15 juin 2006

Henry de Monfreid



Fils d’un peintre et graveur, Henry de Monfreid n’a connu qu’une existence des plus banales avant de quitter son emploi, sa femme et la France à 32 ans pour se lancer tête baissée à l’aventure et devenir un grand flibustier et un immense écrivain.

Le 14 novembre 1879, George-Daniel de Monfreid, artiste peintre né à New York 23 ans plus tôt et son épouse Amélie, sont bien heureux de voir naître leur fils Henry dans leur village de l’Aude. Le père et le fils vont très vite devenir inséparables, d’ailleurs à l’âge de six ans, Henry fera sa première navigation sur le bateau de son père, le Feu Follet qui l’emmènera jusqu’à Alger.
La famille s’installe bientôt à Paris où le petit Henry fréquente l’Ecole Alsacienne et les peintres Matisse, Violet, Gauguin et Maillol qui rendent souvent visite à son père dans son atelier. Mais ses parents finiront par se séparer, ce qui affectera grandement le jeune garçon qui n’a que 7 ans au moment des faits. En 1893, alors qu’Henry est au lycée de Carcassonne, Gauguin va s’embarquer pour Tahiti et on peut affirmer que la décision du peintre de tout plaquer pour des horizons nouveaux fera un long chemin dans le crâne du jeune homme.
Titulaire du baccalauréat en 1897, Henry va faire les classes préparatoires aux grandes écoles au lycée Saint Louis de Paris. Ce sera un échec. A 21 ans, il va se mettre en ménage avec une certaine Lucie Dauvergne, déjà mère d’un enfant. Commencent alors dix années de galère ponctuées d’innombrables petits boulots qui finiront par le mener, à 27 ans, comme chef de service responsable de la récolte de la crème chez la Société Laitière Maggi. Nous sommes en 1906 et entre temps il a été réformé du service militaire en 1901, fait la douloureuse expérience de la perte de sa mère en 1902 et devient père en 1905.
En 1907, la petite famille s’installe à Fécamp où Henry peut enfin sortir en mer sur une barque. L’année suivante il quitte son emploi sur un coup de tête et achète une ferme, les Trois Moulins, près de Melun où il va produire et commercialiser son lait. Deux ans plus tard, sa vie va basculer du tout au tout. Il va vendre sa ferme qui marche mal, se séparer de Lucie et va tomber gravement malade de la fièvre de Malte. Il passera sa longue convalescence chez son père où il rencontrera Armgart Freudenfeld, la fille de l’administrateur allemand de l’Alsace. Malade, se croyant au seuil de la mort, il va remettre sa vie en cause et décider de la changer du tout au tout.
L’année suivante, à 32 ans, il part pour l’Abyssinie où il va s’associer avec un certain Guignony, négociant en cuir et en café, et commencer une volumineuse correspondance avec son père et Armgart. Il va également s’acheter un boutre, se mettre à la peinture et la photographie et commencer son exploration des côtes de la mer Rouge ainsi qu’un prolifique trafic d’armes. Révolté par le mode de vie coloniale, il se fond très tôt à la population indigène et apprend leur langue. En 1934 il s’installe à Djibouti après s’être querellé avec Guignony et le 10 août, il épouse Armgart. En janvier et février de l’année suivante il fait un voyage de reconnaissance en mer rouge et le relate avec détails dans son journal de bord. Gisèle, sa première fille avec Armgart, naîtra le 15 avril de cette même année. C’est également l’année où éclate la grande guerre et malgré son statut de réformé, Henry souhaite partir au front. Il n’y parviendra pas. En décembre il est incarcéré sur dénonciation à la prison de Djibouti pour trafic d’armes et infraction au code des Douanes. Il n’en sortira qu’en mars 1915, après quinze longs mois.
Deux mois plus tard, certainement chargé par le gouvernement français d’aller espionner les Turcs en mer Rouge, il met le cap sur la Grèce où il achète une grosse cargaison de hachich qu’il va vendre en Egypte après avoir fait l’espion à Mokha. Entre temps il s’est converti à l’Islam, religion de son équipage, et a pris le nom d’Abd el Haï (esclave de la vie).
