31 août 2011

Pas plus haut que le bord


_ T’as vu ?
_ Nan.
_ La France va organiser une conférence : les amis de la Libye.
_ Les amis de la Libye ? La France est une amie de la Libye ? C’est les amis de l’alibi ouais ! Et la Libye, elle a un compte Facebook pour l’achever à grand coup de poks ? Et z’en pensent quoi les amis du peuple libyen eux ? De toute façon, y’a pas de peuple. Y’en a au moins plus.

_ Ben en tout cas, sur BFM, y’a un envoyé spécial qu’a écrit un bouquin sur Kadhafi. Eh ben, il arrête pas d’intervenir à l’antenne comme si que c’était lui qu’avait libéré la Libye tout seul. Il a l’air super content, surtout de lui et on a l’impression que ça y est, la démocratie, elle est là. Bon, ben y’a jamais personne derrière lui hein, sauf un gars ou deux avec des raybans et des kalachnikovs qui viennent gueuler Allah Akhbar des fois. Chais pas si le peuple lybien existe, en tout cas, il exulte pas.
_ C’est la Terreur. Y’a pas de quoi danser une gigue !

_ C’est vrai.
Et t’as vu Hollande au Grand Journal ?
_ Nan.
_ L’a dit qu’y fantasmait pas sur Britney Spears qui embrasse Madonna.

_ Quoi ? C’est vraiment un Flamby ce mec ! C’est quoi ? C’est Charles Ingalls ou bien ?
_ Teddy Riner lui, il a dit que c’était une image absolument sublime…
_ Forcément, il craint personne lui. Il peut dire ce qui est le vrai universel.

_ Faut dire qu’avec DSK, zont tous peur de passer pour des pervers. Aubry elle a dit qu’elle pensait comme beaucoup de femmes à son sujet…
_ Tu veux mon avis sur la question ?
_ Bof.
_ Aubry, elle ferait même pas fantasmer Emile Louis qui pourtant faisait pas le difficile.
_ Ouais, sûrement…
A Marseille, elle a dit qu’elle serait la Présidente de la sécurité.
_ Petite, moche, hargneuse, à trépigner tout le temps, ça te rappelle rien ? Et maintenant l’insécurité !
_ Elle ressemble à Angela Merkel. En brune…

_ Nicolas Sarkozy ! C’est l’attaque du clone ! Elle fait du Sarko trait pour trait ! Elle est partout, elle ramène sa gueule sur tout. Zont dû embaucher des ricains de Hollywood à Solferino, parce que y’a comme des effets spéciaux. On dirait qu’elle est déjà Présidente et qu’è cause depuis l’Elysée. Hollande, on dirait que tout ce qu’il a perdu dans le bide, il l’a pris dans sa tronche. Il touche plus terre, ça fait qu’il est encore plus lourd ! Bibendum anorexique s’tu veux. !
_ ‘Tain… En tout cas, y’a un jeune à Marseille qui s’est fait dézinguer cité de la solidarité.
_ C’est du Murray !
_ Andy ?
_ Faute !
_ … Dis ?
_ Quoi ?
_ Tu crois que les joggers érigeront des statues aux fumeurs accrocs au whisky coca, si y zarrivent à la rembourser la dette ?
_ …
_ Tu sais combien ça coûte toi un ticket de métro ?
_ Ça coûte un bras, comme tout. Deux avec les impôts. Trois, si t’as le malheur de t’être gouré à la machine et que tu tombes sur une meute de contrôleurs de la RAPT. Quatre si un politique s’accroche à ta jambe pour te dire qu’on doit défendre le service public, vu qu’y’en a pu. Y’a des mecs sérieux qu’ont fait le calcul : ça coûterait moins cher les transports si c’était gratuit.

_ Euh, c’est R A T P hein.
_ Nan, c’est la R A P T. Regarde leur logo, on dirait quelqu'un en train de suffoquer après s'être fait enfermer dan un truc !
_ Les liaisons...
_ Merde.
Tu sais c’est quoi le comble pour un assureur ? C’est qu’y rêve d’une vie où que y’aurait plus de sinistres. Comme ça y ferait qu’encaisser les cotisations sans jamais sortir de thune.
_ Mais si y’avait plus de sinistres, y’aurait plus besoin d’eux.

_ C’est ça le comble. Le problème c’est que c'est notre vie, sauf qu’y en a encore des sinistres. C’est 95% des cas où y raquent pas. Y'a la franchise, le malus, et l'annexe qu'on t'a jamais donnée, celle où y'a tous les cas d'exclusion de responsabilité. Tu la sens pas la quenelle ? Faut vraiment que tu deviennes un cas pour la science pour qu’y casquent un talbin. Pour un cobaye ok ! La femme à barbe, on veut bien voir !
_ Merde. Zassurent pas alors ?
Qu’est ce qu’on pourrait faire ?
_ Un Breivik de gôche…

Le vrai sens de l'humanisme

ASSOMMONS LES PAUVRES !
de Charles Baudelaire



Pendant quinze jours je m’étais confiné dans ma chambre, et je m’étais entouré des livres à la mode dans ce temps-là (il y a seize ou dix-sept ans) ; je veux parler des livres où il est traité de l’art de rendre les peuples heureux, sages et riches, en vingt-quatre heures. J’avais donc digéré, — avalé, veux-je dire, — toutes les élucubrations de tous ces entrepreneurs de bonheur public, — de ceux qui conseillent à tous les pauvres de se faire esclaves, et de ceux qui leur persuadent qu’ils sont tous des rois détrônés. — On ne trouvera pas surprenant que je fusse alors dans un état d’esprit avoisinant le vertige ou la stupidité.
Il m’avait semblé seulement que je sentais, confiné au fond de mon intellect, le germe obscur d’une idée supérieure à toutes les formules de bonne femme dont j’avais récemment parcouru le dictionnaire. Mais ce n’était que l’idée d’une idée, quelque chose d’infiniment vague.
Et je sortis avec une grande soif. Car le goût passionné des mauvaises lectures engendre un besoin proportionnel du grand air et des rafraîchissants.
Comme j’allais entrer dans un cabaret, un mendiant me tendit son chapeau, avec un de ces regards inoubliables qui culbuteraient les trônes, si l’esprit remuait la matière, et si l’œil d’un magnétiseur faisait mûrir les raisins.
En même temps, j’entendis une voix qui chuchotait à mon oreille, une voix que je reconnus bien ; c’était celle d’un bon Ange, ou d’un bon Démon, qui m’accompagne partout. Puisque Socrate avait son bon Démon, pourquoi n’aurais-je pas mon bon Ange, et pourquoi n’aurais-je pas l’honneur, comme Socrate, d’obtenir mon brevet de folie, signé du subtil Lélut et du bien-avisé Baillarger ?
Il existe cette différence entre le Démon de Socrate et le mien, que celui de Socrate ne se manifestait à lui que pour défendre, avertir, empêcher, et que le mien daigne conseiller, suggérer, persuader. Ce pauvre Socrate n’avait qu’un Démon prohibiteur ; le mien est un grand affirmateur, le mien est un Démon d’action, ou Démon de combat.

Or, sa voix me chuchotait ceci : « Celui-là seul est l’égal d’un autre, qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté, qui sait la conquérir. »
Immédiatement, je sautai sur mon mendiant. D’un seul coup de poing, je lui bouchai un œil, qui devint, en une seconde, gros comme une balle. Je cassai un de mes ongles à lui briser deux dents, et comme je ne me sentais pas assez fort, étant né délicat et m’étant peu exercé à la boxe, pour assommer rapidement ce vieillard, je le saisis d’une main par le collet de son habit, de l’autre, je l’empoignai à la gorge, et je me mis à lui secouer vigoureusement la tête contre un mur. Je dois avouer que j’avais préalablement inspecté les environs d’un coup d’œil, et que j’avais vérifié que dans cette banlieue déserte je me trouvais, pour un assez long temps, hors de la portée de tout agent de police.
Ayant ensuite, par un coup de pied lancé dans le dos, assez énergique pour briser les omoplates, terrassé ce sexagénaire affaibli, je me saisis d’une grosse branche d’arbre qui traînait à terre, et je le battis avec l’énergie obstinée des cuisiniers qui veulent attendrir un beefteack.
Tout à coup, — ô miracle ! ô jouissance du philosophe qui vérifie l’excellence de sa théorie ! — je vis cette antique carcasse se retourner, se redresser avec une énergie que je n’aurais jamais soupçonnée dans une machine si singulièrement détraquée, et, avec un regard de haine qui me parut de bon augure, le malandrin décrépit se jeta sur moi, me pocha les deux yeux, me cassa quatre dents, et avec la même branche d’arbre me battit dru comme plâtre. — Par mon énergique médication, je lui avais donc rendu l’orgueil et la vie.
Alors, je lui fis force signes pour lui faire comprendre que je considérais la discussion comme finie, et me relevant avec la satisfaction d’un sophiste du Portique, je lui dis : « Monsieur, vous êtes mon égal ! veuillez me faire l’honneur de partager avec moi ma bourse ; et souvenez-vous, si vous êtes réellement philanthrope, qu’il faut appliquer à tous vos confrères, quand ils vous demanderont l’aumône, la théorie que j’ai eu la douleur d’essayer sur votre dos. »
Il m’a bien juré qu’il avait compris ma théorie, et qu’il obéirait à mes conseils.

Le morceau du jour qui résume l'université d'été du parti socialiste



Mets ton masque à gaz Sokolov
Que tes fermentations anaérobies
Fassent éclater les tubas de ta renommée
Et que les vents irrépressibles
Transforment abscisses et ordonnées
En de sublimes anamorphoses

30 août 2011

Ikea über alles




Coincer une petite buanderie dans une petite salle de bains sans perdre sa zénitude - Ikea


Je connais des gens qui profitent de leur passage à Lyon pour aller acheter, chez Ikea, des merdes. Ces déshérités habitent dans des bleds impensables où le Suédois n’a pas encore jugé bon d’implanter un de ses labyrinthes à blaireaux. Sitôt arrivés dans notre bonne ville, ils foncent donc dans sa banlieue la plus laide, Saint Priest et sa désespérante zone « Champ du pont », pour communier comme des rongeurs dans les allées structurellement encombrées de cette brocante glacée. Oh ! un porte-cuillers nickelé ! Oh, une chaise en fibres de laine ! Oh, un cintre !

Je connais Ikea, j’y suis allé. C’était il y a bien quinze ans, sur les conseils d’un sot, un jour de mars. J’avais alors besoin d’une ou deux babioles pour meubler le trou à mulots qu’on me louait. Sitôt entré dans le dédale, je me mis à transpirer, non pas tant à cause de l’agencement criminel qui y régnait, mais parce qu’il était impossible de s’y mouvoir, coincé entre un couple de vieux instits à écharpes, une femme enceinte et son homme-bibelot, une foule de mères surexcitées à la vue d’un épluche-légumes tendance. Dès le premier mètre, il était clair que je me trouvais pris dans un piège : tout était fait pour que mon séjour ici soit le plus pénible, le plus long, le moins libre possible. Dès le second mètre, j’avais reconstitué la logique vivisectrice du concepteur des lieux : ralentir le flux des clients pour les contraindre à regarder les merveilles alentour et, partant, les convaincre d’en remplir leur deux-pièces. Ha, les fuuumiers, me dis-je, en m’immisçant de conne en conne.
Quelques bousculades plus tard, j’arrivai enfin à la caisse. Là, on me fit la surprise de me réclamer DEUX pièces d’identité pour accepter mon chèque. Je dubitativai, je circonspectai, j’incrédulisai, mais rien n’y fit, la signature du préfet du Rhône, au bas de mon unique carte d’identité, ne suffisait pas. J’hurlai donc un bon coup, lâchant des insultes inconnues au nord du cercle polaire arctique, laissant en plan mon chariot et me retrouvant bientôt nez à nez avec un imprudent péquin chargé de la sécurité des lieux. Ce con fut agoni d’injures avant de se retrouver à quatre pattes, cherchant en vain ses lunettes et sa dignité disparues, tandis que je me tirais, fissa, sous l’opprobre absolument général.



