23 janvier 2022

Deux cents ans d'avance

 


Il y a quelques années de cela, un ami intelligent me fit une remarque qui me sidéra et me fit douter non pas de son intelligence, mais du fait que nous vivions, lui et moi, dans le même monde. Autour d’un Mercurey, nous parlions cinéma. De fil en aiguille, nous en arrivâmes au stade de l’échange de films. Il commença à égrener les titres, cliquant ici ou là quand l’un d’entre eux soulevait son intérêt. Après quelques clics, je l’entendis prononcer cette phrase : mais… mais, tu regardes des films en noir et blanc ? Il n’avait jamais envisagé qu’une telle chose fût possible. Pour cet innocent, tout le patrimoine cinématographique en noir et blanc équivalait exactement à rien, il le voyait comme une ménagère suréquipée considère un vieux lavoir de village décoré de géraniums par la municipalité, et compissé régulièrement par les chiens. 

6 janvier 2022

Boomers de 2ème génération

En classe, on nous enseignait que le “babyboum” était ce phénomène démographique qui avait vu pousser, en même temps que les bâtiments neufs en béton normé d'après-guerre, une palanquée de Français sous la houlette de responsables politiques qui croyaient encore, à cette époque, que ces gens valaient bien les millions de mètres cube de goudron, d’autoroutes, d’hypermarchés, de centrales nucléaires, que l’on coulait pour eux. On nous enseignait aussi que ces gens avaient, comme aucune génération avant eux, grandi dans le plein emploi, la cage de l’ascenseur social, l’accès facile à la propriété, durant trente années d'une alliance glorieuse entre croissance, loisirs et transgression morale. 

Chacun pouvait de plus compléter cet enseignement par lui-même, par le constat de ses yeux que ces gens, arrivés aux plus hauts étages de la pyramide économique, sociale et médiatique, jouissaient d’une forme de jeunesse éternelle : celle des idées qui les avaient portées ici. Ouverture, Liberté, Générosité de l’Etat-Providence, Irrévérence intellectuelle, Accueil de l’Autre avec un grand A et avec toute sa smala... Quant à eux ils se marièrent de moins en moins et n’eurent que peu d’enfants, mais ils constituèrent pour leurs vieux jours un joli pécule composé d’une rente locative, d’une maison dans les Cévennes et du cumul de toutes leurs annuités. 

En 2019, l’irruption de l’expression “OK boomer”, désormais célèbre, fit revisiter le concept. Remise à l’heure de la pendule : le portrait du babyboumeur fut agrémenté et complété. Il n’était plus seulement un petit veinard passé entre les gouttes, passé entre les guerres, un gentil mariole parvenu à être en même temps fumeur de spliff et cadre d’entreprise ; il devenait aussi, accessoirement, le légataire d’une planète jonchée de déchets, d’une dette publique record, d’un chômage endémique, d’une immigration bas-de-gamme et revêche, d’un sinistre éducatif incontestable, d’une société du Spectacle désolant - le tout sans se sentir désolé le moins du monde. Bien au contraire, il avait conservé tout l’aplomb pour professer ce qu’il convenait de faire et de penser, et n’en distribuait pas moins les bons et mauvais points à ses aïeux, ses descendants et ses contemporains. OK Boomer. 


Quand le Sage montre le Doigt, l'Imbécile regarde la Lune.

Ce bilan du boomer avait lieu parce qu’alors on pensait que l’heure des comptes était venue, que celui-ci avait fait tout le mal qu’il pouvait faire... Mais ça c’était avant le monde d’après : on ne pouvait pas deviner qu'il nous réservait encore un pangolin de sa chienne, qu'il planifiait un dernier hold-up avant la cavale. On ne savait pas encore qu’il exigerait l’arrêt net de l’économie du pays un trimestre entier, le masque sur 70 millions de bouches (“et le nez, et le nez !” trépignait Attali) en intérieur, en extérieur, à l’école maternelle, à Pâques et à Noël, cumulé ou non avec l’assignation à résidence, le vaccin expérimental en premier lieu à ceux qui ne craignent rien, sous peine de déchéance citoyenne ou scolaire. Les femmes et les enfants d’abord ? Oui, tout ce qui pourra empêcher que Boomer parte un an plus tôt que ce que l’INSEE lui a prédit. Pas de raison de supporter seul une mise en quarantaine. C’est que Boomer veut retourner au restaurant sans le masque, le plus tôt possible. Et ce ne sont pas les autres qui vont l’en empêcher ! Il y a des choses qui n’ont pas de prix. Pour le reste il y a Mastercard.