17 octobre 2006
Du populisme
" Elle ne sentait pas très bon cette campagne " a déclaré aujourd'hui la rebelle Pascale Clarke à Michou Rocard au sujet du référendum de 2005... Oui, elle ne sentait pas très bon car elle a mis le nez des élites dans leur propre merde... Oh oui, la campagne ne sentait pas bon, le vote et le suffrage universel ça daube aussi! Carrément le suffrage universel c'est populiste!
Le mot "populisme" est sur toutes les lèvres et sous toutes les plumes. Le terme est si utilisé qu’il en serait presque galvaudé. Retour sur un concept déjà vieux de 200 ans.
Le populisme est en vérité une notion possèdant néanmoins plusieurs variantes...
Le mot "populisme" a été inventé lors de la seconde moitié du XIXe siècle par des intellectuels révolutionnaires anti-tsaristes russes (Véra Figner) et correspond peu ou prou au mot "narodnik" (on parle de narodnicisme). Ces derniers idéalisaient les paysans, leur mode de vie et surtout l’âme du peuple russe.
Curieux effet de miroir, un autre populisme voit le jour en 1890 aux Etats-Unis avec le "People’s party", prenant appui sur les petits propriétaires terriens voici ce que déclarait l’une d’entre eux venant du Kansas [1] :
"Wall Street possède le pays. Nous n’avons plus un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, mais un gouvernement de Wall Street, par Wall Street et pour Wall Street. Nos lois sont le produit d’un système qui pare les fripons d’une robe de juriste et qui habille l’honnêteté de guenilles. Le peuple est aux abois : que les limiers de l’argent qui nous harcèlent prennent garde."
C’est ainsi qu’en 1892, le général James B. Weaver, vétéran de la guerre de Sécession échoua aux élections présidentielles face aux partis démocrate et républicain. Malgré un bon résultat avec un million de voix, le "People’s party" finit par rallier en 1896 les démocrates de Bryan.
En vérité au début du XXe siècle, le populisme est indissociable de l’agrarianisme. A l’instar de certains partis en Europe centrale et orientale comme les roumains du Parti paysan de Stere, les mouvements agrariens en Pologne (le Parti paysan Piast), en Bohémie (le Parti des fermiers et des petits paysans)ou en Serbie (le Parti agraire serbe).
C’est dans les années 1930 qu’apparaît le fameux populisme latino-américain : avec un discours pétri de justice sociale et anti-élitiste et l’instauration d’une tradition plébiscitaire. De Juan Domingo Peron (Argentine) à Hugo Chavez (Vénézuela) en passant par Abdala Bucaram (Equateur) Salvador Allende (Chili), Pepe Figueres ( Costa-Rica) sans parler bien sûr de Fidel Castro et Che Guevara.
En France, le mot "populisme" usé par les journalistes depuis 1995 englobe diverses tendances, pas toujours compatibles : ainsi certains peuvent qualifier la tendance bonapartiste de la droite française de "populiste" : du Général Boulanger à l’exercice personnel du pouvoir du Général de Gaulle. D’autres désignent sous le terme de populiste l’extrême-droite française ou Européenne : La ligue des patriotes de Déroulède, Jean-Marie Le Pen , Pierre Poujade, Pim Fortuyn, les partis antifiscaux et plus recemment Philippe de Villiers. Enfin certains voient dans certains socialistes ou marxistes, la figure du populisme soit José Bové ou Olivier Besancenot, Jean-Luc Mélenchon ou Arnaud Montebourg et même Laurent Fabius.
Aux USA, les populistes ont été depuis longtemps contenus, en particulier en incorporant certains de leurs éléments doctrinaires : dans les années 1930 c’est le discours sur les "barons-voleurs" de Roosevelt. Dans la décade de 1950, c’est l’exaltation des "bons américains" de Mac Carthy ; mais c’est aussi plus tard la croisade anti-corruption puis en faveur des plus démunis de Robert Kennedy.
En vérité, jusqu’aux années 80 le populisme aux USA a plutôt profité aux démocrates jusqu’à l’émergence d’un néopopulisme religieux marié à du néolibéralisme économique inventé par Reagan et ses conseillers. Néanmoins 1992 et 1996 ont vu la réemergence d’un populisme américain hors partis et anti-élites avec les candidatures d’un Ross Perrot ou d’un Pat Buchanan. Aujourd’hui GW Bush semble avoir "endigué" ce populisme à la manière d’un Reagan, c’est ce que tentent dans une moindre mesure Nicolas Sarkozy ou surtout un Christophe Blocher en Suisse.
Usité sans vraiment de cohérences ( le président de la Commission Européenne Barroso n'a -t-il pas traité le président Chirac de populiste), le populisme est partout. On peut même dire que toute protestation velléitaire au nom du peuple est aussitôt traitée de "populiste", tout leadership est soupçonné de caudillisme (François Bayrou un populiste ?), toute critique de l’establishment est empreinte du sceau de l’infâmie populiste.
Le sociologue Guy Hermet [2] avance que le néopopulisme a été mis en place par ces mêmes élites politiques, qui pour se faire une place facile au soleil, et à force de communication politique ( phrases courtes, mise en scène de la vie privée... hein Ségo?) ont simplifié le débat jusqu’à l’extrême afin de s’adresser "aux masses".
Ce discours-publicitaire a en réalité créé un nouvel avatar du populisme dans lequel le "pathos" a pris le pas sur le "logos".
Malheureusement sous les oripeaux de "la France des oubliés" et de "la France qui souffre", derrière les flashs de Paris-Match et de Gala se cache souvent un mépris réel du peuple, ce "populisme des élites" est alors loin des aspirations d’un George Orwell ou d’un Jack London.
Du populisme agraire au "National -populisme" ou au "Télé-populisme"... La notion de populisme semble au fil des ans se conjuguer au pluriel.
[1] Halimi Serge , "Le populisme, voilà l’ennemi", Le Monde Diplomatique, février 1996.
[2] Hermet Guy, "Le populisme dans le monde : une histoire sociologique (XIX-XXe s), Paris, Fayard, 2001.
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René Jacko
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Populisme et fascisme : deux mots utilisés à tort et à travers par les médias et les politiques, aujourd'hui vidés de tout sens, gardes-fou contre toute idée politiquement incorrecte dérangeant l'estblishement.
RépondreSupprimerExcellent article René, chapeau bas !
RépondreSupprimerMerci Atlantis!
RépondreSupprimerCertes mon cher Christ d'ailleurs tu as dû voir que l'adjectif "populiste" est antérieur (1907)... Je me situe essentiellement sur le terrain historique mondial, le mot "populiste" étant antérieur à 1912 aux USA et en Russie.
Pour le pathos et le logos c'est l'excès de pathos non contenu par le logos que je dénonce.
Merci bien!!!
RépondreSupprimerHé dire que je connaissais des électeurs de Ross Perrot... En effet, Bayrou ne parle pas forcément à notre cerveau reptilien comme Le Pen, Sarko ou Ségo.
L'essentiel est d'avoir le bon dosage entre ce qui relève du domaine de l'émotion et de la raison, ah l'animal social définit par le logos oui... Mais on demeure des animaux.