« More of your conversation would infect my
brain »
- Corolianus
« Moi j’aime cette
ville tu vois, ici on est au centre de l’Europe plurielle, c'est super… »
déclare ma collègue ce matin, au détour impromptu d’un soliloque sur les
meilleures néo-cantines tendances de Bruxelles, et cette phrase,
quoiqu’apparemment sans lien avec le thème général de la conversation qu’elle
tient ce matin avec ses collègues (c’est-à-dire avec personne), suffit à me
faire plonger le nez vers mon ordinateur, dans une tentative désespérée pour étouffer
la soudaine attaque de névralgie dont je suis victime.
Une Europe plurielle, proclamée
de grand lundi matin ! une Europe plurielle (pas plurielle d’Alsaciens et
de Moraves, entend bien), c’est l’évidence pour ma toute bourgeoise collègue
experte en bars à cocktails néo-urbains et néo-cantines éthiopiennes pour
brunch dominical à quarante boulons l’assiette ; bien sapée ma collègue, coiffée,
boucles d’oreilles nacrées et chaussures ballerines à talon plat, on sent la
bonne éducation, les leçons de piano, enfin tout du moins la possibilité d’un instrument de musique,
un poney peut-être, des après-midi au manège, une grande maison bruxelloise, des
hauts plafonds, des livres, peu lus mais enfin présents, les classiques, les
chefs d’œuvre, les fleurons d’une culture européenne bien secouée, vivante et
croisée certes mais pour le coup pas du tout « plurielle », pas du
tout métissée au sens où l’imbécillité commune l’entend.
« Une Europe plurielle »,
voilà ce que annonce doctement ma collègue, ce matin, à la cantonade (toute
conversation de machine à café est une opération de relations publiques), à qui
veut bien l’entendre, aux convaincus et aux indifférents (et à un gros rageux
clandestinement brûlant de haine, crispé comme un extravagant sur l’écran de
son ordinateur). Le métissage ! réclamé et attendu comme un viol collectif
consentant par ma blanche bourgeoise collègue, toute rose Sainte-Geneviève
souriante à pénétrations hunniques, ma toute rose et absolument pas métissée
collègue, si rose, si adorablement porceline qu’en comparaison je fais figure
de sombre siculo-slave – dans son arbre généalogique, que des Flamands sans
doute, quelques grands bourgeois français peut-être, en tout cas rien au sud de
la Loire, pas grand-chose à l’est du Rhin, bref une souche extraordinairement
celto-germanique, pas le moindre soupçon d’extranéité. Son mari, qu’il m’a été
donné d’apercevoir lors d’un sinistre after-work
aux limites de la folie nerveuse (les Partners
se déhanchaient en chemise blanche et déboutonnée – on reprenait en chœur des
« tubes » – les lumières mauves me vrillaient les yeux dans ce bar
karaoké vestibule de l’enfer), son mari, donc, aussi blanc et lisse
qu’elle, et leurs enfants des parangons de nitescence et d’aveuglante
blondeur – mais baste ! il faut pluraliser !
Les autres ! Pas
eux ! Il n’y a rien à métisser chez mes collègues : il n’y a plus ni
sang ni souche ni ancêtres flamands courbés à gratter la terre pendant des
générations : ils sont sortis tout abstraits de la Déclaration universelle
des droits de l’Homme. C’est leur mythe fondateur, 1948 ! La Déclaration
universelle des droits de l’Homme ! Les Nations-Unies ! Paris ! New-York !
Les Lumières !
Pas 1789 !... 1789
c’est trop vieux, trop lointain, trop louche, trop sanglant enfin, « guillotine est fille de guichet » –
désagréable impression que si c’était à refaire ils pourraient bien y passer,
au guichet, et pas dans les derniers –
et puis il y a encore eu trop d’anicroches, d’aller-retours, de
Napoléons glabres et barbus, d’affaires Dreyfus, d’heures les plus sombres, de dangereux
accès de moustachisme… Tandis que depuis 1948... c’est lisse, propre, un triomphe
calme et radieux, le progrès en marche, tous nuages dissipés, New-York
éclairant le monde, fanal de grandeur.