Quinze ans plus tard, de tatillons journalistes viennent chercher des poux sur le crâne octogénaire du fondateur d’Ikea. Le vieux serait un ancien nazi : tu parles d’un scoop ! De nos jours, nazi, c’est d’un banal ! Tout le monde est un ancien nazi ! Mais, comme d’habitude, on se trompe de cible. On va reprocher à Ingvar Kamprad (quel blaze de bourreau !) un amour de jeunesse mal digéré pour le nazisme, alors que son nazisme, authentique ou journalistiquement gonflé, est quantité négligeable, comparé à l’épouvantable traitement que les clients d’Ikea subissent comme des cons chaque jour ! Négligeable, oui, l’idée de la supériorité de la race aryenne ! Négligeable, le parti unique ! Négligeable, l’industrialisation de la mort ! Négligeable, la seconde guerre mondiale ! A côté de la veulerie intrinsèque du « concept » d’Ikea, à côté du spectacle de ces foules heureuses qu’on les traite en rats de laboratoire, à côté de la distribution totalitaire et néanmoins socialement valorisante d’un confort minable, à côté du culte général rendu à l’hypermoche standard, à côté de l’autosatisfaction du client Ikea pourtant partout cocu, tout, absolument tout devient négligeable.

Que chaque client d’Ikea le sache désormais, qu’il se le dise dans ses moments de lucidité : acheter une étagère suédoise ou vanter un ensemble bureau-lit-dressing junior, c’est honorer les heures les plus soires ne notre histombre !

28 août 2011

Les lectures de l'été - Voltaire : Dialogues philosophiques - Relation du bannissement des Jésuites de la Chine ou l'Empereur de la chine et le frère Rigolet

VOLTAIRE

Dialogues Philosophiques

RELATION DU BANNISSEMENT DES JÉSUITES DE LA CHINE

ou l’Empereur de la Chine et le Frère Rigolet.


LA Chine, autrefois entièrement ignorée, longtemps ensuite défigurée à nos yeux, et enfin mieux connue de nous que plusieurs provinces d’Europe, est l’empire le plus peuplé, le plus florissant et le plus antique de l’univers : on sait que, par le dernier dénombrement fait sous l’empereur Kang-hi, dans les seules quinze provinces de la Chine proprement dite, on trouva soixante millions d’hommes capables d’aller à la guerre, en ne comptant ni les soldats vétérans, ni les vieillards au-dessus de soixante ans, ni les jeunes gens au-dessous de vingt, ni les mandarins, ni les lettrés, encore moins les femmes : à ce compte, il paraît difficile qu’il y ait moins de cent cinquante millions d’âmes, ou soi-disant telles, à la Chine.

Les revenus ordinaires de l’empereur sont deux cents millions d’onces d’argent fin, ce qui revient à douze cent cinquante millions de la monnaie de France, ou cent vingt-cinq millions de ducats d’or.

Les forces de l’État consistent, nous dit-on, dans une milice d’environ huit cent mille soldats. L’empereur a cinq cent soixante et dix mille chevaux, soit pour monter les gens de guerre, soit pour les voyages de la cour, soit pour les courriers publics.

On nous assure encore que cette vaste étendue de pays n’est point gouvernée despotiquement, mais par six tribunaux principaux qui servent de frein à tous les tribunaux inférieurs.

La religion y est simple, et c’est une preuve incontestable de son antiquité. Il y a plus de quatre mille ans que les empereurs de la Chine sont les premiers pontifes de l’empire ; ils adorent un Dieu unique, ils lui offrent les prémices d’un champ qu’ils ont labouré de leurs mains. L’empereur Kang-hi écrivit et fit graver dans le frontispice de son temple ces propres mots : « Le Chang-ti est sans commencement et sans fin ; il a tout produit ; il gouverne tout ; il est infiniment bon et infiniment juste. »

Yong-tching, fils et successeur de Kang-hi, fit publier dans tout l’empire un édit qui commence par ces mots : « Il y a entre le Tien et l’homme une correspondance sûre, infaillible, pour les récompenses et les châtiments. »

Cette religion de l’empereur, de tous les colaos, de tous les lettrés, est d’autant plus belle qu’elle n’est souillée par aucune superstition.

Toute la sagesse du gouvernement n’a pu empêcher que les bonzes ne se soient introduits dans l’empire, de même que toute l’attention du maître-d’hôtel ne peut empêcher que les rats ne se glissent dans les caves et dans les greniers.

L’esprit de tolérance, qui faisait le caractère de toutes les nations asiatiques, laissa les bonzes séduire le peuple ; mais, en s’emparant de la canaille, on les empêcha de la gouverner. On les a traités comme on traite les charlatans : on les laisse débiter leur orviétan dans les places publiques ; mais s’ils ameutent le peuple, ils sont pendus. Les bonzes ont été tolérés et réprimés.

L’empereur Kang-hi avait accueilli avec une bonté singulière les bonzes jésuites ; ceux-ci, à la faveur de quelques sphères armillaires, des baromètres, des thermomètres, des lunettes, qu’ils avaient apportés d’Europe, obtinrent de Kang-hi la tolérance publique de la religion chrétienne.

On doit observer que cet empereur fut obligé de consulter les tribunaux, de les solliciter lui-même, et de dresser de sa main la requête des bonzes jésuites pour leur obtenir la permission d’exercer leur religion : ce qui prouve évidemment que l’empereur n’est point despotique, comme tant d’auteurs mal instruits l’ont prétendu, et que les lois sont plus fortes que lui.

Les querelles élevées entre les missionnaires rendirent bientôt la nouvelle secte odieuse. Les Chinois, qui sont gens sensés, furent étonnés et indignés que des bonzes d’Europe osassent établir dans leur empire des opinions dont eux-mêmes n’étaient pas d’accord ; les tribunaux présentèrent à l’empereur des mémoires contre tous ces bonzes d’Europe et surtout contre les jésuites, ainsi que nous avons vu depuis peu les parlements de France requérir et ensuite ordonner l’abolition de cette société.

Ce procès n’était pas encore jugé à la Chine, lorsque l’empereur Kang-hi mourut le 20 décembre 1722. Un de ses fils, nommé Yong-tching, lui succéda ; c’était un des meilleurs princes que Dieu ait jamais accordés aux hommes. Il avait toute la bonté de son père, avec plus de fermeté et plus de justesse dans l’esprit. Dès qu’il fut sur le trône, il reçut de toutes les villes de l’empire des requêtes contre les jésuites. On l’avertissait que ces bonzes, sous prétexte de religion, faisaient un commerce immense, qu’ils prêchaient une doctrine intolérante ; qu’ils avaient été l’unique cause d’une guerre civile au Japon, dans laquelle il était péri plus de quatre cent mille âmes ; qu’ils étaient les soldats et les espions d’un prêtre d’Occident, réputé souverain de tous les royaumes de la terre ; que ce prêtre avait divisé le royaume de la Chine en évêchés ; qu’il avait rendu des sentences à Rome contre les anciens rites de la nation, et qu’enfin, si l’on ne réprimait pas au plus tôt ces entreprises inouïes, une révolution était à craindre.

L’empereur Yong-tching, avant de se décider, voulut s’instruire par lui-même de l’étrange religion de ces bonzes ; il sut qu’il y en avait un, nommé le frère Rigolet, qui avait converti quelques enfants des crocheteurs et des lavandières du palais ; il ordonna qu’on le fît paraître devant lui.

Ce frère Rigolet n’était pas un homme de cour comme les frères Parennin et Verbiest. Il avait toute la simplicité et l’enthousiasme d’un persuadé. Il y a de ces gens-là dans toutes les sociétés religieuses ; ils sont nécessaires à leur ordre. On demandait un jour à Oliva, général des jésuites, comme il se pouvait faire qu’il y eût tant de sots dans une société qui passait pour éclairée ; il répondit : Il nous faut des saints. Ainsi donc saint Rigolet comparut devant l’empereur de la Chine.

Il était tout glorieux, et ne doutait pas qu’il n’eût l’honneur de baptiser l’empereur dans deux jours au plus tard. Après qu’il eût fait les génuflexions ordinaires, et frappé neuf fois la terre de son front, l’empereur lui fit apporter du thé et des biscuits, et lui dit : Frère Rigolet, dites-moi en conscience ce que c’est que cette religion que vous prêchez aux lavandières et aux crocheteurs de mon palais.


FRÈRE RIGOLET. — Auguste souverain des quinze provinces anciennes de la Chine et des quarante-deux provinces tartares, ma religion est la seule véritable, comme me l’a dit mon préfet, le frère Bouvet, qui le tenait de sa nourrice. Les Chinois, les Japonais, les Coréens, les Tartares, les Indiens, les Persans, les Turcs, les Arabes, les Africains et les Américains, seront tous damnés. On ne peut plaire à Dieu que dans une partie de l’Europe, et ma secte s’appelle la religion catholique, ce qui veut dire universelle.


L’EMPEREUR. — Fort bien, frère Rigolet. Votre secte est confinée dans un petit coin de l’Europe, et vous l’appelez universelle ! apparemment que vous espérez de l’étendre dans tout l’univers.


FRÈRE RIGOLET. — Sire, votre majesté a mis le doigt dessus ; c’est comme nous l’entendons. Dès que nous sommes envoyés dans un pays par le révérend frère général, au nom du pape qui est vice-dieu en terre, nous catéchisons les esprits qui ne sont point encore pervertis par l’usage dangereux de penser. Les enfants du bas peuple étant les plus dignes de notre doctrine, nous commençons par eux ; ensuite nous allons aux femmes, bientôt elles nous donnent leurs maris ; et dès que nous avons un nombre suffisant de prosélytes, nous devenons assez puissants pour forcer le souverain à gagner la vie éternelle en se faisant sujet du pape.


L’EMPEREUR. — On ne peut mieux, frère Rigolet ; les souverains vous sont fort obligés. Montrez-moi un peu sur cette carte géographique où demeure votre pape.


FRÈRE RIGOLET. — Sacrée majesté impériale, il demeure au bout du monde dans ce petit angle que vous voyez, et c’est de là qu’il damne ou qu’il sauve à son gré tous les rois de la terre : il est vice-dieu, vice-Chang-ti, vice-Tien ; il doit gouverner la terre au nom de Dieu, et notre frère général doit gouverner sous lui.


L’EMPEREUR. — Mes compliments au vice-dieu et au frère général. Mais votre Dieu, quel est-il ? dites-moi un peu de ses nouvelles.


