27 janvier 2019

Michel Legrand s'arrête.


Une fois, j’ai vu Michel Legrand dans la petite église d’un bled de Saône-et-Loire, où il donnait un concert seul au piano. En arrivant, m’étant garé le long d’un chemin, je m’assurai auprès d’un vieux type que ma voiture ne gênait pas. Il me répondit en roulant les R, à la mode locale. Un vrai de vrai, un survivant.

L’église était bondée comme au temps des grandes ferveurs religieuses. Des chaises partout, jusqu’à un mètre cinquante du piano.

25 janvier 2019

Le sentimentalisme coercitif

Ce que l’on a longtemps qualifié de “bons sentiments" et décrié comme tel ne peut plus vraiment être appelé ainsi tant ces sentiments, aujourd'hui, s'expriment en des termes essentiellement âcres et vindicatifs. Les sentimentalistes d’hier, les gentils et naïfs d’autrefois, sont devenus pour beaucoup d’entre eux des roquets inquisiteurs à la verve menaçante.


"Non à la Haiiiine !"

Me voilà l’autre jour en groupe de travail, à chercher ensemble, dans une logique purement “participative" comme on dit, des noms pour les salles de réunion d’un futur bâtiment - étant entendu qu’une salle de réunion ne peut décemment pas s'appeler "salle de réunion" pour des raisons évidentes de créativité. Le thème imposé : "des noms de personnalités impertinentes et élégantes".

Chacun soumet ses idées comme elles viennent tandis qu’un autre les note, debout à côté d’un paperboard. Premier amusement de l'exercice : constater combien l'impertinence est devenue conforme ; elle marche à peu près avec tous les noms de célébrités actuelles. Marlène Schiappa est impertinente, Xavier Dolan est impertinent, Charline Vanhoenacker est impertinente, Samir Nasri est impertinent, Thierry Ardisson aussi, la Miss Météo de même, Bénabar peut très bien être impertinent quand il veut, etc. Impossible ou presque de refuser le qualificatif à qui que ce soit de moderne.

- Tu l'as vue, dis, l'impertinence de mon noeud de cravate ?

La réunion commence. Les noms ne tardent pas à fuser : "Boris Vian !" (on note). "Romain Gary !" (on note). “Ah bien sûr il n’y a que des hommes !” interrompt une femme alors qu'on n'avait pas fini d’inscrire les deux premiers noms au tableau. Dès lors, la chasse est ouverte : l’assemblée ne pense plus ni impertinence ni élégance ni même salle de réunion, mais énumère des femmes célèbres comme pour se prouver qu’elle peut y arriver :

"Camille Claudel ! Agnès Varda ! Simone de Beauvoir ! Simone Veil ! Marguerite Duras ! Michèle Obama !
Moi : “Elle était impertinente Marguerite Duras ?
L’autre : “Ben je sais pas mais...
- “...mais on s'en fout !". C'est ça ? Et elle était "élégante", Marguerite Duras ?"

Tu n'en as pas la moindre idée non plus, hein...

18 janvier 2019

Rire cruellement


Tombeau pour une touriste innocente est un court et célèbre texte de Philippe Murray. Il me semble qu'il avait été mis en musique et même chanté par l'auteur, si je ne m'abuse.
Ici, le son est moyen, l'image quasi nulle mais le texte est rendu encore plus hilarant par la lecture de Luchini. Il a une façon de dire "Il faut exiger sans cesse et sans ambages la transparence totale dedans l'étiquetage" qui renforce dix fois l'effet recherché. Un acteur, ça sert à ça. On rit, on ricane, on rit cruellement, c'est terrible. C'est dans ce genre d'exercice qu'on comprend qu'il faut dire un gros merde à ceux qui, voulant introduire une morale de patronage laïc dans l'usage de l'humour, voudraient qu'on ne rigolât que dans la justice, qu'on ne se moquât de personne, qu'on ne plaisantât que de soi-même, qu'on ne blessât jamais ce connard d'Autrui. Pan ! Murray rit et se moque et démolit une touriste innocente partie se faire décapiter dans un pays où rode l'islamiste post-moderne. Qui dit mieux ?
Comme Luchini caviarde quelque peu le texte, le voici en entier.

Tombeau pour une touriste innocente

16 janvier 2019

Sérotonine : l'entretien rêvé


Michel : Alors les gars, vous en avez pensé quoi ?

Beboper : Hein, de quoi ?

Michel : Mon nouveau roman, vous l’avez trouvé comment ?

Xix : Nan !

Michel : Quoi « nan » ?

Xix : Nan Michel, on veut pas en parler !

Michel : Ben quoi, y’avait pas assez de cul ? Tenez, j'ai amené une bouteille et trois verres, histoire de causer un peu.

Xix : On veut pas en parler de Sérotonine ! Entre nous à la rigueur, en conciliabule, mais pas dans un article ! On serait forcé d'en dire un peu de mal et ça, ça nous emmerde ! Parce qu’on t’aime bien par dans l’coin.

Michel : Ah oui, c’est raté à ce point-là ? (Il ouvre la bouteille, se sert un verre, distribue les deux autres mais nos deux cégébistes les repoussent d'un revers de la main.) 

