6 mai 2020

Gens qu’on aime : les Inconnus


Je vous entends soupirer. Je vous vois lever les yeux. « Quel intérêt y a-t-il à écrire un hommage à ce trio comique parfaitement connu de tous ? ». Précisément, le propos est de faire observer que malgré toute sa célébrité, la troupe que formèrent Bernard Campan, Didier Bourdon et Pascal Legitimus n’a pas la reconnaissance qu’elle mérite à mon humble et infaillible goût.

On prend bien la peine de déplorer que la Légion d’honneur soit attribuée à M Pokora, Mimi Mathy ou toute autre chiasse dont l’apport à la culture est négligeable voire déficitaire. Alors soyons cohérent : scandalisons-nous qu’une France digne de ce nom n’ait jamais songé à sacrer nos Inconnus Chevaliers des Arts et des Lettres. Car je l’affirme : ils laisseront après eux une œuvre bien plus qu’amusante : conséquente, populaire, et à la fois parfaitement perspicace sur son temps.

Il convient tout d’abord de remarquer comme cette œuvre a résisté au temps. Pour s’en convaincre, il suffit de visionner n’importe lequel de leurs sketchs télé et de le comparer à un Journal des Nuls, leur concurrent et mètre étalon exactement contemporain. D’un côté nous avons une satire finalement assez rare de la vulgarité médiatique et sociétale ambiante, de l’autre une simple débilité joyeuse, délire d’initiés et forts effluves d’années 80-90 dont le mérite qui subsiste est d’inaugurer la longue série d’humoristes dyslexiques que Canal+ saura produire à merveille par la suite. Chez Les Nuls, on cultive la nullité ; chez les Inconnus, on la déplore, on la démasque. Une dénonciation toujours faite avec le sourire, mais belle et bien présente et incisive.



Flics, talk-shows à la con, culture américanisée, journalisme grotesque, intellectualisme prétentieux, orgueil français… Très peu de sketchs des Inconnus sont pure gaudriole, gratuite et innocente de ce point de vue. Et ce n’est pas rien quand on y pense. Qui, sans eux, aurait pointé l’obscénité d’un Philippe Risoli, d’un Jacques Pradel, d’un Ardisson, d’un télé achat ? Qui aurait épinglé la vanité des politiques de subvention à la Culture ou à l’Audiovisuel ? Qui aurait donné un visage à la gabegie de l’Hôpital ou de l’Éducation nationale ? Sans l’humour des Inconnus, tout cela passait comme une lettre à la Poste et s’en tirait sans égratignure ou presque.

L’époque présente semble encore relever le sel de cette critique. Certes, nous sommes plus à même de la goûter aujourd’hui qu’à l’époque où l’on se retrouvait devant le bahut les lendemains de « Télé des Inconnus » pour se réciter les répliques cultes. Mais je crois aussi que la bêtise à laquelle nous sommes arrivés depuis quelques années aiguise leurs farces de façon rétrospective. Ce qui n’était à l’époque qu’une bonne boutade prend parfois des allures d’acte de bravoure. Sans tomber dans le « on ne pourrait plus dire ça aujourd’hui », le fait est que le sérieux social-démocrate a gagné du terrain. Le grotesque également. Si bien que ce grotesque qu’ils ont moqué est celui qui aujourd’hui gouverne la vie publique.

Je ne crois pas que les Inconnus aient été des humoristes de droite - si toutefois ce groupe nominal a du sens - avec l’aspect grinçant que cela sous-entend. Ils étaient au contraire largement populaires et bien moins clivants que la plupart des « one man show » actuels, qui se veulent rassembleurs mais font leur sauce à 90% à partir de stéréotypes de genre, de sexe, de races, de communautés, de riches/pauvres... « Eh les Blancs, vous savez ce qu’on dit nous les Arabes, quand vous faites ceci ou cela ? » (rires). « Eh les Asiatiques, vous savez comment on vous voit, nous les Noirs ? ». « Eh les filles, dans la salle, j’suis sûr que vous voyez c’que j’veux dire ! » (clin d’oeil). Les Inconnus n’étaient pas des humoristes de droite mais ils le sont aujourd’hui par la force des choses. Car quel citoyen engagé qui se respecte peut dodeliner à l’écoute du « Rap-tout » sans subodorer un incommodant relent de poujadisme ? Quel Insoumis devrait laisser passer les trop forts accents xénophobes de « Les Envahisseurs » ou « Ushuaia dans son froc » ? Quel centriste ne détecterait pas la navrante odeur de populisme qui transpire dans « La Vérité vraie » ?

