29 mars 2019

Les détourneurs d'objets


En ces temps de bouleversement des mœurs et des coutumes, en cette époque d’incertitudes où tout ce qu’on croyait solide s’effrite, où tout repère est suspect de péremption, où les grandes puissances elles-mêmes sont contraintes de jouer aux chaises musicales, il est réconfortant de penser rien ne pourra jamais faire disparaître ni les imbéciles, ni le mauvais goût. On a les amarres qu’on peut. Cette semaine, je vous propose donc de détester une catégorie d’imbéciles qui se distinguent par leur mauvais goût : les détourneurs d’objets.

28 mars 2019

Ma vie est une sitcom et le réalisateur est bourré.



Je veux revoir ma Normandie.
 
Lors d’une marche en Mazurie, j’étais tombé dans des marécages. Couvert de boue, je courus me réfugier dans une ferme voisine. Un grand type maigre d’environ 70 ans m’avait ouvert. Avec le tact du touriste, je lui demande : « speak english ? ». Ce à quoi il répondit lapidairement : « Nein, aber ich spreche Deutsch ». J’étais tombé sur le dernier des Prussiens, sur un de ces hommes sobre en humour et amateur de viande fumé, survivant des soudards russes venus venger les villages en flammes de Biélorussie. Il m’ouvrit sa porte et me permit de prendre une douche, me sauvant la vie au passage en évitant à quelques tiques bien grasses de se sédentariser sur mon scrotum.

A mon retour dans le monde civilisé, celui des cafés Starbucks et des manifestations véganes, j’ai pris l’habitude d’écrire une fois par an à ce fermier, pour Noël. Me voilà donc au bureau de Poste le plus proche pour faire affranchir mon envoi. Je demande de jolis timbres, histoire d'éviter la Marianne-FEMEN. La guichetière cherche rapidement dans son classeur, où se trouvent des espèces de bouses, genre peintures d'art contemporain sorties de l'atelier « main dans la gouache » de l'école maternelle Léon Blum. 

Alors que les pages défilent, je tilte sur une image : « Attendez, attendez, c'est quoi ça ? Un timbre Normandie-Niémen?! ». Effectivement, j'ai eu l’œil vif : un très beau timbre en hommage aux aviateurs français qui ont combattu sur le front de l'Est, dans les rangs de l'Armée rouge. La dame m'explique : « Ah oui, celui-là ? Je ne vous l'ai pas proposé, les gens n'en veulent pas, c'est sur la guerre, ça ne plaît pas ». Evidemment, je me dépêche d'acheter ces timbres et d'expédier la lettre. En rentrant chez moi, je repense à la réponse de la postière. 

Alors, on en est là. La guerre c'est mal. Peu importe qui, quand, comment, pourquoi. C'est le mal, ya pas à chercher. Les armes, c'est mal. Ca tue. C'est la seule réflexion que se font mes contemporains à ce sujet. Pour eux, le monde ne devrait être qu'une grande ronde de l'amitié où « Imagine » de John Lennon passerait en boucle. 

La civilisation, les libertés, l'abondance paisible de notre pays sont les fruits du hasard, et non des efforts, de la sueur et du sang de ceux qui nous ont précédés. C'est très curieux, vraiment. Que nous en arrivions à ignorer et mépriser notre passé de cette façon. 

Mes contemporains ne semblent plus capables de conceptualiser quoi que ce soit qui ne leur soit pas arrivé personnellement il y a moins de 48 heures. Les gens sans histoires sont devenus des gens sans Histoire. Ou bien ils se contentent de poncifs du genre : le soleil ne se levait plus pendant l'Occupation, et il pleuvait tout le temps au Moyen-Age. Bon sang, quelle époque horrible.
Et c'est là que je pose la vraie question : était-ce une bonne idée d'envoyer une lettre à un Prussien avec un timbre Normandie-Niémen ?

« Le véritable exil n'est pas d'être arraché de son pays ; c'est d'y vivre et de n'y plus rien trouver de ce qui le faisait aimer ». Edgar Quinet.

Fermiers prussiens partant en pique-nique.

27 mars 2019

Journal d’un pèlerin de campagne.




Evangélisation dans ta face.
                                                 
Pour apaiser sa conscience en ces temps troublés, l'homme moderne a recours au yoga, aux chakras et à la cuisine sans gluten. Bref, au New-Age. Je lui recommande toutefois une expérience Old-Age : le pèlerinage. Et s'il fait le pari de partir sans argent, alors là, il est carrément dans le Medieval-Age, ça donne des points bonus côté énergie positive.

Figurez-vous que je me trouvais précisément dans cette situation de pèlerin-mendiant, par une chaude journée de septembre, aux alentours de Nevers. Ecrasé par la chaleur, je m’étais assis à l’ombre, sur un perron dans un petit village désert. Au bout d’un moment, un vieux était sorti de sa maison pour me proposer une citronnade et on avait taillé le bout de gras. J’avais prévu de m’arrêter dans une petite ville, à 15km de là, et je lui demande s’il y a un curé là-bas. « Ouais, tu vas voir, c’est un Noir ! Un mec super, il va t’inviter à boire un coup ! ». Je m’étonnais de cet enthousiasme, les séries de France 2 m’ayant appris que les Français ruraux sont des racistes invétérés. Mais je reprenais ma route ragaillardi par la perspective d’un curé accueillant à l’arrivée.