Xix : Non, raté pas à ce point-là justement ! C’est pour ça que tu fais chier ! Y’a évidemment des morceaux de bravoure, des personnages éternels, des esclaffades sonores, gutturales, qui te sortent de la poitrine au détour d’une fin de phrase inattendue… Ta Camille, elle est magnifique, ton aristo paysan, il est vivant comme pour de vrai… Tu fais chier Michel !

3 janvier 2019

L'année 2018 n'a jamais existé.


Nous vivons des temps épuisants. Chaque jour apporte la confirmation qu’il est pire que le précédent, et que rien n’inversera plus la tendance. Chaque année, quand vient l’heure du bilan, il semble qu’un pas de plus a été fait dans la mauvaise direction. Toujours plus de précarité sociale, toujours plus d’Europe, toujours plus de normes, toujours plus d’interdits moralisants, toujours plus de droits opposables au monde entier, toujours plus d’Emmanuel Macron, toujours plus de pubs, de ronds-points, de chômage de masse, de loisirs mortifères, d’attentats, de « tout-numérique », de supermarchés, de télé-cauchemar, de violence ordinaire, de laideur proliférante, de mensonge médiatique, de vagues de misère/migrants, d’associations flicaillonnes, de séparatisme culturel, de guerre au vivant, de ceintures à serrer, de délires sociétaux, toujours plus d’informations, de smartphones, d’alertes-info, de flash-info, de connexions à haut débit et toujours plus d’ignorance.

1 janvier 2019

Une année 2018 qui finit en beauté


Louis XVI : - C'est une révolte ?

Yassine Bellattar : - Non Sire, c'est du populisme !

L'autre jour, en pleine crise des gilets jaunes, le goître de Yassine Bellattar s'exprimait sur je-ne-sais-quel plateau télé. Alors qu'un journaliste feignait de s’étonner que la banlieue, elle pourtant si défavorisée, ne rejoigne pas le mouvement contre la précarité sociale des Gilets jaunes, Yassine s'efforçait d'en trouver les raisons. C’était que le racisme de la foule empêchait tout rapprochement. C’était que “nous ça fait 30 ans” - le “nous” désignant la France issue de l’immigration : 30 ans qu’on travaille, subit, endure, sans jamais se plaindre ni réclamer son reste... (autrement dit : "ces petites misères dont vous vous plaignez, nous on fait avec depuis toujours, chochottes !"). Si les quartiers populaires n'étaient pas de la partie, comment cela pouvait-il être une révolution populaire ? Et le joufflu de conclure : “ce n’est pas une révolution populaire, c’est une révolution populiste !

Le signe qui convainc définitivement que le mouvement des Gilets jaunes est significatif, c’est le déni qu’il inspire aux apôtres habituels de la subversion : agitateurs subventionnés, désireux de neuf, polémistes salariés, fanas de l'impertinence... Eux qui le reste du temps acceptent l’emploi du mot “révolution” pour le nouvel écran Samsung, l’aspirateur Dyson, la tendance au coworking ou les graffitis de Banksy, les voilà interdits face au grondement des foules et à l’orage de grenades qui tonne sous leurs fenêtres. “Ce n’est pas une révolution populaire, c’est une révolution populiste !”. “Les Gilets jaunes gâchent la fête du cinquantenaire de mai 68”, auraient pu titrer un Serge July, un Laurent Joffrin ou un Romain Goupil. Sophia Aram, humoriste irrévérencieuse d’Etat matricule 8071, rit jaune du haut de sa chronique radio, face au “vulgaire bout de tissu acrylique et fluo” et son terrible cortège “d'exactions, de violences, de haines, de propos antisémites, racistes, homophobes, et sexistes”.

Pas glop la Révolution des gilets jaunes ! Il est vrai qu'elle n’a rien d’orange comme celles dans lesquelles on peut parader en chemise blanche et que l’on regarde fleurir et dégénérer en guerre civile avec bienveillance, dans les autres pays. C’est une révolte sans logo, sans hashtag, sans collectif de youtubeurs. C’est un petit val qui mousse de rayons ! Côté images symboliques, on est servi. Face aux blindés floqués “Union Européenne” : des citoyens à genoux, mains sur la tête. Face à la République en marche resserrée : des drapeaux français, des hommages à la flamme du soldat, des minutes de silence... Face aux communicants journalistes et politiques et leurs éléments de langage : l’éloquent ras-le-bol d’hommes et de femmes exaspérés ; ils n’ont pas fait Science Po, ne passent pas par la case syndicats, ne feront pas de bons présidents de l’UNEF et ne toucheront pas 20 000 Frs. Définitivement pas “bankable”, les gars.

Devant ce spectacle, l’homme avec un minimum de sens historique est bien obligé, qu’il soit pour ou contre le mouvement, qu’il pâtisse des blocages coincé au rond-point ou qu’il flambe dans sa Porsche Cayenne avenue de Friedland – de ressentir le caractère exceptionnel du bouzin. Pour la première fois de l’ère post-moderne, le peuple dit merde à l’oligarchie. Le Bidochon pousse sa gueulante. Les dindons de la farce mondialiste, seuls à qui était encore refusé le précieux statut de victime remboursable, font leur entrée sur scène. Et c’est de France que c’est venu.