7 août 2020

Le souverainisme de Balzac

Dans Le Médecin de campagne, Balzac fait le récit d'un homme bienfaiteur qui par les conseils prodigués à un hameau misérable, le fait prospérer en commune florissante. S'ensuit une réflexion du médecin sur la façon dont une nation devrait être administrée pour connaître le même succès :

Hélas, on n'éclaire pas un gouvernement, et de tous les gouvernements, le moins susceptible d'être éclairé, c'est celui qui croit répandre des lumières. (...) Ce que nous avons fait pour ce canton, chacun devrait le faire dans la sphère d'intérêt où il agit. (...) Là où j'ai encouragé la fabrication de chapeaux de paysan, le ministre soustrairait la France au joug industriel de l'étranger, en encourageant quelques manufactures d'horlogerie, en aidant à perfectionner nos fers, nos aciers, nos limes ou nos creusets (...). En fait de commerce, encouragement ne signifie pas protection. La vraie politique d'un pays doit tendre à l'affranchir de tout tribu envers l'étranger, mais sans le concours honteux des douanes et des prohibitions. L'industrie ne peut être sauvée que par elle-même, la concurrence est sa vie. Protégée, elle s'endort ; elle meurt par le monopole comme sous le tarif. 
Le pays qui rendra tous les autres ses tributaires sera celui qui proclamera la liberté commerciale, il se sentira la puissance manufacturière de tenir ses produits à des prix inférieurs à ceux de ses concurrents. La France peut atteindre à ce but beaucoup mieux que l'Angleterre, car elle seule possède un territoire assez étendu pour maintenir les productions agricoles à des prix qui maintiennent l'abaissement du salaire industriel : là devrait tendre l'administration en France, car là est toute la question moderne. (...) 
De telles choses sont trop simples pour qu'on en compose une science. (...) Le bien obscurément fait ne tente personne. (...) Nous manquons essentiellement de la vertu civique avec laquelle les grands hommes des anciens jours rendaient service à la patrie, en se mettant au dernier rang quand ils ne commandaient pas. La maladie de notre temps est la supériorité. Il y a plus de saints que de niches. Voici pourquoi. Avec la monarchie nous avons perdu l'honneur, avec la religion de nos pères la vertu chrétienne, avec nos infructueux essais de gouvernement le patriotisme. (...) Maintenant, pour étayer la société, nous n'avons d'autre soutien que l'égoïsme. Les individus croient en eux. L'avenir, c'est l'homme social ; nous ne voyons plus rien au-delà. Le grand homme qui nous sauvera se servira sans doute de l'individualisme pour refaire la nation ; mais en attendant cette génération, nous sommes dans le siècle des intérêts matériels et du positif. (...) 
Nous sommes tous chiffrés, non d'après ce que nous valons mais d'après ce que nous pesons. Ce sentiment a passé dans le gouvernement. Le ministre envoie une chétive médaille au marin qui sauve au péril de ses jours une douzaine d'hommes, il donne la croix d'honneur au député qui lui vend sa voix. Malheur au pays ainsi constitué ! Les nations, de même que les individus, ne doivent leur énergie qu'à de grands sentiments. Les sentiments d'un peuple sont ses croyances. Au lieu d'avoir des croyances nous avons des intérêts. Si chacun ne pense qu'à soi et n'a foi qu'en lui-même, comment voulez-vous rencontrer beaucoup de courage civil, quand la condition de cette vertu consiste dans le renoncement à soi-même ? (...) Il ne suffit pas d'être un homme de bien pour civiliser le plus humble coin de terre, il faut encore être instruit ; puis l'instruction, la probité, le patriotisme, ne sont rien sans la volonté ferme avec laquelle un homme doit se détacher de tout intérêt personnel pour se vouer à une pensée sociale. Certes la France renferme plus d'un homme instruit, plus d'un patriote par commune ; mais je suis certain qu'il n'existe pas dans chaque canton un homme qui, à ces précieuses qualités, joigne le vouloir continu, la pertinacité du maréchal battant son fer. (...) En France, l'espèce de séduction qu'exerce l'esprit nous inspire une grande estime pour les gens à idées ; mais les idées sont peu de chose là où il ne faut qu'une volonté. L'Administration ne consiste pas à imposer aux masses des idées ou des méthodes plus ou moins justes, mais à imprimer aux idées mauvaises ou bonnes de ces masses une direction utile qui les fasse concorder au bien général. (...) Là comme ailleurs, j'ai toujours tenté de faire converger les intérêts des uns vers ceux des autres.
 

1 commentaire:

  1. « En fait de commerce, encouragement ne signifie pas protection. La vraie politique d'un pays doit tendre à l'affranchir de tout tribut* envers l'étranger, mais sans le concours honteux des douanes et des prohibitions. L'industrie ne peut être sauvée que par elle-même, la concurrence est sa vie. Protégée, elle s'endort ; elle meurt par le monopole comme sous le tarif. »

    A transmettre aux souverainistes actuels.

    RépondreSupprimer