26 mars 2019

L'art de la dénonciation



Connaissez-vous le nouveau concept d’une émission de télé à venir bientôt en France, appelée pour l'instant Allo Police (concept suédois, déjà vendu dans quinze pays, dont les USA) en attendant un nom définitif ? Simple : vous avez sûrement entendu un voisin, quelqu’un du quartier, un habitué du bar d’en face tenir des propos scandaleux ou, pire, se conduire de façon inacceptable. Ça nous arrive à tous et, hélas, nous sommes souvent démunis devant la chose. Pas de panique désormais puisque la télé nous propose de faire d’une pierre deux coups en dénonçant l’individu à la police, et en gagnant un petit quelque chose. Oh là, pas la vraie police, non, on n’est pas des monstres, la police supplétive mise en place par la chaîne elle-même, qui ne possède pas réellement les pouvoirs d’une authentique police mais qui pourra, par l’éclairage public qu’elle braquera sur les « prévenus », orienter le travail de sécurisation de l’espace public que la police réelle n’a pas toujours les moyens d’assurer.

21 mars 2019

Emile Brami prend Céline à rebours



Une interview exclusive du CulturalGangBang !

Les céliniens forment une race à part dans le monde littéraire. Leur originalité ne tient pas à leur monomanie, qui est commune à tous ceux qu'anime une passion forcenée pour un écrivain, mais au fait qu'ils doivent sans cesse justifier leur amour. C'est que le père Céline n’a pas fait les choses à moitié pour se mettre le monde à dos. Ses livres hurlent pour lui, et parfois contre lui. La seconde guerre mondiale étant devenue la boussole de notre époque, la faute originelle à quoi tout se rapporte, il est assez logique qu’un écrivain s’y étant à ce point fourvoyé nous apparaisse comme une sorte de monstre. C’est cet amour du monstre que les céliniens doivent justifier, et quand ce n’est pas de l’amour, c’est au moins leur admiration pour l’œuvre littéraire du monstre. Car si plus personne ne nie la révolution stylistique introduite dans la langue par Louis-Ferdinand Céline, il demeure beaucoup de fâcheux pour qui cette révolution est annulée par sa conduite morale. Ne pouvant concevoir qu’on persiste à admirer l’œuvre, ils passent donc, en permanence, les céliniens à la Question.

20 mars 2019

Pentatoniques mentales

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En jazz, en blues, et dans toutes ces musiques ouvertes à l’improvisation, le musicien s’appuie en réalité sur des “pattern” musicaux, des échelles harmoniques qui lui permettent de retomber toujours plus ou moins sur ses pattes. Tandis que l’auditeur novice entend un solo endiablé et incontrôlable dont l’enchaînement impeccable semble tenir du miracle, le musicien lui, joue en réalité à l'intérieur d'un éventail de possibilités réduit, plus balisé qu’il n’y paraît : au sein d’un spectre de notes ou d’accords dont il sait l’harmonie garantie. La gamme pentatonique est l’un de ces systèmes : elle compte cinq hauteurs de son différentes qui fonctionnent entre elles et “sonnent juste” quel que soit l’ordre dans lequel elles sont jouées.


16 mars 2019

Les humanités étanches.


Jeudi dernier, à la tombée du jour, traversant sous la pluie le quartier du faubourg Saint-Antoine pour me rendre à mon hôtel, mon regard est attiré par un spectacle irréel : au premier étage d’un immeuble, surmontant un Mc Do, une enfilade de baies vitrées laisse voir l’activité en cours dans une salle de fitness (j’ignore si ce mot est toujours à la mode dans ce milieu, il a peut-être été jugé insuffisamment anglais et remplacé par un autre ; je me souviens qu’on parlait « d’aérobic » dans les années 1980, je pense que ce terme n’a plus cours que chez les dinosaures - on s’en fout).

8 mars 2019

De quoi progressiste est le nom

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Progressiste. Un de ces mots qui viennent du dehors et que je n'aime pas vraiment adopter. Alors pourquoi s'est-il malgré tout fait une place parmi les termes de ma réflexion ces derniers temps ? C’est qu’en réalité, il s’est bel et bien passé quelque chose avec ce mot. On l'entend employé dans la vie, et on l'entend surtout employé pour soi-même : des personnes se nomment ainsi, se disent progressistes, s'en réclament, alors que jusqu'alors, le qualificatif était plutôt utilisé par l’observateur extérieur, voire par l’adversaire, qui le teintait d'une pointe de condescendance... Dans un cas comme dans l'autre, il s’agissait de désigner quelqu’un d'autre pour le situer. Mais se nommer soi-même progressiste, non pas l'être mais se désigner comme tel, voilà une nouveauté, et des plus inouïes.

Cela implique tout d'abord une insensibilité totale à la laideur de la sonorité. "Pro-gre-ssiste", voilà qui est très laid et qui devrait déjà dissuader de s'en étaler sur la figure. Cela implique surtout de passer complètement à côté de ce que le mot suppose de sottise et d’illusion sur soi.