22 août 2011

Lectures de l’été : Cesare Pavese le terroir-iste

Dans La lune et les feux, Cesare Pavese raconte le retour au pays d’un ancien gamin de l'Assistance parti réussir aux Etats-Unis, revenant dans sa campagne italienne natale. Occasion d’une réflexion sur l’attachement à la terre, et belle évocation de ces « non-lieux » que la modernité sait nous offrir. Imbéciles malheureux qui ne sont nés nulle part


« Je compris sur le champ ce que veut dire de ne pas être né en un lieu précis, de ne pas l’avoir dans le sang et de ne pas y être déjà à moitié enterré avec ses vieux (…). Cela me faisait penser à ces chambres que l’on loue en ville, où l’on vit pendant un jour ou pendant des années, et qui, quand on déménage, ne sont plus que des coquilles vides, disponibles et mortes. (…) Il faut avoir un pays, ne serait-ce que pour le plaisir d’en partir. Un pays, ça veut dire ne pas être seul et savoir que chez les gens, dans les arbres, dans la terre, il y a quelque chose de vous qui, même quand on n’est pas là, vous attend patiemment ».


« Cette nuit-là, j’allais fumer une cigarette dans l’herbe, loin de la route où passaient les autos (…) Cette nuit-là, même si Nora s’était laissée culbuter dans l’herbe, ça n’aurait pas suffi. Les crapauds n’auraient pas cessé de hurler, ni les automobiles de se lancer en accélérant dans la descente, ni l’Amérique de finir avec cette route, avec ces villes illuminées le long de la côte. Je compris, dans le noir, dans cette odeur de jardin et de pins, que ces étoiles n’étaient pas les miennes, qu’elles me faisaient peur. Les œufs au lard, les bonnes paies, les oranges grosses comme des pastèques n’étaient rien et ressemblaient à ces grillons et ces crapauds. (…) Je savais maintenant pourquoi de temps en temps, sur les routes, on trouvait une fille étranglée dans une auto, ou dans une chambre, ou au fond d’une ruelle. Sans doute eux aussi, ces gens, avaient-ils envie de se jeter dans l’herbe, de faire bon ménage avec les crapauds, d’être maître d’un bout de terre de la longueur d’une femme et d’y dormir sans peur ? Et pourtant ce pays était grand, il y en avait pour tout le monde. Il y avait des femmes, de la terre, de l’argent. Mais personne n’en avait jamais assez, personne, quoi qu’il possédât, ne s’arrêtait, et les champs, même les vignes, avaient l’air de jardins publics, de plates-bandes factices comme celles des gares, ils étaient incultes, des terres brûlées, des montagnes de ferraille. Ce n’était pas un pays où l’on pouvait se résigner, poser sa tête et dire « quoi qu’il arrive, vous me connaissez, quoi qu’il arrive laissez-moi vivre ». C’était ça qui faisait peur. Même entre eux, ils ne se connaissaient pas ; en traversant ces montagnes, on comprenait à chaque tournant que personne ne s’était jamais arrêté là, que personne ne les avait jamais touchées avec ses mains. C’est pour ça qu’un ivrogne, ils le passaient à tabac, le mettaient en tôle et le laissaient pour mort. Et ils n’avaient pas seulement l’alcool, ils avaient aussi des femmes impossibles. Le jour venait où un type, pour toucher quelque chose, pour se faire connaître, étranglait une femme, la tuait d’un coup de revolver pendant son sommeil, ou lui brisait la tête avec une clé anglaise. »

2 commentaires:

  1. Merdalors! C'est beau comme anti-attalisme!
    Mais... Une question: à la fin, il parle des Zétazunis ou de l'île d'Utoya?

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