FRÈRE RIGOLET. — Notre Dieu naquit dans une écurie, il y a quelque dix-sept cent vingt-trois ans, entre un bœuf et un âne ; et trois rois, qui étaient apparemment de votre pays, conduits par une étoile nouvelle, vinrent au plus vite l’adorer dans sa mangeoire.


L’EMPEREUR. — Vraiment, frère Rigolet, si j’avais été là, je n’aurais pas manqué de faire le quatrième.


FRÈRE RIGOLET. — Je le crois bien, sire ; mais si vous êtes curieux de faire un petit voyage, il ne tiendra qu’à vous de voir sa mère. Elle demeure ici dans ce petit coin que vous voyez sur le bord de la mer Adriatique, dans la même maison où elle accoucha de Dieu. Cette maison, à la vérité, n’était pas d’abord dans cet endroit-là. Voici, sur la carte, le lieu qu’elle occupait dans un petit village juif ; mais, au bout de treize cents ans, les esprits célestes la transportèrent où vous la voyez. La mère de Dieu n’y est pas, à la vérité, en chair et en os, mais en bois. C’est une statue que quelques-uns de nos frères pensent avoir été faite par le Dieu son fils, qui était un très bon charpentier.


L’EMPEREUR. — Un Dieu charpentier ! un Dieu né d’une femme ! tout ce que vous me dites est admirable.


FRÈRE RIGOLET. — Oh ! sire, elle n’était point femme, elle était fille. Il est vrai qu’elle était mariée, et qu’elle avait eu deux autres enfants, nommés Jacques, comme le disent de vieux Évangiles ; mais elle n’en était pas moins pucelle.


L’EMPEREUR. — Quoi ! elle était pucelle, et elle avait des enfants !


FRÈRE RIGOLET. — Vraiment oui. C’est là le bon de l’affaire : ce fut Dieu qui fit un enfant à cette fille.


L’EMPEREUR. — Je ne vous entends point. Vous me disiez tout à l’heure qu’elle était mère de Dieu. Dieu coucha donc avec sa mère pour naître ensuite d’elle ?


FRÈRE RIGOLET. — Vous y êtes, sacrée majesté ; la grâce opère déjà. Vous y êtes, dis-je ; Dieu se changea en pigeon pour faire un enfant à la femme d’un charpentier, et cet enfant fut Dieu lui-même.


L’EMPEREUR. — Mais voilà donc deux dieux de compte fait, un charpentier et un pigeon.


FRÈRE RIGOLET. — Sans doute, sire ; mais il y en a encore un troisième qui est le père de ces deux-là, et que nous peignons toujours avec une barbe majestueuse ; c’est ce dieu-là qui ordonna au pigeon de faire un enfant à la charpentière, dont naquit le dieu charpentier ; mais, au fond, ces trois dieux n’en font qu’un. Le père a engendré le fils avant qu’il fût au monde, le fils a été ensuite engendré par le pigeon, et les pigeon procède du père et du fils. Or, vous voyez bien que le pigeon qui procède, le charpentier qui est né du pigeon, et le père qui a engendré le fils du pigeon, ne peuvent être qu’un seul Dieu, et qu’un homme qui ne croirait pas cette histoire doit être brûlé dans ce monde-ci et dans l’autre.


L’EMPEREUR. — Cela est clair comme le jour. Un dieu né dans une étable, il y a dix-sept cent vingt- trois ans, entre un bœuf et un âne ; un autre dieu dans un colombier ; un troisième dieu, de qui viennent les deux autres, et qui n’est pas plus ancien qu’eux, malgré sa barbe blanche ; une mère pucelle ; il n’est rien de plus simple et de plus sage. Eh ! dis-moi un peu, frère Rigolet, si ton dieu est né, il est sans doute mort ?


FRÈRE RIGOLET. — S’il est mort, sacrée majesté, je vous en réponds, et cela pour nous faire plaisir. Il déguisa si bien sa divinité qu’il se laissa fouetter et pendre malgré ses miracles ; mais aussi il ressuscita deux jours après sans que personne le vît, et s’en retourna au ciel, après avoir solennellement promis « qu’il reviendrait incessamment dans une nuée, avec une grande puissance et une grande majesté, » comme le dit, dans son vingt et unième chapitre, Luc, le plus savant historien qui ait jamais été. Le malheur est qu’il ne revint point.


L’EMPEREUR. — Viens, frère Rigolet, que je t’embrasse ; va, tu ne feras jamais de révolution dans mon empire. Ta religion est charmante ; tu épanouiras la rate de tous mes sujets ; mais il faut que tu me dises tout. Voilà ton dieu né, fessé, pendu et enterré. Avant lui, n’en avais-tu pas un autre ?


FRÈRE RIGOLET. — Oui, vraiment, il y en avait un dans le même petit pays, qui s’appelait le Seigneur, tout court. Celui-là ne se laissait pas pendre comme l’autre ; c’était un Dieu à qui il ne fallait pas se jouer : il s’avisa de prendre sous sa protection une horde de voleurs et de meurtriers, en faveur de laquelle il égorgea, un beau matin, tous les bestiaux et tous les fils aînés des familles d’Égypte. Après quoi il ordonna expressément à son cher peuple de voler tout ce qu’ils trouveraient sous leurs mains, et de s’enfuir sans combattre, attendu qu’il était le Dieu des armées. Il leur ouvrit ensuite le fond de la mer, suspendit les eaux à droite et à gauche pour les faire passer à pied sec, faute de bateaux. Il les conduisit ensuite dans un désert où ils moururent tous ; mais il eut grand soin de la seconde génération. C’est pour elle qu’il faisait tomber les murs des villes au son d’un cornet à bouquin, et par le ministère d’une cabaretière. C’est pour ses chers Juifs qu’il arrêtait le soleil et la lune en plein midi, afin de leur donner le temps d’égorger leurs ennemis plus à leur aise. Il aimait tant ce cher peuple qu’il le rendit esclave des autres peuples, qu’il l’est même encore aujourd’hui. Mais, voyez-vous, tout cela n’est qu’un type, une ombre, une figure, une prophétie, qui annonçait les aventures de notre Seigneur Jésus, Dieu juif, fils de Dieu le père, fils de Marie, fils de Dieu pigeon qui procède de lui, et de plus ayant un père putatif.

Admirez, sacrée majesté, la profondeur de notre divine religion. Notre Dieu pendu, étant juif, a été prédit par tous les prophètes juifs.

Votre sacrée majesté doit savoir que, chez ce peuple divin, il y avait des hommes divins qui connaissaient l’avenir mieux que vous ne savez ce qui se passe dans Pékin. Ces gens-là n’avaient qu’à jouer de la harpe, et aussitôt tous les futurs contingents se présentaient à leur yeux. Un prophète, nommé Isaïe, coucha, par l’ordre du Seigneur, avec une femme : il en eut un fils, et ce fils était notre Seigneur Jésus-Christ ; car il s’appelait Maher Sahal-has-bas, partagez vite les dépouilles. Un autre prophète, nommé Ézéchiel, se couchait sur le côté gauche trois cent quatre-vingt-dix jours, et quarante sur le côté droit, et cela signifiait Jésus-Christ. Si votre sacrée majesté me permet de le dire, cet Ézéchiel mangeait de la merde sur son pain, comme il le dit dans son chapitre iv, et cela signifiait Jésus-Christ.

Un autre prophète, nommé Osée, couchait, par ordre de Dieu, avec une fille de joie, nommée Gomer, fille de Debelaïm ; il en avait trois enfants ; et cela signifiait non seulement Jésus-Christ, mais encore ses deux frères aînés Jacques-le-Majeur et Jacques-le-Mineur, selon l’interprétation des plus savants Pères de notre sainte Église.

Un autre prophète, nommé Jonas, est avalé par un chien marin, et demeure trois jours et trois nuits dans son ventre ; c’est visiblement encore Jésus-Christ, qui fut enterré trois jours et trois nuits, en retranchant une nuit et deux jours pour faire le compte juste. Les deux sœurs Oolla et Ooliba ouvrent leurs cuisses à tout venant, font bâtir un b…, et donnent la préférence à ceux qui ont le membre d’un âne ou d’un cheval, selon les propres expressions de la sainte Écriture ; cela signifie l’Église de Jésus-Christ.

C’est ainsi que tout a été prédit dans les livres des Juifs. Votre sacrée majesté a été prédite. J’ai été prédit, moi qui vous parle ; car il est écrit : Je les appellerai des extrémités de l’Orient ; et c’est frère Rigolet qui vient vous appeler pour vous donner à Jésus-Christ mon sauveur.


L’EMPEREUR. — Dans quel temps ces belles prédictions ont-elles été écrites ?


FRÈRE RIGOLET. — Je ne le sais pas bien précisément ; mais je sais que les prophéties prouvent les miracles de Jésus mon sauveur, et ces miracles de Jésus prouvent à leur tour les prophéties. C’est un argument auquel on n’a jamais répondu, et c’est ce qui établira sans doute notre secte dans toute la terre, si nous avons beaucoup de dévotes, de soldats et d’argent comptant.


L’EMPEREUR. — Je le crois, et on m’en a déjà averti : on va loin avec de l’argent et des prophéties : mais tu ne m’as point encore parlé des miracles de ton Dieu ; tu m’as dit seulement qu’il fut fessé et pendu.


FRÈRE RIGOLET. — Eh ! sire, n’est-ce pas là déjà un très grand miracle ? mais il en a fait bien d’autres. Premièrement, le diable l’emporta sur une petite montagne, d’où l’on découvrait tous les royaumes de la terre, et lui dit : « Je te donnerai tous ces royaumes, si tu veux m’adorer ; » mais Dieu se moqua du diable. Ensuite on pria notre Seigneur Jésus à une noce de village, et les garçons de la noce étant ivres et manquant de vin, notre Seigneur Jésus-Christ changea l’eau en vin sur-le-champ, après avoir dit des injures à sa mère. Quelque temps après, s’étant trouvé dans Gadara, ou Gésara, au bord du petit lac de Génézareth, il rencontra des diables dans le corps de deux possédés ; il les chassa au plus vite, et les envoya dans un troupeau de deux mille cochons, qui allèrent en grognant se jeter dans le lac, et s’y noyer : et ce qui constate encore la grandeur et la vérité de ce miracle, c’est qu’il n’y avait point de cochons dans ce pays-là.


L’EMPEREUR. — Je suis fâché, frère Rigolet, que ton dieu ait fait un tel tour. Le maître des cochons ne dut pas trouver cela bon. Sais-tu bien que deux mille cochons gras valent de l’argent ? Voilà un homme ruiné sans ressource. Je ne m’étonne plus qu’on ait pendu ton dieu. Le possesseur des cochons dut présenter requête contre lui, et je t’assure que si, dans mon pays, un pareil dieu venait faire un pareil miracle, il ne le porterait pas loin. Tu me donnes une grande envie de voir les livres qu’écrivit le Seigneur Jésus, et comment il s’y prit pour justifier des miracles d’une si étrange espèce.


FRÈRE RIGOLET. — Sacrée majesté, il n’a jamais fait de livres ; il ne savait ni lire ni écrire.


L’EMPEREUR. — Ah ! ah ! voici qui est digne de tout le reste. Un législateur qui n’a jamais écrit aucune loi !


