25 mai 2014

Les gens qu'on déteste : les pastabriseurs


Le monde obéit à des règles. De grandes lois nous régissent, que nous ignorons parfois, mais qui n’organisent pas moins nos vies. L’homme se présente volontiers comme la créature qui s’affranchit de ces lois, alors qu’il ne peut que composer avec. Que risque-t-il, sinon ? La mort, la ruine ou, pire encore, le ridicule.

Nous ne manquons pas de raisons de détester nos semblables. L’une d’entre elles, parmi les plus éminentes, est leur tendance à ne pas respecter les grandes lois universelles. Et entre ces grandes lois, la plus couramment bafouée est peut-être celle qui prescrit que les choses sont faites pour un usage précis. La méconnaissance de cet usage, quand ce n’est pas son mépris affiché, est le propre du benêt, du plouc et du barbare (c’est parfois une seule et même personne). Prenons un exemple : les spaghettis.



Les spaghettis sont à l’art de manger ce que les échasses sont à la marche : délicatesse et puissance conjuguées. Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi, sous peine de se casser la gueule (ou de se la faire casser, mais n’anticipons pas). Chacun saurait décrire des spaghettis. Ce sont des pâtes longues et fines, cylindriques et pleines, cassantes quand elles sont crues, souples et sinueuses une fois cuites. Plus que toute autre pâte, le spaghetti se mange al dente. Il ne supporte pas ces cuissons laxistes dont les Français sont coutumiers : il lui faut de la rigueur, et un peu de sel.

Le plus important, sans doute, quand on évoque le spaghetti, c’est sa longueur. Le spaghetti est conçu long, c’est son destin. Or, depuis que l’homme moderne a résolu de se donner à lui-même sa propre loi (l’inconscient !), certains poussent l’esprit d’anarchie jusqu’à casser les spaghettis avant de les faire cuire. L’inévitable « c’est plus pratique quand on les mange » accompagne souvent l’acte sacrilège, comme une tentative de justifier ce qui ne peut l’être. Ainsi, médusé, vous assistez à l’une des opérations les plus absurdes et les plus scandaleuses depuis le bombardement de la cathédrale de Reims : le raccourcissement de spaghettis achetés pourtant pour leur longueur !

Évidemment qu’il est plus pratique de cuire et manger des pâtes ramenées à la taille de ta bouche, infâme glouton ! Mais ces pâtes-là existent en fonction d’un autre critère, où le côté pratique n’entre pas : elle doivent être belles, fines, souples, et, dans le meilleure des cas, réclamer un dégustateur habile ! S’il fallait tout sacrifier au pratique, tu ne serais pas là, hé boulet ! Tes parents ont dû se farcir ta présence, infiniment moins pratique que le désert de Gobi, et surtout moins amusante ! Se nourrir par sonde aussi, c’est pratique, enfoiré !


Certes, l’industrie agro-alimentaire nous vend des salades déjà lavées, des noisettes débarrassées de leur coquille, des patates épluchées, des steaks pré-mâchouillés et des œufs qu’une machine a pris soin de casser avant vous. Toutes ces dérives sont délirantes, et le temps « gagné » qu’elles se vantent de nous offrir ne saurait compenser le déshonneur de s’y soumettre. Mais le spaghetti cassé avant la cuisson, c’est encore autre chose. C’est un pas supplémentaire vers la fin du monde. Il ne s’agit pas de « gagner du temps », ni de pouvoir jouir d’une chose immédiatement, sans avoir à passer par une transformation : il s’agit de réaliser soi-même un geste (je casse des spaghettis) qui permettra de savourer les dits spaghettis comme s’il s’agissait de…vermicelles. Le coupable n’achète pas de vermicelles, non ! il n’achète pas de pâtes menues dont la dégustation ne demande aucune habileté, il est trop dépravé pour ça ! Il achète des pâtes d’élite, et les brise. Il achète une Lamborghini et roule à 70 sur les départementales, derrière les Estafettes Renault ! Il se paie un VTT à 4000€ pour biker en ville ! Il part en avion à Tahiti et reste devant la télé dans sa chambre d’hôtel ! Il épouse Sofia Loren et s’astique sur Conchita Würst ! Il lit Marx et Bakounine et vote François Hollande ! Le mec qui casse les spaghettis avant de les cuire, c’est comme s’il empruntait les outils bas de gamme de son beau-frère pour ne pas mettre de la saleté sur ses Facom !

