On trouve de tout dans le Nouvel Economiste... On y trouve même des tribunes de Philippe Arondel renvoyant dos à dos le communisme totalitaire et le marché-roi comme utopies mortifères. Habité par une démarche orwellienne, Philippe Arondel dénonce les fausses promesses de l'ogre chinois et de l'européisme et tente d'esquisser une troisième voie humaniste et républicaine.
Lettre ouverte
A un néo-communiste “branché…”
Plutôt que de céder aux sirènes de ce “communisme de marché” qui constitue l'horreur idéologique absolue, prenons le grand large des concepts émancipateurs.
Par Philippe Arondel, essayiste*
Cher “petit” soldat politique inconnu qu’il a dû m’arriver de croiser, sans le savoir, dans ces rassemblements improbables où se joue parfois l’avenir de notre peuple, si je me permets de t’écrire aujourd’hui, c’est tout simplement parce que, à ta place et à ta manière, tu es l’incarnation vivante de cette nostalgie qui déferle doucement, en dérisoires vaguelettes subversives, dans les rangs de notre intelligentsia n’ayant “appris ni compris” : le néo-communisme “branché” à visage pseudo-libertaire.
Le retour des “vieux fantasmes”
Oh ! je ne disconviens pas que notre présent et son incroyable cortège de pauvres cynismes rancis et d’atroces vilenies à “front de taureau” n’est pas fait pour susciter l’adhésion à la Vulgate libérale en place, incapable d’imaginer un futur libéré de la loi d’airain de la pure rentabilité. Quand, à l’aurore de la sortie d’une crise que l’on nous prédisait quasiment mortelle, l’on voit tous les Gekko d’hier et autres golden boys à la médiocrité flamboyante reprendre langue, sans barguigner, avec leur hubris familière, l’on ne peut qu’être saisi d’une sorte de stupéfaction triste mêlée d’une intense colère. Je ne suis donc pas de ceux qui, donneurs de leçons en vase clos, te reprocheront de te laisser aller, parfois, au détour d’un glauque piétinement sur le parcours mythique République-Nation-Bastille, à des dérives de langage aussi justifiées… que profondément choquantes.
Autant ta révolte innée est le signe, en nos sociétés confites en consensus mous, en gouvernance satisfaite, d’une sorte de santé mentale admirable, autant sa crispation “adulescente” sur les vieux fantasmes marxistes, qui nous ont conduits au bord du gouffre et ont réduit nombre de peuples en esclavage par le passé, relève d’une misère intellectuelle étourdissante. Aurais-tu déjà oublié que le communisme dont tu affectes, par les temps qui courent, de vanter les mérites sociaux rétrospectifs, parfois même le caractère “globalement positif”, pour reprendre les propos insensés de feu Georges Marchais, ne fut qu’une gigantesque opération de camouflage idéologique à l’ombre de laquelle les peuples embastillés se virent soumis à une exploitation digne du pire des capitalismes sauvages ? Es-tu assez victime de ta propre auto-intoxication pour refuser de voir que le socialisme dit “réel”- celui qui s’énonçait pieusement dans la rhétorique orwellienne de la diamat- n’était que le masque de la plus formidable, au sens originel du terme, entreprise de domestication de l’âme humaine et de dressage de corps entièrement dévolus à la construction d’un homme nouveau sans racines, en quelque sorte diaboliquement mort à lui-même ?
Une ingénierie sociale mortifère
Contrairement à ce qu’une légende vivace voudrait encore, contre toute évidence, nous faire accroire, les crimes de masse — crimes dont tu cherches, avec une mauvaise foi confondante, à minimiser l’impact désastreux — qui ont jalonné, ponctué de manière irrésistible la marche en avant vers la supposée fin de l’histoire à visage communiste, ne furent pas l’expression d’une forme de générosité dévoyée, d’un humanisme intrinsèque qui se serait fracassé sur les rochers du réel. Ils représentèrent, tout au contraire, le lourd tribut payé par des populations que l’on disait mener, via un totalitarisme de chaque instant, vers le “paradis” des hommes enfin réconciliés avec leur propre histoire, l’horizon d’une communauté humaine ayant apostasié toutes ses différences culturelles et sociales. Et pour faire advenir au monde cette incroyable utopie, enraciner cette nouvelle société issue de cerveaux aussi fertiles que coupés des aspirations prosaïques de tous les “hommes quelconques”de la planète, il n’était guère d’autre solution que celle consistant à déchaîner une violence de classe sans limites, un racisme de classe implacable visant à enclencher un processus d’ingénierie sociale, comme l’a si bien montré l’historien Nicolas Werth, entièrement dédié à ce souci tout à la fois étrange et effrayant : forger de toutes pièces un individu singulier — l’homo sovieticus — vidé de toute substance existentielle, un “chien de paille” aux réflexes sottement pavloviens.
