3 octobre 2009

Devoir de réserve


Dans la rubrique courrier des lecteurs :

" Casques bleus en zone de guérilla, gardiens de la paix caillassé(e)s, gardiens de prison derrière les barreaux, mes amis, frères de larmes, avec vous je pleure aujourd’hui.
Et je gueule à voix perdre : « Et ma prime de 10 000, où qu’elle est, bordel ? »
Je m’explique, pour les absentéistes qui auraient peut-être bien du mal à suivre : une prof prend la parole !

Une prof… Disons plutôt une dresseuse enfermée dans un cirque, sans les paillettes et les applaudissements… Mais racontons depuis le début.
La prof en question (à prendre dans la plus pure acception romaine du terme) est TZR, c’est-à-dire Titulaire (du capes) en Zone de Remplacement (ou, au choix : Tirailleur en Zone de Régression, Trou du cul Zoodomisé de manière Réitérée…). Dans le jargon jargonneux du milieu, ça veut dire bouche trou.
Déplacée tous les ans là où qu’y manque un courageux (un fou ?), là où qu’un suicidaire a jeté l’éponge, là où qu’un proviseur/principal veut pas créer de poste pour pas avoir de papiers à remplir si des fois il décidait de le supprimer deux ans après.
Déplacée tous les ans d’un lycée à un collège, effectuant un service parfois dans trois établissements différents dans trois villes heureusement équidistantes de la gare du Nord.
Alors la prof, la chanceuse, la feignasse grassement sous-payée par le con-tribuable à merci, elle a bien profité de son mois de juillet, elle a bien angoissé pendant son petit mois d’août (ah les salauds, c’est vrai qu’y z’ont deux mois !), et elle a été bien contente quand, le 31, elle a reçu son affectation dans un lycée du 93. Les lycées, elle connaît, elle adooore ! Bref, une bonne année s’annonçait.
Sauf que la phase hypomane a duré…une journée.
Parce que le 1er septembre, contre-ordre : elle allait tâter du collège, et on allait voir ce qu’on allait voir. Bon.
Renseignement pris (en deux bonnes heures de temps parce que ses mains tremblaient tellement que les touches de son clavier semblaient se dérober malignement à sa frappe pourtant chirurgicale), ledit collège se situait dans une ville de banlieue parisienne, récemment choisie comme lieu de villégiature par les bobos en mal d’exotisme (désargentés ?). Bon.
Après enquête approfondie, la prof apprit (oui oui) que le sus-mentionné établissement était en fait le parent pauvre de cette charmante bourgade, et que les bobos avaient fâcheuse tendance à le déserter pour lui préférer les deux collèges (dont un privé) de la même zone, de moins médiocre qualité. Moins bon…
Le 2 au matin (ça lui aura au moins permis d’éviter le discours de bienvenue de pré-rentrée…), à l’heure où blanchit la campagne (moi, la campagne, j’ai jamais pu la sentir), elle pointe le bout de son nez à la grille métallique (les grilles des écoles de banlieue sont toutes métalliques, pour éviter les intrusions d’intrus violemment intrusifs avec barres de fer ou flashballs), la fleur au fusil, le barda à l’épaule. (cette phrase à tiroirs pille indignement deux auteurs : sauras-tu les retrouver ? 2 points).
On lui ouvre, elle pousse anxieusement le froid barreaux protecteur, et pénètre, pensive, dans le lieu sacro-saint destiné à acceuillir les jeunes têtes pensantes d’une nation séculaire, mais si pleine d’avenir. Hall. Cris joyeusement poussés par des voix en pleine mue (« Sale pédé ! Bolos ! Je vais te défonser »), bousculades, coups de pieds au cul pour rigoler et tartes dans la poire pour de rire. Couloirs gris unis labyrinthiques invitant à se perdre sans espoir de retour.
Rencontre avec l’administration, remplissage de la paperasse, remise des clés du paradis (« si on te les braque, tu les raques »). Et…la rencontre.
Quatre classe, de trois niveaux différents, sans compter l’hétérogénéïté impressionnante au sein d’une même classe, rêve de tout adepte de la « pédagogie différenciée » ou comment se diviser en trois pour inculquer un peu de « compétence » (avant, on appelait ça du savoir, mais c’est vulgaire), pendant les cent vingt-sept secondes de temps de cerveau disponible que les mômes sont capables de fournir en cinquante-cinq minutes, à : M. qui est en France depuis deux ans, R. qui est né ici mais dont la langue familiale n’a qu’un rapport lointain (colonial ?) avec le français, et N., fils de bobos qui s’en mordent déjà les doigts.
