26 janvier 2021

Les meufs existent (je les ai vues)


Initialement, “meuf” était un mot, une appellation, un verlan. On parlait de “sa meuf” quand on n’avait plus l’âge de parler de "copine" mais qu’on ne se sentait néanmoins pas les couilles de l’épouser. On parlait encore de LA meuf, pour désigner l’autre là-bas, la femme de l’autre côté de la rue, qu’on voulait rendre quelconque. 

Ainsi, jusqu’à un certain temps, une “meuf” était simplement une femme, qu’on baptisait d’un petit nom de plus, comme il y eut “gonzesse”, “nana”, “donzelle”, “pépée”, “nénette” ou “poule” avant cela. Mais de meuf, il n’existait pas à proprement parler, sur la surface de la planète ni dans les classifications anthropologiques. 

Désormais, c’est différent : la meuf a fait son apparition et existe bel et bien ici-bas. Les premières concernées se nomment d’ailleurs elles-mêmes de cette façon. « Mais Meuf ! », se lancent-elles aux terrasses de café, sur le ton qu’utilisait Eddy Murphy pour dire « Hé mec ! ». Aujourd’hui, la meuf n’est plus un mot d’argot mais une réalité sociologique et humaine, qui s’est glissée parmi les espèces répertoriées de la fille, de l’adolescente et de la femme. Il y a les femmes, et il y a les meufs. Le fait est d’ailleurs assez remarquable : pour une fois, le mot a précédé la chose. Il l'a engendrée même, la meuf s’est mise à exister. Suivant la loi de l’Evolution, elle descend de la femme et constitue un nouvel écotype adapté au climat de l’époque qui préparait son lit. On date l’apparition de la meuf vers 2000 ap. J-C. Désormais, elles pullulent, mais peut-être certains parmi vous n'en ont jamais vues. Aussi me faut-il la décrire. 

Jusqu’à ses 20 ans, la meuf reste proche de la femme tant morphologiquement que psychologiquement. C’est à partir de cet âge qu'elle diffère pour prendre ses propres caractéristiques. Physiquement, elle peut conserver un apprêt tout féminin, le goût du maquillage et de la tenue séduisante... C’est par le comportement qu’elle se distingue, empruntant certains traits de l’immaturité masculine. 

Par rapport à sa cousine, la meuf tend à vivre en bande. Engagée dans les études ou dans un job en entreprise, elle ne socialise pas comme le faisait la femme avec des amies (la meilleure amie, la confidente, la copine moche qui rassure...), mais avec une bande, mixte ou exclusivement féminine, avec laquelle la meuf vivra jusqu’à un âge relativement avancé. Cette bande ressemble à ce que l'on connaît habituellement sous le nom “bande de cons”, avec toute la grasse rigolade et la beuverie qui va avec. La meuf boit, vomit, roule des joints, conduit déchirée la musique à fond, parle de cul, raconte sans ambages à la compagnie ses histoires de règles et de tampons usagés... Un côté Thelma et Louise, un cran au-dessus dans la vulgarité, la touche rétro en moins. 

Au sein de la bande, la camaraderie est de la même nature que celle qu’on peut observer dans la série Friends : groupe de copains-copines ni hommes ni femmes ni pédés, mais un peu tout ça à la fois, qui stagne au stade de jeune adulte sur le même canapé jusqu’à la fin de la trentaine. S’y mêlent amitiés et petites histoires de fesses, papouilles et taquineries, et à la fin tout le monde sera plus ou moins sorti avec tout le monde. 

La meuf est une sex friend : littéralement "un pote qu’on peut baiser". C'est exactement comme cela qu’elle se positionne et qu’elle brouille la nature de la relation entre sexes. La meuf se défait de toute ambivalence, de toute altérité qui pourrait faire qu’un homme de sa génération se sente son étranger, condition sine qua non pour qu'il se sente l'instinct de la conquérir au sens courtois, ce dont il n’a plus guère envie. En même temps qu'elle la joue pote, nichons et petit cul sont toujours là néanmoins, mis en valeur pour eux-mêmes, non pour séduire mais pour se plaire elle-même ; ils sont là, mais rendus mentalement inaccessibles, désexualisés par cette simplicité amicale, interdits par une niaiserie girly que la meuf assume mais que l'innocence n'est plus là pour rendre charmante. 

Quand elle opte pour la vie de couple, la meuf chasse sur Tinder, à la recherche du standard d’homme GQ, celui qui la regarde droit dans les yeux dans ses magazines, celui avec le col roulé en laine équitable à 99,99 €. Elle finit en revanche avec le seul profil à sa portée : le fils à maman, décultivé, jouant à la console le dimanche matin et rappelant de racheter du Nutella quand elle sort faire les courses. Sans ambition familiale, il laisse toute latitude à la meuf pour conserver sa vie en bande et mener ses achats individuels. Lui, au moins, ne harcèlera personne. Et de toute façon, ce n’est l’histoire que d’un an ou deux avant d’être remise sur le marché. 

Sentimentalement, la meuf est plutôt réaliste. Ce n’est pas qu’elle ne nourrit pas des attentes romantiques disproportionnées (elle attend le prince charmant à chaque “dating”), mais elle est consciente que celles-ci sont excessives, elle se raisonne : elle va vers les 35 ans, les bonnes affaires ne sont plus en rayon depuis longtemps, et le palpitant, au bout de la 15ème love story, connaît une usure certaine. Alors, puisque ce ne sera plus jamais l’amour, ce sera la baise amicale, plus ou moins entendue. Soyons femme-acolyte. 