Cette incarnation grise et sanglante de l’imagination malade des “possédés” décrits à la perfection par Dostoïevski se fit — et c’est là l’un des traits les plus oubliés du régime dit communiste — sous les auspices d’une militarisation de la vie politique dont il est difficile d’imaginer, aujourd’hui, la radicalité amorale. La révolution marxiste-léniniste, pour ses affidés les plus cyniquement clairvoyants, ne fut pas autre chose que la guerre (en l’occurrence la Grande guerre) continuée dans l’espace civil, avec le désir de réduire à néant les groupes sociaux ou philosophies hostiles au nouvel ordre des choses… présenté comme la victoire éclatante du règne de la liberté sur celui de la nécessité. Cette guerre civile, les bolcheviks l’imaginèrent, dès le début, totale, c’est-à-dire, pour être précis, comme la manifestation d’un activisme violent ne traçant aucune ligne de démarcation fixe entre l’arrière et le front, l’ennemi extérieur et l’ennemi intérieur, le front du ravitaillement et le front militaire…Dans une résolution fameuse de son Comité central, le 2 septembre 1918, le parti bolchévik ne se définissait-il point, en une formule plus que révélatrice, comme “un camp militaire unifié” ?
La synthèse chinoise
Le plus incroyable, c’est que ce grand bouleversement qui affichait un anti-capitalisme frénétique, prétendait rebâtir la civilisation mondiale sur des bases entièrement inédites, se fit surtout, jusque dans ses visées organisationnelles les plus pratiques, le passeur d’un prométhéisme d’essence marchande… n’ayant rien à envier à certaine barbarie manchestérienne du XIXe siècle. Le camarade Lénine — qui fait de nouveau rêver quelques intellectuels européens lobotomisés — ne martelait-il point, en avril 1918, dans une philippique contre les “communistes de gauche” : “Nous n’imaginons pas d’autre socialisme que celui qui se fonde sur les leçons découlant de la grande civilisation capitaliste ?” Force est de le constater, même si cela désespère les derniers Mohicans marxoïdes remâchant dans les médias leur antienne matérialiste démentie par l’histoire : les camarades chinois — dont on ne cesse de vanter les mérites dans les cénacles néo-libéraux — ont parfaitement retenu la leçon léniniste, qui ont poussé, jusqu’à ses plus extrêmes conséquences, la synthèse rétrograde entre un parti unique et une économie ultra-capitaliste, une gérontocratie réfractaire à l’idée même de démocratie et un libéralisme économique digne des élucubrations les plus échevelées d’un Hayek. Le juriste Alain Supiot- un juriste dont on connaît le sens de la retenue — a apporté la preuve, dans une réflexion limpide publiée par Le Monde en janvier 2008, que l’oxymore créé par les dirigeants chinois pour baptiser leur rejeton hybride — l’économie communiste de marché — qualifiait à merveille un modèle sinistrement baroque “empruntant au marché la compétition de tous contre tous, le libre-échange et la maximisation des utilités individuelles… et au communisme la démocratie limitée, l’instrumentalisation du droit et la déconnection totale du sort des dirigeants et des dirigés”.
Philosophes de la “troisième voie”
Plutôt que de céder aux sirènes de ce “communisme de marché” qui constitue l’horreur idéologique absolue, il te faut, si tu veux enfin réapprendre le grand large des concepts émancipateurs, tourner tes regards vers les hommes de lumière, solitaires et trahis, qui ont, au cours des décennies écoulées, essayé de déconstruire et de dépasser les faustismes mortifères que furent l’américanisme obtus, le fascisme/nazisme et le soviétisme. Demain, si se produit le grand déclic libérateur que nous attendons tous avec la plus grande impatience, ce sont les philosophies de la “troisième voie” chères aux révoltés chrétiens comme Mounier ou Ellul, les conceptions du monde solidaristes d’un grand républicain comme Léon Bourgeois… ou le “conservatisme révolutionnaire” d’un précurseur de l’écologie comme Bernard Charbonneau qui nous guideront sur la voie d’un ordre politique enfin dédié à la seule querelle qui vaille : celle d’une personne humaine totalement libérée de toutes les dominations, “capable d’autrui” dans les déclinaisons concrètes d’une transcendance protestataire ouverte sur tous les possibles…
*Philippe Arondel a publié : “Gouvernance : une démocratie sans le peuple ?”
aux Editions Ellipses en collaboration avec Madeleine Arondel-Rohaut.
Lettre ouverte
A un néo-communiste “branché…”
Plutôt que de céder aux sirènes de ce “communisme de marché” qui constitue l'horreur idéologique absolue, prenons le grand large des concepts émancipateurs.
