15 janvier 2015

Je vise juste

Les frères Quetschi : des têtes de gland ?

Ce qu'il y a de sidérant dans l’attentat des frères Kouachi, c'est la justesse dans le choix de la cible. On ne pouvait mieux atteindre le cœur français. Auraient-ils visé une ambassade ou un bâtiment que cela aurait fait un sujet au JT de 13 h. Auraient-ils sévi dans Notre-Dame ou dans une gay pride qu’une frange de la population serait restée indifférente. Auraient-ils tiré au hasard dans la foule que la charge symbolique eut été bien moindre. Et l’on aurait conclu à « l’acte de déséquilibrés ».

Mais exécuter une rédaction entière, une rédaction de caricaturistes, et quels caricaturistes : des figures comme Cabu et Wolinski qui, qu'on les aime ou pas, qu'on les lise ou pas, font partie de notre paysage depuis toujours, et de celui de nos parents... S’en prendre à la satire, à l'esprit de gaminerie tout en même temps qu'à des messieurs de 80 ans. Liquider l'esprit 68, la subversion institutionnelle, chose pour laquelle tout le monde a forcément un peu d'affection quoi qu’il en dise...

Sans même le savoir, les terroristes ont frappé une cible constitutive de la France des 40 dernières années. Sans le savoir car ils n'ont sans doute pas fait exprès : eux se sont contentés de choisir sur la liste la cible blasphématrice qui était à leur portée, et sont allés la zigouiller. Point barre. Ils ne savaient même pas qui étaient ces gens, à l’instar des midinettes d'aujourd'hui qui, quand Kanye West fait un duo avec McCartney, n'ont pas la moindre foutue idée de qui est McCartney... Ils n'ont pas fait exprès, mais ont accompli une symbolique qui les dépasse. Une allégorie de ce que nous sommes et d’où nous en sommes. C’est cela, qui sidère tout le monde inconsciemment.

Ce qu’ils ont dégommé,
c’est la figure de l’oncle gauchiste (et d’une même pierre celle du cousin anar), doux complaisant, papyboumeur, bienveillant, bien français, qui adoucit les mœurs, plaide pour le laisser-aller, laisser-faire, laisser-passer… qui « lutte contre le fascisme » depuis les années 60, qui ne veut entendre parler ni de religion, ni de racisme... L’oncle gauchiste qui ne voit de danger que dans le Pape et les Nazis, pendant que dans son dos, fleuri le problème des banlieues qu’il recouvre de sa culture de l’excuse. Cabu, Wolinski, représentent ça : la génération qui certes, s’est bien marrée, mais qui laisse après elle ses dettes, ses retraites et ses communautés non assimilées.

Parce que Charlie était incapable de cibler le vrai problème de l’islamisation des banlieues - parce qu’il n’était pas programmé pour, Charlie visait le Prophète. Faute de mieux. Charlie visait mal, et s’est trouvé un jour face à deux allumés qui eux visaient très juste. C’est cela qui fait si mal aux yeux : de voir que le premier décret de la loi islamique sur le sol français aura été de lapider ceux-là mêmes qui l’ont laissée grandir, qui l’ont couvée et tolérée. C’est toujours ainsi que ça se passe, dans les films de créatures : le monstre, en sortant de son œuf, commence toujours par bouffer le vieux savant fou qui l'a engendré et qui l’a regardé éclore, fasciné.


C’est cela, c’est cette fresque dessinée à coups de kalachnikov, qui sidère tout le monde et que tout le monde fait semblant de ne pas voir. Les gens qui, choqués à juste titre, s'offusquent que puisse fléchir la « liberté d'expression » (en réalité le droit au blasphème), sont les mêmes qui expliquaient hier aux sceptiques de la mosaïque communautaire, que la France c’était comme ça désormais, qu’elle avait un nouveau visage pluricolore et qu’il fallait en prendre acte que ça plaise ou non. Le problème est qu’il ne s’agit pas de visages et de couleurs, il s’agit de croyances, de cultures, de « vivre ensemble » justement. Peut-on laisser cette multiculture se développer à l’aise dans ses ghettos culturels, et en même temps demander qu’elle réagisse à une seule et même sensibilité lorsqu’il s’agit d’humour ou de liberté d’expression ? S’agit-il de n’accepter le Noir que tant qu’il pense comme un blanc ? Le musulman que tant qu’il fait semblant de ne pas en être un et qu’il garde sa religion cachée dans la baignoire ?

Le dimanche 11 janvier, sous les pancartes façon « reporters sans frontières », c’est cette remise en question que l’on cachait pudiquement, et cette interrogation stupéfaite : que va-t-on faire maintenant ? Un cortège va d’un point A à un point B ; dimanche, nous marchions non pas dans un cortège mais dans une déambulation stagnante de gens qui ne savaient pas où ils voulaient/devaient aller. La France-Charlie n’avait « pas peur », clamait-elle. Elle n’avait « pas peur », elle était juste hébétée.

 

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