30 mai 2007

A year without a summer

Eté 1816. Près de Cologny, sur les bords du lac Léman, Lord Byron est en exil : il fuit le scandale que la relation incestueuse avec sa demi-sœur Augusta Leigh a provoqué au sein de la bonne société anglaise, la débâcle d’un mariage catastrophique qui l’a poussé dans l’alcool et une violente dépression ainsi que la naissance récente de sa fille Ada. Accompagné de son médecin personnel, John William Polidori, qui veille sur son rétablissement nerveux, il a loué la luxueuse villa Diodati, vieille bâtisse du XVIIème siècle qui a vu passé entre ses murs l’illustre John Milton, proche ami du premier propriétaire des lieux. Seulement voilà, ce n’est pas le moment idéal pour prendre des vacances, pas plus en Suisse qu’ailleurs.


Partout en Europe comme aux Etats-Unis, un froid durable et des intempéries incessantes s’abattent : gel, tempêtes, orages et inondations sont le lot commun de tous en cette période que l’histoire retiendra sous le nom d’année sans été. Une grande majorité des récoltes sont fichues, des bêtes meurent, puis les hommes affamés aussi. Il en décède deux fois plus qu’en une année habituelle. La Suisse n’est pas épargnée, bien au contraire, au point que le gouvernement déclare l’état d’urgence concernant la famine nationale.

Pourtant, trois visiteurs anglais sont venus depuis mai tenir compagnie à Lord Byron et son médecin dans leur retraite helvète. Tous ont de bonnes raisons d’être là : le poète Percy Bysshe Shelley et sa compagne Mary Godwin mènent depuis deux ans une vie des plus dissolues, fuyant partout sur le continent le courroux du père de Mary, pourtant philosophe radical, qui accepte mal cette union libre pour laquelle Shelley a abandonné son épouse et ses deux enfants. Mary, qui ne deviendra Mme Shelley qu’à l’hiver suivant, est elle aussi dans un état psychologique pitoyable : elle a perdu un an auparavant leur première fille, née prématurée, et craint pour la santé de William, leur nouveau-né, Percy se montrant incapable de lui offrir la sécurité d’un foyer familial stable. Tous deux ont été entraînés ici sur l’invitation pressante de Claire Clairmont, demi-sœur de Mary qui, suite à une courte aventure avec Lord Byron quelques mois auparavant, est devenue folle de lui et le harcèle de lettres débordantes de passion. Elle vient là dans le secret espoir de faire changer d’avis le poète que ces effusions délirantes ont fait détaler : elle sait sans doute déjà qu’elle porte aussi son enfant. Le couple Shelley a loué la maison Chapuis à Montalègre, pas très loin de la villa Diodati. Ils resteront en Suisse tout l’été.

Le décor est planté, les protagonistes introduits. Aucun d’eux ne se doute alors que ce qui va se dérouler en ces lieux durant ces turbulentes semaines aura une influence retentissante sur la littérature mondiale. Tous sauf la femme énamourée qui les a réunis dans cette villa vont pourtant y prendre part activement.

La petite bicoque louée par Lord Byron. Bolloré peut aller se cacher...


Souvent cloîtré de force en ces pénates à cause du froid et des intempéries, le petit groupe tue le temps en discussions animées, consommation effrénée de laudanum et lectures collégiales. On se lit au coin du feu des histoires pour se faire peur, et notamment la récente traduction française d’un recueil de contes fantastiques allemand, Fantasmagoriana. L’auteur du fabuleux roman gothique Le moine, Matthew G. Lewis, passe même saluer les illustres vacanciers et leur livre enthousiasmé, en traduisant au débotté, des passages entiers du premier Faust de Goethe, avec qui il a eu le plaisir de faire connaissance quelques années auparavant.

Puis un soir, le 16 juin 1816, alors qu’ils sont bloqués depuis trois jours à l’intérieur de la villa Diodati par d’incessantes averses, Lord Byron lance un défi à ses amis : chacun devra écrire une "histoire de fantômes", le vainqueur étant celui dont le récit sera le plus effrayant. Shelley, peu doué pour la prose, abandonnera très vite. Byron n’écrira lui-même qu’un fragment de conte sur la légende des vampires, dont il avait entendu parler lors de son séjour dans les Balkans, fragment qu’il recueillera ensuite dans son poème Mazeppa. Les seules réelles contributions viendront de ceux dont on aurait attendu le moins : Mary et le docteur Polidori, deux écrivains amateurs. A eux deux, et par la grâce alchimique d’un hasard qui avait réuni en un lieu et un temps à nul autre pareils ces personnalités atypiques, ils vont engendrer trois des figures les plus illustres de la culture populaire moderne : le vampire, le savant fou et la créature de Frankenstein.