Par Philippe Arondel, essayiste*
Cher “petit” soldat politique inconnu qu’il a dû m’arriver de croiser, sans le savoir, dans ces rassemblements improbables où se joue parfois l’avenir de notre peuple, si je me permets de t’écrire aujourd’hui, c’est tout simplement parce que, à ta place et à ta manière, tu es l’incarnation vivante de cette nostalgie qui déferle doucement, en dérisoires vaguelettes subversives, dans les rangs de notre intelligentsia n’ayant “appris ni compris” : le néo-communisme “branché” à visage pseudo-libertaire.
Le retour des “vieux fantasmes”
Oh ! je ne disconviens pas que notre présent et son incroyable cortège de pauvres cynismes rancis et d’atroces vilenies à “front de taureau” n’est pas fait pour susciter l’adhésion à la Vulgate libérale en place, incapable d’imaginer un futur libéré de la loi d’airain de la pure rentabilité. Quand, à l’aurore de la sortie d’une crise que l’on nous prédisait quasiment mortelle, l’on voit tous les Gekko d’hier et autres golden boys à la médiocrité flamboyante reprendre langue, sans barguigner, avec leur hubris familière, l’on ne peut qu’être saisi d’une sorte de stupéfaction triste mêlée d’une intense colère. Je ne suis donc pas de ceux qui, donneurs de leçons en vase clos, te reprocheront de te laisser aller, parfois, au détour d’un glauque piétinement sur le parcours mythique République-Nation-Bastille, à des dérives de langage aussi justifiées… que profondément choquantes.
Autant ta révolte innée est le signe, en nos sociétés confites en consensus mous, en gouvernance satisfaite, d’une sorte de santé mentale admirable, autant sa crispation “adulescente” sur les vieux fantasmes marxistes, qui nous ont conduits au bord du gouffre et ont réduit nombre de peuples en esclavage par le passé, relève d’une misère intellectuelle étourdissante. Aurais-tu déjà oublié que le communisme dont tu affectes, par les temps qui courent, de vanter les mérites sociaux rétrospectifs, parfois même le caractère “globalement positif”, pour reprendre les propos insensés de feu Georges Marchais, ne fut qu’une gigantesque opération de camouflage idéologique à l’ombre de laquelle les peuples embastillés se virent soumis à une exploitation digne du pire des capitalismes sauvages ? Es-tu assez victime de ta propre auto-intoxication pour refuser de voir que le socialisme dit “réel”- celui qui s’énonçait pieusement dans la rhétorique orwellienne de la diamat- n’était que le masque de la plus formidable, au sens originel du terme, entreprise de domestication de l’âme humaine et de dressage de corps entièrement dévolus à la construction d’un homme nouveau sans racines, en quelque sorte diaboliquement mort à lui-même ?
Une ingénierie sociale mortifère
Contrairement à ce qu’une légende vivace voudrait encore, contre toute évidence, nous faire accroire, les crimes de masse — crimes dont tu cherches, avec une mauvaise foi confondante, à minimiser l’impact désastreux — qui ont jalonné, ponctué de manière irrésistible la marche en avant vers la supposée fin de l’histoire à visage communiste, ne furent pas l’expression d’une forme de générosité dévoyée, d’un humanisme intrinsèque qui se serait fracassé sur les rochers du réel. Ils représentèrent, tout au contraire, le lourd tribut payé par des populations que l’on disait mener, via un totalitarisme de chaque instant, vers le “paradis” des hommes enfin réconciliés avec leur propre histoire, l’horizon d’une communauté humaine ayant apostasié toutes ses différences culturelles et sociales. Et pour faire advenir au monde cette incroyable utopie, enraciner cette nouvelle société issue de cerveaux aussi fertiles que coupés des aspirations prosaïques de tous les “hommes quelconques”de la planète, il n’était guère d’autre solution que celle consistant à déchaîner une violence de classe sans limites, un racisme de classe implacable visant à enclencher un processus d’ingénierie sociale, comme l’a si bien montré l’historien Nicolas Werth, entièrement dédié à ce souci tout à la fois étrange et effrayant : forger de toutes pièces un individu singulier — l’homo sovieticus — vidé de toute substance existentielle, un “chien de paille” aux réflexes sottement pavloviens.
