4 décembre 2017

Voyage au bout de la réacosphère

Anciens combattants

Je me suis demandé si tout ça, ce n’était pas un peu fini. Au CGB, ça fait un moment qu’on se le fait remarquer. A quoi bon continuer alors que la blogosphère de notre génération a rendu le tablier depuis belle lurette ? A quoi bon le CGB après 10 ans et des milliers d’articles où l’on a à peu près tout dit, tout ri ? A quoi bon le CGB quand l’actu se met à être grotesque toute seule comme une grande, sans qu’on n’ait plus rien à faire pour l’y aider ? Overdose de bouffonnerie. Flamby m’a tuer.

La situation a pris une telle tournure, la démence une telle proportion. Qui a encore besoin qu’on lui fasse le dessin ? Il n’y a plus rien à dépeindre qu’un homme un peu sensé ne puisse remarquer de lui-même. A ce stade de dinguerie, il n’est plus d’innocent possible : celui qui n’aurait pas encore vu que ça déconne doit être considéré comme incurable. On ampute. Dans un monde rempli de dingos, personne ne vous entend crier. Et puis, la France qui dégringole, qui se viande, c’est drôle une minute. On peut en rire aussi longtemps qu’on croit qu’elle peut se relever. Au-delà, ça devient glauque et inconvenant. Je me suis demandé si tout ça, ce n’était pas un peu fini. A quoi bon le CGB.


L’arrivée de Macron, faut dire, nous a tous bien calmé. Nous, vous, toi. Une grosse bouffée de poudre de Perlimpinpin. Fffiout, à la figure ! Dissolue, la Dissidence ! Bye bye Frexit ! Les Français ont voté, et en toute connaissance de cause ce coup-ci : c’était marqué sur la boîte, en lettres capitales d’imprimerie, pas de tromperie sur la marchandise. M.A.N.U. Manu-tu-descends. Et en effet : il a descendu François Fillon. Descendu le PS. Descendu le froc à Marine. Le troisième jour, est monté aux cieux. On s’est réveillés le lendemain comme au premier jour du monde. Il n’y avait plus lieu d’être déçu ni en colère. Qui y avait-il à sauver ? Que restait-il à démasquer ? A qui allait-on encore ouvrir les yeux à coup de blog ? L’antisystème : une farce, Narine venait de le rappeler de façon salutaire. Dans les villes. Dans les campagnes. Sur les réseaux sociaux. L’antisystème, un amusage de galerie tout juste bon à occuper ceux qui n’avaient pas le cœur assez accroché pour voir la seule chose qui était à voir : que cette France qu’ils veulent protéger est en réalité déjà morte. Passée. Que les Français pour la pleurer n’existent plus eux non plus. Ou si peu. Et ce n’est pas triste, après tout ; il suffirait simplement qu’on s’entende sur les mots, histoire de ne pas raviver la plaie. Que l’on garde « France » pour la France, et qu’on en trouve un autre pour appeler ce dans quoi nous vivons désormais. Et tout le monde se réconcilie.

Oui, on s’est réveillés le lendemain avec - surprise - cette envie sincère de se réconcilier avec le pays réel. Pas celui de Radio Courtoisie « radio libre du pays réel et de la francophonie », non : le pays réel qui a réellement voté Macron. Celui avec qui vous mangez le midi. Une réconciliation ou plus véritablement une reddition. Douce, dans le genre discret, volontaire, sans épuration. Se rendre aux autorités faute de se rendre à la raison. Réintégrer sa place dans le rang. Demander humblement de nous reprendre. On serait doux comme un agneau. On ne s’occuperait plus de ce qui ne nous regarde pas. On monterait une start-up, tiens. On se mettrait en marche, du moins on passerait la première ! Renégat du web, atteint la quarantaine, c’est tout de même pas sérieux. Dix ans à assurer son job le jour, à écrire la nuit. Des articles plus ou moins drôles, plus ou moins fielleux. Même pas sur du papier. Dix ans et pendant ce temps, les autres ont fait du chemin. Consolidé un portefeuille d’actions. Mis de côté. Elaboré un business plan, racheté une boulangerie avec une super idée : un truc où l’on achèterait son croissant avec une appli ! Pendant ce temps d’autres ont mené carrière, prenant leur travail au sérieux, leur personne au sérieux... C’est sûr, eux ne se sont pas avisés de la perte de souveraineté des nations, de la nature véritable de notre démocratie, de la féminisation de la société, comme si c’était là ce qui affectait leur train de vie ou les empêchait d’être quelqu’un. Eux ne s’en sont pas laissé montrer par les prières de rue, par les cadavres du terro-banditisme en bas de chez eux. Ils ne se sont pas fait retarder dans leurs plans par les ABCD de l’égalité ou par les Panama Papers ! Tout juste ont-ils accordé une oreille au réchauffement climatique, entre deux photos d’eux-mêmes postées sur Instagram : eux chevauchant un jetski à Bali, eux décollant d’un kite-surf à Biarritz, eux sirotant une coco à Key Largo…

