8 mars 2019

De quoi progressiste est le nom

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Progressiste. Un de ces mots qui viennent du dehors et que je n'aime pas vraiment adopter. Alors pourquoi s'est-il malgré tout fait une place parmi les termes de ma réflexion ces derniers temps ? C’est qu’en réalité, il s’est bel et bien passé quelque chose avec ce mot. On l'entend employé dans la vie, et on l'entend surtout employé pour soi-même : des personnes se nomment ainsi, se disent progressistes, s'en réclament, alors que jusqu'alors, le qualificatif était plutôt utilisé par l’observateur extérieur, voire par l’adversaire, qui le teintait d'une pointe de condescendance... Dans un cas comme dans l'autre, il s’agissait de désigner quelqu’un d'autre pour le situer. Mais se nommer soi-même progressiste, non pas l'être mais se désigner comme tel, voilà une nouveauté, et des plus inouïes.

Cela implique tout d'abord une insensibilité totale à la laideur de la sonorité. "Pro-gre-ssiste", voilà qui est très laid et qui devrait déjà dissuader de s'en étaler sur la figure. Cela implique surtout de passer complètement à côté de ce que le mot suppose de sottise et d’illusion sur soi.



Car se dire progressiste, c’est croire en un Progrès. Un sens de l’Histoire. Le progressiste y croit avec tant de fièvre d'ailleurs qu’il ne juge jamais utile de préciser lequel. Son Progrès est censé être évident, couler de source. Son Progrès est évident, et il est pour tous. Contrairement aux marxistes qui restaient conscients que leur Bonheur se ferait au détriment de la classe bourgeoise par la dictature du prolétariat, le progressiste, lui, roule pour tout le monde. Il n’y a pas d’ennemis ni d’intérêts divergents dans son paradigme : son Progrès est pour tous, et par conséquent il serait bien idiot d'y opposer quoi que ce soit. Dans son paradigme, il n'y a pas d’opposants sincères : il y a ceux qui savent, et ceux qui restent à évangéliser. Dans son paradigme, les réfractaires ne peuvent être que des gens qui n’ont pas encore compris.


Allons allons, ne pleure pas... Tu touches moins parce que c'est 

le prélèvement à la source. Là, ça va mieux ? Quelle autre réforme 
aimerais-tu que je t'explique ? 


Se dire progressiste, c’est croire en une marche du monde, et rien n'angoisse davantage le progressiste que l'idée de prendre de retard sur cette marche. Pour lui, le monde est une course de fond, les pays des champions ou des retardataires. Il y a même quelques coureurs dangereux qui évoluent à contre-sens. Ceux-là il conviendrait de les disqualifier.

Se dire progressiste, c’est se croire forcément un peu pionnier. C'est avoir une vision du temps fondamentalement linéaire et penser que l'on se tient sur la haute marche de l'escalator historique. Le progressiste croit fouler un chemin que nul autre avant lui n’a jamais foulé. Fonte des neiges, crise financière, dernière mode ou dernier cri... Ce qui lui arrive est obligatoirement neuf, inédit, et la plupart du temps exceptionnel. Sans précédent. Aussi, le progressiste est-il particulièrement fier d’être en 2019. Puis en 2020. S'il rencontre un élément de son espace-temps qui n’est pas aux normes ISO2019, il s'écrie : “C’est terrible de voir encore des choses comme cela aujourd'hui... On est en 2019 !!”. A ses yeux, 2019 supplante 2018 (et de beaucoup), qui elle-même était déjà un net progrès par rapport à 2017. Il s'attend néanmoins à ce qu'en 2020, un certain nombre de progrès aient été effectués sans quoi il n’aura pas son compte.

Se dire progressiste, s’appeler de cette façon et se ressentir comme tel, voilà une chose récente, inouïe, et complètement dingue ! Cela en dit long sur la perception qu’on entretient de soi et des autres. Si je suis progressiste, que reste-t-il à celui qui ne l'est pas, que lui reste-t-il d'autre que d'être régressiste ? Se dire progressiste, à notre époque, est-ce autre chose que dire "je suis un Gentil" ? Cela dit une vertigineuse puérilité. Ainsi qu'une absence complète de doute, de possible remise en question. Un premier degré affligeant. Comment peut-on en arriver à ça ?


Il faut, je le crois, avoir grandi dans un milieu protégé de toute contradiction, où aucune friction sociale ne pouvait être perçue. Il faut avoir grandi dans un milieu parfaitement aligné sur les présupposés de la culture commune de son temps, où aucune aspérité du vécu personnel ou familial n’entre en conflit avec ce que l’on apprend à l’école ou à la télévision. Il faut avoir été à bonne école, comme on dit. Avoir le sentiment de posséder la Raison pour soi, comme d'autres ont la protection de la Vierge Marie. Il faut avoir grandi dans une famille lisse de la classe moyenne supérieure, où les opinions convenues des parents ne rencontrent aucune raison de ne pas passer telles quelles aux enfants. Il faut ne pas avoir d'humour très profond par rapport à la vie. Il faut, sans doute, avoir peu lu. Ou alors beaucoup mais parmi un nombre restreint de rayons.

Partout ailleurs, la vie nous dote d'un minimum de circonspection, elle casse tôt nos certitudes pour en travailler l'élasticité, elle apprend l'indulgence et le doute pour soi-même, la complexité et la mixité des formes, la frustration et la nécessité d'envisager autrement... Partout ailleurs, on finit par se douter que cette Terre ne grimpe pas une pente inclinant continuellement vers un avenir chaque jour un peu plus radieux que la veille. Partout ailleurs on acquiert la consistance suffisante pour qu'une personne qui se reconnaît avec satisfaction dans le mot "progressiste", nous apparaisse comme une sorte de mutant. Un complet mutant.

9 commentaires:

  1. Brillant, ou en langage progressiste, " un article nécessaire ".
    Le progressisme, cet enfant sur couvé du fatalisme et de l inculture, est paradoxalement amené à être la première victime de la mise en application de ses idées... Il est en fait déjà un vestige.

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  2. Il me semble que ceux qui se voient eux-mêmes comme des progressistes ne sont en fait que des bougistes, ou des nouveaulâtres, pour qui tout ce qui advient, y compris les innovations les plus franchement asilaires, ne peut relever que du “progrès”, pour la simple et unique et envahissante raison que cela n'existait pas avant.

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    1. Si vous me le permettez, je vous emprunte "nouveaulâtre", tant ce néologisme me semble être la synthèse de la non-pensée d'un certain nombre de nos contemporains.

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  3. Le progressiste a une vie bien peinarde car il n'a jamais besoin de justifier ses propos. "C'est nouveau, DONC c'est le progrès, DONC c'est le Bien".
    Moi, quand j'exprime une idée, on me demande toujours de justifier, d'expliquer, marre à la fin! Alors je m'amuse à faire la même chose avec eux : c'est très drôle de lire l'incompréhension dans leur regard...Puis l'incompétence.

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  4. Le blogueur de Un œil officie au CGB ?

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  5. Un bon mot pour le tome 3 de l’exegese des lieux communs. Beau boulot!

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  6. «Nous sommes en 1955, Herr Bramart !»

    https://youtu.be/_0JSdxdRjho

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