8 décembre 2009

Analyse du sondage Grippe A



Toute la rédaction du CGB est réunie en cellule de crise dans ses locaux de la Défense, la bien nommée. Malgré le froid piquant qui règne sur la ville, Gabriel Fouquet n’arbore pas son manteau de fourrure habituel. Il a revêtu la tenue de sortie de son ancien régiment de chasseurs alpins, et ressorti son impressionnante batterie de cuisine. Ses deux gardes du corps tchèques blondes sont vêtues très strictement, façon jésuite. Ça les change beaucoup.
Gabriel Fouquet
Messieurs, l’heure est grave. En plus des maux qui s’acharnent sur le pays, ces putains d’étrangers ont inventé une grippe anti-nationale rien que pour nous faire chier. C’est la grippe A…
A.rnaud
A comme anti-nationale, patron ?
Gabriel Fouquet
Oui mon petit, on peut dire ça…
Lest(a)t
Fayot !
Paracelse
Jaloux !
Skymann
Vos gueules !
Gabriel Fouquet
Une enquête scientifique a été entreprise auprès de nos lecteurs. Vous le savez, malgré la grande quantité d’abrutis, de connards, de ballots et d’enfants de fumiers que compte notre lectorat, il demeure le plus brillant de France. L’élite ! Sans risquer le démenti, on peut affirmer que jamais un lectorat n’a été autant au niveau de ce qu’il lit. Eh bien, messieurs, l’enquête est enfin analysée et ses résultats connus : il va falloir changer nos habitudes. Le ministère des Grandes Causes nous a transmis une devise que je vous livre, et qu’il faudra adopter : « La grippe A, c’est sans moi ! »
A.rnaud
Joli !
Paracelse
Bien trouvé !
Skymann
La paix !
René Jacko
Bon, pour résumer en peu de points, la situation est celle-ci : d’abord, nos lecteurs indiquent qu’il ne faut pas se mélanger avec les pauvres…
Clarence Boddicker (à part lui)
Et qu’est-ce que je fous là, moi ?
K
Ne pas se mélanger avec les pauvres ? Comprends pas, ça veut dire qu’il faut quitter le pays ?
René Jacko
Hum… oui… en fait, je pense que nous n’avons pas encore saisi le sens réel de cette recommandation. C’est un peu subtil, sans doute… je pense qu’on va demander un contre examen à Michel Drac.
Lest(a)t
Sans compter que si les pauvres ne devaient plus se mélanger, ni se fréquenter, ça voudrait dire dissolution immédiate du CGB !
Gaby
Passons donc au point suivant.
René Jacko
Oui, le point suivant est plus simple : pour près de 20% de nos lecteurs, il faut « compter les morts en ricanant dans son bunker ».
Amiral Potiron, bondissant
Comment ?! J’entends ici le mot bunker ? On sort de son Enfer ce mot ignoble qui rappelle les zeurléplussombres de la Ratatouille? Halte-là, rétrogrades ! Mais enfin, messieurs, comment pouvez-vous sans cracher utiliser ce mot enfermé, replié sur lui-même, ce mot-prison, comment pouvez-vous seulement imaginer, en 2009, que le bunker puisse sortir de son trou ? Non, faisons face à l’avenir en hommes libres ! Soyons les hérauts de la société ouverte, amicale, accueillante, accorte, avenante et citoyenne qui donne la trique au genre humain ! Refusons les replis moisis et nauséabonds qui, loin de protéger quoi que ce soit, nous ferons confire en francitude jusqu’à n’être plus qu’une nation de frileux décolorés par l’habitude du souterrain, rendu sourds par l’abus du terrier. Ne laissez pas lapiniser vos enfants, offrez-leur la vie, l’ouverture au monde et la liberté d’aller et venir comme sur un terrain de jeux sans frontière !
Gabriel Fouquet
Heu, monsieur l’Amiral, tu vas bien ?...