John Polidori, reprendra là où s’est arrêté Lord Byron, et publiera en 1821 son propre conte fantastique, The Vampyre, qui, suite à un malentendu, sera un temps attribué à Byron lui-même, mais connaîtra un retentissant succès et la progéniture que l’on sait. Cependant, Mary, elle, en cet été pluvieux, cherche encore désespérément un sujet de conte. Une nuit, Byron et Shelley, tous deux férus de science, devisent longuement des expériences récentes en biologie : les recherches du docteur Darwin, le galvanisme, l’électricité, la transmission du principe vital… Mary les écoute religieusement et n’en perd pas une miette. Au petit matin, la conversation entre les deux poètes s’achève et le couple Shelley part se coucher. Mary tarde à trouver le sommeil tant elle est obsédée par les visions pétrifiantes qui l’assaillent :

"Je vis, les yeux fermés, mais avec une forte acuité mentale, je vis le pâle apprenti en sciences interdites s’agenouiller aux côtés de la créature qu’il avait assemblée. Je vis, étendue de tout son long, cette créature humaine hideuse née d’un fantasme donner signe de vie sous l’action de quelque machinerie puissante, puis s’animer d’un semblant de vie en un mouvement maladroit. Cela était naturellement terrifiant car les tentatives de l’homme pour singer la démarche prodigieuse du Créateur du monde ne peuvent que causer une horreur suprême." *

"...the hideous phantasm of a man..."


Elle commence dès le lendemain à rédiger son histoire, mais Percy Shelley, pressentant certainement le potentiel d’un tel sujet, lui conseille de ne pas s’arrêter à sa visée initiale de simple conte et de développer son idée dans une mesure plus ambitieuse et appropriée afin d’écrire une véritable œuvre littéraire. Moins de deux ans plus tard, elle fera paraître, sans nom d’auteur, une première édition de Frankenstein ou le Prométhée moderne. La science-fiction est née!

Car contrairement à ce que l’époque et le décor dans lesquels se déroule l’intrigue de ce roman pourraient laisser penser, il ne s’agit pas d’un roman gothique, et moins encore d’un roman fantastique.** Pour la première fois, une histoire imaginaire prend pour postulat de départ une avancée supposée des sciences modernes. Qui plus est, de la thématique prométhéenne du savant fou à celle du progrès comme source potentielle de danger et de souffrances, tous les grands sujets du genre à naître sont déjà réunis en ce chef d’œuvre. D’ailleurs pour se convaincre de la nature véritable du roman, et de son rôle déterminant de pionnier, il suffit de relire les lignes inaugurales de la préface que Percy Bysshe Shelley avait rédigé, au nom de son épouse, pour l’édition originelle de Frankenstein :

"Le Dr Darwin et quelques physiologistes allemands ont donné à entendre que le fait sur lequel se fonde cette fiction ne relève nullement de l’impossible. Qu’on n’aille pas imaginer que j’accorde une foi aveugle à une telle hypothèse ; néanmoins, je n’ai pas eu le sentiment, en m’en inspirant pour mon récit, de tisser une toile de terreurs purement surnaturelles. L’événement qui se trouve à l’origine de mon histoire ne présente pas les inconvénients inhérents aux simples récits de fantômes et de merveilleux. Il s’est imposé à moi par la nouveauté des situations qu’il autorise, et bien que constituant une impossibilité sur le plan physique, il permet à l’imagination de cerner les passions humaines de manière plus complète et plus riche qu’un enchaînement de faits réels." ***

Voilà la première profession de foi d’un auteur de science-fiction, assumant pleinement les conséquences de la singularité de son récit et créant par là même le contrat de lecture qui sera désormais, à peu de choses près, invariablement celui de toute la littérature d'anticipation.

Bien des ouvrages ont été écrits au sujet de la genèse de Frankenstein et du séjour en Suisse des Shelley en compagnie de Byron. D’importants essais, mais aussi, tant les circonstances profondément romanesques de cette histoire s’y prêtent, pléthore de fictions. Emmanuel Carrère, notamment, a écrit un roman librement inspiré des faits historiques ayant pris place cet été 1816 dans la villa Diodati, Bravoure. Un auteur argentin, Federico Andahazi, a publié quant à lui sur ce sujet un court roman fantastique intitulé La villa des mystères. Enfin Tim Powers, romancier américain, a tiré de cette étonnante aventure littéraire la base de son incroyable gonzo épico-historique, Le poids de son regard, dont Byron, Shelley et Keats sont quelques-uns des plus éminents protagonistes. Mais le mythe est encore fécond. Cet été-là, si la terre resta désespérément sèche, une graine des plus fertiles et vivaces fut planté au cœur de la littérature de genre, qui nourrira et ravira encore longtemps tous les amateurs d’imaginaire.