Pour ma collègue, pour mes pairs, pour
tous les éduqués du Proche-Occident (et Dieu sait qu’ils sont nombreux, à
peupler les vestibules, ça fourmille beaucoup trop, innombrables stagiaires de
tout âge à trottiner l’air affairé dans d’infinis hideux et cyclopéens
bâtiments « européens » se dressant comme des verrues mutilantes sur
l’horizon bruxellois. Il y a beaucoup trop de larbins, d’assistants
parlementaires, de lobbyistes, d’avocats, de fonctionnaires, de candidats à
concours, doctorants, gitons, crapules, venus de toutes les provinces de
l’empire, tous jacassant comme des marionnettes le même bavardage d’inepties
dans leur anglais boiteux au cours des mêmes after-works identiques sur la Place du Luxembourg devenue carnage à
pubs irlandais), pour mes pairs, donc, 1945-1948 c’est l’évènement fondateur,
le totem à sauvegarder, l’acte de naissance d’une Europe purgée à fond,
désormais bien abstraite et juridifiée, l’Histoire de l’humanité nettement coupée
entre un avant et un après, tout ce qui précède 1945 étant renvoyé dans un
brouillard mémoriel sanglant et obscur, une longue nuit ou tout s’entrégorge et
s’entremêle, une fange d’holocauste et d’inquisition, de croisades et de
colonisation, papes, nazis, dictatures, crimes, superstitions diverses et
variées. Tandis qu’à partir de 1945-1948… c’est le triomphe onctueux du marché,
des droits et des libertés, unanime, universel, partout de par le vaste
monde ! (Les Chinois et autres organisateurs de famine sont excusés –
c’est l’intention qui compte). 1945 ! 1948 ! Le fanal du
progrès ! Le palais de cristal !
Naturellement – et je m’excuse de devoir évoquer à présent
un sujet qui fâche – pour ma collègue à brunch hebdomadaire, pour mes
collègues, enfin pour tous mes pairs, les récents développements à l’œuvre dans le monde européen sont plutôt
dépitants, pas bien bandants : l’élection de Trump, les Britons épais et bovins
qui votent contraire, les Saxons qui se rebiffent, les Italiens qui vitupèrent,
les Gaulois qui s’agitent, même les Brésiliens aimables demi-demeurés à carioca
et carnaval… partout l’incendie ! partout les contrefeux allumés par les
prolos qui se contrefoutent de 1948, de « plus jamais ça », de
l’Europe plurielle à restaurants abyssins et néo-mojitos sur rooftop d’altitude
toisant bas de la ville ravagé !
L’actualité des temps
présents, pour mes pairs ? Un émétique vitriolé, une lampée d’égout à
avaler chaque matin avec le journal, un haut le cœur de fétidité, hoquets sur
twitter, rendus sur facebook ! ils n’en peuvent plus, tout s’écroule, tout
s’effondre, le palais de cristal par pans entiers, ça lâche de partout :
le mois dernier encore ce sont nos chers et fidèles Suédois, sociaux-démocrates
ataviques, bien dévoués cocus à migrants, castrés de tout viking, lyophilisés
de protestantisme, qui ruent dans les brancards : terrible migraine !
Je n’invente rien, je n’exagère rien, chaque lendemain d’élection, où que ce
soit en Europe, je retrouve mes collègues – mes pairs des citadelles à lobbying
– défaits, hagards, le moral dans les chaussettes, gueule de bois pas du tout
agréable, pire que tout !
On ne peut pas les en blâmer :
pour tenir bon, pour envisager cette débâcle quotidienne de leur Post-Europe de
carton-pâte, ils reviennent à ce qu’ils connaissent, et tout ce qu’ils
connaissent hors leurs châteaux de cartes pour diplômés, ce sont les heures les plus sombres, l’Avant, le
prè-1945, les nazis catholiques blancs immolateurs de migrants, le nationalisme
moustachu, l’éternel retour des instincts adolphiques, quintessentiels et
ataviques : quand bien même l’Europe est censée n’avoir pour toute
identité que les droits de l’Homme, la démocratie et le marché commun, elle est
« en même temps » (comme dirait un gérant de supermarché
particulièrement zélé, ou un manager de drive-in aux prétentions jupitériennes)
définie à jamais par l’horrible spectre de l’adolphisme, escorté par toutes
cohortes de démons mineurs, absolument uniques et individuels aux peuples
épuisés mais revanchards de la péninsule européenne : intolérance,
conservatisme, militarisme, nationalisme, toutes sortes d’isthmes, vraiment,
propres à l’Européen toujours à purger, pressurer, à enfourner dans le pressoir
pour qu’il en sorte pâte aveugle et bonace toute juste bonne à déglutir et à
déféquer.
