Lors d’une marche en Mazurie,
j’étais tombé dans des marécages. Couvert de boue, je courus me réfugier
dans une ferme voisine. Un grand type maigre d’environ 70 ans m’avait ouvert.
Avec le tact du touriste, je lui demande : « speak
english ? ». Ce à quoi il répondit lapidairement : « Nein,
aber ich spreche Deutsch ». J’étais tombé sur le dernier des Prussiens,
sur un de ces hommes sobre en humour et amateur de viande fumé, survivant des
soudards russes venus venger les villages en flammes de Biélorussie. Il m’ouvrit
sa porte et me permit de prendre une douche, me sauvant la vie au passage en
évitant à quelques tiques bien grasses de se sédentariser sur mon scrotum.
A mon retour dans le monde
civilisé, celui des cafés Starbucks et des manifestations véganes, j’ai pris l’habitude
d’écrire une fois par an à ce fermier, pour Noël. Me voilà donc au
bureau de Poste le plus proche pour faire affranchir mon envoi. Je demande de
jolis timbres, histoire d'éviter la Marianne-FEMEN. La guichetière cherche rapidement
dans son classeur, où se trouvent des espèces de bouses, genre peintures d'art
contemporain sorties de l'atelier « main dans la gouache » de
l'école maternelle Léon Blum.
Alors
que les pages défilent, je tilte sur une image : « Attendez,
attendez, c'est quoi ça ? Un timbre Normandie-Niémen?! ».
Effectivement, j'ai eu l’œil vif : un très beau timbre en hommage aux aviateurs
français qui ont combattu sur le front de l'Est, dans les rangs de l'Armée
rouge. La dame m'explique : « Ah oui, celui-là ? Je ne vous l'ai pas proposé,
les gens n'en veulent pas, c'est sur la guerre, ça ne plaît pas ». Evidemment, je
me dépêche d'acheter ces timbres et d'expédier la lettre. En rentrant chez moi,
je repense à la réponse de la postière.
Alors,
on en est là. La guerre c'est mal. Peu importe qui, quand, comment, pourquoi.
C'est le mal, ya pas à chercher. Les armes, c'est mal. Ca tue. C'est la seule
réflexion que se font mes contemporains à ce sujet. Pour eux, le monde ne
devrait être qu'une grande ronde de l'amitié où « Imagine » de John Lennon
passerait en boucle.
La
civilisation, les libertés, l'abondance paisible de notre pays sont les fruits
du hasard, et non des efforts, de la sueur et du sang de ceux qui nous ont
précédés. C'est très curieux, vraiment. Que nous en arrivions à ignorer et
mépriser notre passé de cette façon.
Mes
contemporains ne semblent plus capables de conceptualiser quoi que ce soit qui
ne leur soit pas arrivé personnellement il y a moins de 48 heures. Les gens
sans histoires sont devenus des gens sans Histoire. Ou bien ils se contentent
de poncifs du genre : le soleil ne se levait plus pendant l'Occupation, et
il pleuvait tout le temps au Moyen-Age. Bon sang, quelle époque horrible.
Et
c'est là que je pose la vraie question : était-ce une bonne idée d'envoyer une
lettre à un Prussien avec un timbre Normandie-Niémen ?
« Le
véritable exil n'est pas d'être arraché de son pays ; c'est d'y vivre et de n'y
plus rien trouver de ce qui le faisait aimer ». Edgar Quinet.
Fermiers prussiens partant en pique-nique. |
Imagine all of people living life in peace !
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