FRÈRE RIGOLET. — Fi donc ! sire, quand un Dieu vient se faire pendre, il ne s’amuse pas à de pareilles bagatelles : il fait écrire ses secrétaires. Il y en eut une quarantaine qui prirent la peine, cent ans après, de mettre par écrit toutes ces vérités. Il est vrai qu’ils se contredisent tous ; mais c’est en cela même que la vérité consiste ; et dans ces quarante histoires, nous en avons à la fin choisi quatre, qui sont précisément celles qui se contredisent le plus, afin que la vérité paraisse avec plus d’évidence.

Tous ses disciples firent encore plus de miracles que lui ; nous en faisons encore tous les jours. Nous avons parmi nous le dieu saint François Xavier, qui ressuscita neuf morts de compte fait dans l’Inde : personne à la vérité n’a vu ces résurrections ; mais nous les avons célébrées d’un bout du monde à l’autre, et nous avons été crus. Croyez-moi, sire, faites-vous jésuite ; et je vous suis caution que nous ferons imprimer la liste de vos miracles avant qu’il soit deux ans ; nous ferons un saint de vous, on fêtera votre fête à Rome, et on vous appellera saint Yong-tching après votre mort.


L’EMPEREUR. — Je ne suis pas pressé, frère Rigolet ; cela pourra venir avec le temps. Tout ce que je demande, c’est que je ne sois pas pendu comme ton Dieu l’a été ; car il me semble que c’est acheter la divinité un peu cher.


FRÈRE RIGOLET. — Ah ! sire, c’est que vous n’avez pas encore la foi ; mais quand vous aurez été baptisé, vous serez enchanté d’être pendu pour l’amour de Jésus-Christ notre sauveur. Quel plaisir vous auriez de le voir à la messe, de lui parler, de le manger !


L’EMPEREUR. — Comment, mort de ma vie ! vous mangez votre dieu, vous autres ?


FRÈRE RIGOLET. — Oui, sire, je le fais et je le mange ; j’en ai préparé ce matin quatre douzaines ; et je vais vous les chercher tout à l’heure, si votre sacrée majesté l’ordonne.


L’EMPEREUR. — Tu me feras grand plaisir, mon ami. Va-t-en vite chercher tes dieux. Je vais en attendant faire ordonner à mes cuisiniers de se tenir prêts pour les faire cuire ; tu leur diras à quelle sauce il faut les mettre : je m’imagine qu’un plat de dieux est une chose excellente, et que je n’aurais jamais fait meilleure chère.


FRÈRE RIGOLET. — Sacrée majesté, j’obéis à vos ordres suprêmes, et je reviens dans le moment. Dieu soit béni ! voilà un empereur dont je vais faire un chrétien, sur ma parole.




Pendant que frère Rigolet allait chercher son déjeuner, l’empereur resta avec son secrétaire d’État Ouang-Tsé : tous deux étaient saisis de la plus grande surprise et de la plus vive indignation.

Les autres jésuites, dit l’empereur, comme Parennin, Verbiest, Péreira, Bouvet, et les autres, ne m’avaient jamais avoué aucune de ces abominables extravagances. Je vois trop bien que ces missionnaires sont des fripons qui ont à leur suite des imbéciles. Les fripons ont réussi auprès de mon père en faisant devant lui des expériences de physique qui l’amusaient, et les imbéciles réussissent auprès de la populace : ils sont persuadés, et ils persuadent ; cela peut devenir très pernicieux. Je vois que les tribunaux ont eu grande raison de présenter des requêtes contre ces perturbateurs du repos public. Dites-moi, je vous prie, vous qui avez étudié l’histoire de l’Europe, comment il s’est pu faire qu’une religion si absurde, si blasphématoire, se soit introduite chez tant de petites nations ?


LE SECRÉTAIRE D’ÉTAT. — Hélas ! sire, tout comme la secte du dieu Fo s’est introduite dans votre empire, par des charlatans qui ont séduit la populace. Votre majesté ne pourrait croire quels effets prodigieux ont faits les charlatans d’Europe dans leur pays. Ce misérable qui vient de vous parler vous a lui-même avoué que ses pareils, après avoir enseigné à la canaille des dogmes qui sont faits pour elle, la soulèvent ensuite contre le gouvernement : ils ont détruit un grand empire qu’on appelait l’empire romain, qui s’étendait d’Europe en Asie, et le sang a coulé pendant plus de quatorze siècles par les divisions de ces sycophantes, qui ont voulu se rendre les maîtres de l’esprit des hommes ; ils firent d’abord accroire aux princes qu’ils ne pouvaient régner sans les prêtres, et bientôt ils s’élevèrent contre les princes. J’ai lu qu’ils détrônèrent un empereur nommé Débonnaire, un Henri IV, un Frédéric, plus de trente rois, et qu’ils en assassinèrent plus de vingt.

Si la sagesse du gouvernement chinois a contenu jusqu’ici les bonzes qui déshonorent vos provinces, elle ne pourra jamais prévenir les maux que feraient les bonzes d’Europe. Ces gens-là ont un esprit cent fois plus ardent, un plus violent enthousiasme, et une fureur plus raisonnée dans leur démence, que ne l’est le fanatisme de tous les bonzes du Japon, de Siam, et de tous ceux qu’on tolère à la Chine.

Les sots prêchent parmi eux, et les fripons intriguent ; ils subjuguent les hommes par les femmes, et les femmes par la confession. Maîtres des secrets de toutes les familles, dont ils rendent compte à leurs supérieurs, ils sont bientôt les maîtres d’un État, sans même paraître l’être encore, d’autant plus sûrs de parvenir à leurs fins qu’ils semblent n’en avoir aucune. Ils vont à la puissance par l’humilité, à la richesse par la pauvreté, et à la cruauté par la douceur.

Vous vous souvenez, sire, de la fable des dragons qui se métamorphosaient en moutons pour dévorer plus sûrement les hommes : voilà leur caractère ; il n’y a jamais eu sur le terre de monstres plus dangereux ; et Dieu n’a jamais eu d’ennemis plus funestes.


L’EMPEREUR. — Taisez-vous ; voici frère Rigolet qui arrive avec son déjeuner. Il est bon de s’en divertir un peu.




Frère Rigolet arrivait, en effet, tenant à la main une grande boîte de fer-blanc, qui ressemblait à une boîte de tabac.




Voyons, lui dit l’empereur, ton Dieu qui est dans ta boîte.




Frère Rigolet en tira aussitôt une douzaine de petits morceaux de pâte ronds et plats comme du papier.




Ma foi, notre ami, lui dit l’empereur, si nous n’avons que cela à notre déjeuner, nous ferons très maigre chère : un dieu, à mon sens, devrait être un peu plus dodu ; que veux-tu que je fasse de ces petits morceaux de colle ?

— Sire, dit Rigolet, que votre majesté fasse seulement apporter une chopine de vin rouge ; et vous verrez beau jeu.




L’empereur lui demanda pourquoi il préférait le vin rouge au vin blanc, qui est meilleur à déjeuner. Rigolet lui répondit qu’il allait changer le vin en sang et qu’il était bien plus aisé de faire du sang avec du vin rouge qu’avec du vin paillet. Sa majesté trouva cette raison excellente, et ordonna qu’on fît venir une bouteille de vin rouge. En attendant, il s’amusa à considérer les dieux que frère Rigolet avait apportés dans la poche de sa culotte. Il fut tout étonné de trouver sur ces morceaux de pâte la figure empreinte d’un patibulaire et d’un pauvre diable qui y était attaché.




Eh ! sire, lui dit Rigolet, ne vous souvenez-vous pas que je vous ai dit que notre dieu avait été pendu ? Nous gravons toujours sa potence sur ces petits pains que nous changeons en dieux. Nous mettons partout des potences dans nos temples, dans nos maisons, dans nos carrefours, dans nos grands chemins ; nous chantons : Bonjour, notre unique espérance. Nous avalons Dieu avec sa potence.

— C’est fort bien, dit l’empereur : tout ce que je vous souhaite, c’est de ne pas finir comme lui.




Cependant on apporta la bouteille de vin rouge : frère Rigolet la posa sur la table avec sa boîte de fer-blanc ; et tirant de sa poche un livre tout gras, il le plaça à sa main droite ; puis se tournant vers l’empereur, il lui dit :

Sire, j’ai l’honneur d’être portier, lecteur, conjureur, acolyte, sous-diacre, diacre et prêtre. Notre saint père le pape, le grand Innocent III, dans son premier livre des Mystères de la messe, a décidé que notre Dieu avait été portier, quand il chassa à coups de fouet de bons marchands qui avaient la permission de vendre des tourterelles à ceux qui venaient sacrifier dans le temple. Il fut lecteur, quand, selon saint Luc, il prit le livre dans la synagogue, quoiqu’il ne sût ni lire ni écrire ; il fut conjureur, quand il envoya des diables dans des cochons; il fut acolyte, parce que le prophète juif Jérémie avait dit : Je suis la lumière du monde, et que les acolytes portent des chandelles ; il fut sous-diacre, quand il changea l’eau en vin, parce que les sous-diacres servent à table ; il fut diacre, quand il nourrit quatre mille hommes, sans compter les femmes et les petits enfants, avec sept petits pains et quelques goujons, dans le pays de Magédan, connu de toute la terre, selon saint Mathieu ; ou bien quand il nourrit cinq mille hommes, avec cinq pains et deux goujons, près de Betzaïda, comme le dit saint Luc : enfin il fut prêtre selon l’ordre de Melchisédech, quand il dit à ses disciples qu’il allait leur donner son corps à manger. Étant donc prêtre comme lui, je vais changer ces pains en dieux : chaque miette de ce pain sera un dieu en corps et en âme ; vous croirez voir du pain, manger du pain, et vous mangerez Dieu.

Enfin, quoique le sang de ce Dieu soit dans le corps que j’aurai créé avec des paroles, je changerai votre vin rouge dans le sang de ce dieu même ; pour surabondance de droit, je le boirai ; il ne tiendra qu’à votre majesté d’en faire autant. Je n’ai qu’à vous jeter de l’eau au visage ; je vous ferai ensuite portier, lecteur, conjureur, acolyte, sous-diacre, diacre et prêtre : vous ferez avec moi une chère divine.

Aussitôt voilà le frère Rigolet qui se met à prononcer des paroles en latin, avale deux douzaines d’hosties, boit chopine, et dit grâces très dévotement.

— Mais, mon cher ami, lui dit l’empereur, tu as mangé et bu ton dieu : que deviendra-t-il quand tu auras besoin d’un pot de chambre ?

— Sire, dit frère Rigolet, il deviendra ce qu’il pourra, c’est son affaire. Quelques-uns de nos docteurs disent qu’on le rend à la garde-robe ; d’autres qu’il s’échappe par insensible transpiration ; quelques-uns prétendent qu’il s’en retourne au ciel ; pour moi, j’ai fait mon devoir de prêtre, cela me suffit ; et pourvu qu’après ce déjeuner on me donne un bon dîner avec quelque argent pour ma peine, je suis content.

— Or çà, dit l’empereur à frère Rigolet, ce n’est pas tout, je sais qu’il y a aussi dans mon empire d’autres missionnaires qui ne sont pas jésuites, et qu’on appelle dominicains, cordeliers, capucins ; dis-moi en conscience s’ils mangent Dieu comme toi.

— Ils le mangent, sire, dit le bonhomme ; mais c’est pour leur condamnation. Ce sont tous des coquins et nos plus grands ennemis ; ils veulent nous couper l’herbe sous le pied. Ils nous accusent sans cesse auprès de notre saint père le pape. Votre majesté ferait fort bien de les chasser tous, et de ne conserver que les jésuites : ce serait un vrai moyen de gagner la vie éternelle, quand même vous ne seriez pas chrétien.