En cassant les spaghettis, le salopard n’aura pas à les enrouler ensuite autour d’une fourchette. Il n’aura pas besoin de développer une technique fine pour venir à bout de la pâte souple et fuyante, aimable difficulté : il bouffera. Il engloutira ses brisures en pensant à autre chose, en regardant Cyril Hanouna, preuve qu’il est non seulement un iconoclaste mais aussi un goujat, un nez de bœuf incapable de voir dans ses pâtes martyrisées autre chose qu’un truc pour s’emplir la panse.

Parfois, non content de trouver plus pratique de manger des spaghettis raccourcis, Attila se plaindra aussi de la difficulté de faire cuire des trucs longs et fins dans une casserole ronde. « Je les casse, ça rentre mieux dans la casserole »… Ainsi, avoir à faire cuire ses pâtes et attendre pour cela qu’elles se ramollissent un peu est déjà au-dessus de ses capacités. Que répondre à ça ?
Juste avant de lui bourrer le faciès de coups de poings, entre deux bordées d’injures abominables, on est alors pris d’une envie de lui demander pourquoi avoir choisi des pâtes dont il préférerait qu’elles fussent déjà cuites, et d’une taille quatre fois inférieure. Mais non, on ne le fera pas, parce qu’il est des fautes qui ne sauraient se justifier, et qui n’obtiendront aucun pardon.


27 commentaires:

  1. Et ils font ça avec tellement de naturel, les infâmes. Moi aussi je les déteste (ou plutôt ils me surprennent, car je demeure un grand naïf).

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  2. Je casse mes spaghettis et pire je les coupes et je t’empapaoute

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    1. Et après ça, on s'étonne que le FN soit devenu le premier parti de France !!

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    2. Et vous les mangez crus, aussi ?

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  3. La cassage ou non de spaghetti avant de les mettre dans la casserole, un débat de société intense, passionnant.
    Vous n'en ressortirez pas indemne.

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  4. Imaginez vous la scène de "la belle et le clochard" avec des spaghettis mutilés.
    Torchée en quatre secondes montres en mains, enfin en pattes. (oui mais des Tanzanie).
    Horreur ! Sacrilège !

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  5. kobus van cleef25 mai 2014 à 20:37

    "Casser des spaghettis avant de les faire cuire, c'est comme lire Marx et Bakounine et voter Hanchois Molleglande "
    Je retiens, à ressortir Habsolument

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  6. pouah quelle horreur!! mais pleures pas , y en a qui les coupent et sont fiers de leur crasse connerie. la solution c'est de leur servir des vermicelles bouillies

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  7. Je… Pardon, je ne savais pas !… Pardon.

    Je ne casserai plus mes spaghettis.

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    1. Ah, enfin ! un qui reconnaît sa faute ! C'est ça, voyez-vous, qui nous donne l'énergie de continuer. Savoir que, sur des sujets importants, l'Humanité peut encore changer !

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    2. Je dois moi aussi faire une confession publique (tentez de m'imaginer à genoux, en robe de bure, une corde autour du cou et présentant une clé USB sur un coussin brodé d'or) : durant un an ou deux, dans ma très lointaine jeunesse, juste après avoir quitté le doux nid familial, j'ai cassé mes spaghettis (ainsi que les oreilles de mes voisins immédiats, mais je sens bien que ce n'est pas votre sujet). Je pourrais arguer que je ne possédais alors qu'une casserole minuscule, mais ce serait ajouter une indignité tardive à un déshonneur initial.

      Voilà, je n'implore ni oubli ni pardon : je sais qu'il serait au-dessus de vos forces de me les accorder. Je demande juste le droit de continuer à venir lire le CGB, dans un silence honteux.

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    3. Vous ne vous en tirerez pas comme ça : vous nous ferez 4 jours aux coquillettes, 0% CGB. 4 jours !

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    4. Si je peux y ajouter des petits cubes de talon de jambon, un filet d'huile piquante faite maison et une cuillerée à café de purée de piment, Samira…

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    5. J'ai compris ce que vous êtes, Goux : un exotique !

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    6. Damn'd ! le piment m'a tuer !

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  8. Quand CGB secoue les nouilles ...

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  9. Quand ma copine m'avait engueulé parce que je coupais les spaghettis je lui avais répondu d'aller se faire foutre et l'avais traitée de snob.
    Mais, comme le jugement de Beboper est beaucoup plus important que celui de ma meuf, je vais pas couper les spaghettis en quatre :

    Je demande l'absolution Beboper!

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    1. Nt, nt, je ne saurais remplacer une meuf. Surtout une qui a un bon sens si manifeste ! Pas snob pour deux sous, logique.
      Alors, l'absolution est acquise car la miséricorde doit nous guider. Mais elle sera assortie d'une requête : que tu lui fasses un gros câlin en te demandant ce qui a pu te passer par la tête, que tu lui dises que tu ne recommenceras plus, et que tu lui demandes de t'apprendre d'autres trucs aussi essentiels pour la vie d'un homme. Voilà !