En 1916, ce flibustier de 37 ans, force le blocus anglais en transportant des travailleurs vers Aden au Yémen. L’année suivante il obtient son diplôme de capitaine au long court mais se fait expulsé d’Aden par les Anglais. Ces mêmes Anglais, qui le soupçonnent à juste titre de trafic d’armes, vont le faire incarcérer à Berbera. Mais son statut d’espion lui vaudra l’aide du gouvernement français et il sera très rapidement libéré.
La guerre touche à sa fin et Henry recommence son exploration et ses trafics lorsqu’il fait naufrage en mer Rouge, au sud d’Assab. En 1921 il construit lui-même son nouveau boutre, l’Altaïr, et reprend la mer pour trafiquer le hachich entre Bombay et l’Egypte via la mer Rouge. Cette même année Armgart lui donne une seconde fille qu’il prénommera Amélie, comme sa défunte mère. L’année suivante c’est un garçon, Daniel, qui voit le jour. On lui vole également sa cargaison de hachich et il va poursuivre les détrousseurs toutes voiles dehors du Kaïpan jusqu’aux Seychelles où il les rattrape et reprend son dû. Il vendra ces douze tonnes de hachich au nez et à la barbe des Anglais en Egypte et investira la petite fortune qui en découle dans une usine électrique et une minoterie à Diré-Daoua, en Ethiopie. Nous sommes en 1923 et cette année là son père George-Daniel fait le grand voyage pour venir lui rendre visite dans sa maison éthiopienne d’Araoué.
En 1926 Henry va rencontrer le père Teilhard de Chardin, un homme avec qui il va se lier d’une profonde amitié. La même année à Djibouti il tue un homme du nom d’Heibou pour une sombre histoire de traîtrise. Il sera incarcéré l’année suivante pour ce meurtre et pour trafic de stupéfiant. L’affaire devient politique et Henry sort de prison pour non lieu après cinq mois. Son père meurt l’année suivante, en 1929. Il avait 73 ans, Henry vient d’en avoir 50.
En 1930, Henry va s’acheter une maison à Neuilly et rencontrer Joseph Kessel, 32 ans, avec qui il mènera une enquête sur le trafic d’esclave en mer Rouge. Henry écrit depuis plus de vingt ans sur des journaux de bord ou dans ses innombrables lettres mais c’est Kessel qui va éveiller sa vocation d’écrivain.
C’est ainsi que parait, en 1931, Les Secrets de la Mer Rouge, son premier ouvrage qui va immédiatement rencontrer le succès et obtiendra le Prix des Vickings en 1932. Vers les Terres Hostiles de l’Ethiopie, qu’il publie en 1933, lui vaut, pour sa part, d’être expulser de ce pays par Haïlé Sélassié. Qu’à cela ne tienne, le voilà correspondant de guerre au Yémen, en 1934, puis dans le conflit italo-éthiopien, en 1936. En 1937, il joue à 58 ans son propre rôle dans le film adapté de ses Secrets de la Mer Rouge. Armgart, qui lui avait caché sa maladie, meurt à Neuilly l’année suivante. Fortement ébranlé par cette perte, Henry va redoubler d’efforts en écriture.
Au début de la seconde guerre mondiale, il refuse de quitter l’Ethiopie, où il est revenu depuis 1936, suite à la déclaration de guerre faites à l’Italie par la France. Dénoncé anonymement aux Anglais comme espion, il est arrêté et déporté au Kenya en 1942. Encore une fois, un non lieu le fera libérer. Il s’installera au pied du mont Kenya pour écrire et ne rentrera en France que cinq ans plus tard. Mais même à 72 ans, il ne va pas se calmer. En 1951 sa consommation excessive de stupéfiants lui vaut des démêlés avec la justice française mais il fait son entrée dans le Larousse l’année d’après.
A 79 ans, tout le pays le croit perdu en mer alors qu’avec son fils Daniel il a tenté de rallier l’île Maurice à partir de la Réunion où il doit donner une conférence. Octogénaire, il continue de naviguer sur l’Obock, le voilier conçut par son fils et va se lier d’amitié avec Jean Cocteau. En 1966, il est, à 87 ans, conseiller pour un téléfilm tiré de ses Secrets de la Mer Rouge. Il publie son soixante-quinzième et dernier ouvrage, Le Feu de Saint Elme, en 1970 et s’éteint quatre années plus tard à l’âge de 95 ans.
Il fut, de son vivant, traduit en plus de douze langues dont le russe et le chinois.

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