L’empereur lui jura qu’il n’y manquerait pas. Il fit donner quelques écus à frère Rigolet, qui courut sur-le-champ annoncer cette bonne nouvelle à ses confrères.

Le lendemain, l’empereur tint sa parole : il fit assembler tous les missionnaires, soit ceux qu’on appelle séculiers, soit ceux qu’on nomme, très irrégulièrement, réguliers ou prêtres de la propagande, ou vicaires apostoliques, évêques in partibus, prêtres des missions étrangères, capucins, cordeliers, dominicains, hiéronymites et jésuites. Il leur parla en ces termes, en présence de trois cents colaos :

— La tolérance m’a toujours paru le premier lien des hommes, et le premier devoir des souverains. S’il était dans le monde une religion qui pût s’arroger un droit exclusif, ce serait assurément la nôtre. Vous avouez tous que nous rendions à l’être suprême un culte pur et sans mélange avant qu’aucun des pays d’où vous venez fût seulement connu de ses voisins, avant qu’aucune de vos contrées occidentales eût seulement l’usage de l’écriture. Vous n’existiez pas quand nous formions déjà un puissant empire. Notre antique religion, toujours inaltérable dans nos tribunaux, s’étant corrompue chez le peuple, nous avons souffert les bonzes de Fo, les talapoins de Siam, les lamas de Tartarie, les sectaires Loakium ; et, regardant tous les hommes comme nos frères, nous ne les avons jamais punis de s’être égarés. L’erreur n’est point un crime. Dieu n’est point offensé qu’on l’adore d’une manière ridicule : un père ne chasse point ceux de ses enfants qui le saluent en faisant mal la révérence ; pourvu qu’il en soit aimé et respecté, il est satisfait. Les tribunaux de mon empire ne vous reprochent point vos absurdités ; ils vous plaignent d’être infatués du plus détestable ramas de fables que la folie humaine ait jamais accumulées ; ils plaignent encore plus le malheureux usage que vous faites du peu de raison qui vous reste pour justifier ces fables.

Mais ce qu’ils ne vous pardonnent pas, c’est de venir du bout du monde pour nous ôter la paix. Vous êtes les instruments aveugles de l’ambition d’un petit lama italien, qui, après avoir détrôné quelques régules, ses voisins, voudrait disposer des plus vastes empires de nos régions orientales.

Nous ne savons que trop les maux horribles que vous avez causés au Japon. Douze religions y florissaient avec le commerce, sous les auspices d’un gouvernement sage et modéré ; une concorde fraternelle régnait entre ces douze sectes : vous parûtes, et la discorde bouleversa le Japon ; le sang coula de tous côtés ; vous en fîtes autant à Siam et aux Manilles ; je dois préserver mon empire d’un fléau si dangereux, Je suis tolérant, et je vous chasse tous, parce que vous êtes intolérants. Je vous chasse, parce qu’étant divisés entre vous, et vous détestant les uns les autres, vous êtes prêts d’infecter mon peuple du poison qui vous dévore. Je ne vous plongerai point dans les cachots, comme vous y faites languir en Europe ceux qui ne sont pas de votre opinion. Je suis encore plus éloigné de vous faire condamner au supplice, comme vous y envoyez en Europe ceux que vous nommez les hérétiques. Nous ne soutenons point ici notre religion par des bourreaux ; nous ne disputons point avec de tels arguments. Partez, portez ailleurs vos folies atroces, et puissiez-vous devenir sages ! Les voitures qui vous doivent conduire à Macao sont prêtes. Je vous donne des habits et de l’argent : des soldats veilleront en route à votre sûreté. Je ne veux pas que le peuple vous insulte ; allez, soyez dans votre Europe un témoignage de ma justice et de ma clémence.


Ils partirent ; le christianisme fut entièrement aboli à la Chine, ainsi qu’en Perse, en Tartarie, au Japon, dans l’Inde, dans la Turquie, dans toute l’Afrique : c’est grand dommage ; mais voilà ce que c’est que d’être infaillibles.

24 août 2011

Complètement zinc zinc


10h37, presque l’heure de l’apéro au Café des Sports de Troudu/cul, un affluent d’la Pabelle dans le département de Lanculerie. Quelque part en France quoi. Vacarme habituel au moment du premier demi de la journée, qu’on boit en attendant l’heure A.

_ Comprends rien. Faudrait être avocat au moins !
_ Dis donc pas de conneries. Notre Président est avocat, tu vois bien qu’c’est pas un gage d’intelligence ou de culture. Avec ton CAP sportélec, tu l’prends où tu veux, quand tu veux.

_ Ah ?
Bon…
Mais alors, comme ça y va s’en sortir le bossu ?
_ T’es vif comme le furet Jean-Louis ! Les faits, rien que les faits : elle est noire et pauvre. Lui, c’est un socialiste juif milliardaire. Remarque, c’est aussi un juif milliardaire socialiste. Il est Français, elle est clando africaine. Je peux te dire qui est le plus New yorkais des deux si tu veux.

_ Mais ah comprends pas bien pourquoi qu’y crient victoire… Il est innocent ? Parce que Martine est soulagée et tout ça. Et même les mecs de droite. Les journaux, y zont l’air contents.
_ Mais c’est toi l’innocent ! Ah, tu bites pas ? Ça veut pas dire qu’il est innocenté ce non lieu C’est à cause que, au pénal, aux Etats Unis, faut l’unanimité des jurés pour qu’un prévenu soit déclaré coupable. Tu comprends ? Selon le sacro saint principe qu’il est plus grave de condamner un innocent que de blanchir un coupable. Bon, sauf s’il est nègre hein, mais ça les regarde, moi je juge pas. C’est pas parce que t’as un noir à la Maison Blanche que hein. En fait, en jugeant sur pièces, y’a pas de quoi frimer hein. Enfin, Rome s’est pas fait en un jour.

_ Ah ?... Mmm. Mais alors c’est comme dans les séries américaines où qu’y a la mafia, sont toujours affairés à corrompre un juré les ritalosaméricains!
_ Ben voilà mon con, t’as tout capté. Et au civil, y’a besoin que d’une majorité simple. Comme ça, ben la victime, elle peut quand même ramasser dl’oseille au cas où que y’aurait vraiment eu un truc pas clair. Le mec est pas condamné pour son crime, mais y doit le réparer. Capice ?

_ Mais alors DSK, s’il est condamné au civil, ça voudra quand même dire qu’il est un peu coupable de viol non ?
_ Ben non, pas pour toute la clique politique française et les journaleux à quatre pattes en train de japper pour une poussière de sucre.

_ T’as déjà essayé la coke ?
_ Et c’est ce qu’ils ont déjà commencé à nous mettre dans les culs qui nous servent de tronche. Tu la sens pas mon colon ? Elle est longue hein ? Et bien dure. Profite, on va pas se précipiter. On va pas faire dans le hâtif nous, on est pas éjaculateur précoce. Et puis leur procédure accusatoire. Quelle merde. Faut engager Mike Hammer et y va même pas enquêter sur la vérité hein, mais sur seulement qu’un aspect, çui qui intéresse son patron. Alors qu'y a pas, DSK, serait pas un puissant, il serait bon pour "Faites entrer l'accusé".

_ Heureusement qu’on a le juge d’instruction nous dis donc !
_ Ouais. Et on peut trinquer à sa mémoire. Quand on pense qu’y nous zont enlevé le Whopper mais qu’y vont nous importer leur putain de procédure de merde… J’accuse ! Allez, accuse avec moi mon con.

_ Ah ? Tu crois ?
_ Ouais, mais y se garderont bien de mettre les procureurs aux voix hein. On nomme !

_ Quand on pense que c’est les mêmes qui veulent pas dépénaliser le cannabis…
_ Ah mais y veulent pas dépénaliser le viol mon Jean-Louis hein attention méfie toi. Va pas croire que tu peux jouer les DSK 47 et défourailler à vue hein, y t’arriverait des misères… Je sais qu’t’es bricoleur mais enfin j’te vois pas r’faire les peintures des cages en garde à vue hein. Ton foie supporterait pas le sevrage. Et la tête. Quand on pense que c’est les mêmes qui veulent faire ferme boutique aux putes, les honorables ! L’a pas l’droit d’dégorger l’quidam ? Comme eux là ! Un commerce digne pourtant, humain. La preuve : z’en usent.

_ Sans l’apostrophe, ça fait zen…
_ On peut même plus boire un coup tranquille et rentrer dans les platanes peinard ! On peut même plus soigner son cancer à soi pépère, v’là qu’on se fait jeter des terrasses maintenant ! Remarque, côté cancer on est gâté hein. C’est le syndrome de la cocotte minute. Elle vaut plus une pièce cette société, plus un coup à boire, plus un clou. Plutôt quatre ! Les quatre pour fermer le plumier.

_ Y’a pas de justice.
_ Ouais, comme dit le vieil adage populaire…

_ Dis, t’as vu, y paraît qu’en Argentine, 30% des entreprises fonctionnent sans patron, sur le mode de la coopérative et du conseil ouvrier. C’est fou non ?
_ « Ils l’ont fait car ils ne savaient pas que c’était impossible » : Marc Twain.

_ C’est pas pour demain ici alors… C’est Capital qui l’dit…
_ Faudra attendre que la tirette, ben elle te donne rien après le bip mon Jean-Loulou. Et là-bas, chez les danseurs de tango, y zont dépénalisé la mariejeanne justement aussi. Résultat : baisse des conso d’alcool et de cocaïne. C’est pas beau ça ? Tu disais zen ? Tiens, regarde ça, j’vois que l’alcool et le tabac ont encore flambé… Nous font les poches ! Y fouillent les damnées bêtes.

_ La France est foutue non ?
_ Leur France, faudrait la foutre en l’air, ou c’est nous qui sommes foutus. Y grappillent. Y s’rapprochent. Y’avait un mec qui disait au XIXème siècle : il faudra arrêter le capitalisme, ou arrêter l’humanité. Date pas d’hier hein ?! Dtfaçon, comment qu’on peut croire au progrès quand on a un Président de la République qui fait des fautes d’orthographe rien qu’en parlant. Dès qu’il l’ouvre, et j’te parle pas de la syntaxe…

_ Tu m’étonnes, tu t’y connais toi en syntaxe en plus. Tu crois toi à un Fukushima sur Loire ?
_ J’crois plus en rien moi. J’ai la nihilismite aigüe. Non mais t’as pas vu ? Même Macé-Scaron est un plagiaire ! Alors hein ? Si c’est pas beau ça. Macé-Scaron, mais c’est mes dernières illusions qui foutent le camp j’te dis ! Tout fout l’camp. Des passages entiers repompés ! Des clins d’œil sans note de bas de page. Ah faut avoir le sens de l’humour hein pour avaler. Rédac chef du Magazine Littéraire. J’ai l’exergue : « Recopier, qu’est-ce qui vous reste quand vous avez des prétentions mais pas de talent ? »

_ T’sais j’ai un poto qui me racontait qu’un jour y s’était fait mordre par un chien flic.
_ Mmm ?