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  10. On trouve les plus anciennes trace de religion Pastafarienne au XVIIIe siècle, dans un petit village des Abruzzes du nom de Santa Gorgongolia degli Piripipi. Géographiquement isolé au centre de ces vastes et grandioses paysages de roches basaltiques et d'herbe rase qui appartiennent aujourd'hui au parc naturel protégé delle Cagliassedure, ce village de quatre cent âmes et mille cinq cent chèvres ne comptait à l'époque qu'un seul nom de famille.

    Tout est partit, comme c'est souvent le cas, d'un évènement banal : un paysan du nom de Pepe Pirippi, chef du village, et son acolyte le prêtre du village, Padre Piripipi, sans doute à l'occasion du passage annuel du colporteur des montagnes (un sourd-muet nommé Toto), tombèrent un beau jour par hasard sur une reproduction peinte du Laocoon (sculpture célèbre du 1er siècle, exposée à Rome : http://leblogdelhormone.files.wordpress.com/2012/07/laocoon.jpg ).

    Il faut savoir que ces gens vivaient tant et si bien à l'écart du monde qu'à cette époque encore, c'est-à-dire il y a deux siècles et demi – bien qu'ils eussent vaguement entendu parler d'un certain général « Napoleone » – ils ignoraient tout-à-fait que l'Empire Romain avait chu. Personne du dehors n'avait eu le cran de venir les en avertir. Et même s'il y avait eu quelqu'un - on ne sait pas, un philanthrope - pour se transporter dans leurs confins afin de leur révéler le monde extérieur, d'abord il se serait heurté à la barrière de la langue, ou plutôt du patois local (car ils parlaient un patois connu d'eux seuls), et puis même si les Piripipi avaient fini comprendre le discours de l'étranger, ils ne l'auraient jamais cru, parce qu'ils ne faisaient jamais confiance aux étrangers, aussi la belle âme aurait plutôt encouru d'être assommée à coups de bâton - si ce n'est pire.

    Car les Piripipi, ce n'étaient pas des gens nés de la dernière pluie - ah ça non ! - on ne la leur faisait pas, à eux, - encore un complot de leurs ennemis pour les faire sortir du bois ! - encore un coup à se faire envoyer aux galères, manger par les lions ou enfermer dans les geôles de César !

    Pepe Piripipi et Padre Piripipi se persuadèrent ensemble, en examinant scrupuleusement l'image du Laocoon, que l'Empire avait une religion cachée et que cette religion était la seule religion vraie, et que cette religion consistait à vénérer un gigantesque et terrible serpent qui étouffait de préférence les honnêtes pères de famille, les garçons courageux et les braves gens. Ils entreprirent de concevoir ensemble - Pepe Piripipi, illettré comme la majorité de ses administrés, était le cerveau, mais Padre Piripipi tenait la plume -, la /Génèse Véritable & Cachée/ de cette religion impériale.

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  11. Ce texte commençait ainsi (traduction approximative) : "Au commencement du monde, il n'y avait pas de monde, mais seulement un immense et infini et gigantesque serpent bouillonnant plein de nœuds, plié et replié encore sur lui-même autour de lui-même, qui nageait dans la mélasse sanguinolente du chaos originel, comme un monstre de spaghetti dans la sauce tomate. Ce Dieu monstrueux et honteux était le monstre des monstre et le seul Dieu que la terre ait porté."

    Dans les années qui suivirent la diffusion de ces idées originales auprès des autres membres de la communauté paysanne Piripipi, des pratiques cultuelles unique en leur genre virent le jour à Gorgongolia, avec notamment la fête bi-mensuelle de la Pastaragliaglia, où des jeunes filles vierges et pieuses se roulaient nues dans la sauce tomate, tandis que leurs frères et cousins (ce qui revenait peu ou prou au même) jouaient à les étouffer sous des monceaux de pasta bien collante déversés à pleins seaux depuis la grande marmite sacrée où les mamas les faisaient cuire. Il y eut des morts par ébouillantage. On en fit des saints.

    Quand les carabinieri de la bourgade civilisée la plus proche furent mis au courant - un peu trop tardivement, hélas -, de telles hérétiques pratiques, ils se résolurent à faire un déplacement armé dans le village des fous, et après quelques échauffourées mémorables qui nécessitèrent plusieurs renforts de troupes, embarquèrent pas mal de monde pieds et poings liés dans des charrettes, desquelles ces gens furent déversés sans plus de procès, directement dans les caves de la prison de la capitale des Abruzzes, par les soupiraux.