A venir, l'épisode 2 de nos aventures en terres science-fictives : une brève histoire du mouvement luddite. Stay tuned!

* : Frankenstein ou le Prométhée moderne, préface de 1831, traduction de Paul Couturiau.
** : Les producteurs de l'âge d'or d'Hollywood ne s'y trompèrent pas, eux qui eurent la géniale intuition visuelle d'apposer des boulons sur les tempes de la sinistre créature!
*** : idem, préface de 1817, même traduction.

18 commentaires:

  1. Agréable voyage.
    Vivement l'épisode 2 !

    Y'avait eu un film ('Gothic') sur ce séjour agité chez Byron, plutôt raté d'après ce dont je me souviens.

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  2. Ah ben ça fait plaisir !

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  3. Frankenstein est un roman extraordinaire à plus d’un titre. Le film Gothic n’est pas si mal car les acteurs (Gabriel Byrne pour Byron, Thimoty Spall pour Polidori et Julian Sands pour Shelley) sont excellents. Sinon la relation de Byron avec sa demi-sœur relève de la science-fiction. Ils étaient très proches mais n’ont jamais commis l’inceste contrairement à se que tout le monde croit. Ce sont des ragots qui furent colportés à l’époque et qui ont la vie dure de nos jours.

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  4. Ah le CiGBi a retrouvé le chemin du percuteur ! 4 posts de qualité qui font plaisir à lire ! Félicitations à Z, Reune et NW. Egalement à Sky : deux passages chez Lolo Ferrari. Chapeau bas.

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  5. Les rumeurs ont la peau dure, en effet, Atlantis, et je suis désolé d'avoir contribué à la colporter, mais "très proches" est presque un euphémisme. Entre frère et soeur, rien de plus normal après tout, mais cela étant, ça explique sans doute les soupçons qui purent peser sur la nature de leur rapport. Ce n'est pas comme si Byron avait été un dragon de vertu, hein?

    A part ça, faudra que je vois Gothic.

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  6. En fait il s'agit surtout d’une basse vengeance via la presse britannique à la botte du pouvoir (The Sun est autres torchons de l'époque, et oui déjà) qui voulait faire payer à Byron ses opinions franchement pro républicaines et napoléoniennes ainsi que ses penchants anti-anglais et carrément pro écossais (voire son discours à la chambre des Lords). Aucun biographe sérieux ne peut prouver que le Lord ait tronché sa soeur, pour parler vulgairement. Pour ce qui est de sa vertu, il ne s'est jamais caché de son libertinage contrairement à la noblesse anglaise de l'époque qu'il méprisait allégrement. Ce n'était peut être pas un saint mais il est mort en Grèce pour la liberté d'un peuple qui n'était pas le sien.
    Un tel désintéressement ne se voit pas si souvent dans la noblesse, qu'elle soit anglaise ou d'ailleurs.

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  7. Atlantis, tu prêches un converti! Je ne disais pas ça d'un ton méprisant à l'encontre du grand Lord. Tu penses bien, un gars capable de foutre en rogne toute la noblesse anglaise en soutenant Napoléon et, entre autres révoltes, le mouvement luddite, ne peut que m'être profondément sympathique. D'ailleurs pour les Grecs, c'est presque un saint!

    Ce qui n'empêche que ses relations avec la gente féminine furent pour le moins houleuse...

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  8. Et vos mères, elles ont niqué avec vos grands-oncles ??

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  9. je retourne ma veste toujours du bon côté! hein smoking christ?

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  10. Marrant comme c'est toujours les anonymes qui dsent les choses les plus profondes sur ce site.

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  11. riririririiririr rantanplanmann. je retourne pas ma veste : je suis beau joueur. et je t'encule toujours profondément.
    enjoy ?

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  12. je sens pas grand chose p'tite bite!Un vrai joueur d'"ECHECS" quoi...

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  13. il est vrai que j'adore Fedor et les pertes d'organe mentales de ton genre.

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  14. il fallait comprendre Steph et pas Fedor. L'idiot ouais, qu'est pas si con que ça.

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  15. "il fallait comprendre Steph et pas Fedor" alors pourquoi tu me parles de Fedor cf "j'adore Fedor"??? et puis c'est Stefan et pas steph! La sodomie ça fatigue hein?

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  16. "le joueur" et "le joueur d'échecs"...
    Ta mère a été insatiable pour sa fête...
    PS : t'es brune non ?

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  17. Je suis tombée sur ces commentaires par hasard.
    Juste en passant : si tu sous-entends par ton "PS : t'es brune non ?" qu'il pourrait s’agir de moi … dommage de te décevoir, il n'en est rien ! Je ne suis pas si vulgaire, contrairement à certains ok ?

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