_ Il est éducateur là tu sais, pour les jeunes à reprendre de justesse après la case prison... Il encadrait une fête de quartier avec eux tout ça. Le maire était au courant tout ça. Les bleus ont débarqué casqués. Avant tout, zont d’abord détruit les projecteurs…
_ Ah ? Façon forces spéciales ?

_ Ouais. Et après zont dit que les gens qu’étaient là avaient caillassé des voitures. Bon, c’était leurs voitures aux gens et personne n’avait quitté la fête alors. Y’avait même un élu qu’était là pour l’attester. Mais les bleus y sont rentrés dans le tas. Mon copain a été mordu par un chien boche et ça a pas été le seul.
_ Alors ?

_ Alors le lendemain dans Libé, t’avais un entrefilet qui disait que les flics avaient été agressés par des jeunes. C’est pas le Parisien hein ! Tu crois qu’on nous raconte que des conneries ?
_ Je crois en rien j’te dis. J’constate.

_ Tu crois que Tripoli est prise ? Tu crois que la crise, elle existe vraiment ?
_ Zont exhumé Delors et tiré Soros de sa piscine pour nous dire qu’on était au bord du gouffre. C’est pas une preuve qu’elle existe pas leur crise à la con ça ?! Leur crise, c’est un sabordage contrôlé. Comme la Lybie. Mouammar Akhbar !

_ Akbar, ça prend pas de h muet hein.
_ L’avenir est pas radieux mon con…
Garçon, un skycoke avec un smiley dedans ! lol ! Et gare à toi toi : pas plus haut qu’le bord hein ? Faut pas gâcher les énergies renouvelantes…

22 août 2011

Aymeric Chauprade sur Radio Courtoisie

Emission "le libre journal des historiens" du 16 Août 2011

Aymeric Chauprade Radio Courtoisie 1/2 par Hieronymus20

Aymeric Chauprade Radio Courtoisie 2/2 par Hieronymus20

Lectures de l’été : Cesare Pavese le terroir-iste

Dans La lune et les feux, Cesare Pavese raconte le retour au pays d’un ancien gamin de l'Assistance parti réussir aux Etats-Unis, revenant dans sa campagne italienne natale. Occasion d’une réflexion sur l’attachement à la terre, et belle évocation de ces « non-lieux » que la modernité sait nous offrir. Imbéciles malheureux qui ne sont nés nulle part


« Je compris sur le champ ce que veut dire de ne pas être né en un lieu précis, de ne pas l’avoir dans le sang et de ne pas y être déjà à moitié enterré avec ses vieux (…). Cela me faisait penser à ces chambres que l’on loue en ville, où l’on vit pendant un jour ou pendant des années, et qui, quand on déménage, ne sont plus que des coquilles vides, disponibles et mortes. (…) Il faut avoir un pays, ne serait-ce que pour le plaisir d’en partir. Un pays, ça veut dire ne pas être seul et savoir que chez les gens, dans les arbres, dans la terre, il y a quelque chose de vous qui, même quand on n’est pas là, vous attend patiemment ».


« Cette nuit-là, j’allais fumer une cigarette dans l’herbe, loin de la route où passaient les autos (…) Cette nuit-là, même si Nora s’était laissée culbuter dans l’herbe, ça n’aurait pas suffi. Les crapauds n’auraient pas cessé de hurler, ni les automobiles de se lancer en accélérant dans la descente, ni l’Amérique de finir avec cette route, avec ces villes illuminées le long de la côte. Je compris, dans le noir, dans cette odeur de jardin et de pins, que ces étoiles n’étaient pas les miennes, qu’elles me faisaient peur. Les œufs au lard, les bonnes paies, les oranges grosses comme des pastèques n’étaient rien et ressemblaient à ces grillons et ces crapauds. (…) Je savais maintenant pourquoi de temps en temps, sur les routes, on trouvait une fille étranglée dans une auto, ou dans une chambre, ou au fond d’une ruelle. Sans doute eux aussi, ces gens, avaient-ils envie de se jeter dans l’herbe, de faire bon ménage avec les crapauds, d’être maître d’un bout de terre de la longueur d’une femme et d’y dormir sans peur ? Et pourtant ce pays était grand, il y en avait pour tout le monde. Il y avait des femmes, de la terre, de l’argent. Mais personne n’en avait jamais assez, personne, quoi qu’il possédât, ne s’arrêtait, et les champs, même les vignes, avaient l’air de jardins publics, de plates-bandes factices comme celles des gares, ils étaient incultes, des terres brûlées, des montagnes de ferraille. Ce n’était pas un pays où l’on pouvait se résigner, poser sa tête et dire « quoi qu’il arrive, vous me connaissez, quoi qu’il arrive laissez-moi vivre ». C’était ça qui faisait peur. Même entre eux, ils ne se connaissaient pas ; en traversant ces montagnes, on comprenait à chaque tournant que personne ne s’était jamais arrêté là, que personne ne les avait jamais touchées avec ses mains. C’est pour ça qu’un ivrogne, ils le passaient à tabac, le mettaient en tôle et le laissaient pour mort. Et ils n’avaient pas seulement l’alcool, ils avaient aussi des femmes impossibles. Le jour venait où un type, pour toucher quelque chose, pour se faire connaître, étranglait une femme, la tuait d’un coup de revolver pendant son sommeil, ou lui brisait la tête avec une clé anglaise. »

20 août 2011

La mort aérosol.


Le rétablissement de la peine de mort en France n’a pas été une promenade de santé. Issu des élections triomphales qui portèrent la droite dite dure au pouvoir en juin 2020, le gouvernement Topoli dut batailler non pas au Parlement, mais sur tous les médias en même temps pour contrer les adversaires radicaux de cette mesure. On s’envoyait du fascisme à la figure, on répondait en publiant des chiffres aussitôt contestés, on s’injuriait au nom de la tolérance et se vouait aux gémonies en invoquant les Droits de l’Homme. Même quand l’affaire fut entendue et la loi promulguée, les opposants continuèrent de promettre son abrogation sitôt le pouvoir reconquis. Sur ce point, le parti socialiste fut ca-té-go-rique, même quand il fut établi que personne dans le pays ne se souciait plus des intentions de ce parti finissant.

Comme prévu, la menace d’être exécuté par guillotine n’eut pas d’effet notable sur les délinquants sexuels, sauf bien sûr celui de les trancher en deux. Idem pour les assassins professionnels de type « grand banditisme », qui furent très peu nombreux à se reconvertir spontanément dans des activités plus pacifiques, comme les emplois verts, par exemple. On rapporte toutefois le cas d’un ancien « nettoyeur » de la mafia kosovare ayant mis en quelque sorte ses compétences à la disposition du Bien, en devenant « assistant de fin de vie » dans une clinique, près de la frontière suisse.
Comme la mesure ne semblait pas produire de grands changements dans la société, elle perdit son statut de star des médias et fut remplacée à ce poste par les frasques sexuelles d’une fille de ministre. Bientôt, on n’en parla plus.

Une affaire, pourtant, replaça la peine de mort au centre du débat dit « de société », du moins pour un temps. Ce fut, tout le monde s’en souvient, l’affaire Chapuis.
Jimmy Chapuis fut le premier post adolescent exécuté par guillotine dans la France moderne. Ayant enfreint la loi sur les dégradations volontaires de biens, c'est-à-dire ayant été convaincu d’avoir tagué deux cents trente endroits différents de La Rochelle, le jeune Jimmy subit, en précurseur, les foudres de la Justice . La presse internationale fut tout aussi scandalisée que celle de chez nous, puisque « se scandaliser » est une des dernières fonctions qui restent à la presse. Mais, par une alchimie que les historiens futurs auront sans doute beaucoup de mal à comprendre, le gouvernement et le pays entier semblèrent n’avoir absolument plus rien à foutre des postures morales des impeccables consciences de la presse. Jimmy fut donc tranché en deux parties inégales sur le port de la Rochelle, le matin du 10 mai 2021, après qu’une équipe d’employés municipaux eut nettoyé ses tags insanes sous les applaudissements des citoyens en liesse. Dans les colonnes du Matin de Tunis, où l’exil l’avait réduit, Bernard Henri-Levy proclama la mort symbolique de La Rochelle avec les accents d’une malédiction biblique.



Tout partit de là. A compter de cette date, il semble que les déchirements moraux soulevés d’ordinaire par la « question capitale » s’évanouirent. Comme une tribu divisée retrouve sa cohérence en sacrifiant le Bouc émissaire, la France retrouva calme et unité dans le grand massacre de ses tagueurs. Dans toutes les provinces, dans chaque ville (ou presque) des dénonciations drainèrent vers les geôles la fine fleur des tagueurs. Une génération d’élèves des Beaux-arts, fascinée par Basquiat et Pollock, et qui faisait bouse de tous murs à grands coups d’aérosols, fut abattue comme à la foire. Dès qu’un gringalet portant sac à dos, écharpe palestinienne, bonnet péruvien et pantalons à poches latérales pointait le museau dans un coin sombre, de vigilants bourgeois, quittant la torpeur du lit conjugal, se transformaient en fauves de meute et rabattaient le génie en herbe comme la faux couche un blé frais. Les scènes de violence débridée furent pourtant rares, si l’on excepte du terme violence les coups de pieds au cul et les tirages d’oreilles qui accompagnent toujours les arrestations. Et puis, il faut préciser que les tagueurs se révélèrent de biens piètres résistants. Malgré la violence romantique des slogans qu’ils éclaboussaient sur les murs des cités (« Non à l’Etat policier ! » « Le végétalisme ou la muerte !», « Intifadames ! », « Le pouvoir mâle fait mal ! »), malgré parfois des années d’abnégation au service d’associations changeuses de monde et dénonceuses de dictatures, ils se montrèrent on ne peut plus dociles face à de simples épiciers en pyjama, et se laissèrent toujours mener au commissariat sans même un écart de langage. Comment en venir aux mains dans ces circonstances ?
La seule scène de violence crue que l’on relate concerne Jean-Philippe Jouvenal-Plasquier (JP² dans le civil), le défunt président de Tchatche les murs, phare du mouvement tag. Sortant des studios de Radio France, où il venait de participer à une émission sur son thème favori, il fut en effet rejoint par la foule, tagué de peinture indélébile, recouvert de laine de verre et de caramel, puis déposé devant les portes de la prison de la Santé, où il fut accueilli par les autorités dans une regrettable avalanche de gifles. Son exécution, en revanche, fut un modèle de douceur.
La chose la plus étonnante, peut-être, dans ce retour de l’Histoire sur elle-même, c’est qu’une fois lancé, le mouvement d’extermination des tagueurs ne rencontra plus d’obstacle. Autant le rétablissement de la peine de mort avait été discuté, autant son application se révéla simple. Chaque semaine apportait son lot d’exécutions aussi régulièrement et banalement que les trains arrivent en gare. Les familles mêmes de ces disgracieux semblaient considérer la chose avec fatalité, réagissant comme si leurs rejetons fautifs n’étaient plus amendables. Il faut dire aussi que les tagueurs, pour leur grand malheur, ne constituent pas un groupe bien influent, ne disposent d’aucun relai médiatique, n’élisent aucun députés, et leur caractère nuisible n’étant pas discutable, personne ne put jamais leur trouver la moindre excuse. Une bien maladroite tentative de les considérer comme « des artistes » fut avancée, lors d’une émission d’un quart d’heure sur France Inter, mais tomba aussitôt dans l’oubli.