Je me suis demandé si tout ça, ce n’était pas un peu fini. Le sarcasme. Les photo-montages en crottes de nez. Les lectures de romans ou d’essais. Les fulgurances et les détestations. Vous voyez le genre ? Le gars qui veut s’essayer à penser Printemps. Comme si ça pouvait être son truc. Après tout, cet épisode électoral semblait achever quelque chose, refermer un cycle, une parenthèse. Un cycle commencé un 21 avril. Pour quelques-uns de ma génération, c’est là sans doute que tout a commencé. Entre-deux-tours. 2002. Nous étions jeunes, n’avions rien de particulièrement droitard alors, la vitrine du FN puait plus qu’aujourd’hui, et malgré tout elle nous fit moins d’effroi que ce qui se dressa en face : le contre-champ, le mur médiatique, le cordon sanitaire, l’appel à se pincer le nez, le tous-les-coups-sont-permis avec confiscation du débat télévisé, avec annonce anticipée et frauduleuse des résultats du scrutin par les Guignols, pour faire pencher la balance à la dernière minute… Pour la première fois on comprit qu’il pouvait y avoir de bonnes et de mauvaises réponses, que la social-démocratie était mauvaise joueuse, que les règles du jeu n’étaient pas toutes dites. Que la droite et la gauche étaient plutôt à droite. Ou l’inverse. Peu importe. Pour quelques-uns, tout paru très net. Un déclic. Le Big Bang du CulturalGangBang.

"Nous sommes ton père"

Quelques années encore et s’ouvrait l’ère des blogs. Magie. Tout à coup Monsieur Michu pouvait parler aussi fort que l’Obs, claquer son bec au Monde ou au Figaro dans les commentaires. Tout à coup, tous les sons de cloche étaient permis, et les cloches ne s’en privaient pas. Les chroniqueurs de la France d’en bas et de tous les côtés émergeaient, donnaient à lire des trucs qu’on n’avait jamais entendus qu’au café, ou en son for intérieur. Un joyeux bordel. Un Far West où les shérifs se faisaient déculotter. Un chaos qui eut bientôt un nom : réacosphère, avec sa carte et son territoire. CGB, since 2006. Record de longévité. Les années passèrent, bons, brutes et truands se dispersèrent, il ne pouvait en rester qu'un... Je me suis demandé si tout ça, ce n’était pas un peu fini. L’ère des blogs. Force est de constater qu’on se sent seuls. Le Far West se joue ailleurs, sur YouTube peut-être. Là-bas, dit-on, se constitue une réac'attitude nouvelle génération. Une sorte d’Alt-right à la française - Raptor Dissident, Valek, Kroc Blanc...

On aimerait, par orgueil, se croire grands frères de ce machin, ces gars de 25, 30 ans, encourageants parce qu’affranchis, vifs, sans complexe, sans marque du collier. D’un autre côté on s’en sent bigrement étrangers. Ils ont trop le goût de l’époque, ses gimmicks, le même aspect déraciné. Il sont vidéastes, voilà tout. Culture orale. Ils doivent à Soral de s’être mis à lire des bouquins qui ne soient pas un manga. Ils sont « patriotes », mais parlent un phrasé de racaille. Ils sont nourris à la culture de masse et à la contre-culture, de masse elle aussi. Ils sont nés dans le merdier, ils n’ont pas vu, comme nous, les choses se pourrir : ils ont vécu dans le déjà pourri. Nés dans le multiculturalisme sauvage, ils se sont faits sauvages. Nés entre les troupeaux et communautés, ils se sont faits troupeau. Par mimétique, ils répliquent un communautarisme blanc, fait de bric et de broc. Un Fort Alamo. Affirmation virile. Salle de sport. Vision de rôles bien définis. Ils ne sauraient pas situer la sacristie mais tiennent le catholicisme pour un pilier de leur identité. Ils côtoient la pétasse de banlieue ou la pornstar en vidéo, mais ont les idées nettes sur ce qui doit faire une vraie femme. Envolées la distance, l’ambivalence, la pensée subtile. Tout ce qui a toujours été le plus difficile à maintenir. Tchao le borderline - no borders ! - tout ce qu'ici, on s'est toujours évertué à cultiver avec grande perversité.