Pas étonnant qu’ils
réclament le métissage avec une ardeur redoublée, mes collègues, mes co-éduqués,
mes co-diplômés, mes drones hyperfonctionnels ! Ils se sentent menacés par
le remugle chaud de la bête immonde dans leur nuque, comme un mauvais vent dans
leurs bureaux climatisés, leur Place du Luxembourg à apéros urbains prend
subitement les allures obsidionales d’une enclave terriblement isolée en
équilibre instable au milieu d’un océan de rage et de tempête – pourront-t-ils
même retourner dans leur zone administrative respective ? Leur Danemark,
leur Suède, leur Allemagne, leur Italie natale ? Rien n’est moins
sûr ! Les moujiks déchaînés relèvent les herses ! L’heure est
grave ! Y’a plus à lambiner Jean-Claude ! Allons enfants de la
Commission ! C’est le sprint final ! Activons le pressoir à métisser
nuit et jour, en surrégime, cadence d’éperonnage !
Parce que, qui leur
cause des soucis, chaque matin, chaque lendemain d’élection au goût amer ?
Ce n’est pas le métisse afro-péruvien qui danse si gracieusement dans le métro
tout en élégance tribale, aériennes virevoltes, souk magistral sous le regard
fatigué mais néanmoins consentant du travailleur du tertiaire bouffi d’écran et
de lumière artificielle ! Ce n’est pas l’Arabe au front obscur et démangé
de sourds présages, invisible relégué de l’autre côté du canal ! Ce n’est
pas le réfugié botswanais dont la sagesse ancestrale et le sourire illuminent le monde ! Oh non.
Non, celui qui,
confusément, vous étrangle l’estomac chaque matin à la lecture des journaux
entre votre macchiato soja caramel et votre bagel sans gluten saumon fumé humus
du marchand, c’est bien entendu l’autre, le pas métissé du tout, le
« consanguin » : le Saxon, l’Osque, l’Etrusque, le Morave, le
Poitevin ! toutes tribus pas du tout exotiques, pas du tout bandantes
« Voyage En Terre Inconnue », bien mauvais clients à diversité, tout
mangeurs de saucisse rechignants format Salvini, pas bien élevés, pas parfaits
catholiques, de surcroît fort peu au fait des « dernières tendances
néo-urbaines ». Voilà, voilà bien ceux qu’il faut métisser, diversifier,
atomiser, excaver, arracher à leurs entêtantes révoltes, à leurs tâtonnements
organiques de retrouver quelque chose de solidaire – Quand ma collègue, mes
pairs, le FMI, la Commission, les économistes, les Attali, les médias, enfin
tout ce fantastique filet de diableries entremêlées , appellent de leur
vœux le métissage, l’Europe plurielle, c’est à eux qu’ils pensent, à personne
d’autre !
Faudrait être sacrément
vicieux, bien dérangé nazi odieux pour exiger de l’Afrique qu’elle se
métisse ! Quelle dégueulasserie ce serait, de trouver l’Afrique trop
noire, trop consanguine, trop renfermée, sa culture trop rancie, sa boustiffe
pas assez exotique ! Quel fou criminel réclamerait que l’on germanise les
Congolais ? Que l’on scandinavise les Marocains ? Ce serait à coup
sûr le retour des heures les plus sombres ! La recolonisation !
Léopold II dans une mer de main coupées ! Honni soit ! Par contre,
décoincer l’Européen pudibond débraillé, ça c’est absolument nécessaire !
