5 octobre 2018

De la palombière : Une fringale de Bobo


**J'ai établi depuis quelque temps une position loin en terrain ennemi : une cachette d'où observer sereinement les coutumes d'une faune incroyable : un troupeau de jeunes progressistes parisiens. De ma palombière, je suis en mesure de livrer notes et croquis révélant leurs rites, de parade, d'alimentation, de chasse ou d'accouplement.**

Toute la nuit j’ai veillé. Tapi, allongé. Pour rien au monde je n’aurais manqué l’heure. Celle où ils sortent manger. La rosée sur les herbes s’est déposée. Le cul, de haut en bas, j’ai mouillé. Mais qu’importe ! Quel merveilleux spectacle que celui que j’emporte !

Mes bobos aiment se ravitailler. De bouffe ils parlent toute la journée. Ils parlent bouffe en parlant, parlent bouffe en marchant, parlent bouffe en bouffant, ils parlent bouffe de la façon dont parlerait un apprenti cuisinier.



La nourriture est ce qui leur tient lieu de nourriture spirituelle. Ils dissertent sur la salade de midi, évoquent en bavant le petit resto dégoté ce week-end, ce qu’ils mangent participe de ce qu’ils pensent, de ce qu’ils sont, de ce qu’ils respectent... Rare est celui qui n’ait pas un principe. Sa petite idée sur l’affaire alimentaire. Rare est celui qui n’a pas de plats préférés. Ce serait comme ne pas avoir de personnalité.

Tout leur fait envie, ils en font des tonnes. Deux feuilles de mâche au fond d’une boîte en carton et ils se pâment : “Mmh, trop bon !!”. Un yaourt austère et son caramel au beurre salé, mais vendu par un commerçant ostensiblement pédé : c’est l’extase, à ne pas louper ! Le lendemain un steak quelconque, méchamment pris en éponge entre deux pains : ils fondent tout autant ! Que Loiseau et Ducasse aillent bien s’enculer ! Voilà la meilleure chose qu’ils aient jamais mangée.

Ils s’attendent à ce que chaque assiette les étonne. Il en va de leur épanouissement. Il faut sans cesse inventer, croiser, inaugurer, prendre leur intestin à contre-pied. Pourtant ils ont tout écumé. Chinois, New-Yorkais, Indo, Latino... Personne n’a plus de victuaille qu’ils n’aient déjà léchée. Pour satisfaire leur appétit, il va falloir se la casser. D’autant qu’ils pratiquent en plus d’ingurgiter. À la maison ils cuisinent, ont tout l’attirail, les placards pleins d’ustensiles. Du wok, de la machine à pain, de l’ultra-blender multi-cuiseur, tout ce que Darty a pu leur refourguer. Les dimanche pluvieux, ils confectionnent des macarons, des tokoyaki, des trucs qui simplifient la vie.

Rien de simple. Que du lointain. C’est leur façon de se remplir, comme vous vous rempliriez d’un bouquin. Leur culture est la cuisine internationale, le bubble tea, le bio du bout du monde. Comme dans ce film sorti il y a quelques années, qui accolait dans son titre, avec une vulgarité inouïe, ces trois mots côte-à-côte : Mange, Prie, Aime - comme dans ce film, nos Parigots respirent par l’estomac, s’élèvent par l’œsophage, méditent par le colon...

 Mange, Mange, Mange. Mange parce que tu es à gerber.

6 commentaires:

  1. Wow, je ne pensais pas que l'on puisse faire montre d'autant de ressources quand il s'agit de cracher sur ses semblables. Et qu'est-ce que ce sera cette fois-ci ?
    Les gens qui prennent du plaisir à manger ? En voilà une belle bande de malpropres et de dégénérés ! Faire d'un passage obligé de la vie quotidienne une fête, quelle idée tordue ! Et en plus de ça, parmi ces cons-là, il y en aurait pour passer du temps à faire la bouffe eux-mêmes plutôt que d'aller l'acheter sous atmosphère protectrice ? Haha ! tas d'abrutis qui vous êtes fait refourguer du Vorwerk !