La meuf dispose, pour adoucir le pathétique de la situation, de toute une littérature dont la fonction est de la légitimer. Les œuvres majeures se trouvent en gondole de supermarchés culturels, juste avant la caisse en général. Avec des titres comme “La Femme parfaite est une connasse”, et des illustrations façon Pénélope Bagieu ou Margaux Motin. On y explique pourquoi la meuf a raison d’être une meuf, et de ne plus s’intéresser qu’à elle-même - la remise en cause et le dépassement de soi, voyez-vous, c’est pour le mâle blanc, la meuf, elle, a droit d’être indulgente et complaisante avec elle-même, ses opinions, son mode de vie dressé au rang de philosophie... Elle aime les chats, et le cinéma. Comment pourrait-elle être reprochable de quoi que ce soit ?

La meuf ne se doute pas de ce qu’elle assassine : l’éternel féminin. Et quand elle le sait, elle s’en esclaffe, un verre de Spritz à la main.

 

18 commentaires:

  1. Pire que les meufs qui s'appellent « meuf » entre elles : les meufs qui s'appellent « frère » entre elles (« bro »).

    Concernant le manque de charme de la meuf, une petite citation :

    « L’amour est une transmutation du champ érotique, qui se produit quand il y a un déséquilibre entre ses pôles. Entre égaux, on ne fait que copuler. »

    Nicolás Gómez Dávila


    P.S. : Touche pas à mon Spritz !��

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    1. Frère n'a pas été popularisé par une traduction de "bro". Frère, ça vient des zones sensibles françaises où on a pris coutume de s'appeller frère parce qu'on est d'une même foi.

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    2. Y'a vraiment des meufs qui s'appellent "frère" ?

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    3. Oui, c'est devenu très courant.

      Et si, c'est par une influence étasunienne que de jeunes filles en viennent à se qualifier de « frères ».

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    4. Ceci dit, j'ai un jour eu l'ineffable plaisir de voir une de mes collègues antillaises envoyer chier un Africain qui lui donnait du "ma soeur"!

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    5. Normal qu'elles se traitent de "frère", puisqu'elles s'en battent les cou... es".
      Carine

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  2. Avant c'était Audrey Hepburn qui incarnait la femme. Maintenant les femmes se comportent comme les plus cons des hommes pour faire féministe et moderne. Et ça donne Marlène Schiappa.

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    1. On en a tous beaucoup connu des Occidentales de cette sorte. Celles qui sur-investissent leur boulot pour à 39 ans, regarder les mecs avec le désespoir de toutes leurs rides...

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    2. Dans Diamants sur Canapé, Audrey Hepburn ne s'habille peut-être pas comme une « meuf », mais elle se comporte comme une « meuf » !

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    3. Audrey Hepburn n'était pas la femme : à peine une frimousse bien habillée.
      Pour incarner la femme : Ava Gardner, Gene Tierney, Elizabeth Taylor.

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  3. Messieurs, une question me taraude, moi qui suis récent sur le CGB - après un rite d'initiation secrète grec et une sélection hyper-pointue : Le CGB a t-il des lectrices ?

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  4. Au fait Xix, j'ai demandé à Beboper de me donner ton adresse email - je vais te contacter. Chouffe un peu tes méls, stp. Kevin

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  5. La bonne nouvelle c'est que la plupart de ces "meufs" ne veulent pas d'enfants. Trop de responsabilités, trop tradi le concept de famille. Argument entendu maintes fois : avec le monde qu'on va leur laisser je préfère pas mettre au monde un nouvel être humain pour qu'il soit malheureux. Des vaincues d'avance... et un one-shot génétique heureusement.

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    1. Ce serait une bonne nouvelle s'il s'agissait d'une minorité. En l'occurrence, pas de quoi se réjouir.

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  6. -Version officielle, celle qui donne l’ultime onction morale, le sacrifice de la maternité au nom de la préservation de l’humanité, le malthusianisme au secours de la planète ; l’extraction de l’humain à venir, de son destin tragique. La figure de l’altruisme par excellence, cette modernité qui voudrait le bonheur de tous, au détriment du sien, ou La position sociale est proportionnelle au respect de la religiosité contemporaine, celle qui propulse chaque individu responsable de tous les autres. A l’image de cette époque, cette version navigue entre fumisterie et hypocrisie.
    Vergetures, prise de poids, seins qui tombent, effets indésirables divers et variés liés à la grossesse, ne pouvaient plus être des excuses acceptables de son refus, face à la vénération et la place centrale que la procréation a pris dans les questions sociétales. Alors que dire si celui-ci, était lié à la privation du brunch de 16 heures, de la fashion-week, des vacances à Cancun, du petit coup du samedi soir, ou à l’odeur des couches, au manque de sommeil, à la responsabilité qu’implique la naissance d’un enfant. Sans compter le possible échec professionnelle, et la partage de la filiation. Non ce désir de liberté et d’indépendance bien que légitime, ne pouvait se satisfaire d’une justification, somme toute, que l’on aurait pu qualifier d’égoïste. Il fallait lui trouver une cause plus noble, indépassable, universelle, adaptée au mantra de notre époque, à savoir un égocentrisme forcenée travesti en une volonté du bien commun. Et c’est ainsi que naquit la version officielle

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  7. Les femmes représentaient moins de 10% de la population goulag et beaucoup moins que la moitié des prisonniers du laogai, soit une minorité dans les deux plus gros systèmes concentrationnaires du XXe. Aussi la rééducation au XXe siècle a-t-elle essentiellement été masculine.
    Au XXIe siècle, il y aura peut-être des camps de rééducation pour pétasses. Il suffira d'y practiquer cette stricte égalité homme-femme qu'elles appellent de leurs vœux pour en faire un enfer sur terre

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