Et désirable ! Double ration de délicatesses ottomanes aux Bavarois, aux
Alsaciens, aux Hanovriens ! Sagesse arabisante pour tout le monde ! Ils
appuient sur le pressoir comme des frénétiques, ils poussent dessus de tout le
petit poids de leurs petits bras débiles, mes collègues, s’agitant comme des
fous dans une soufflerie livrée aux flammes. Encore ! Plus ! Davantage !
A la presse à peuple les Suédois ! Au violon les Bourguignons ! C’est
Ubu chez les démocrates ! Les Celtes au charnier, les Slaves au
carnage ! Surtout les Slaves ! Y a pas plus irrémédiables butés empêcheurs
de dégénérer en rond, ce qu’on les hait, les croque-mitaines en training, les
globniks à kalashnikov, les moskals, les petliouristes, les polacks, les
tchetniks pogromistes d’Albanais, ce qu’on aimerait qu’ils s’entretuent dans le
Donbass, qu’ils s’exterminent, nous débarrassent le plancher ces sous-Européens
ignorants des droits de l’Homme et bien peu consommateurs d’aperol-spritz sur
terrasses de faux pubs irlandais cauchemardés sur pavé bruxellois.
Lundi s’est insensiblement
mué en jeudi et sans y prendre garde nous y sommes, place du Luxembourg, entre
collègues, au milieu d’Allemands écouillés porteurs d’eau pour Bayer ou
Monsanto, doctes progressistes qui me chapitrent sur mon devoir citoyen d’aller
voter le dimanche suivant (mais le référendum Brexit par contre faut le
refaire), exilés macronistes à parlementaire, Espagnols incompréhensibles
d’anglais mutilé, germaniques accortes stagiaires qui me contemplent avec le
regard luisant que l’on porte à une pièce de veau, mes mille pairs étalés à
la grande ombre de la Commission, fausse pinte de bière à la main ; un cauchemar
sur pavé bruxellois, une very apoplexie, léthargie de carrière, babelisante île
minime au centre de l’Europe plurielle, et la tempête gronde qui va l’engloutir,
et moi avec, and not a moment too soon.
Germaniser les Congolais me paraît être une excellente idée. Ne serait-ce que par curiosité du résultat.
RépondreSupprimerDes Mercedès 100% made in Congo ? Pourquoi pas, mais je demande à essayer avant.
SupprimerSuper texte! On en connait tous, des pairs comme ça, ils vont se réveiller résistants à la bétimonde un de ces quatre, faudra bien.
vous m'avez oublié dans l'énnumération des tribus qui serrent l'estomac de vos collègues
RépondreSupprimervous avez bine cité l'osque, le morave, le flamminche, le poitevin
et vous avez oublié le cévennol
or ce réprouvé est un réel problème pour votre blonde bruncheuse
tête dure, parler hermétique, physique disgracieux ( quelques siècles de malnutrition) , c'est là que gît le problème
encore un effort et vous fréquenterez un site qui commence par démocratie et qui se termine par ticipative
bonne soirée
Ce site qui fait avancer les choses en parlant de "nègres" et de "youtres" ?
Supprimertout à fait!
Supprimerne vous arrêtez pas à la superficie
Ce qui est touchant avec la panique qu'inspire à ces gens la soi-disant « déferlante populiste », c'est qu'ils se font peur pour rien du tout.
RépondreSupprimerc'est bien connu ce sont les choses qui n'existent pas voire meme les moins menaçantes qui font le plus peur On a peur des zombies, des ovnis, des fantomes, des vampires, des monstres en tout genre Les animaux réels comme par ex les loups et les requins aussi foute la frousse alors qu'ils tuent tres peu d'humains Tandis qu'on a en général confiance en ces semblables, supérieurs, subalternes, collegues, voisins, et meme membre de sa propre famille L etre humain a semble t'il besoin de s'inventer des archétypes clairs et manichéens pour pouvoir maitriser ses peurs
SupprimerBelle plume!
RépondreSupprimerCes décennies de démocratie urbaine ont tué les peuples.
Métissage obligatoire pour lutter contre leszeureslespluszombres et le réchauffisme... en voilà une solution.
Les élecfions européistes arrivent et le Grand Capital métisseur souhaite garder la main, cependant les populistes europhobes ont le vent en poupe.
Guerre civile.