Si cette YouTubosphère mérite de l'intérêt, c’est en tant que phénomène, en tant qu’évolution Pokémon de la réaction au Système. Elle dit quelque chose de notre échec, à nous les échappés de la brèche du 21 avril, à vous les progressistes qui n’avez jamais rien lâché, jamais rien voulu entendre ni comprendre des positions tierces et somme toute raisonnables. Car si cette désormais revendiquée « fachosphère » ne fait plus dans la dentelle, c’est aussi parce qu'elle a pu constater, toutes ces années, que la dentelle ne payait pas, que la nuance était parfaitement inopérante. Les Zemmour, les Chouard, les Dupont-Aignan, tous ceux qui dépensèrent leur énergie à séparer le grain de l’ivraie, à porter la nuance et la démarcation d’avec le Mal, s’y cassèrent les dents : le moment venu, quand il était décidé que cela suffisait, il ne fallait qu’une pichenette pour les jeter aux gémonies, les rendre aussi nazis que s’ils l’avaient toujours été. « Ah je suis un facho ? », vous dit cette nouvelle génération, « alors soit, allons-y ! ».

Le cycle se referme. Droite et gauche ont fusionné. Personne ne se cache plus. Personne ne cache plus ses intentions. Ni ceux qui veulent couler la France, ni ceux qui veulent sauver leur peau. Nous voilà face à face. A partir de maintenant ce sera cartes sur table. Un nouveau premier degré. Je me suis demandé si ce n’était pas un peu fini, tout ça. Mais la vérité, c’est qu’on ne se réinvente pas. Penser Printemps : par ici on a toujours plutôt pensé Automne-Hiver. On va continuer à regarder. On va continuer à raconter. On va continuer à se soigner, docteur.

8 commentaires:

  1. «un truc où l’on achèterait son croissant avec une appli !»

    You made my day, CGB.
    Au fait, il m'est revenu un truc en lisant tout ça, il me semble qu'XP avait prophétisé que le CGB serait le dernier survivant... Je l'ai rêvé?

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  2. Je sais que, parfois, ça soulage d'abandonner, de renoncer à laisser une trace (il est tellement plus simple de se laisser vivre).
    Mais très vite on s'emmerde.

    Je suis certain que dans une époque et un lieu lointains on relira ces chroniques du nouveau millénaire comme autant de précieux fragments historiques et littéraires. (en supposant que Blogspot nous promette l'éternité, et que personne ne perde ses login et password! amen)

    En attendant, vous nous régalez. Pour le plaisir des yeux, pour ce superbe bûcher étincelant avant la catastrophe, pour ces quelques minutes avant le néant: continuez.

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    1. Mon ordinateur a perdu un message trop long. Au fond tant mieux. L'essentiel tient en ceci : au CGB, s'il y a de la gouaille, il n'y a pas de bavardage. Et c'est très difficile de ne pas bavarder, ou de bavarder sur le bavardage.
      Merci, pour l'humour, le doute et la candeur. Mille fois merci (enfin, au moins vingt). Et bonne année.

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  3. C'est bien senti, bien écrit et ça me parle particulièrement. Sans doute suis-je de la même génération.
    Ce monde qui s'emballe me jette dans la sidération : je ne trouve plus les phrases ni les mots. J'en suis au stade du grommellement.
    Alors merci le CGB, merci de témoigner d'une époque presque révolue. On se comprend et ça nous parle. Autant qu'un Damart ou un jacquard col V a su parler aux anciens.

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  4. merci, continuez, nous sommes beaucoup de cette génération...

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