Je n’ai jamais rencontré dans mon entourage ni entendu parler de personnes qui seraient sujettes à une peur panique des robots. Pourtant, les documentaires sur les avancées de la robotique m'assurent que ces personnes existent, ou qu’elles existeront. Et que l’un des défis dans ce domaine sera d’éduquer ces « phobes » afin qu'ils maîtrisent leurs angoisses.
Le discours, bien qu’encore un peu bancal, est déjà énoncé : tout d’abord on insiste sur l’absurdité d’une telle phobie - un robot n’est qu’une machine, il n’y a pas lieu d’en avoir peur plus que d’un robot Moulinex ; puis l’instant d’après on affirme au contraire qu’au fur et à mesure qu’ils auront gagné en intelligence, ces robots seront plus que de simples machines, et que nous serons tenus d’apprendre à vivre avec eux, de les respecter en tant qu’êtres, de leur accorder de la considération…
En quoi les robots seront-ils autre chose que des machines, ce n’est pas toujours clairement expliqué. Dans l’un des documentaires, un journaliste s’entretient par exemple avec une intelligence artificielle capable de soutenir une conversation complexe, intégrée dans un buste à l’apparence humaine. Lorsque, fasciné par l’automate, le journaliste demande à l’ingénieur s’il peut le toucher, celui-ci lui répond d’une voix réfléchie : « demandez-vous simplement si vous feriez cela si votre interlocuteur était une personne ».
Tripoteriez-vous votre télécommande si elle était une personne ? Sans doute pas. Cependant je ne vois pas en quoi il serait inconvenant de toucher ce buste automate, aussi intelligent soit-il, à moins d’être tombé à pieds joints dans l’illusion - volontairement créée bien qu’encore grossière - de son apparence. Celui qui ferait un guili-guili sous ce menton robotique ne blesserait aucune dignité sinon la sienne, montrant qu’il s'est pris à un jeu de séduction avec ce qui n’est qu’un leurre.
On apprend dans le même temps que le malaise ressenti vis-à-vis d’un robot serait d’autant plus prononcé que la ressemblance avec l’humain va loin. Plus le robot ressemble, plus celui qui le regarde focalise sur les « anomalies », le petit détail qui cloche et rend cet humanoïde « bizarre ». Croyez-vous qu’on en déduise, pour éviter ce malaise, qu’il est préférable d’entretenir une distinction physique et que les robots continuent à avoir un look de robots ? Non. La conclusion des chercheurs est au contraire de pousser toujours plus loin la ressemblance jusqu’à ce que la confusion soit parfaite et que la gêne s’estompe.
Vous ne voudriez tout de même pas être robophobe, n'est-ce pas ? Quoi de mieux qu’un « phobe » pour triompher sans conteste ? Un « phobe », et toute argumentation raisonnée est tuée dans l’œuf, aussi pondérée soit-elle. Nous sommes condamnés à nous mettre à égalité avec la machine… ou à en « avoir peur ». Celui qui ne voudra pas concéder qu’une machine évoluée soit rigoureusement équivalente à un humain sera quelqu’un qui a peur. Tout comme celui qui ne prend pas plaisir à discuter dans un smartphone est aujourd'hui « technophobe », la personne qui jugera débilitant d’accorder de l’affection à une machine « smart », de répondre à ses sourires ou ses sollicitations… sera robophobe. Celui qui prendra mal l'automatisation de son boulot sera robophobe. Celui qui s’agacera des remarques d’un robot-coach à qui il n’a rien demandé, ou qui ne se soumettra pas d’assez bon cœur à la présence et au contrôle d’un robot sera suspecté de couver lui aussi un inquiétant début de robophobie… « Lui auriez-vous parlé de cette façon s’il était une personne ? »
I had a dream : un jour, les fabricants de chips saveur barbecue pourraient déclarer « phobes » les personnes qui s’obstinent à ne pas vouloir y goûter.