17 mars 2021

Le Covid comme volonté et représentation


Les restrictions imposées par la crise sanitaire sont pénibles pour tout le monde ; mais l’exaspération générale ne doit pas empêcher d’entendre le sentiment d’aise qu’en retirent certains en même temps qu’ils se plaignent avec les autres. 

Ce sont les fidèles au poste. S’ils n’applaudissent plus aux fenêtres à 20 heures, ils continuent de se jeter avec avidité sur le téléviseur les soirs d’annonce gouvernementale, ou de rafraîchir frénétiquement leur fil d’actualité pour avoir la primeur de l’info : à quelle sauce seront-ils mangés demain, à quelle nouvelle fantaisie auront-ils à se plier dès lundi ? Allègement ou interdiction renforcée, ils sont empressés de découvrir la nouvelle règle du jeu, et de réordonner en fonction leur quotidien de fond en comble. Jacques a dit… 18 heures ! Et plus la consigne est changeante, arbitraire, contestable dans son efficacité, plus ils l’observent avec zèle, et toisent avec sévérité le voisin qui l’ignore.

Il y a un plaisir à obtempérer, à appliquer la consigne – plaisir qui ne peut bien sûr pas être avoué ni même ressenti consciemment dans une société où l’on se doit d’être épris de liberté. C’est le plaisir du rigoriste, du psychorigide, de l’orthorexique adonné aux disciplines contrariantes et aux régimes spéciaux. Comportements jugés autrefois marginaux ou excluants, mais dont l’acceptabilité sociale s’est considérablement développée ces dernières années. Les maniaques se sentent ainsi autorisés, font montre de leurs rigidités, déclarent leur appétit des règles scrupuleuses pour eux-mêmes et pour les autres. Ils sont prompts à intégrer à leur quotidien toute règlementation supplémentaire, à la devancer même. Si l'on recommande de changer de masque deux fois par jour, ils en changent trois ; si on leur dit "la" Covid au lieu de "le", ils modifient leur vocable et ânonnent les éléments de langage ministériels et radiophoniques les plus neufs. Ils finissent par trouver des avantages à tout ce micmac, suggèrent bientôt qu'il faudrait maintenir certaines règles exceptionnelles d'hygiène même la pandémie passée, comme exiger de tout malade qu'il se cloître à domicile le temps d'une gastro et cesse ainsi de nuire à la santé des bien portants...

La Boétie parlait de servitude volontaire. Il y a une application à la fois éternelle et toute moderne à s'en remettre à un principe étranger, à prendre ses ordres quel que soit leur bien-fondé. On obéit, dans ce cas spécifique, non par « peur du gendarme » et moins encore par sagesse ou raisonnement, mais pour raffermir son attachement et son intégration à l'ordre social. Plus l’impératif est arbitraire et douteux du point de vue rationnel, plus l’obéissance prend le caractère d’un acte de foi : en obéissant, mieux et plus aveuglément que les autres, on marque sa socialité avec l’autorité commune et avec tous ceux qui s’y conforment de bon ou mauvais gré. En s’en remettant non à la science, à l’intuition ou à la religion mais à la société, on espère une intégration sociale renforcée. D’où l’intérêt de donner à son allégeance un tour manifeste et remarqué : elle est, auprès des autres, un signe pour se reconnaître et pour être reconnu.