13 septembre 2020

Portrait du littérateur en son paletot

 


Cette rumeur caniculaire, c’est celle de mille jets d’eau tiède rebondissant à travers les murs de papier, ruisselant d’appartement en appartement sur les corps chauds des mignonnes, toute théorie de citadines accablées, cherchant dans le pommeau salvateur le remède à l’anéantissante pesanteur dans la nuit écrasée de chaleur –  corps d’albâtre, corps de miel, poignets délicats, toutes mille variétés, brillants petits fessiers pommelés français, bien élevés, de race, en coquinerie – errant dans des chambre étrangères, incapable de trouver le sommeil au bord de lits défaits, je cherche, je palpe… des bibliothèques inconnues. Je suis à Paris ! Paris !


Je descends, je m’aventure, les rues désertes, les bars du quartier ouverts la semaine dernière, les ravissantes clochardes attablées une clope au bec un verre de blanc à la main, je file, je marche, Strasbourg-Saint-Denis, allures de bas-empire, Babel luxuriante, tous les peuples de l’empire y dégorgés ; je suis pas dépaysé, peut-être en état d’ivresse, un peu, légèrement, je me retourne, convulsif : qui donc me colle aux basques ? Mauvais rêve, delirium peut-être… C’est Chichnarfne ? à mes trousses ! Il me suit depuis Helsingfors ! louche loufiat ! Sans passeport ! c’est ça l’Europe !

Une bouche de métro ! je l’avise, je la mire, prudent… mais l’ombre derrière moi n’attend pas, se rapproche, l’éclair d’une lame peut-être, je fantasme, c’est le sentiment d’insécurité… traqué comme une ombre, je m’y jette, dans les couloirs jaunes du métropolitain.


Le gentil blême éclairage dissipe, anéantit mon Chichnarfne : ce n’était qu’Enfranchiche : tranquille, débonnaire, au téléphone. Mais j’y suis, dans le métro. Je visite. Je m’attarde. J’admire.


Paris ! Paris, Capitale de la Culture ! Ville Lumière ! Orbe de littérature, châsse de sapience, luisance moirée d’écrivains germanopratins ! Il n’y a qu’à Paris qu’on trouve des stations de métro adornées de réclames publicitaires… pour la littérature ! pour les livres ! C’est Paris ! Pas que du dentifrice ou des sites de rencontre ! des livres aussi ! Partout ! tout plein ! des monceaux ! Tombereaux ! Pilons ! Le vingt-quatrième roman ! Le dernier essai ! L’antépénultième confession ! Je vous dirais tout ! Mon enfance à Brégançon ! Les récompenses ! Le prix des supermarchés ! Les recommandations du libraire ! Le coup de cœur de la stagiaire ! C’est la rentrée littéraire… A en tapisser les parois du bunker ! Démesurées, elles me toisent… Pas que la couverture ! La fife de l’auteur en prime ! Elle te dévisage ! Beige bébé ! Yannick Moix, cabochon ! Onobibio ! Adélaïde ! Une Belge, larmoyante (elle écrit du cœur) ! Le rédacteur-en-chef ! Laetitia de Plus Belle La Vie ! La crinière de l’anthroposophe – il est en Ukraine, il libère la Libye – ils sont tous là ! Te voilà bombardé, Parisien ! A la lecture, passager du Métropolitain ! C’est Paris ! C’est Farci !


J’en vois un qui ne partage pas mon enthousiasme. Il grince des dents, émacié, maigrelet, empaqueté trop chaud pour la saison. Poète à faire peur. Il lève les yeux, grogne, murmure, vitupère. C’est un littérateur. L’œil morne, insomniaque, il erre, lent silencieux dément, dans les allées indifférentes des grandes librairies. Il passe les présentoirs. Agite le poing, menace le libraire, importune le client. On le vire, il prend le métro – étalage à bouquins à nouveau. Pas de boulot, pas d’éditeur, de la haine pour beurre. La rentrée c’est sa sortie. C’était bien la peine de quitter l’école de commerce.


Chichnarfne, oublié. J’ai dessaoulé. La soupente, la mansarde vers laquelle il rentre, mon petit poétaillon aspirant. L’attend la muse : sacrifice, ruine, rognures d’ongle. Ces lignes qui s’étagent sur l’écran de son petit ordinateur portable (blafard, blafard) ? Une élégie pastorale en rythmes trochaïques ? Un canto de mille vers à la gloire d’un explorateur oublié ? Une Iliade, une épopée moderne, un réquisitoire ?  Nouveau Pound, résidu Gogol, gentil prodige du Siècle ? Qui sait ? Lui demander ? Trop tard. Dans la nuit caniculaire il s’en allait obscur, acagnardé paletot, bientôt disparu tout entièrement dans l’escalier qui remontait comme une torpille au gouffre de la surface.


Existe-t-il encore, ce littérateur malingre ? Pas bourgeois ? Pas sénateur – pas d’éditeur ? Pas journaliste rémunéré d’entre la poire et le fromage ? Crevant bien la faim, ardent, sans plan ? Sa tête un jour sur ces affiches ? Gondole à présentoir ?


Je ne sais pas. Chichnarfne non plus : il téléphone. A sa zouz.  



8 commentaires:

  1. Le CGB serait-il en train de virer "blog d'ados" ?

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    1. Il y a quelques années -avant que ce blog ne revête ces élégants CSS, iframe et toussa toussa- un type avait mis en regard une stagiaire fictive et donneuse de leçon (un truc comme Edwige Hornoy) et le thème de l'écrivain talentueux mais incapable de se faire remarquer dans l'industrie du livre taylorisée. J'avais bien ri

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  2. Paris , kapitale de la kultur!
    de la luxure oué!
    d'ailleurs je suis plutôt kultur, mais je ne répugne pas à un peu de luxure
    comme tout mâle normalement constitué

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  3. La photo qui illustre l'article ( fort bon au demeurant) évoque Blaise Suarès
    Le style fait penser à un Céline qui ne s'obsederai plus du chouif
    Le tout est relaxant

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  4. Collision avec le pseudo d'un commentateur, d'ailleurs trop rare, sur un autre site.

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