De la même façon, comment imaginer qu’un Didier Bourdon aujourd’hui, avec tout ce qu’il a commis, ne fasse pas partie de ceux qui se désolent, mi-amusés mi-attristés, des conneries proférées par les associations, les films et téléfilms subventionnés et jusqu’aux représentants des fonctions les plus dignes de l’administration ? Peut-on se hasarder à croire qu’il lise davantage Philippe Muray que Raphaël Enthoven ? Et ne tient-on pas justement là la raison pour laquelle, si les Inconnus n’ont jamais reçu de distinction jusqu’à présent, leur chance d'en recevoir à notre époque fond comme neige au soleil ?



14 commentaires:

  1. Étant né dans les années 80, j'étais dans une situation paradoxale : les Inconnus de la grande époque (fin '80s-début des '90s, près de 30 ans !) faisaient partie de ma culture de façon passive, parce que « les grands » ne parlaient que de ça et que je regardais avec eux en riant à « Télémagouilles » mais sans comprendre le sous-texte de « L'Heure de la vérité vraie ».

    J'y suis revenu avec le haut débit et le « peer-to-peer » au début des années 2000 (qui se souvient de KazaaLite et eMule ?).

    Et quelque chose me dit que sans le téléchargement illégal, ils le seraient devenus tout à fait, les Inconnus...

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    1. Quand même... Entre YouTube et le fait que leurs carrières cinéma ait permis d'entendre régulièrement parler d'eux, je n'y crois pas une seconde.

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    2. Qui poste sur Youtube ? Les détenteurs des droits ? Ou des nostalgiques qui "rippent" leurs DVD ?

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    3. Ils y ont désormais un compte officiel qui publie leurs sketchs, comme d'ailleurs une grosse portion de célébrités y compris défuntes.

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    4. Oui, le compte Vevo qui republie les sketches in extenso et pas forcément les meilleurs passages... mais ce n'est pas de la culture vivante.

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  2. On pourrait ajouter que le passage au grand écran ne leur a pas fait que du bien : consensualisme mou, personnages caricaturaux et sans finesse, sketches étirés au-delà du raisonnable...etc.
    Le regard acéré qu'ils portaient sur les failles grotesques de la société s'est bien émoussé par la suite.

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    1. Il y a du mauvais mais il y a aussi de la comédie tout à fait acceptable. Les Trois frères feront partie des films rediffusés avec les de Funès lors du confinement 2050. Et je trouve plutôt positif que chacun d'eux se soit essayé dans son registre par la suite. J'ai pas bien suivi Campan mais il me semble un bon acteur, qui a voulu montrer qu'il était bon même sans perruque de bonne femme.

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  3. Fernandel, Bourvil, De Funes, puis Pierre Richard, et puis Les Inconnus. Après ça ?

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  4. Entièrement d'accord Xix. Canal + a réussi le tour de force de faire de ses abonnés des fans absolus un peu comme les abonnés de free ou de Raoult. Des adeptes inconditionnels. Alors évidemment dans ce contexte les nuls tout comme les césars ou le festival de Cannes permettaient de cultiver la pignole entre soi. Les inconnus c'était pour les autres, les beaufs quoi.
    Par ailleurs Canal+ a démarré à une époque où les radios libres se développaient, période d'ouverture audiovisuelle qui les a marqué de longues années empêchant toute analyse objective du contenu.

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  5. Les Inconnus sont fantastiques !

    Et Didier Bourdon, qui met du Bach dans ses musiques (Poésie), et du Schopenhauer dans ses sketchs (les Vigils), en lit aussi parfois.

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    1. Les chasseurs de ma famille rigolent toujours avec la galinette cendrée. Moi aussi d'ailleurs. Et aussi, le sketch sur l'hôpital public. C'est bien de s'en rappeler.

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  6. A l'époque, je rigolais à leurs sketchs tout en détestant leur côté café-théâtre dans la façon de jouer. Ils se sont amélioré depuis à titre perso. Mais, café-théâtre ou pas, ils avaient des qualités qui expliquent qu'ils ne soient pas oubliés : d'abord, ils ont su créer des gimmicks (Tu vas bien? Ceci ne nous regarde pas ? les bons chasseurs, etc). Ensuite, ils ont su aborder des thèmes glissants, ils ont su instiller de la critique gentiment, dans des numéros grand public. Enfin, comme le dit Xix, ils apparaissent magnifiques comparés aux comiques d'aujourd'hui, du moins ceux qui ont le plus de succès...

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    1. kobus van cleef10 mai 2020 à 16:13

      Mais quels comiques ont du succès, aujourd'hui ?
      Et qu'est ce que le succès ?
      Il y a des intemporels et puis il y a le rire ou plutôt le ricanement stérile
      De toutes façons, il sera bientôt interdit de rire ou de télécharger quelque-chose de rigolo non estampillé conforme par les autorités compétentes ( accélération du processus de validation de la loi Avia, c'est pour le 13 mai, bande d'anars, numérotez vos abattits !)

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