25 octobre 2009

Buzzodrome


D’aucuns s’inquiètent de la bien portance de l’information en France. En 2009, d’aucuns s’inquiètent encore de la bien portance de l’information en France… Dans la ligne de mire de ces combattants masturabattoirs d’arrière-garde, le buzz, défini par eux comme l’appropriation dégénérative de l’information par la masse des citoyens voraces et vandales, aigris, en quête de la réalisation sur terre, du royaume des cieux de l’Egalité… Effectivement, ils ont raison sur un point : le détournement ; nous n’en finissons plus de dégueuler l’indigeste information indigente, cirrhosée et cyanosée, dont on nous gave en continu… Nous sommes devenus parfaitement boulimiques : la vengeance est un plat qui se vomit.



Internaute


Qu’est-ce qu’un buzz ? Un buzz, c’est une onomatopée de bande dessinée. Un buzz, c’est le son correspondant au vol en essaim de tout type d’insectes ailés : moustiques, frelons asiatiques ou mouches sarcophaga carnaria, au choix. Un buzz est un bourdonnement d’insectes... Aujourd’hui, l’onomatopée a fait du chemin. Le buzz est bien toujours un bruit, mais les bruiteurs sont d’une toute autre nature, quoique... Le buzz définit l’événement qui fait du bruit dans la communauté de l’homo internatus. Le buzz vient en effet du métamonde informatique mis en réseau : Internet. Sur Internet, un buzz, c’est une quantification de mots-clefs et de pages lues concernant un sujet, mesurable en temps réel. Un buzz, c’est donc une audience, un audimat, qui renseigne instantanément sur l’intérêt du moment des hommes versatiles à exosquelette AZERTY, une masse de consommateur élaborés, gavés à l'immédiateté hightech. Or, dans notre société de consommation, le bruit, c’est nécessairement de l’argent. Rien d’étonnant que tout vire tintamarre, tohu-bohu, charivari : au buzz ! Le vacarme est constant.


Les internautes buzzent un arbre


Le buzz c’est la finalité du marketing : on cherche à faire connaître, à ébruiter, pour susciter l’intérêt, l’attention et plus si affinités : le besoin. Le consommateur n’est-il pas d’ailleurs volage, volatile et volubile ? Parfait insecte ! Il butine, tranquillement, libre de se poser sur tel ou tel pistil… Il s’ennuie ? Probablement : la société de consommation doit organiser l’ennui, pour créer de la demande de divertissement, satisfaite en rayons ou en guichets. Elle en offre à vendre et à revendre, pour tous les goûts, pour toutes les bourses. Les agents marketing doivent sans cesse innover, promouvoir la nouveauté, créer de nouveaux besoins impérieux pour vendre. Pervers. Le consommateur, à chaque achat de produit ou service inhérent à sa sur-survie, doit pouvoir proclamer à la face du monde qu’il est enfin lui, parfaitement, définitivement, idéalement… quand il est déjà obsolète au moment même où il s’enrichit du dernier cri novateur encore empaqueté… « Je vous présente Moi ! Le Moi définitif ! », inlassablement pensé et répété : l’univers est fini, pas le Moi de l’homme post-moderne à appendices technologiques, ouvert sur l’infinitude immédiate du néant… Le Spectacle atomise et déstabilise. La quête d’identité du consommateur doit être irréalisable. Pour ce faire, il faut faire du bruit, assourdir pour étourdir, déboussoler, faire perdre les repères sensoriels, buzzer. L’ère est au tapage publicitaire déshumanisant ! La loque doit est prête pour la grande séance d’hypnose, le grand sommeil… Beaucoup trop de bruits pour rien… Le contrôle.


"C'est Baygon jaune qu'y fallait ! Merdeeeuuu !"


Le buzz renseigne le Spectacle sur le numéro qui fait le plus d’entrées à un instant t. Le buzz est une information. Quid de l’information dans notre société du Spectacle (Moment de l'Histoire où l'impératif, passé de l’être à l’avoir, est passé de l’avoir au paraître), boostée aux métamphétamines du multimédia et de la consommation en temps réel ?
Question d'image(s) ? Elle pourrait parfaitement recouper la Com, c'est-à-dire la communication comprise dans une acception restrictive : il ne s’agit pas d’échange qualitatif de messages entre un émetteur et un récepteur, mais de la considération a priori déclarée qualitative du message (de l'information) d’un émetteur, dont on fait la publicité pour le vendre, et de l’appréhension de la réponse du récepteur en termes quantitatifs (achats, retours, votes, buzz). La Com, c’est une communication à sens unique, faite pour vendre.
L'information est aujourd'hui systématiquement enrobée de couches sirupeuses de pathos et si possible d'une mégaconque de spectaculaire. Apparemment, aucune information n'a plus le loisir d'arriver vierge de tout parti pris communicationnel sur la scène médiatique. C'est d'autant plus vrai depuis les événements du 11 septembre 2001, qui semblent avoir emporter dans le cratère de Ground Zéro, tous les complexes des journalistes à se muer en cinéastes ou romanciers du Réel. Pire : il semble qu'ils ne sachent plus traiter une information autrement qu'en confondant mise en perspective et mise en scène. Scènarios catastrophes, mélo, ou comédies via des info humoristiques, légères, ils nous mettent même les musiques qui vont bien, sans parler des accroches en jeu de mots : c’est le grand soap opéra qui vient rhabiller le réel, tout le réel. C’est le grand cataclysme du spectaclisme. Tout a vocation à devenir sensationnel. La sensation fait se sentir vivant, et le vivant se sait alive quand il achète. L'information est définitivement devenue de la Com.


