La période post-soviétique dans les pays d’Europe de l’Est a donné lieu depuis le début du XXI ème siècle à ce qu’on a appelé les révolutions multicolores (révolution de la Rose en Géorgie, révolution orange en Ukraine, « révolution des tulipes » au Kirghizstan, révolution en Serbie et en Azerbaïdjan). Ces révolutions sont à rapprocher des révolutions de velours de 1989 (Bulgarie, Tchécoslovaquie et les Etats Baltes) dans la mesure où elles se sont faites sans effusion de sang et où elles ont visé à défaire un régime oligarchique et autoritaire. Si elles peuvent être qualifiées de révolutions démocratiques, on peut en revanche s’interroger sur leur prétendu caractère populaire. C’est en premier lieu la nature des acteurs de ces révolutions qui amène une telle interrogation : des mouvements de jeunes visiblement dirigés par des élites pro-américaines. Ensuite, le résultat de ces évènements, c’est-à-dire la nature des actuels détenteurs du pouvoir tend à montrer que, comme souvent, une élite a été remplacée par une autre qui perpétue les vices et les travers qu’ils attribuaient à leurs prédécesseurs (corruption, luttes de clans, autoritarisme). A ce titre, le documentaire d’Arte intitulé « Révolutions mode d’emploi » est volontairement ou involontairement très éclairant sur la question (1).
Il va nous aider dans notre tentative de faire, malgré les différences, un tableau général de ces révolutions que nous pouvons qualifier de démocratiques et libérales mais certainement pas de populaires ni de sociales.
En face d’eux, ils ont un gouvernement affaibli par son isolement géopolitique (blocus économique) et par des dissensions en son sein. Les étudiants « révolutionnaires » le qualifient d’affreuse dictature qui les opprime. Le documentaire d’Arte nous permet de voir un peu ce qu’il en est et quelle terrible répression est perpétrée par ce régime :
- cette dictature laisse de tels mouvements s’organiser et manifester librement. Ils organisent même des concerts en pleine ville sans être inquiétés
- cette dictature permet que ces mouvements soient constamment suivis par les télévisions et les journalistes et que leurs mises en scène à la sauce révolution de supermarché soient régulièrement relayées dans les journaux télévisés et fassent les unes de la presse.
- cette dictature permet que des policiers soient humiliés et insultés sans les autoriser à réagir
- cette dictature permet que d’immenses affiches frappées des slogans des révolutionnaires soient déployées dans les rues
- Incroyable ! Cette dictature permet qu’ils organisent un grand Congrès à Kiev en 2005 auquel ils invitent tous les représentants des fondations occidentales (German Fund, Fondation Westminster, Fonds Soros, National Democratic Institute)- fondations qui soutiennent , on vous le donne en mille, la démocratie et la liberté. Une sorte de speed dating de la révolution ou de grand casting pour la Revolution Academy ou La Nouvelle Star de la Révolution. Si les petits font bien leurs devoirs la fondation augmentera les crédits. Miser sur le bon bourrin, les américains savent faire. Mais faut que l’investissement rapporte vite et rapporte plus que la situation actuelle. En Azerbaïdjan ça valait pas le coup, les américains ont arrêté la campagne de pub pour la démocratie. Parce que la démocratie ça va mais du moment que ça rapporte. Et puis les jeunes de là-bas n’avaient pas l’air suffisamment fan des néocons. Trop peu gauchistes et trop peu réformistes et trop de gauche probablement. Tant pis ceux-là attendront pour changer leur téléphone portable et pour se meubler Ikéa.
- Incroyable ! cette dictature laisse aussi s’organiser en plein jour des conférences qui visent à former les futurs combattants pour la liberté en costard cravate. Après la classe, ces dangereux comploteurs vont tranquillement boire un verre dans le bar d’en face, vous savez celui situé à côté du commissariat. Fini les caves obscures et les rendez-vous en pleine nuit dans des ruelles sombres.
- Incroyable mais vrai : dans cette dictature, ce sont les révolutionnaires qui manipulent les médias !
Les '2 be 3' serbes, boys-band de la Révolution
Et puis écoutons le leader « serbe » à l’allure de jeune cadre de Wall Street qui s’exprime depuis ce qui ressemble à un studio de télé ou une salle de conférence luxueuse :
« L’un des pires bruits du monde, c’est le bruit des matraques de la police sur les boucliers avant leurs interventions ». Effectivement, ça fait froid dans le dos et c’est une horreur absolue ! La révolution sera ludique et financée par Walt Disney, Coca-cola et Penthouse ! L’autre confession d’un leader géorgien cette fois ne laisse aucun doute là-dessus : « C’était important pour nous de montrer que la politique c’était cool, si j’ose dire sexy ». Il verra peut-être un jour qu’un poteau d’exécution peut aussi être très sexy.