    Est-ce alors qu'il y aurait une façon véritable d'apprécier la nourriture, marquée du sceau de l'authenticité, de la sincérité ?
    « Le bon mangeur, c'est un gars, bon ben tu lui mets une feuille de mâche, il la mange, il la trouve bonne mais euh, c'est pas la même chose, quoi ! »

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    1. Ben, si tout peut être critiqué, je ne vois pas pourquoi on se priverait de critiquer les gens qui mangent. Et ceux qui font des régimes. Et ceux qu'en font pas! La critique, c'est vraiment le pied.
      T'appelle ça "cracher sur ses semblables", bon. J'ai pas vu de crachat ici, juste un mec qui introduit une dose d'ironie dans le ronron existentiel d'une bande de gastronautes. Vu la dernière phrase du texte, je parierais que nos jeunes gens sont incapables de parler de quoi que ce soit en dehors de la boustifaille, de rien ressentir d'autres que des émois gastriques.
      Et quand tu dis "faire d'un passage obligé de la vie quotidienne une fête, quelle idée tordue", tu ne te rends même pas compte à quel point la perspective de vivre quotidiennement en fête est le signe d'une décadence radicale appelant, au minimum, la critique.
      Mais à part ça, bon ap'

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    2. Le premier qui mange je le CREVE !

      Non mon gros, un repas entier passé à commenter ce que tu manges, ce que tu aurais pu manger d'autre, n'a rien de réjouissant. Et se régaler quand le mets est somme toute quelconque, tient du théâtre social, de l'hystérie douce, du mimétisme d'égerie de télé-réalité. Ce qui arrive quand TopChef a déteint sur son cerveau ou que tu as pris de ces poufs américaines qui s'écrient "Oh my Gaaad" parce qu'elles viennent d'engloutir une cuillère de crème glacée.
      L'attention exclusive portée à l'alimentaire, sa composition, son origine... l'alternance entre contrôle strict (bio, veggie etc.) et boulimie (junk food) est le propre de l'anorexie. Celle de l'individu qui consomme "mieux" pour consommer plus, qui se fait vomir pour mieux s'empiffrer et vice versa.

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  2. Ce n'est pas directement sur leur lubie "foodie" que je les critiquerais (elle participe plutôt d'une saine prise de distance par rapport à la bouffe industrielle), mais plutôt sur les contradictions qu'elle implique par rapport à leurs autres hobbies occasionnels : leur amour des burgers (prolifération de chaînes de "quality burger" comme Big Fernand, King Marcel, etc.) et le végétarisme professé par nombre d'entre eux, leur défense simultanée du consommer local et des frontières ouvertes, la présence du très peu œcuménique porc dans beaucoup de leurs mets de prédilection, etc.

    Sur les chaînes de "quality burger" évoquées plus haut, ce qui est frappant, c'est l'autre contradiction qui consiste à associer le symbole de la bouffe mondialisée à une touche franchouillarde aseptisée, un peu comme s'il y avait un pavillon Bourvil au milieu d'EuroDisney.

    Je note d'ailleurs, outre le retour de loisirs qu'ils vomissaient naguère comme la pétanque, l'adoption de prénoms qu'on n'aurait jamais osé donner dans les années 80 ou 90 : Lucien, Gaston et autres.

    Un peu comme si intimement, le bobo regrettait la France d'avant, mais que son logiciel mental le conditionnait à ne faire référence à celle-ci que sur le mode de la consommation ou de l'auto-dérision.

    Il y aurait ici quelque chose à creuser sur la psychologie des sujets concernés.

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  3. La machine du Grand défi Pierre Lavoie est lancée.

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  4. Les fans de The Walking Dead ont enfin une réponse.

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