Devant l’afflux des dénonciations, devant l’efficacité des milices de quartier, devant l’abondance des « arrestations citoyennes » que chacun pratiquait au pied levé, la Justice fut bientôt débordée. L’enthousiasme populaire estima qu’on ne jugeait pas assez vite et surtout qu’on ne guillotinait pas comme il l’aurait fallu. Devant la pression populaire, le gouvernement Topoli vacilla, puis pris une mesure des plus raisonnables, qui souleva pourtant un bref mouvement d’indignation au Parlement européen : la mise en vente de guillotines portatives. Dès l’annonce de cette décision, le site guillotine-on-line.gouv.fr fut assailli de commandes. En deux jours, les stocks disponibles furent épuisés. Comme à chaque fois, le public dépité se rabattit sur des sites Internet proposant des produits bon marché, qui ne répondaient pas à toutes les normes. Il est regrettable que des citoyens, n’ayant pas eu la patience d’attendre une semaine, se soient rabattus sur des guillotines de fabrication chinoise, responsables d’exécutions bâclées où le plaisir manquait.
Quoi qu’il en fût, la possibilité d’exécuter soi-même son tagueur (après, évidemment, l’avoir jugé soi-même) est la principale explication à l’éradication définitive des tags en France.

16 août 2011

13 août 2011

DSK : l'interview



Pour la première fois depuis le début de l’affaire qui porte son nom, DSK s’exprime publiquement. Et qui c’est qui est le premier sur le coup ? C’est le CGB !

Gabriel Fouquet
Bonjour monsieur Strauss-Kahn, comment allez-vous ?
DSK
Trop mangé ! Je me sens un peu lourd…
Gabriel Fouquet
Monsieur Strauss-Kahn, laissez-moi tout d’abord vous présenter le Cultural Gang Bang…
DSK
Pouap ! Je connais, moi, le Cultural Gang Bang !
Gabriel Fouquet
Comment ?! Vous connaissez le…
DSK
Rien de ce qui est « Gang Bang » ne m’est étranger.
Gabriel Fouquet
Ha ? Eh bien, nous sommes très flattés…
DSK
En revanche, ça manque de gonzesse, chez vous.
Gabriel Fouquet
Nous le regrettons bien, croyez-le ! Nous avions tenté « l’expérience gonzesse » mais elle a tourné court.
DSK (agité)
Pourquoi ? Elle a porté plainte ? Elle a bavé au Proc ?
Gabriel Fouquet
Du tout, du tout ! C’est plutôt nous qui avons envisagé de porter plainte.
DSK
Je vois : une gourmande, une hystérique qui en veut toujours plus. Je déteste ça.
Gabriel Fouquet
Non, rien de salace. C’était tout simplement une exaltée tombée dans un monde cruel.
DSK
Bon, vous faites comment, alors ?
Gabriel Fouquet
On se branle énormément.
DSK
M’étonne pas. Y’a pu d’hommes.
Gabriel Fouquet (rectifiant)
Je veux dire : intellectuellement. On s’astique les méninges, quoi. C’est not’truc.
DSK
Pas pédés ?
Gabriel Fouquet
Pas pédés.

DSK
Alors, ça va. Les pédés, j’ai rien contre mais j’en peux plus : y’a plus qu’ça, on dirait qu’ils se reproduisent.
K
Oh, si vous dites ça, c’est parce que vous bossez aux Etats-Unis.
DSK
C’est surtout parce que je fricote au parti socialiste.
K
Vous y mettez jamais les pieds !
DSK
C’est que je peux plus ! Y m’attendent comme au coin d’un bois ! Quand j’arrive, tout le monde se planque ! Entre les pédés, les féministes, les trans, les bigots, les mères de famille et les gonzesses à burqua, le Parti est devenu le pire endroit pour tirer son coup, croyez-moi !
Paracelse
En parlant de tirer son coup, vous n’auriez pas un plan ?…
DSK
Ho, me dites pas que vous n’arrivez pas à choper, avec le CGB !
Paracelse
Si, on chope énormément. Mais comme on a tendance à être tradition-tradition, les prises de guerre, c’est tout pour le chef.
DSK
Rien de plus normal.
Gabriel Fouquet (triomphant, à la cantonade)
C’est pas moi qui le dit !…
Le(s)tat
Bon, si on abordait la question du jour ? Que faisiez-vous dans la chambre du Sofitel ?
DSK
Au fait, vous n’auriez pas un petit quelque chose à boire ? Je taraude à sec, moi.

D’un claquement de doigts, Gabriel Fouquet fait apparaître un saut à Champagne garni. Paracelse sert un verre au socialiste tricard en en profitant pour réitérer sa question, mais à voix basse. D’un clin d’œil, l’Economiste lui fait comprendre qu’il lui glissera une adresse plus tard.

Beboper
Monsieur SK, que feriez-vous si vous étiez élu Président de la République ? Votre première mesure ?
DSK
Je bombarde la Guinée !
Gabriel Fouquet
Mais… la Guinée n’est pas coupable ! et que faites-vous de la présomption d’innocence ?
DSK
Prézompzion meeeees couilles ! Ranafoute ! Et mon innocence, à moi, ils l’ont présomptée ? Les Guinéens sont dans l’coup, je sors pas de là.
Beboper
Qu’est-ce que vous insinuez ? Que la Guinée vous a tendu un traquenard ?
DSK
Mais voui, mais toutafé, c’est bien ça ! Un traquenard vu qu’ils lorgnaient sur la présidence du FMI… ils voulaient mon poste, pas plus compliqué !
Skymann
Attendez, un Guinéen à la tête du FMI !?
DSK
Ha, vous voyez, même vous ça vous étonne !
Les(t)at
C’est pas possible, soyons sérieux : la Guinée, le seul truc à peu près d’aplomb qu’elle exporte, c’est des footballeurs…
Paracelse
Et des gonzesses !
DSK
Et des femmes de chambre !
Gabriel Fouquet
Non, arrêtez, la Guinée, c’est un pays vraiment sympa… bon, je… j’y suis jamais allé, personnellement, mais sur Google earth, ça a l’air très, heu… sympa comme pays… La Guinée, c’est un pays méritant qui sort peu à peu de l’ornière coloniale où l’Histoire…
Skymann (sortant d’une soudaine somnolence)
Pop, pop, pop ! Kaiskispasse ? Gaby, mon chef, reprends-toi, t’es pas chez Pascale Clarke !
Gabriel Fouquet (épongeant son vaste front)
… vous avez raison, mes fidèles. C’est la propagande, elle laisse des traces… quand je fais pas attention, ça me remonte… ça prévient pas…
K (à l’oreille de DSK)
Excusez-le, il a souffert.
DSK
Ancien mec de gauche ?
K
Affirmatif. Vous savez c’que c’est ?
DSK
Pas vraiment, non, mais ça a l’air dur.
Paracelse (clignant de l’œil comme un malade)
En parlant de dur, si vous nous racontiez le coup de la chambre du Sofitel ?
DSK
Mais y’a pas eu de coup, fiston, c’est bien là le problème ! S’il y avait eu « coup », ça aurait calmé tout le monde et nous n’en serions pas là !
Paracelse
Mais, et ces traces de sperme ?
DSK
Rien à voir avec la soubrette : je m’étais astiqué le jonc cinq minutes avant qu’elle arrive.
Paracelse
Comment ça ?
DSK
Ben quoi, je savais que j’allais rentrer au pays… que j’allais retrouver les copines… je répétais… je faisais mes gammes, quoi !

Paracelse semble prendre ces mots comme une révélation. Il tomberait volontiers à genoux, si le danger n’était pas si grand.



Skymann
Reconnaissez que se palucher dans un hôtel, c’est pas très « présidentiel », comme attitude.
DSK
Qu’est-ce qu’il en sait, lui ? J’en fréquente tous les jours, des Présidents, et c’est pas des manchots !
Paracelse
Des noms ! des noms !
DSK
Ha non, comptez pas sur moi pour balancer des trucs sur Sarkozy. C’est un ami.
Le(s)tat
Sarkozy se secoue le gouvernail ?!!
DSK
Hé, ho, j’ai pas dit ça ! Et puis de toute façon, il est pas le seul.
Beboper
Bon, messieurs, dois-je vous rappeler que nous sommes ici pour une question sérieuse : l’avenir de la gauche.

L’espace d’un instant, c’est comme si la ville reprenait son souffle. Un silence de derrière les fagots écrase les personnages comme le ferait un demi-queue tombant du deuxième étage. On n’entend que le clic clic du nunchaku de K, que celui-ci tripote, le regard fixe. Paracelse, qui est un homme de goût, abrège le silence d’un grand pet.

Paracelse
Et ça, c’est le Front popu ?
DSK (prenant Gabriel Fouquet à part)
Sauver la gauche ? Qui c’est ce mec ?
Gabriel Fouquet
Faites pas attention. C’est un musicien, il vous a pris pour un militant.
DSK
Ouais, ben dites-lui d’arrêter la chanson, je suis pas Jack Lang.
K
Non, la vraie question, c’est comment faire pour sauver la France.
DSK (prenant Gabriel Fouquet à part)
C’est un traquenard, ou quoi ? D’où vous le sortez, celui-là ?
Gabriel Fouquet
Oh, lui, c’est un patriote europhobe.
DSK
Tiens ?! Je savais pas que ce genre de spécimen existait encore… Vous faites dans la brocante, mon vieux.
Paracelse
Mais non ! Moi, j’la connais, la vraie question, c’est comment vous allez sauver votre cul !
DSK
Ha, enfin une analyse pertinente…
Gabriel Fouquet
Bah, là, comme c’est parti, vous n’avez plus trop de souci à vous faire
DSK
Banon.
Gabriel Fouquet
Bah, si !
DSK
BANON !
Gabriel Fouquet
BAH, SI !
DSK
Banon, Tristane !
Gabriel Fouquet
Restez poli, satyre !
Les(t)at
Chef, arrête de t’échauffer, il parle de Tristane Banon, la chèvre de monsieur Seguin médiatique.
DSK
Et en plus de la Banon, il risque d’y avoir d’autres emmerdeuses. J’ai les féministes au cul, elles se relayent par paquets de douze, c’est devenu le chant des partisanes : « Amie si tu tombes, une amie sort de l’ombre à ta pla-ceu ! »
Paracelse
Faut dire que vous en avez bousculé quelques unes, maître.
DSK
Hé, ho, faites pas les innocents : qui n’a jamais partouzé ? je pose la question : qui ? Jacques Attali ?
Jacques Attali (surgissant)
On parle de moi ?
K
Ha non, pas lui !
DSK
On parlait partouze, mon cher Jacques, tu es out
Jacques Attali
Partouze ? J’ai moi-même publié une « Histoire de la partie carrée au moyen-âge » il y a quelques années, qui faisait à la fois le point définitif sur la recherche historique, et mettait en perspective la fin de l’empire romain, les grandes pestes en occident, sans oublier, bien sûr, les interprétations talmudiques que le grand…
K
Ça y est, il est parti…
Gabriel Fouquet
Monsieur Attali, notre sujet du jour est Dominique Strauss Kahn. Dominique Strauss Kahn !
Jacques Attali (changeant d’orientation)
J’ai rédigé une monographie de Dominique Strauss Kahn brossant le portrait d’un homme qui, dès 1983, sut prendre en compte les variations qui…
DSK
Quand il est en mode « autopromotion », il est quasiment invincible. Messieurs, il ne nous reste plus qu’à nous retirer.
Paracelse
Se retirer ? C’est votre botte secrète, c’est ça ? C’est le Secret ?
K
J’ai une meilleure solution.

