Tout le monde connaît cette blague des deux mecs qui marchent sur un trottoir et qui s'arrêtent devant un truc posé au sol.
- Dis-donc, Jean-Pierre, tu vois ce que je vois ?
- Oui, on dirait bien que c’en est.
- Attends n peu... voyons ça de plus près.
Les deux types se foutent à quatre pattes se mettent à sentir le truc.
- Oh, là là, pas d'erreur, c'est une odeur caractéristique!
- Ha, ça oui, question parfum, on est fixé!
- Tu crois que c'en est?
- ben ça me semble clair... en tous cas, je suis presque sûr.
- Attends un peu... je vérifie quelque chose
Le type plonge son doigt dedans et goûte le truc
- Ha, là, je suis en mesure de te confirmer la chose : c'est bien de la merde!
Oui, il arrive assez souvent qu’une chose soit là, posée devant nous comme un bibelot sur une étagère, mais un curieux phénomène nous empêche de la voir. Au sens propre, nous la voyons, sans doute, mais le cerveau nous transmet une autre image. Comme le gars qui chante sous la douche et qui prend le bruit de l’eau pour des applaudissements. C’est son désir d’être admiré qui le conduit à entendre le son de l’admiration : des applaudissements.
Nous sommes devenus tellement sophistiqués, ou tellement benêts, que nous n’arrivons plus à nous contenter de ce que nous voyons. La réalité est comme une ombre de la réalité.
Un rappeur vient chanter qu’il veut « niquer la France » : nous entendons un appel vibrant à l’amour patriotique.
Un ministre vient nous dire qu’il va baisser les retraites, et nous entendons qu’une solution est trouvée.
Un empaffé soutient qu’il faut ficher les enfants dès la naissance, et nous entendons qu’il se soucie de notre sécurité.
L’OMC du socialiste Pascal Lamy somme la France d’ouvrir tous ses marchés à la concurrence, écoles comprises, et nous continuons à croire que les gouvernements de gauche nous protègeront du libéralisme…
Aux États-Unis, le débat sur la vente des armes est relancé. Chacun a sa petite opinion, chacun son article constitutionnel sous le bras. L'enjeu est de taille, et il n'est pas uniquement financier. Plus étonnant, le Français aussi a son avis sur la chose, bien que pour un Français, la chance d'être consulté dans un référendum américain sur la vente des armes est égale au zéro absolu. Qu'importe, en France, on a le droit d'avoir un avis sur tout, y compris sur des conneries. D'ailleurs, moi-même, ici-même, j'ai un avis...
Dans cette histoire d’armes en vente libre, c’est un peu comme dans la blague sur la merde. Tout le monde peut aller dans un supermarché, observer de ses propres yeux les gens qui y déambulent. Tout le monde peut lire les journaux, creuser la question de l’insécurité, de la dégradation du sens civique, de l’inflation des violences civiles, tout le monde peut constater les effets du mimétisme en matière de comportements lamentables (l’homme est en effet plus enclin à imiter un héros tarantinien qui fait parler la poudre pour une place de stationnement, plutôt qu’à mettre ses pas dans ceux de l’abbé Pierre ou de Henry Dunant, c’est ainsi), tout le monde connaît la déliquescence du sentiment collectif dans les grandes métropoles, tout le monde peut se renseigner sur la violence ordinaire des cours d'école. Et pourtant, dans ce pandémonium où l’incrédulité le dispute au désarroi, certains estiment qu’il manque un élément : des armes en vente libre. Oui, dans le métro à 23 heures ou dans un stade de football le samedi, dans une zone sensible ou le 31 décembre sur les Champs-Élysées, à la sortie d’une boîte de nuit ou à celle d’un collège en Zep, ce qui ramènerait un peu d’harmonie, ce sont quelques armes de fort calibre.
Comment une telle évidence ne nous a-t-elle pas depuis longtemps rassemblés ?
Regardons ce petit film, et tâchons d’en voir tout le charme sociologique…