6 novembre 2008

Emmanuel Todd "L'Amérique a besoin d'un plan Marshall"


Nouveau message issu du DODLPET qui reproduit l'entrevue E.T au dernier numéro de l'Expansion (à lire également l' analyse complète des élections US chez Malakine... que l'on retrouve également dans l'hebdo Vendredi où Millie et le CGB sont également cités).

Obama sera-t-il le nouveau Gorbatchev chargé de liquider l'empire?

Thèse à peine provocatrice de cet intellectuel atypique: l'Europe doit aider les Etats-Unis à sortir d'un naufrage aux conséquences incalculables pour la planète.


Le monde s'écroule, et il se frotte les mains. Dans son appartement parisien au décor bazar-chic, Emmanuel Todd, calé dans un confortable fauteuil, ne boude pas son plaisir de voir sa prophétie se réaliser. Dans un brillant essai paru en 2002, "Après l'Empire" (Gallimard), cet intellectuel, historien et démographe de formation, prévoyait la décomposition du système américain. Très critiqué à l'époque, l'homme règle ses comptes aujourd'hui dans un nouvel ouvrage intitulé "Après la démocratie" (Gallimard). Sarkozy "le flambeur", les économistes aveuglés, les élites adeptes du libre-échange, tous en prennent pour leur grade. Rencontre avec ce franc-tireur en passe de devenir l'icône de la Nouvelle Pensée Economique, la NPE. Rien à voir évidemment, avec la NEP de Lénine!

L'ancien membre du Parti Communiste français que vous êtes doit se rejouir de cette crise financière... Signe-t-elle la fin du capitalisme?

Pas du tout. C'est une erreur de remettre aujourd'hui en question le principe du capitalisme. Nous vivons un effondrement de l'ultralibéralisme comparable à celui du modèle communiste vingt ans auparavant. Il faut l'admettre: la réalité de l'histoire des nations c'est l'économie mixte, qui mêle le marché et l'Etat. De Babylone au New Deal de Roosevelt en passant par l'Empire romain et par Venise, l'histoire économique repose à 99% sur ce couple. Révéré par les élites mondiales depuis le tandem Thatcher/Reagan, l'ultralibéralisme apparaît comme un égarement idéologique et politique. La logique historique reprend ses droits.

Vous avez prédit il y a six ans la fin de l'empire américain. Les évènements recents vous donnent plutôt raison. Jusqu'où peut aller la décomposition du système?

L'Amérique a été la pompe à liquidités de la planète pendant des décennies. Pour alimenter leur croissance à crédit, supposée éternelle, les Etats-Unis ont absorbé une bonne partie de l'épargne mondiale, ce qui les a rendus totalement dépendants des bonnes volontés de financement des nouvelles puissances émergentes. Chine en tête.


Or la dépréciation tendancielle du dollar et l'effondrement récent de la Bourse rendent la situation intenable pour ces nouveaux créanciers. Cette asymétrie financière devient donc explosive. Mais il ne faut pas rester à la surface financière des choses et au yoyo des indices boursiers. Il y a plus grave pour l'amérique: sa dépendance industrielle à l'égard de l'extérieur. On a été fasciné pendant des années par ses gains de productivité mirifiques, mais derrière le verni des statistiques, le pays n'a cessé d'importer toujours davantage de marchandises. L'Amérique en col bleu n'existe plus. Or un empire ne peut survivre sans être aussi une puissance industrielle. Les Etats-Unis ont troqué leur base productive pour une abstraction financière en col blanc. Le voile de l'illusion se lève sur une crise de très grande ampleur.

L'Amérique s'apprête-t-elle à revivre la Grande dépression de 1929?

Non. Certes, les parallèles entre octobre 2008 et octobre 1929 sont à la mode. Pourtant, il y a une différence majeure entre les deux situations. En 1929, l'Amérique trébuchait sur une crise de surproduction et de sous-consommation. Il a donc suffi de remettre les Américains au travail, ce qui a été realisé par le New-Deal de Roosevelt. On ne peut donc pas appliquer les même recettes. Pour que le système se rééquilibre, il faudra que le niveau de vie des Américains baisse d'au moins 20%. Un choc d'une violence extrême, socialement très dangereux dans un pays profondement divisé et traversé par les fondamentalismes religieux. La décomposition de l'empire américain est aussi inquiétante que l'effondrement de l'Union soviétique dans les années 30. Il faut aujourd'hui trouver des solutions pour maintenir la capacité des Etats-Unis à consommer. Et là, l'Europe a un rôle à jouer.

C'est une plaisanterie, l'Europe qui vole au secours des Etats-Unis...

Et pourquoi pas? Pour pallier un appauvrissement trop rapide des ménages américains, il faudrait que l'Europe lance un plan Marshall- pardon un plan "Marchal"! Or, pour cela bien sur, l'Europe doit changer de logiciel économique et devenir une réelle puissance politique. Un noyau dur européen composé de la France, de l'Allemagne et éventuellement de la Russie pourrait être l'unité de reconstruction, en proposant un nouveau modèle économique fondé sur le refus du libre-échange. Le système actuel, perdant-perdant pour tout le monde, s'est traduit par une explosion des inégalités, sur fond de désindustrialisation dans les pays développés.

Vous proposez donc une nouvelle forme de protectionnisme, une vieille recette du passé?

Les penseurs du politiquement correct voient effectivement cette solution une doctrine regressive et nationaliste. Or, le protectionnisme est l'un des deux grandes branches de la pensée économique libérale. Il accepte tout à fait l'idée de concurrence. Sauf qu'il définit la taille du marché. En l'occurence, ce serait l'Europe, forte de ses 494 millions de consommateurs. Ce n'est pas seulement se protéger contre le monde extérieur. C'est rétablir par des barrières tarifaires, par des quotas, la possibilité pour les Européens de relever les salaires, aujourd'hui bridés par le libre-échange. Dans le protectionnisme, il n'y a pas d'idée de repli, il y a l'idée de relance. Avec une taille de marché globalement équivalente, les Etats-Unis se tournent eux aussi vers cette solution.

Nicolas Sarkozy, président de l'UE, vous semble-t-il disposé à défendre cette idée?

Admirateur de l'Amérique bushiste, Nicolas Sarkozy n'a rien compris à l'économie ni aux effets dévastateurs du libre-échange. Sur les questions de la relance européenne, il s'en tient à un peu d'agitation, s'en vouloir rompre ave l'idéologie dominante à Bruxelles. Il n'a rien compris non plus sur la nature de la crise actuelle. Il s'obstine à engager des réformes structurelles "de papa", faites de flexibilisation du marché du travail et de réduction des dépenses publiques. C'est une grave erreur de politique économique. Le monde bascule, et le président de l'Union rate son rendez-vous avec l'histoire.

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