1 septembre 2019

Messe à F***



La vieille église romane aux pierres lavées par le vent gisait en ruines depuis 1956, éternellement en chantier, jamais rénovée, et depuis plus d’un demi-siècle les paroissiens se réunissaient dans une construction provisoire, cube de béton posé à la hâte en face des membres grandioses et désolés de l’église, bas « lieu de culte » trapu, nu et fonctionnel, temporaire depuis plus d’un demi-siècle. L’intérieur était aussi froid et sale et déjeté que l’extérieur ; chaises en plastique, tapis noyés par l’humidité, statues en plâtre de Jeanne d’Arc et de Sainte Thérèse de Lisieux sauvées de la vieille église, deux ou trois scènes pieuses accrochées aux murs nus et lézardés – Une fois sur dix, une fois sur vingt, qu’on la donne, la messe, à F*** : un prêtre qui fait la tournée du diocèse, arrive en retard, s’habille devant tout le monde, murmure quelques mots d’excuse, et les paroissiens qui attendent gentiment, souriant, ils ne lui en tiennent pas rigueur, ils savent que c’est dur, la route est difficile quand on ne connait pas la région. Ils espèrent de lui la vie, littéralement, la vie gratuite du don de Dieu, alors ils attendent patiemment dans leur « lieu de culte » abject et humide et infiniment triste et sale. Le prêtre ne peut pas ne pas le remarquer, c’est sans doute la pire du diocèse, la plus humble, la plus moche, cette église de F***, on dirait les catacombes – non, pas les catacombes, celles-ci étaient le sentier souterrain de la foi qui croissait, jaillissait comme une source, préparait sa subversive suffusion parfaite et épiphanique avec le monde gréco-romain. Ici à F*** les catacombes sont des tranchées à ciel ouvert, des catacombes d’indifférence éventrées comme des boyaux exposés à l’air libre, au mépris, au rien.


La messe commence, elle file, imperturbable et cadencée, le curé fonctionnaire dévoué et pressé (il n’est pas du pays, il vient d’arriver, d’une ville du nord, il connait mal le pays, il s’est perdu, des kilomètres il en dévore depuis son exil dans ce diocèse), il en est déjà à l’homélie, et commentant l’Evangile de Marc (la femme répudiée), trouve excellent d’évoquer « le scandale Mitou ».

Mitou ? Me too ? #Metoo ? A ces très vieilles paroissiennes, ancestrales vieilles femmes qui s’habillent encore comme s’habillaient leurs grand-mères dans les années 50, à ces paysans, garagistes, exploitants, ouvriers viticoles, et aux enfants de chœur adorables mirlitons éperdus de naïve dévotion, en effet le curé parle de #MeToo, de Weinstein, d’Hollywood, de #balancetonporc, enfin de toutes ces choses-là.

L’excellent curé que nous avions là ! ne pouvais-je m’empêcher de remarquer – féministe ! au courant ! à la page ! #MeToo !

Ils s’en passaient bien, de l’affaire Mitou, les habitants de F***, elle leur était épargnée, cette toute petite parcelle supplémentaire d’enflure de remugle de Babylone. Sans doute pouvait-on les laisser vivre épargnés des pires boursouflures, des pires enflées tumeurs qui clabotent et explosent à la surface de notre camp de vacances obligatoire ? La modernité n’en mourrait pas ?

Si, elle en mourrait la modernité, il en crèverait le progrès, si les gens de F*** restaient dans l’ignorance des dernières dégueulures contemporaines, et il fallait, c’était écrit, logique, ordonné, que ce fût leur prêtre, leur prêtre itinérant, qu’ils attendaient de loin en loin comme un privilège inouï et gratuit, qui leur fasse part, en passant, de cette petite dose de poison supplémentaire entre la poire et le fromage.

Ce n’était pas grand-chose, une anecdote entre deux bâillements, passée sans doute inaperçue, mais entendre ça là, dans cette casemate ridicule et mal foutue au plus profond du Gers, dans ce lieu de culte bétonné temporaire éternisé sur un demi-siècle de désaffection, de déculturation, d’excavation de tout, de glorification de rien, c’était à en crever. Je les regardais s’aligner pour recevoir la communion, les gens de F***, moches, humbles, souriants, gracieux, pas très beaux, rougis, brunis, burinés, fidèles comme des agneaux (et aussi alcooliques, obstrués, âpres au gain, mesquins, loyaux, butés), race d’Occitans sur souche celte et wisigothique mâtinée d’italique, incroyable vieille race humble et confiante menée dans la modernité comme à l’abattoir, une modernité pour eux fait de désertification, d’églises en ruine, de camelote, de toc, de ronds-points partout et de services nulle part, de zonings commerciaux à attraper le couillon, de réglementations et de taxes imbéciles, de supermarchés et de valeurs de la République à toujours plus les écouvillonner, de fausse démocratie prétentieuse à grands principes qui ne donne rien, isole tout, prend tout, et maintenant enfin de #MeToo, cette pauvre fière race qui ne comprend rien, accepte tout, à qui on a tout enlevé, leur foi, leurs racines, leur nation, leurs chants

Et pourtant ce soir ils chantent encore, de leurs voix peu nombreuses, voix fausses, et rares, et dévouées, malgré tout, et leur chant monte, s’élève dans la nuit du Gers, F*** comme une île nocturne et solitaire, un navire ballotté fragile voguant sur la nuit, gentils enfants extraordinairement confiants envers et contre tout, gentils Indo-Européens de ce petit coin de France occitane allant se dépeuplant, vieille race jeune et fidèle encore accrochée au flanc des collines où s’étagent les tombes de leurs ancêtres comme les rangs d’une armée des morts, morts ici, morts là-haut pour la ligne bleue, vies de la terre et du ciel, mes chrétiens, mes gentils aryens, mes frères insouciants,


quelle apocalypse nous vous préparons. 



3 commentaires:

  1. Tu crois qu'il passerait au forum dire bonjour ?

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  2. France plumée, pourrie. Peuple en souffrance qui se soumet à la démocratie généreuse envers les parasites.
    Un prêtre nul à l'image des profs et des imams.
    Ça va dégénérer, Satan jubile à nous absorber.
    Chaos mondialiste.

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