K se met alors à faire des moulinets de son nunchaku (Marugata) et avance vers le blaireau en poussant de petits cris. Epaté par sa dextérité, Skymann sort son caméscope pour fixer l’exploit.

Jacques Attali
N’approchez pas ! Je vous préviens, je suis ami de maître Collard !
DSK
Vous avez des hôtesses d’accueil, au CGB ?
Gabriel Fouquet
Les(t)at, Beboper, retenez K ou on va avoir des problèmes avec le MRAP !

De ses deux bras d’acier, Beboper ceinture le Bruce Lee identitaire. Celui-ci l’envoie bouler d’une seule main, sans même interrompre ses moulinets. Plus psychologue, Le(s)tat choisit de neutraliser l’adversaire par la ruse : il met sa casquette à l’envers et entame sa Fameuse Imitation de Grand Corps Malade.

Les(t)at
« On a faim de se faire entendre, moi j'ai l'appétit cannibale,
Certains diront que c'est un peu naze et d'autres que c'est franchement d'la balle »
K (s’enfuyant)
Nooooon, pas çaaaaa !
Les(t)at
« Mais on a déboulé aussi dans des collèges, dans des lycées,
Dans des squares ou dans la rue, on a posé, toi même tu sais. »
Skymann
Ho, c’est bon, il est parti, tu peux arrêter l’massacre !
Les(t)at (en transe molle)
« Le plaisir de capter des regards un peu déstabilisés,
Qui se disent ceux-là, ils ont pas peur de se ridiculiser »

Skymann s’empare alors du nunchaku abandonné et poursuit Les(t)at, imitateur scrupuleux qui s’enfuit en faisant semblant d’avoir une patte folle. Retrouvant ses réflexes rugbystiques, Gabriel Fouquet le plaque en hurlant ta gueule.

DSK (quittant la scène d’émeute en tenant Paracelse par le coude)
Bon, fiston, vous voulez sans doute que je vous dévoile un peu ma stratégie face aux manœuvres des avocats new-yorkais ?
Paracelse
Parlez-moi plutôt d’Anne Sinclair…

Cap sur le ridicule

La dernière hollywooderie est apparue sur les murs du métro : "Captain América".
Pour ceux qui ne savent pas, ce gugusse hante les pages des comics américains sans que personne ne sache vraiment à quoi il peut bien servir.
Dans son costume en écailles de poisson étendard, ce "super-soldat" défend l'Amérique contre les nazis depuis la guerre de 39-45, un peu comme Stéphane Aisselle protège la France depuis la guerre franco-prussienne de 1870.
Ce qui manque toutefois à Stéphane c'est ce bon vieux couvercle de lessiveuse à effet boomerang qui reste un des grands mystères de la balistique... et peut-être aussi ce super sérum à l'extrait de beurre de cacahouete qui coule dans les veines du fils de l'Amérique.

Enlevez-moi ce costume idiot!!
Pour leur prochaine production, les studios Marvell ont le choix :



Captaine Novolin, le super héros diabétique créé par un labo pharmaceutique producteur d'insuline:


Captain Novolin, Critique Cruelle. par MaSQuEdePuSTA

Banana Man, le super héros des producteurs de banane :



Et Super Dupont, le héros des vrais patriotes français :

Passe ton chemin Beboper !

Madmen


Les émeutiers ne sont porteurs d’aucun message politique. C’est ce qu’en pense Andrew Gilligan, journaliste au Telegraph. Revival Soral 2005. « Pure criminalité ». Certes. Mais « matérialisme et argent facile » (reportage Itélé). Les émeutiers n’ont pas attaqué de symbole du pouvoir ? Juste l’ordre public de tout le pays. C’est pas la Grèce c’est sûr. C’est pas latin. Manque de romantisme. Les brits, fils d’utilitariste. Zont fait les magasins, se sont défoulés sur des passants… Par opportuniste, par racisme. Parce que c’était Carnaval ! Les rôles inversés, la plèbe veut du KO. Elle veut en rajouter. Danser pendant qu’ça craque, qu’ça crise. Vite fait ! En pays hooligan... Aucune conscience politique, on croise un maître, on l’humilie. Aucune conscience politique, Andrew est formel : juste un instinct animal débridé sauvage, une violence toute reptilienne. Comme des bans de vélociraptors t’vois ? Et gratuite ! A l’arraché c’est sûr, ça va être gratos. Donc apolitique ? La politique et les animaux, tu vois… Rien qu’un tsunami de psychopathes qui a dégueulé sur Londres. Rien de politique là dedans. Les émeutiers londoniens, mancuniens et autres ne sont porteurs d’aucun message politique. D’où sont tombés ? De quel branche de l’évolution ? L’homme est un animal politique hein ? C’est quoi cette bête Aristote ? Agression en bande organisée de leurs concitoyens, de leur société, de ses flics, son économie, sa crédibilité, son vivre ensemble d’opérette. Les émeutiers de Londres ne sont porteurs d’aucun message politique ? Quoi, outre celui de l’échec de la brit politique ? De la nôtre ? Outre celui de la convoitise, de la prédation, de l’ultralibéralisme ? Outre celui du symptôme qui trahit le cancer ? « Matérialisme et argent facile. » Le chaos est pour ces enfants de la société de consommation une fête qui se suffit à elle-même… Manière de souffler… sur les braises. Chaque tension appelle une résistance, chaque résistance, une tension. Aujourd’hui, c’est l’Angleterre qui compte ses enfants en marge, légitimes, naturels, d’adoption, tous transgéniques. Dans Molotov, il y a les mots cocktail explosif…


Le feu ça défoule


La dépouille d’un Footlocker répond à une motivation simple, primaire, enfantine : je veux une nouvelle paire de Nike rigth here right now ! Cette motivation est un message. Dans une société qui évalue le moral de ses ménages selon leur consommation, voler une paire de Nike devrait apparaître comme un mal pour un bien, une sorte de remède, d’antidépresseur, isn’t it ? Le pillage gueule la frustration du manque. Le registre des doléances a pas suivi ou bien. Just do it mec ! Right here, right now. C’est l’ère de l’instantané, de l’efficience. Défonce pour enfin libérer l’accès au bonheur par le produit vendu par la pub à longueur d’ondes. « Quand je regarde mon nouvel écran plat mec, je regrette pas ! »(Itélé). Le pillage exécute haut et clair les injonctions publicitaires hédonistes et érotomanes. Et Nike, font quoi comme marge sur une paire de Jordan cousue par des ti nenfants bridés ? Si on n’y pense pas, ça n’existe pas. La violence est partout, latente, à basse intensité avant surgissement éclair et calorique. Les hordes ont accumulé. Elles ont vomi l’entropie. Guérilla urbaine sur ton Blackberry. The initials BB. Rassemblement, blitz, diversion, dispersion, harcèlement. Rien de politique. Rien de personnel. Ils ressemblent au fond tant à leurs pères, pasteurs de peuples bétails…


Les télétebê sont dans la rue


Les gueux changeront jamais. De l’abondance sous les yeux et hop, c’est la Terreur. La Terreur, non : ils ne sont porteurs d’aucun message politique. Et « Y’a pas mort d’homme », comme dirait Lang bien pendue. Selon la pub, l’abondance est un devoir. Les gueux donnent tant de leur temps de cerveau disponible. Le moment de capitaliser. Tout le monde debout pour son droit à l’abondance. Les freins, les serrures, les plafonds de verre. Tout à la batte alu ! Et sous l’œil voyeur des caméras de surveillance (effet dissuasif nul ; parfait pour faire de la délation une authentique valeur post moderne). Les lendemains vont balancer ! Tilt. Fallait pas provoquer le schizo-système obsédé par la thune, Arpagon mondialisé complètement parano.
N’est pas Tantale qui veut. Il a suffi qu’ils l’aient voulu, d’un rien : un échange de tirs. La liberté, retournée. En levrette ! Les mâchoires vont serrer : l’anarchie est barbare ! La société doit être encadrée et conditionnée plus rigoureusement. « On est libres, on fait ce qu’on veut ! » (TF1 JT mercredi soir). C’était la fête ! Sans char ni plume dans le cul. L’insécurité sera-t-elle un thème de campagne en 2012 ? Les innocents aux mains pleines veulent une révolution par les urnes : pas de révolution du tout. Du secoué non agité. Du statu quo, du statut coi même, de la statue de sel... Le message politique admis est inoffensif, c’est à ça qu’on le reconnaît. Aux marges, on a décidé « tout, tout de suite » (vu à la télé). Y’a des assurances pour ça, et Londres c’est pas Paris ! See u aux JO.


Balle perdue : la revolucion tranquilo


L’émeute consumériste, c’est pas les indignados madrilènes, fils d’Hessel, sages comme des images. Marxo-bisounours à tentes Quechua, luttant par le squat, le siting, la baballe et la bibliothèque improvisée néanmoins citoyenne. C’est pas politique ces pillages ! C’est pas politique : ils sont pas là pour faire la révolution ! Tout juste. C’est tout le contraire. Ils ont temporairement aboli le système policier pour mieux profiter de leur société de consommation. Aucune intention politique donc ? On aime, on veut, on prend. J’ai donc je suis. C’est tout. Simple comme un coup de tric. On l'aime notre société ! Un couperet tombe. Bling bling. Le bonheur est à portée de vitrine descendue et de privatisation. C’est pas de la politique ça ? On se croirait un jour d’OPA, c’est de l’économie ? What the fuck ? What else ?


Marronnier de l'été : rencontre du 3ème type à Londres


« Il ne s'agit pas de politique, ni de manifestation mais de vol », a écumé Cameron devant la chambre des représentants. Les dettes des Etats ? Pas le même level. Le surendettement, la banqueroute, la dépouille publique, c’était pour l’intérêt général, rien que de très politique. Les gueux sont pas prêts de s’amender avec leurs cours de bonne gestion et de tenue correcte exigée. Cameron a trouvé sa Sarah Connard… On a les Terminators au cul. Aus-té-ri-té.


Un été vraiment pourri


Le pillage célèbre l’abondance. L’émeute consumériste est une fête. Politique. La société de consommation est adorée et adulée. La schizo machine ne se répand jamais mieux que lorsqu’on la répand. Elle remercie les norvégiens blonds amateurs de shoot them up et les petites frappes des bas fonds londoniens. Les Chinois comptent sur leurs calculettes.
De ce côté de la Manche, y’a un cinquième as dans le jeu depuis le début de l’été et l’adoption par le parlement français du décret n° 2011-795 relatif aux armes à feu susceptibles d’être utilisées par les forces de l’ordre pour le maintien de l’ordre public (publié au JORF n°0151 du 1 juillet 2011 page 11269). Manifestement, nos gouvernants s’attendent à se faire tirer dessus très prochainement… Ils ont pour eux de savoir que la production de psychopathes à la chaîne n’est pas près d’être délocalisée, surtout à la veille d’une liquidation judiciaire étatique généralisée. Enfin, un bon plan d’aus-té-ri-té… On aurait voulu un peu de rigueur avant. Les mandataires, tous coupables. C'est la nef des fous. Le meilleur des mondes : tout sauf un long fleuve tranquille. Coule.