Cette incarnation grise et sanglante de l’imagination malade des “possédés” décrits à la perfection par Dostoïevski se fit — et c’est là l’un des traits les plus oubliés du régime dit communiste — sous les auspices d’une militarisation de la vie politique dont il est difficile d’imaginer, aujourd’hui, la radicalité amorale. La révolution marxiste-léniniste, pour ses affidés les plus cyniquement clairvoyants, ne fut pas autre chose que la guerre (en l’occurrence la Grande guerre) continuée dans l’espace civil, avec le désir de réduire à néant les groupes sociaux ou philosophies hostiles au nouvel ordre des choses… présenté comme la victoire éclatante du règne de la liberté sur celui de la nécessité. Cette guerre civile, les bolcheviks l’imaginèrent, dès le début, totale, c’est-à-dire, pour être précis, comme la manifestation d’un activisme violent ne traçant aucune ligne de démarcation fixe entre l’arrière et le front, l’ennemi extérieur et l’ennemi intérieur, le front du ravitaillement et le front militaire…Dans une résolution fameuse de son Comité central, le 2 septembre 1918, le parti bolchévik ne se définissait-il point, en une formule plus que révélatrice, comme “un camp militaire unifié” ?
La synthèse chinoise
Le plus incroyable, c’est que ce grand bouleversement qui affichait un anti-capitalisme frénétique, prétendait rebâtir la civilisation mondiale sur des bases entièrement inédites, se fit surtout, jusque dans ses visées organisationnelles les plus pratiques, le passeur d’un prométhéisme d’essence marchande… n’ayant rien à envier à certaine barbarie manchestérienne du XIXe siècle. Le camarade Lénine — qui fait de nouveau rêver quelques intellectuels européens lobotomisés — ne martelait-il point, en avril 1918, dans une philippique contre les “communistes de gauche” : “Nous n’imaginons pas d’autre socialisme que celui qui se fonde sur les leçons découlant de la grande civilisation capitaliste ?” Force est de le constater, même si cela désespère les derniers Mohicans marxoïdes remâchant dans les médias leur antienne matérialiste démentie par l’histoire : les camarades chinois — dont on ne cesse de vanter les mérites dans les cénacles néo-libéraux — ont parfaitement retenu la leçon léniniste, qui ont poussé, jusqu’à ses plus extrêmes conséquences, la synthèse rétrograde entre un parti unique et une économie ultra-capitaliste, une gérontocratie réfractaire à l’idée même de démocratie et un libéralisme économique digne des élucubrations les plus échevelées d’un Hayek. Le juriste Alain Supiot- un juriste dont on connaît le sens de la retenue — a apporté la preuve, dans une réflexion limpide publiée par Le Monde en janvier 2008, que l’oxymore créé par les dirigeants chinois pour baptiser leur rejeton hybride — l’économie communiste de marché — qualifiait à merveille un modèle sinistrement baroque “empruntant au marché la compétition de tous contre tous, le libre-échange et la maximisation des utilités individuelles… et au communisme la démocratie limitée, l’instrumentalisation du droit et la déconnection totale du sort des dirigeants et des dirigés”.
Philosophes de la “troisième voie”
Plutôt que de céder aux sirènes de ce “communisme de marché” qui constitue l’horreur idéologique absolue, il te faut, si tu veux enfin réapprendre le grand large des concepts émancipateurs, tourner tes regards vers les hommes de lumière, solitaires et trahis, qui ont, au cours des décennies écoulées, essayé de déconstruire et de dépasser les faustismes mortifères que furent l’américanisme obtus, le fascisme/nazisme et le soviétisme. Demain, si se produit le grand déclic libérateur que nous attendons tous avec la plus grande impatience, ce sont les philosophies de la “troisième voie” chères aux révoltés chrétiens comme Mounier ou Ellul, les conceptions du monde solidaristes d’un grand républicain comme Léon Bourgeois… ou le “conservatisme révolutionnaire” d’un précurseur de l’écologie comme Bernard Charbonneau qui nous guideront sur la voie d’un ordre politique enfin dédié à la seule querelle qui vaille : celle d’une personne humaine totalement libérée de toutes les dominations, “capable d’autrui” dans les déclinaisons concrètes d’une transcendance protestataire ouverte sur tous les possibles…
*Philippe Arondel a publié : “Gouvernance : une démocratie sans le peuple ?”
aux Editions Ellipses en collaboration avec Madeleine Arondel-Rohaut.
Donner envie de lire Mounier, Ellul, Charbonneau et Bourgeois c'est très louable, mais pour être vraiment efficace ça demanderait quand même plus qu'un paragraphe.
RépondreSupprimerOn ne peut être que d'accord avec tout ce qui précède, mais on ne comprend pas bien à qui ça s'adresse. Des léninistes il en reste c'est certain, mais chez les branchés ça fait un bail qu'il a perdu toute aura. Même Blanqui se vend mieux !
Et puis surtout on ne comprend pas ce qui permet de les confondre avec les adeptes du modèle chinois actuel. Logiquement, il y a au moins un détail qui permet de ne pas se tromper : à la différence des premiers, les seconds lisent Le Nouvel-Economiste...
Bon sinon, je dois dire que j'aime bien "communisme de marché", même si, comme figure de style, ça ne vaut pas le très regrêté "communisme de Marchais".