4 juillet 2020

Pas la bonne époque


"C’est naître qu’il aurait pas fallu". C’est Céline qui disait ça. Et plus tard, Cioran fit une variation sur le même thème avec De l’inconvénient d’être né. Mais on a beau faire, on y est, on y reste.

J’ai parlé au téléphone avec un vieux pote il y a deux jours, et ce qu’on s’est dit, en substance, c’est qu’on était nés nous au bon endroit, mais pas au bon moment. Une autre époque nous aurait bien botté, n’importe laquelle, avec ses guerres, ses ratatinades, sa vache enragée, ses heures bien plus sombres, ses carences alimentaires, sa peine de mort, n’importe laquelle sauf la nôtre, quoi. Notre époque qui se faisande chaque jour un peu plus, puritaine et vicelarde tout en même temps, et qui projette son ombre hideuse sur ce con d’avenir, que les gosses sauront plus quoi en faire. Trop d’hystérie, trop de vulgarité, trop de fric, trop de bouffe, trop de connerie déferlante, trop de communication pour les cons, trop d'imposteurs, trop de nullité agressive et conquérante et proliférante et interminable. Productivisme oblige, et règne absolu du plus grand nombre, nos temps produisent presque automatiquement trop de trucs, à condition que ce soit de la merde.
C’est pas naître au mauvais moment qu’il aurait fallu.

Tenez, pour illustrer notre blues intime, plutôt que se répandre en phrases de plus en plus déprimantes, on va se passer l’épatante chanson de ce bon Dr John, une chanson de 1973, elle a eu le temps de bien mûrir (Dr John fit une énorme connerie il y a un an environ : il est mort).



9 commentaires:

  1. Cet article a-t-il été inspiré par la lecture du Règne de la Quantité de René Guénon ?

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  2. En tant normal, face à une telle déclaration, le Sage doit répondre que de tout temps on a idéalisé les autres époques, les temps inaccessibles, que l'herbe paraît toujours plus verte chez le voisin, tralala...

    Mais nous ne sommes pas en temps normal. La situation est devenue si incontestablement laide que le Sage ne peut que te donner raison.

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  3. Non, Criticus, je n'ai pas lu "le Règne de la quantité". En revanche, je l'expérimente sur mes pompes chaque jours depuis quelques décennies... (il vaut le coup?)

    Xix, ça me rappelle le mot de Frank Zappa : "le jazz n'est pas mort, mais il a une drôle d'odeur". Eh ben l'herbe n'est pas plus verte ailleurs, mais elle ne pue pas la charogne.
    C'est drôle, sur le côté droit du blog, on voit de vieux textes reparaître à la une. Je suis allé lire un truc que j'avais oublié, "Plantu bricole le dimanche", et son dernier paragraphe dit EXACTEMENT la même chose que mon dernier texte. Il date de 2013.On comprend mieux pourquoi on se lasse d'écrire...

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  4. Bof, je veux bien pour la médiocrité cancéreuse et ses métastases. C'est peut-être l'inéluctable destin des démocraties en périodes d'abondance. Tous les maux de ce temps se résument certainement à une forme de promiscuité. A savoir l'absence d'une "distanciation sociale"© suffisante pour permettre à l'âme de se reposer. Il ne suffit pas que le temps soit à la médiocrité, encore faut-il que cette médiocrité soit ubiquite. Promiscuité de la production de masse qui annonce la promiscuité politique -soit l'extension de l'action étatique devenue sociale, spirituelle, familiale etc...promiscuité des arts subventionnés pauvres et incontournables, promiscuité des peuples et du métissage obligatoire, promiscuité du salarié que sa spécialisation enchaîne à un employeur et à ses collègues, salarié rendu aussi peu mobile qu'un serf...
    Certes, c'est pas brillant mais il est tout-à-fait possible de s'isoler des méfaits de la promiscuité.
    Splendide isolement de l'artisan. Artisan qui peut être tailleur de pierres, médecin, plombier, informaticien, chercheur, dès lors qu'il n'échange pas volontairement son autonomie professionnelle et financière contre un supplément de lentilles

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    1. Aujourd'hui, il fait beau. Je me trouve à me surprendre d'être plutôt d'accord avec Krokodilov et je n'en reviens pas de mon optimisme pragmatique.

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    2. Krokodilov: l'isolement est certainement une solution de sauvegarde, ce qu'il faut faire en cas d'urgence. Je le pratique d'une façon encore imparfaite, mais j'essaie; d'où mon absence ici depuis quelques mois... Mais c'est comme vouloir jouir du silence à côté du périph. On a beau faire, on a beau ignorer télé, radio et journaux, il y a toujours ces cons de voisins, ces abrutis d'amis, ces enflés de frangins qui vous entretiennent de l'état lamentable du monde à la première discussion! Et les végans par-ci, et les suprémacistes Noirs par-là, et les Iraniens, les Turco-Chinois, les Amérindiens du Togo, les suisses d'Australie (alliés aux Périgourdins des Steppes afghanes)! Et les dernières affaires des sodomites du Vatican, les frasques des Juifs adorateurs du Poireau d'Or, les ennuis fiscaux des Clodos Monégasques Unis,les projets d'invasion de Moscou par les Moldo-Valaques transgenres! Et la PMA, et la GPA, et le FMI et le ZOB ! Et Macron, et Merquelle, et Trimpe ! Et merde !

      Il faudrait peut-être édicter une règle absolue : ne jamais parler de ce qui fâche, c'est à dire ne jamais parler du tout !

      Un de mes amis m'a appris qu'une femme (dingue) se sentait tellement proche des aveugles qu'elle a fait ce qu'il faut (mutilation) pour le devenir (voyez le genre de conneries que les amis colportent!). Eh bien je pense que surdité serait bien plus bénéfique que la cécité pour s'en sortir dans ce monde. La surdité, voilà un droit de l'homme !

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  5. Ce n'est pas seulement "Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps" qu'il faut lire, mais l'ensemble de la trilogie, avec "La Crise du monde moderne" et "Orient et Occident". Je pense que ces livres devraient intéresser les contributeurs de ce blog.

    Et tant qu'à faire, lire son petit ouvrage sur Saint Bernard, une perle...

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