Les feux de l'info


L’information est un segment du Marché. On ne s’étendra pas sur la question de savoir qui détient les groupes de presse. La seule chose utile à savoir est que tout organe de presse est pressé par des impératifs de rentabilité et est, à ce titre, amené à dégénérer en grossier organe publicitaire (de propagande politique ?), et en outil à fabriquer du retour d’image. C’est l’appel de l’offre ! L’info est un biz. Et le biz de l’info est au buzz. D’ailleurs, le mot n’est plus franchement particulier au Net, d’autant que les journaux télévisés et radiodiffusés, quand ils ne sont pas des échos les uns des autres, sont d’identiques répliques balancées en simultané. C'est également vrai pour la presse écrite, qui n'échappe pas au phénomène par la seule magie de différences éditoriales de traitement de l’information, en réalité, simples positionnements marketing. Le buzz est une affaire de hiérarchisation de l’information et la pyramide est la même pour tous : ce qui fait vendre, ce sont les ragots diffamatoires, les rumeurs sulfureuses, les horreurs sulfateuses et les mièvreries mélo et psychodramatiques… Le grand Commandeur du buzz, c’est l’AFP avec ses dépêches tous azimuts, capable de diffuser avec un bandeau urgent, l’information du renoncement de Jean Sarkozy à la présidence de l’EPAD…


Agence Française de Production


Dans la foulée des lynchages successifs qui viennent de fortement buzzer dans notre inframonde de l’information (Polanski, Mitterrand, Jean Sarkozy), d’aucuns ont porté sur la place publique leurs petites réflexions sur le buzz, grand pervertisseur d’information. Le buzz ne serait que l’expression d’un populisme déculottiste (les petits kapos du système aiment taxer de populisme à tout va pour jeter la suspicion et le discrédit : point Godwin) qui voudrait mettre au bout de ses pics, par pur souci psychopathique, jalousie, envie, voire par simple aigreur, toute la fine fleur de nos élites fanées... Il est important de préciser que ces petits procureurs ne sont pas les derniers à « buzzer » en négatif sur la réélection de Ben Ali à la Présidence de la Tunisie. Suivez mon regard… Au CGB, nous ne souhaiterions pas la démocratie telle que nous la vivons à nos pires ennemis, encore moins à nos amis tunisiens…


Dans toutes les cabines de routier...


« Où est l’information ? » nous demandent-ils dans leurs odes au journalisme concernant notre triptyque d’infortunées car innocentes victimes, lynchées par les affreux d’Internet ?
Comment peut-on oser demander où est l’information dans ces occurrences ? Un cinéaste violeur en cavale américaine dont on nous demande de prendre fait et cause, un ministre de la culture nommé malgré ses frasques thaïlandaises, dont personne n’avait lu le livre, qu'on nous contraint aux heures de grande écoute, sans même une pastille CSA, à contempler se contorsionner dans un numéro sadomasochiste à tendance janséniste, et un filsdecrate émérite n’ayant pour tout bagage qu’un bac L, élu conseiller général dans le fief électoral historique de papa et qu’on a voulu héliporter aux commandes de l’établissement de gestion du quartier d’affaires de la Défense. Comment peut on oser nous demander où est l’information dans ces espèces ? Elle est dans l'immoralité, portée aux nues d'une posture sophistiquée. Comment peut on oser remettre cela en cause en feintant un questionnement existentiel sur le buzz, et en affublant les internautes des tares les plus perverses ? Les internautes ne feraient que les poubelles ? Bien, c’est d’accord. Mais les internautes ne font que trier les déchets de cette sorte d'éboueurs qu’on appelle journalistes… Et eux n'ont pas commencé à jouer avec le feu de la réduction systématique au Tout à l'ego... L’internaute a conscience de vivre dans la fange. L’internaute ne se ment pas à lui-même : il est de la fange. Et le buzz est souvent pour lui l’occasion de le rappeler, en même temps que d’asséner ses valeurs et d’adresser son message de rejet à ses élites fallacieuses, autosatisfaites et pornoproclamées, ces Gardiens du Temple d’une intelligence dégradée en vile roublardise… L’internaute est porteur d’une réalité, d’une réel-ité. Le buzz de l’internaute n’est pas gratuit, simplement bête et méchant ; il ne tire pas à blanc.