L’assistance est soudain devenue muette. La sortie de l’Amiral semble avoir médusé les plus sanguins et pétrifié les plus vifs. Le temps semble suspendu, on n’entend plus que les fréquences aiguës atténuées du baladeur de DT(qu’il ne quitte que sous la douche).
Amiral Potiron
Mais je déconne, bandenazes ! Ha, ha ! Vous avez vu vos têtes ? Vous y avez cru, hein ?
Lest(a)t
Putain, tu nous as fait peur… un instant, j’ai cru que compter les morts en ricanant dans ton bunker ne te branchait plus !
Amiral Potiron
Si, si, je vous rassure tous, je reste un chaud partisan du bon vieux bunker à la papa.
Tous
Haaa !
René Jacko
Bon, maintenant qu’on est rassurés, voici le troisième point, extrêmement intéressant, et il explique peut-être l’insolente santé de l’équipe : « soigner le mal par le mal : une cure de jambon ». La cure de jambon, on peut dire qu’on n’a pas attendu que la grippe A ravage les campagnes pour s’y soumettre ! Hu, hu !
Beboper
A ce sujet, d’ailleurs, je signale que j’ai un plan incroyable sur de la Rosette de Lyon : on l’achète fraîche, vingt-cinq kilos minimum, on la fait sécher trois mois et on la touche à moins de six euros le kilo !
Soudain, c’est la ruée.
K
Dans mes bras !
Lest(a)t
Putain, Bebop’, tu pouvais pas le dire avant ?
Clarence Boddicker
Tiens fils, prends mon chéquier !
Paracelse
Cinquante kilos, y’a moyen ? Allez, cinquante !
Skymann
Beboper président ! Beboper président !
Gabriel Fouquet
Mais bordel de merde, keskispassici ?! On parle de bouffe et voilà, y’a plus personne ! On est en train de traiter un problème national qui touche la planète entière et vous, vous vous bousculez pour passer une commande de ciflard ? Dîtes-moi que je rêve ! Allez-y, réveillez-moi !... Mais bon dieu, on parle de résistance, on parle d’engagement pour la France, on parle sacrifice, on parle Jean Moulin et vous, vous entendez Justin Bridou !?
Il s’assoit. Une des tchèques vient éponger son large front de leader et sort un verre de vodka on ne sait d’où. Il le lampe d’un trait.
Mes chers camarades (merci Ludmilla), mes chers compagnons, au fond, je sais que je peux compter sur vous. Je peux compter sur vous, n’est-ce pas ?
Tous
Oui m’sieur…
Je peux compter sur vous… bien… nous allons reprendre la lutte… vous avez eu une seconde de distraction, une faiblesse passagère qu’il ne faut pas exagérer. Elle signe votre appartenance à cette grande nation, après tout, et il n’est pas demandé à chaque combattant d’être un saint (d’ailleurs, Beboper, tu peux noter que j’en suis pour huit kilos)… Mais il ne faut pas oublier l’urgence, et l’urgence, c’est la grippa ! la Grippa ne passerapa ! la Grippa on n’en veupa ! la Grippa c’est passympa !
Skymann
Putain, dire que j’ai pas apporté mon caméscope…
Paracelse
Qu’est-ce qui lui arrive, au chef ?
Gabriel Fouquet (mécaniquement)
La Grippa, on l’aurapa ! la Grippa, c’est le trépa ! la Grippa…
K, qui est infirmier, se précipite auprès du boss et lui administre une gifle façon Jean Gabin.
K
Patron, ça va mieux ? Vous m’entendez ? J’ai combien de doigts, là ?
Gabriel Fouquet (décoiffé, mais revenu à la conscience)
Cinq ! Cinq ! je peux l’prouver, j’ai la marque sur la joue !
René Jacko
Gaby, bon sang, tu commençais à délirer ! On a eu peur…
Gabriel Fouquet
Ha, moi, l’odeur du combat, ça me fait ça à chaque fois ! la transe, comprenez ? Mais c’est pas grave, ça passe vite. Alors, où en était-on ?



