11 avril 2019

Deux heures moins le quart avant Julia-Christ


Nous vivons, en dépit des apparences, en des temps très chrétiens. Emmanuel Todd avait parlé de “catholiques zombies” pour dénommer la France Charlie des allumeurs de cierges, au moment des attentats de 2015. Antoine Leiris avait été leur Paul de Tarse, en quelque sorte : dès le lendemain du massacre du Bataclan dans lequel il avait perdu sa femme, il s’était emparé de son bâton de pèlerin sans se décourager, pour porter la Bonne parole : “Vous n’aurez pas ma haine”. Depuis, les cas miraculeux se sont multipliés comme des petits pains. Pas un attentat islamiste sans qu’un survivant ou un proche accède à la Paix intérieure express devant les micros de BFM. Le Pardon.

Dernière incarnation christique en date : “Julia”, transsexuel parisien pris à partie en plein jour, place de la République, par la foule algérienne qui protestait contre Bouteflika. Dérangé par son apparence, un attroupement lui bloque le passage, on lui jette de la bière, on le gifle, un homme exhibe son sexe devant lui en lui demandant une gâterie... Le transsexuel essaie de rebrousser chemin, on commence à le frapper, une brigade de la RATP a tout juste le temps de l'exfiltrer pour éviter le lynchage...

Le lendemain, "Julia” témoigne sur toutes les chaînes. Non pour accabler ses agresseurs et condamner l'homophobie, mais pour transmettre un message de tolérance : “Je suis comme je suis, et ces personnes également”. Cela n’a rien à voir avec leurs drapeaux, rien à voir avec leur religion ou leur culture, rien à voir avec les agresseurs, bien au contraire ! Ce ne sont pas des homophobes, ce sont simplement “des personnes ignorantes”. Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. Vous, depuis votre canapé, étiez déjà parti en besogne à la vue des images de la vidéo, mais Julia, elle, parvient à surmonter, en plus du traumatisme de l'agression, la facilité des évidences. Elle pardonne. Mieux : elle perçoit la fraternité de sa condition avec celle des persécuteurs. Il n'y a qu'une chose qu’elle “n’accepte pas”, ce sont les messages de soutien de personnes nauséabondes qu’elle a reçus.



Photo non contractuelle. Pour l'interview BFM, c'est ici.

Imaginez le mental d’acier ! On se situe là au niveau de sagesse du maître Shaolin dans les films de kung-fu, sauf qu'à lui il a fallu toute une vie d’apprentissage pour y parvenir, ce vieux con ! Cette agression était pourtant une occasion idéale pour marquer l'opinion et initier une campagne nationale d’indignation. Pour une fois, nous avions un cas d’homophobie pure et parfaite au sens étymologique, avec de la haine, de la peur, du malaise face à la différence se traduisant par de l'humiliation, des coups, du harcèlement physique... tandis que le reste du temps, ce dont on dispose en matière "d'homophobie" n'est que le fait d’être contre le mariage gay, contre la gay pride en bas de chez soi, ou de ne pas éprouver de joie lorsqu'un sénateur américain assumant ouvertement son homosexualité est élu. Cette fois on l'a notre homophobie... mais non : là ça va, c’est ok, pas si grave, Julia n'est pas fâchée. La véritable homophobie qu’on dénonce à longueur de temps se manifeste enfin, mais no problemo : on peut la comprendre, lui trouver des circonstances, considérer la cohabitation...
Trans mais pas lucide

C’est du même ordre qu'un BHL n'ayant cesse de subodorer le retour de l’hydre nazie en toutes choses, suspectant à peu près tout le monde d’en être fécond, désignant depuis toujours le nazisme comme un péril imminent, mais l'applaudissant lorsqu'il resurgit en Ukraine sous sa forme la plus littérale et la moins ambigüe. C’est du même ordre aussi que ces féministes qui considèrent qu’un compliment dans la rue fait autant de dégâts qu’un viol, “qu’un homme sur deux ou trois est un agresseur” par la façon dont il s'assied dans le métro, mais qui n’ont absolument rien à redire lorsqu'on les avertit que des hordes mâles ont harcelé en masse des femmes ou des enfants, à Londres ou à Cologne... Le mansplaining c'est insupportable, mais la Saint-Sylvestre de Cologne, c'est un accident de parcours, une parenthèse.

Ces gens, depuis des années, pratiquent la réduction ad hitlerumad homophobum ou ad sexistum - cette façon d'assigner à autrui une pensée extrême et sans nuance afin de ne pas avoir à nuancer la sienne pour remporter un débat dont on n’a pas les moyens intellectuels. Mais on croyait jusque-là, magnanime, qu'ils le faisaient au moins au nom d'un dégoût sincère et originel pour l’hitlerum ou l’homophobum en question. Avec Julia et les autres, on est désormais en droit de douter de cette bonne foi. Puisque selon l’aveu de Lionel Jospin, “l’antifascisme était du théâtre", pourquoi pas imaginer que le féminisme hystérique ou la lutte LGBT soient du théâtre aussi, joué par des gens qui vous accusent de tous les maux mais qui tolèrent très bien, en réalité, ce contre quoi ils prétendent lutter. Moi qui me croyais un peu transphobe sur les bords, je réalise que je suis plus choqué par les images filmées de cette scène de transphobie que Julia elle-même. C'est que je dois être sacrément raciste ! Principe de vases communicants.

12 commentaires:

  1. Heureusement pour lui, Jean Yanne est mort avant d'avoir eu le temps de voir et d'entendre toutes ces conneries. J'ai une furieuse envie de machine à voyager dans le temps.

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  2. Dans un cadre général, Julia n'apprécie pas les remarques désobligeantes venues de personnes culturellement au-dessus de son niveau, mais aspire à se faire agresser par une brute simiesque. La joie qui en découle d'être enfin perçue comme un-e martyr à plateau-TV par les premiers-eres ne faisant que renforcer son schéma.
    J'ai bon ?

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    1. On finira par s'exiler et les laisser entre eux. Je crois que ces deux engeances se veulent l'une l'autre, ont une nation à bâtir ensemble.

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    1. Le manspreading est ignoble il est vrai. Mais le mansplaining est presque pire : il consiste à se faire expliquer quelque chose par un homme lorsqu'on est une femme, c'est horrible.

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    2. Putain je suis devenu expert de ces conneries malgré moi. C'est affligeant.

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  4. Je suis surpris que même le CGB donne du « elle » à un porteur de chromosomes Y.

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    1. C'est d'autant plus surprenant que j'ai commencé à écrire avec cette intention de ne pas le concéder, considérant que ses problèmes d'identité étaient les siens et ne me concernaient pas. Puis sans m'en apercevoir je suis entré dans le personnage si je puis dire. Imaginez que vous écriviez une chronique ciné sur Mrs Doubtfire. Une fois donné le contexte, vous nous raconteriez ses aventures à "elle" non ?
      Je ne sais pas. Il faudrait demander à l'académie française ou à Marlène Schiappa quelle est la règle.

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    2. Il me semble un peu difficile d'écrire : « Quant à Julia, il n'est pas d'accord pour, etc. » C'est là que nous regrettons de ne pas disposer d'un genre neutre, qui nous permettrait d'écrire quelque chose qui ressemblerait à : « Quant à Julia, ça n'est pas d'accord pour, etc. »

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    3. Ça me rappelle 2013 et le mariage gay. Les opposants écrivaient « mariage » entre guillemets, puis ils se sont lassés. Et finalement même les opposants de l'époque parlent désormais du « mariage pour tous ».

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