes, les geignements et les geindres de la gentille Josyane étaient sincères. J’en étais cependant gêné, et je parvins à la persuader d’y mettre la pédale douce et de passer, si vous voulez, du trombone à la flûte et du do majeur au sol mineur, comme le con qui serre tôt du même nom.
Jacques Cellard, La chambre aux miroirs, Editions Le Cercle, 2001

1 juin 2012

Nuit sans tabac

« Les fumeurs seront traqués ce jeudi soir, à Paris. A l'occasion de la Journée mondiale sans tabac qui se déroule le jour même, le laboratoire pharmaceutique GSK organise pour la première fois « La nuit sans tabac ». Lors de celle-ci, les ambassadeurs de l'opération attendront les fumeurs à la sortie des restaurants, des théâtres, des cinémas et des bars situés à Odéon, Montparnasse, Bastille, Gaîté et sur les Grands Boulevards. « Ils engageront la discussion pour faire prendre conscience aux fumeurs de leur maladie chronique et engager avec eux le discours sur l'arrêt de la cigarette », décrit Sophie Ragot, porte-parole de GSK. Les fumeurs seront invités à indiquer sur une cigarette la date prévue de leur arrêt du tabac ainsi que leur prénom. Les mégots seront ensuite récoltés dans une œuvre réalisée en live, qui sera exposée tout l'été à la Fondation du souffle à Paris. » 20 minutes

Cela faisait maintenant près d’une demi-heure qu’elle racolait devant la boutique. Elle avait sous le bras une pochette d’où dépassaient des papiers et des autocollants « Nuit sans tabac » qu’elle tendait aux clients qui faisaient la queue.

La boutique d’Amid était un petit cabanon assez crasseux, installé à même le trottoir, qui vendait des sandwichs et des frites jusqu’à assez tard dans la nuit. Elle emplissait un peu le midi, et le soir - soirs de concert surtout, où une file de clients s’alignait dans la rue. Ces soirs-là, c’était généralement plutôt un ivrogne qui importunait le commerce, punk, clochard ou habillé comme tel, qui débarquait irrémédiablement pour implorer un truc à manger. Mais ce soir, c’était elle : cette petite minette mandatée pour évangéliser les fumeurs. Elle était grande, brune, au cou mince, blottie dans un trench coat et hissée sur des talons. Les regards que lui envoyait Amid à travers la vitre, entre deux clients à servir, étaient plus coléreux de minute en minute. S’il avait d’abord choisi de l'ignorer, l'usure de sa patience transparaissait à travers la politesse nerveuse avec laquelle il tendait aux clients leur commande. Mais elle, faisait comme si de rien. Elle accaparait des groupes de passants en discutant avec eux (certains la félicitaient pour cette initiative « sympa »), et attendait que l’un sorte du bois et allume une cigarette pour se jeter sur lui. Elle demandait alors à « engager la discussion », lui collait dans les mains des quizs, des questionnaires, des stylos lumineux... Parfois, enjouée, elle lui arrachait des mains le paquet de clopes et le cachait derrière son cul, avant de le rendre non sans quelque regret… « Réfléchissez-y », concluait-elle.

Pendant ce manège, Amid crevait de chaud à intérieur, posté trop près du grill des brochettes. Les cons ne finissaient plus d’arriver, demandant tour à tour un peu plus de frites, ou un peu moins... « J’avais dit pas de ketchup ! »… La journée avait été longue, elle avait commencé par ce courrier de la Mairie de Paris qui mettait Amid en demeure suite au contrôle d’hygiène effectué trois semaines avant - outre le frigo défectueux, la devanture mordait de plus de 8 cm sur l’espace public par rapport à ce qu’il avait le droit d’occuper. La nuit sans tabac était justement soutenue par la Mairie, du moins Amid en était convaincu, et cela ajoutait à son agacement contre la petite greluche.

Aussi, quand remontant progressivement la file d’attente, elle avait fini par entrer dans la boutique en demandant gaiement qui était partant pour arrêter de fumer, Amid avait jugé que cela suffisait. Contournant le comptoir, il l’avait saisie par les épaules et poussée dehors, bousculant sans vergogne les gens sur le passage. L’effet ne se fit pas attendre. La fille se mit brusquement à se débattre, à vociférer, à menacer du doigt… « Vous n’avez pas à me toucher ! Putain mais vous z’avez pas à me toucher, merde ! », hurlait-elle outrée en prenant les clients à parti. Dans la queue, une fillette accompagnant son père s'était mise à pleurer. Amid, cette fois-ci, était à bout. Dehors devant la porte, on s'était écarté. Amid tentait maintenant d'extraire l’hystérique qui s'était mise à résister. Avec la force de l'emmerdeuse, elle avait soudainement freiné sa progression vers la sortie. Ses jambes s’étaient calées et son corps faisait masse, se retenant comme un grappin aux montants de l'entrée. Amid continuait à monter dans les tours alors qu’il n’arrivait plus à la faire bouger. Hilare de sa supériorité, la militante s'était mise à le couvrir d'insultes en ajoutant un rire narquois.

Voyant qu'il n'y avait rien à faire, Amid avait relâché sa pression. Ses muscles l'avaient abandonnés, amenuisés par un moral de plus en plus fragile. Il allait s'appuyer sur le comptoir pour craquer quand une étincelle le frappa : en une fraction d'instant il avait virevolté, et dans un râle de colère, avait percuté du poing le visage de la fille. En plein milieu. De toute sa force. Celle-ci n’avait pas amorcé la moindre esquive, elle n'avait rien vu venir. Personne d'ailleurs n'avait rien vu venir. La boutique et la rue s'étaient figées dans un moment d'éternité, le temps que la fille, étourdie, soufflée par le choc, parte en arrière, battant des bras en moulinets désespérés pour raccrocher son équilibre… Le temps qu’elle tombe, lentement, comme le long d’une asymptote... Le point final de sa chute avait été ponctué par le heurt de la nuque sur le bitume. Bruit totalement saugrenu. On n'imaginait pas qu'un crâne puisse émettre une telle résonnance.

Une flaque de sang se répandait maintenant sur le macadam, reflétant la lumière jaune du lampadaire. Amid avait fini de bouillir et revenait à lui, incrédule. Les dents encore serrées, il clignait des yeux, comme interrogeant les badauds pour savoir ce qui venait de se passer... La fille, elle, était au sol, morte, parsemée de stickers. Morte, une nuit sans tabac.