René Jacko
Au dernier point, c'est-à-dire au plus important aux yeux de nos lecteurs : « se préparer à repeupler la Terre : plus de branlette ! »
Stupéfaction !
Paracelse
Quoi ?!! Nan mais ça va pas ?
DT (quittant son baladeur)
Ça, c’est un coup de Xyr, j’en suis sûr ! Trahison !
Amiral Potiron
Quel jean-Foutre eut l’idée d’un sondage aussi saugrenu ?
Beboper
Plus de branlette ? Ben pourquoi ?
A.rnaud (à Clarence)
Mais Clarence, qu’est-ce qu’on va dev’nir ?
Clarence Boddicker
Ne t’inquiète pas, mon petit, il y aura toujours une place pour toi dans ma kyo-machiya…
Lest(a)t
J’les attends, moi, ceux qui viendront faire des contrôles !
K
On sera deux !
Paracelse
Bordel, à quoi on va passer nos journées ? C’est un véritable complot ! Nos lecteurs, c’est qui, d’abord ? Ranafout’ de nos lecteurs !
Gabriel Fouquet
Messieurs, j’étais parti pour exiger de vous les plus grands sacrifices, mais je n’imaginais pas…
Amiral Potiron
Potemkine ! Potemkine !
Tous
Houou ! Grève générale !
A cet appel, tout le monde se met en branle. René Jacko piétine ses notes et se mêle au groupe, tous poings levés, qui débaroule alors dans les couloirs. Le grand immeuble qui sert de QG à la réacosphère française est soudain tiré de sa torpeur par la troupe hurlante. Dans un recoin près des ascenseurs, deux blogueurs oubliés, peaufinant un article sur Nietzsche qui devait clore définitivement la question du surhomme, sont bousculés et leurs notes éparpillées. Une blogueuse habituellement hystérique mais qui, ce jour-là, paraissait étonnamment cool, se voit giflée méthodiquement par le groupe sans-culotte qui la croise dans l’escalier.
- Vous ne m’aimez pas ! hurle-t-elle entre deux tartes.
- Ta gueule ! répondent les révoltés.
Il semble que leur fureur ne connaisse plus de limite. La machine à café et la boîte de sucres Beguin Say sont littéralement jetées au sol !!!
Parvenus au seuil du Bureau des Sondages, le groupe marque l’arrêt. Tous se regardent. Les fronts sont moites et les jugulaires palpitent. K a beaucoup de mal à contenir Lest(a)t, qui veut en découdre alors qu’il n’y a personne en face.
Lest(a)t
Laisse-moi passer, je vais tous les niquer !
K
Calmos, y’a personne, qu’on te dit… il est quinze heures, sont tous rentrés chez eux…
Lest(a)t
Les enculés !
Il attrape un porte manteaux design et le fracasse d’une prise de Systema. Le vacarme produit fait sortir du Bureau des Sondages une tête, portée par un homme ridiculement fluet : un intellectuel.
L’intello
Messieurs ? Que signifie ?
Gabriel Fouquet
Cultural Gang Bang en grève, ça vous parle ?
L’intello
Entrez. Dans le calme, gentlemen…
La troupe goscinnienne fait donc rapidement le topo à l’athlète, qui l’écoute en se tripotant le menton d’un air pédophile. A la fin de l’exposé, il part d’un grand rire, c'est-à-dire qu’il produit le bruit d’une souris qui se serait pris le museau dans un grille-pain.
L’intello
Messieurs, votre cas est bénin, permettez-moi de vous rassurer sur ce point. Le sondage en question est sorti de ce Bureau et, comme tous les autres sondages, son résultat est négociable.
Amiral Potiron
Comment ça, négociable ? Chercherais-tu à nous induire en panade, faquin ?
L’intello
Je ne cherche rien, messieurs, je vous dis juste que ce sondage est fabriqué, comme tous les sondages, et que si son résultat vous choque, nous pouvons toujours en changer.
René Jacko
Mais enfin, les sondages illustrent bien l’opinion des gens qu’on a interrogés, non ?
L’intello
Allons, un peu de sérieux. J’ai sous les yeux un sondage incomplètement terminé que le gouvernement nous a commandé. Il porte sur l’identité nationale et nous sommes en train de lui donner une allure républicaine correcte, ni trop dans un sens, ni trop dans un autre. Il doit servir à alimenter le débat, c'est-à-dire qu’il doit faire vendre du papier pendant que l’Etat prend des décisions.
Paracelse
Je vous l’avais bien dit, qu’on était manipulés !
Skymann
Ouais, mais justement, nous, ce qu’on veut, c’est continuer à se manipuler tous seuls ! Laissez-nous nous branler comme on veut !
L’intello
Soit ! J’accepte.
Skymann
Quoi ? Comme ça, vous acceptez ?
Lest(a)t
Pas besoin de tout casser ? Sans déconner ?
L’intello (sur un ton grand commis de l’Etat )
Messieurs, je ne vous retiens pas plus longtemps, l’identité nationale a besoin de moi. Allons enfants de la patri-i-e !

1 commentaire:

  1. Babouche à lunettes8 décembre 2009 à 21:45

    Héhéhé, toujours aussi savoureuses les analyses de sondage !

    "La troupe goscinnienne fait donc rapidement le topo à l’athlète, qui l’écoute en se tripotant le menton d’un air pédophile."

    Celle-ci m'a sciée les pattes !

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