Journaliste


Le buzz, c'est le moment pour l'internaute de rejouer un peu d'harmonie, à l'oreille, dans la grande cacophonie de dissonances de la fanfare informative. En se payant, sans aucun scrupule, les crapules qu’on lui a trop longtemps présentées comme les « meilleurs d’entre nous », il permet au Cosmos de retrouver un peu d'équilibre… Voilà bien les affres de la Transparence ! L’internaute voit haut et clair l'incurie, l'inconséquence et l'hypocrisie de ses prétentieux élitards, et il le claironne, il le tapage en retour de boucan, avec des valeurs qui semblent surannées sur la scène médiatique telle l'autodérision. L’internaute sait, en outre, qu’il est parfaitement manipulé jusque dans son propre egotrip blogosphérique...


"Dis Charlie, où est l'info ?"


Le buzz c’est du vent ! Il n’a jamais été réellement l’affaire des internautes. Sitôt créé, qu’il leur échappait déjà. Le buzz Internet est aujourd'hui orchestré par les médias. Qu’on ne s’y trompe pas, et dorénavant chaque média sonde la toile en direct sur ses sismographes.fr, jusque dans les réseaux de "no life" type Facebook ou Twitter (l’infommunication est interactive). Jamais la Toile n’aurait vibré aux buzz des Polanski et autres Mitterrand, si les armes conventionnelles de la médiacratie n’avaient pas parlé les premières. Le buzz est toujours contrôlé par les professionnels des médias : y compris en cas de dérapage. Les rédactions balancent des énormités, les internautes réagissent : deux semaines de ventes et d’audimat garantis. Et quand elles ne font pas semblant de récupérer de l’information sur le Net, c'est-à-dire de l'information qu'elles ont elles-mêmes mise en ligne, elles utilisent les internautes comme de vulgaires hommes de paille pour dire tout haut ce qu'elles sont désormais contraintes de penser tout bas : impératifs de l’infommunication (forcément obséquieuse, même en cas d'impertinence affichée, surtout dans ce cas-là d'ailleurs) obligent…


Toys are us


Le buzz porte peut-être en soi l’expression d’un contre pouvoir car le buzz n’est pas moins de l’information que l’information d’aujourd’hui n’est du buzz... Mais il est géré, récupéré et parfaitement intégré au Spectacle. Au mieux, aujourd’hui le buzz sur Internet n’est qu’une réponse dérisoire, percluse de dérision, au Spectacle qui ne peut être qu’en étant massivement dévastateur et incontrôlable. Le buzz, c’est l’équivalent au Japon de ces séances où les employés fustigent leur patron : un exutoire au pesant joug de la réalité, un acquiescement à la fatalité... Le buzz, c'est la mort du scoop. La différence entre le buzz et l’information ? Dans le buzz, le marécage n'est pas hypocritement, mais fièrement mis en mouvement.

5 commentaires:

  1. Les premiers buzz ont été spontanés et "populaires". Par exemple, le rappeur du 9-2 ou Clément le Nolife.

    Ensuite, c'est la blogosphère - toujours en quête d'un os à ronger, toujours prompte à trouver un thème commun sur lequel poser sa crotte - qui s'y est mise, et les médias ont suivi, plutôt tardivement.

    Le buzz est un parfait symbole de notre société de consommation, de tout tout de suite, de cette immédiateté dont nous croyons parfois qu'elle est la réponse normale à nos désirs.

    Les médias manipulent-ils les buzz ? Plus probablement, ils doivent essayer de peser sur eux, d'autant que la blogosphère ne se caractérise pas par son intelligence (à quelques blogs près, à peu près, quoi, 10% ?).
    Le buzz a été une création du Net, de la masse atomisée où l'individu n'était plus écrasé par les autres mais totalement libéré de ceux-ci, tout en étant éventuellement soumis à un pouvoir supérieur. Hélas ! Après quelques-uns de ces "débordements", après l'institutionnalisation de l'immédiateté et du moi-moi-moi (c'est-à-dire les blogs et les commentaires), le buzz est devenu un phénomène à prendre en compte. Manipuler un buzz ? Je ne sais pas. Le Net est trop imprévisible pour ça, chacun est trop "libre" derrière son PC pour qu'il soit possible de susciter un buzz ex nihilo. Mais l'influencer, certainement.

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  2. Pour être publié dans le Monde Diplomatique ça peut, mais pour faire un buzz ça va pas le faire. C'est beaucoup trop long !

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  3. Bravo CGB,
    j'ai les synapses qui collent !

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  4. Article brillantissime.

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  5. On arrête les moqueries hein ! J'ai des envies suicidaires en ce moment...
    Bon, ben sinon, ce texte, je viens tout juste de le finir. Méritait quelques retouches :-)

    "le buzz ex nihilo" ? Concept intéressant...

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