28 mars 2019

Ma vie est une sitcom et le réalisateur est bourré.



Je veux revoir ma Normandie.
 
Lors d’une marche en Mazurie, j’étais tombé dans des marécages. Couvert de boue, je courus me réfugier dans une ferme voisine. Un grand type maigre d’environ 70 ans m’avait ouvert. Avec le tact du touriste, je lui demande : « speak english ? ». Ce à quoi il répondit lapidairement : « Nein, aber ich spreche Deutsch ». J’étais tombé sur le dernier des Prussiens, sur un de ces hommes sobre en humour et amateur de viande fumé, survivant des soudards russes venus venger les villages en flammes de Biélorussie. Il m’ouvrit sa porte et me permit de prendre une douche, me sauvant la vie au passage en évitant à quelques tiques bien grasses de se sédentariser sur mon scrotum.

A mon retour dans le monde civilisé, celui des cafés Starbucks et des manifestations véganes, j’ai pris l’habitude d’écrire une fois par an à ce fermier, pour Noël. Me voilà donc au bureau de Poste le plus proche pour faire affranchir mon envoi. Je demande de jolis timbres, histoire d'éviter la Marianne-FEMEN. La guichetière cherche rapidement dans son classeur, où se trouvent des espèces de bouses, genre peintures d'art contemporain sorties de l'atelier « main dans la gouache » de l'école maternelle Léon Blum. 

Alors que les pages défilent, je tilte sur une image : « Attendez, attendez, c'est quoi ça ? Un timbre Normandie-Niémen?! ». Effectivement, j'ai eu l’œil vif : un très beau timbre en hommage aux aviateurs français qui ont combattu sur le front de l'Est, dans les rangs de l'Armée rouge. La dame m'explique : « Ah oui, celui-là ? Je ne vous l'ai pas proposé, les gens n'en veulent pas, c'est sur la guerre, ça ne plaît pas ». Evidemment, je me dépêche d'acheter ces timbres et d'expédier la lettre. En rentrant chez moi, je repense à la réponse de la postière. 

Alors, on en est là. La guerre c'est mal. Peu importe qui, quand, comment, pourquoi. C'est le mal, ya pas à chercher. Les armes, c'est mal. Ca tue. C'est la seule réflexion que se font mes contemporains à ce sujet. Pour eux, le monde ne devrait être qu'une grande ronde de l'amitié où « Imagine » de John Lennon passerait en boucle. 

La civilisation, les libertés, l'abondance paisible de notre pays sont les fruits du hasard, et non des efforts, de la sueur et du sang de ceux qui nous ont précédés. C'est très curieux, vraiment. Que nous en arrivions à ignorer et mépriser notre passé de cette façon. 

Mes contemporains ne semblent plus capables de conceptualiser quoi que ce soit qui ne leur soit pas arrivé personnellement il y a moins de 48 heures. Les gens sans histoires sont devenus des gens sans Histoire. Ou bien ils se contentent de poncifs du genre : le soleil ne se levait plus pendant l'Occupation, et il pleuvait tout le temps au Moyen-Age. Bon sang, quelle époque horrible.
Et c'est là que je pose la vraie question : était-ce une bonne idée d'envoyer une lettre à un Prussien avec un timbre Normandie-Niémen ?

« Le véritable exil n'est pas d'être arraché de son pays ; c'est d'y vivre et de n'y plus rien trouver de ce qui le faisait aimer ». Edgar Quinet.

Fermiers prussiens partant en pique-nique.

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