    A Gorgongolia degli Piripipi, cette mésaventure conforta ceux qui restaient dans leur peur sacrée de la Toute-Puissance de César et de son Dieu unique, le Monstre-Spaghetti universel. Seulement, ils s'avisèrent de ce qu'un Dieu aussi terrible et obscur, bien que Tout-Puissant, n'était pas bon, mais au contraire très méchant et très ingrat, et qu'ils avaient été bien bêtes de lui vouer un culte. Depuis lors, les Pastaragliaglia ont été supprimées, et à leur place on célèbre tous les soirs, dans le plus grand secret, un rite nouveau, à l'heure de la soupe.

    Quand, la journée de travail finie, la campagne prend une teinte de sang, quand les hommes, harassés par le travail ingrat d'une terre pauvre et avare de bienfaits, rentrent au bercail le ventre creux, sous les appels strident de leurs épouses : « 'E pronta la pasta ! Vieni a mangiare ! »... Dans la moite chaleur de ces misérables chaumières, tandis que femmes et enfants silencieux, attablés prostrés devant leur auge, attendent que l'homme ait pris sa première bouchée pour manger à leur tour, celui-ci sort, tel le prêtre antique, de la poche de sa blouse, le fidèle couteau pliant dont il ne se sépare jamais, et, honorant ainsi la mémoire des héros morts pour Gorgondolia contre le Monstre-Spaghetti, il cisaille énergiquement ses pâtes à plusieurs reprises avant de les porter à sa bouche.

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  12. Beboper, le problème du cassage de spaghetti n’est finalement que L’UN des aspects (mais le plus sacrilège !) d’une maladie beaucoup plus étendue de notre siècle : FAIRE SANS FAIRE. Tu veux des spaghettis mais sans devoir les enrouler ? Et tu veux aussi maigrir, mais sans transpirer. Tu veux du coca mais sans sucre. Tu veux de la culture mais sans te prendre la tête. Tu veux fumer mais sans fumée. Tu veux du tout bon mais sans le payer. Tu veux qu’on embauche mais sans qu’on puisse licencier. Tu veux faire de la photo mais sans apprendre à en faire... Salope.

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  13. Pastafatou, il me semble impossible d'argumenter avec vous : vous allez directement au mythe ! Comment lutter contre des dieux et des rites si anciens ? Et que pèse ma logique benoîte face à la nuit des temps ?

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  14. Ouais, avec de VRAIES spaghettis, le raisonnement se tient... mais moi, la plupart du temps, je les achète au LIDL, question de calcul coût/bénéfice... Alors je les casse et je m'en branle. Ainsi parlait Zarathoustra.

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  15. Harlan Bandjoe28 mai 2014 à 16:13

    Je suis outre. Alors qu'il se passe en ce moment meme des evenements si graves, les zouaves du CGB nous parlent de cuisine d'un sous pays infoutu d'envahir la Crete.
    En en ce moment meme, des ordures de la pire espece decoupent leurs cailles avec des couteaux, mangent leurs cuisses de grenouille avec une fourchette, ou avalent leur sushi avec des baguettes. Pendant que vous menez vos combats d'arriere garde on insulte la seule maniere de manger dignement : avec les doigts. N'ayez pas une lutte antifasciste de retard !

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    1. Certes, on a les luttes qu'on peut... Mais comme le disait Francis Hustler, l'essentiel, c'est de militer. Nous militons, Bandjoe ! La bétimonde n'a qu'à bien se tenir (à table) !

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  16. Le CGB a encore fait des miracles !

    Un grand mystère majeur résolu: mais ou est donc passé le tirailleur sénégalais rigolard des pubs Banania ?

    Réponse: le traître, que dis-je, le fieffé félon est passé à l'Ennemi! Il a rejoint la concurrence en devenant le nouveau porte-étendard de Panzani-aux-oeufs-frais ! Honteux! Scandaleux !! Quel manque de loyauté chez les gens du showbiz.....

    Prochain épisode: Wanted! Le gamin tête-à-claques des pubs Kinder des années 70 & 80. Recherché mort ou vif. Pour la récompense (en bonbons Haribo), prière de s'adresser à la section syndicale mondano-révolutionnaire CGB de la CGT-SNCF.

    Les meilleurs fins limiers du CGB sont déjà sur sa trace. Ce criminel endurci ne perd rien pour attendre: la Justice va frapper !

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  17. Je me demande si ça ne devrait pas faire l'objet d'une directive de Bruxelles, ça...
    Avec tribunal de La Raie pour celui ou celle qui passerait outre.

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