Gageons que désormais ces opportunistes sont récompensés de leur collaboration par des postes importants et qu’ils profitent de leur intégration dans la nouvelle oligarchie qui dirige le pays. Ils vont pouvoir changer leur ordinateur portable et acheter des meubles Ikéa pour leur appart en plein centre de Belgrade. Et la petite brune au look de dactylo, cheffeeuu du mouvement Khmara… Cette Louise Michel des Balkans (avec certainement un plus joli cul que notre Louise nationale) est déjà probablement productrice à la télévision pendant que son copain licencie le petit personnel depuis son superbe bureau de ministre.
Bref, une belle opération marketing rondement menée par des mercenaires professionnels. Une révolution de riches faite par les riches pour les riches. Mais le peuple a bien suivi le programme et il a acheté. Car bien entendu les producteurs du spectacle sont en coulisses afin de ne pas effrayer le bon peuple. Ces jeunes sont si adorables qu'on leur donnerait, comme ici à notre petit facteur révolutionnaire, le bon dieu sans confession. Mais ils se contenteront d’être les valets du nouveau pouvoir pendant que leurs compatriotes moins chanceux continueront de crever la dalle.
Concernant les coulisses, le documentaire nous présente par exemple en Serbie, ce Milan St Protic, futur maire de Belgrade : sweat shirt Tachini, allure de vieux beau qui veut faire jeune, appartement décoré façon Jacques Séguéla avec œuvres d’art Coca-cola, s’exprime en anglais, capitaine d’industrie qui se la joue cool. Un américain en quelque sorte.
Björk - declare independance
envoyé par zefa
(1) à voir sur Dailymotion : www.dailymotion.com/video/x3udlq_revolution-bobo-mode-demploi-1_politics
(2) Plus de 10 000 cadres de l’association de jeunes Pora et du Committee on Voters of Ukraine perçoivent un salaire à hauteur moyenne de 3 000 dollars par mois, ce qui représente en Ukraine un revenu plus que confortable. Ces émoluements sont financés par les États-Unis, via l’USAID et la NED. Le fait d’engager des milliers de figurants pour jouer une manifestation devant la presse a été expérimenté pour la première fois par le MI6 britannique et la CIA lors de l’Opération Ajax : en 1952, ils recrutèrent 6 000 figurants pour marcher sur le palais royal et renverser Mossadegh. (Source : http://www.reseauvoltaire.net/article15658.html#nb4)
don't let them do that to you
- justice-
make your own stamp
protect your language
make your own flag
raise your flag - higher higher
raise your flag -higher higher
ignore their patronizing
tear off their blindfold
open their eyes
declare independence
don't let them do that to you
with a flag and a trumpet
go to the top
of your highest mountain
En effet, ce sont toujours les mêmes pelés "révolutionnaires" que l'on voit d'Ukraine à l'Azerbaïdjan... Parfois les oligarques sont mécontents du résultat de leurs "révolutions libérales" comme en Georgie alors..
RépondreSupprimerJe ne connais rien à la vie des pays dits de l'est. Je ne sais même pas, d'une semaine sur l'autre, si un nouveau pays n'est pas apparu dans l'indifférence générale !
RépondreSupprimerEn revanche, je trouve très intéressant le clip de Bjork: l'artiste use du mégaphone pour apporter du sang, du sens, de la vie aux espèces de pantins qui l'écoutent, et qui partent dans un jump vital grâce à elle.
On peut pas dire que cette vision du peuple soit très optimiste, ni humaniste, ni "sympa", mais on apprend, grâce à Bjork, que le rôle d'un artiste, fût-il de variétés, est comparable à celui du berger avec ses moutons.
Quand je pense qu'il y a des commentateurs du CGB pour nous reprocher notre "arrogance" d'oser chroniquer notre petit monde... J'espère qu'ils ne sont pas fans de Bjork...
Très bon papier Zefa !
RépondreSupprimerJe n'avais pas vu l'annalogie, pourtant évidente, entre les petits cons des révolutions oranges, et nos anciens petits cons soixantehuitards eux-mêmes devenus entre temps des vieux cons réac, c'est à dire des anti-peuple français.
J'espère que vous avez passé un bon Noël, et vous souhaite à vous les partouzeurs cultureux, avec un peu d'avance, une bonne année 2008.
Bonne annee 2008 a toi auberon.
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