- 1, 2, 3, Soleil ! - Ah mais t'es vraiment trop con Orphée ! |
Accidental : néologisme qualifiant l’accident de
civilisation qu’est l’Occident moderne, autrement appelé : bob monde, ou donc :
monde accidental.
C’est Homère, avec
Ulysse, qui invente la nostalgie. Elle est primale. Il s’agit de revivre son
passé dans la réalité. Ulysse se souvient moins qu’il ne revient. La fable en
raconte l’histoire.
La nostalgie par le souvenir lui succède. Considérer son
passé appartient au temps orphique, c'est-à-dire au temps légué par Orphée dont
le mythe estime que s’arrêter pour se remémorer dessille celui qui préfère
s’illusionner. Le retour des ombres n'est pas possible : ce qui l’est, c’est de
se retourner sur elles. Les aviver n’est permis que par le recueillement. Alors
la fable ne suffit plus, il faut une abstraction supérieure pour ne plus
seulement toucher les corps, mais atteindre à l’âme : c’est la poésie. Elle
ouvre chez les Grecs la voie à la musique qui prononce en notes ce que disent
les mots. Le verbe succède définitivement à la parole.
A l’échelle d’une civilisation, donc d’une psyché plurielle,
la poésie devenue musique accouche de la geste littéraire qui elle-même crée
l’Histoire.
Tout cela, le
moderne l’appelle un bilan. Qu’il soit individuel ou gouvernemental, il y a un
bilan qui traîne. Il y a désormais chez chacun la promesse d’un état des lieux.
Un compte-rendu sur soi-même est sinon une obligation, au moins une nécessité.
Il s’agit de se créer un moi optimal qui barycentre des « points positifs et
négatifs ».
Il est étrange que le souvenir, auquel se refuse notre
temps-de-l’oubli (synonyme de l’instant-réduit-au-présent), apparaisse chez le
moderne. C’est pourtant le cas. Il ressemble à un rappel à l’ordre, à un
rassemblement même, tout militaire, au cours de quoi sont convoqués les «
événements marquants ». Sont subitement ignorés les slogans-en-avant et leurs
injonctions à foncer. L’avenir égale le présent et soudain, on se rend compte
que les deux ont à voir avec le passé.
Alors le moderne parle de crise : crise de la trentaine,
crise de la quarantaine, crise de la cinquantaine, tout coule en décennies.
Dans un monde où le chiffre s’est substitué à la lettre, l’homme se confie aux
statistiques. Ce sont elles qui lui expliquent pourquoi il va mal et quand il
ira bien. Elles creusent dans les entrailles de l’économie d’où elles tirent
une métaphysique de prisu.« La crise nourrit la crise » disait-on après 29, et
on y croyait. On tenait un haruspice. Il sommait les muets de parler : les
humains, ces variables d’ajustement. La stat a révélé l’économie à l’homme ! On
ne prie plus qu’elle avant que ne tombe la crise de la crise qui est la mort
elle-même.
Ces crises jalonnent un parcours qu’elles sanctionnent de
récapitulatifs. En France, ce sont des plans bi-quinquennaux qui font basculer
l’humanité accidentale dans l’andropause au terme d’élections bidons. Hollande,
ce bonhomme ménopausé qui fraternise dans la graisse avec ce pourceau de
Merkel...
Mais ici ou ailleurs, ce n’est plus le regard qui est
sollicité depuis qu’Orphée est mort. Partout, il est tué par le blabla.
Partout, c’est la revanche de la parole.
Par cette
conversation avec son passé, le monde accidental initie son introspection.
L’homme s’ordonne au temps freudique qui a succédé au temps
orphique. L’homme s’abîme dans l’analyse. Des heures durant, seul ou accompagné
par un charlatan, il pose ses fesses sur un canapé et déblatère sa frousse de
la nostalgie qu’il anticipe. Et il parle et parle et parle sans plus rien voir
ni regarder que soi. Ici, il concentre l’actualité sur lui, et là, il confond
la sienne avec la générale. L’Histoire devient histoire comme d’une projection
à un stade inférieur. L’Histoire de tous s’atrophie dans l’histoire de chacun,
via quoi elle est évacuée du temps. C’est le retour à la fable, ce qui n’est
pas incohérent avec l’idée que les analysés et les analystes sont des
affabulateurs. C’est une contrefaçon du retour en arrière, justement. Mais
aujourd’hui que la musique est devenue du bruit et qu’on appelle ce bruit de la
poésie, il faut placer cette contrefaçon sous le mot de décadence. Le retour
confine à la régression. Le balancier n’obéit pas aux lois du pendule mais à
celles de la chute. Le temps freudique suit la logique inverse du temps
orphique. Il l’annule en le ramenant à son point de départ où l’art oral
n’existait pas. Car ce qui se joue dans ces contractions du moi, c’est la fin
de l’abstraction. De sorte que c’est l’art tout entier qui est soldé au même
prix que l’Histoire. Le mouvement, qui est de repli, répond parfaitement à
l’exigence accidentale de « bouleverser les codes ». Les accidentaux œuvrent à
ce que le chambardement soit total au point de contaminer n’importe quel
domaine de l’esprit.
En littérature, par exemple, que je connais bien, cela
conduit à l’autofiction et à son cortège de névroses. Les scribouillards qui
décident à la suite d’une crise de « narrer » leurs frottis de cabinets, démolissent
et la littérature, et l’idée même de la nostalgie. Ce sont des décadents, pire
: ce sont des morts. Ce sont des Eurydices qu’il ne faut plus fixer. Mais cette
fois, ce sont elles qui ont tué Orphée. Elles nous regardent. Voici venu leur
temps.
D'où l'intérêt d'un renouveau littéraire/artistique/sociétal par le christianisme ? Le socialisme révolutionnaire ?
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