L’heure de se découvrir enfin des personnalités multiples, de flirter dangereusement avec de nouveaux moi, notamment un, le plus dévastateur, le plus borderline : l’agressif, l’intransigeant, celui qui dit, qui crie, qui hurle (mais qu’il faudra bien faire taire tôt ou tard si on ne veut pas finir devant le tribunal ou dans l’une des nombreuses chambres cossues de l’hôpital psychatrique spécialement destiné aux déserteurs involontaires) : « Putain mais vous allez fermer vos mouilles et vous mettre à bosser ! »
Car l’air du temps est à la compréhension, au dialogue, à la négociation (« Change de place s’il te plééééé… »), et tout prof ne se sent pas l’âme d’un ambassadeur de France. Ni la paie, ni le logement et la voiture de fonction, ni les grooms, avec ou sans sonnette…
Alors pas le choix : s’assouplir, palabrer indéfiniment, mettre en place des « projets interdisciplinaires » (parce qu’une seule matière, c’est chiant, alors que deux, c’est vachement mieux), aller chercher l’association des femmes maliennes pour qu’elles viennent parler de la tolérance et du respect de la femme (on n’est battue qu’au Mali, c’est bien connu), emmener les gosses visiter le Louvre, sachant que ce qu’ils « kifferont » le plus, ce sera le transport et que c’est toujours le petit relou qui réclame toute l’année sa sortie à corps et à cri qui se fera porter pale à l’arrivée.
Et puis la violence… Vols dans les vestiaires ? Bof, peut mieux faire… Les toilettes incendiées ? Pas mal, encore un petit effort… Jeu du cercle, jeu du ballon ? Ah, ça commence à m’intéresser… Filles en jupe traitées de putes et agressées dans un coin sombre ? Profs gazés à la lacrymo par d’anonymes courageux ? Ouais, là, on tient du lourd, mais chuuuut. Silence, on tourne la tête et on se bouche les oreilles, et sanction pour le premier qui moufte : y’a pas de violences dans l’établissement, m’sieur l’commissaire, nan nan, rien à signaler. Z’imaginez ? La principale pourrait être suspectée par sa hiérarchie de ne pas tenir son établissement d’une main de fer, ça ferait une croix de plus dans la colonne « problémasses », on finirait classés ZEP (d’accord, on aurait peut-être un surveillant de plus pour aider les six qui s’occupent des six-cent gamins, et puis deux CPE au lieu d’un…), et les quelques bobos égarés pourraient avoir envie de prendre la poudre de trotinette !
Nan, nan. Vaut mieux rien dire. Silence. On va acheter quelques ordis de plus, ils seront contents (tout prof est supposé être informaticien dans la nouvelle pédagogie), on va leur proposer l’option VTT en sport, on va leur construire une salle de réunion pour faire les photos de classes et accueillir les compagnies de théâtreux dûment sponsorisés par les impôts des pré-cités bobos, et le tour sera joué.
Après la société, l’école du spectacle est en route.
Moi, j’veux bien, mais qu’on m’offre alors le nez de clown !"

4 commentaires:

  1. De l'archi balaise, bien dans le ton de l'article, enjoyez :

    http://nezenlair.unblog.fr/2008/12/16/portrait-du-christ-en-sdf-du-canal-saint-martin/

    RépondreSupprimer
  2. Courage, on envoie le RAID vous récupérer mademoiselle, restez enfermée dans le placard du fond à coté des dicos crevés et jetez leur des bouts de shit si vous en avez.

    RépondreSupprimer
  3. Appelez donc Gerard Depardieu, Michelle Pfeiffer ou encore François Bégaudeau si vous avez du mal à tenir vos classes...
    Et il me semblait que TZR voulait dire Toujours Zur la Route (ou Zur les Rails)!
    Et voyons le bon côté des choses, un des avantages du prof de banlieue TZR ou non, c'est qu'il a toujours une place assise dans le train car quand les banlieusards quittent leurs cités pour aller gagner leur SMIC sur la capitale nous arrivons à contresens pour nous occuper de leurs rejetons!

    RépondreSupprimer
  4. Nihil Novi in métropolis4 octobre 2009 à 11:18

    Elle court elle court la banlieue !

    RépondreSupprimer