27 août 2018

De la palombière : Le progressisme blasé

**J'ai la chance, depuis quelque temps, d'avoir pu établir, loin en territoire ennemi, une cachette d'où je peux observer les faits et gestes d'une faune incroyable : un troupeau de jeunes progressistes parisiens (festivus parisianus de leur nom latin). Depuis cette palombière, je serai en mesure de vous livrer de temps à autres quelques notes et croquis révélant leurs rites d'alimentation, de parade, de chasse ou d'accouplement.**


Fin juin, le troupeau s'abreuve à une terrasse à l'heure du déjeuner. Ils sont cinq. J’écoute le récit pour le moins déroutant de l'un d'eux, dont l’amie traverse « une période difficile ». Jugez plutôt : elle est en couple depuis quelques temps, quand soudain son mec se met en tête de « changer de sexe » ! Il prend des hormones pour développer de la poitrine, exige qu'on l'appelle par un autre prénom, et se montre irascible avec quiconque commet une maladresse en s’adressant à lui…

Au lieu de fondre en larmes ou de se décontenancer, la fille continue à vivre avec lui comme si de rien n’était : le soir elle se met au lit aux côtés de ce type qui est le même physiquement nonobstant cette masse adipeuse qui lui pousse sur le torse... et plutôt que de maudire son sort, elle cherche comment accepter ce qui lui arrive. « C’est un peu compliqué pour elle », croit bon de préciser le conteur, comme si on ne se l’était pas déjà figuré, « parce que du coup ça la questionne sur ce qu’elle est : est-elle lesbienne, bisexuelle en étant avec lui ? t'vois... ».


« Un peu compliqué » ? J'aurais plutôt dit que c’est un véritable cauchemar ! Et de l'ami à qui je confierais cette mésaventure, j'attendrais qu'il me secoue et m'aide à m'extraire de ce bourbier plutôt qu’il vienne prendre des nouvelles de la mutation du mec ou chercher à comprendre comment il veut qu'on l’appelle pour ne pas qu’il se froisse. Mais pour cette femme, non : c'est juste « un peu compliqué ». Quelle résilience ! Quelle énorme capacité d’amour pour arriver à se remettre en cause soi plutôt que la démarche soudaine de l’autre. Quelle énorme capacité de compréhension pour continuer à l’aimer exactement comme avant. Exceptionnel. Un héroïsme dont très peu d’individus sont capables.

Et pourtant cette exemplarité ne sembla guère étonner autour de la table : tous semblaient trouver la réaction normale, la moindre des choses. On déplora même qu'il reste sur Terre encore quelques personnes, quelques pays, qui persistent à ne pas accepter qu’on se promène ainsi à son aise entre les genres, en toute liberté. Pour rebondir dans la conversation, quelqu’un lâcha qu’il existait cinquante-deux genres différents dans la nature : le fait avait été établi par un article de Slate. Là encore, personne ne s’en émut, comme si cette affirmation ne venait pas bouleverser ce qu'ils avaient toujours lu dans les livres, ce qu'ils avaient appris jusqu'ici.

C’est en cela que je comprends mal les adeptes de la théorie du genre : ils sont à l’origine d’une découverte scientifique monumentale, la plus importante du 21ème siècle, mais n’en tirent aucune vanité. Ils semblent penser que cette découverte copernicienne ne devrait sidérer personne, et s'établir immédiatement comme banale et évidente y compris auprès du premier quidam venu du fond de sa banlieue résidentielle. Il y a pourtant de quoi faire le fier à bras. Je n'imagine pas Galilée autrement qu'excité par sa trouvaille, désireux de la partager, plein de patience pour en convaincre ses pairs… Je l’imagine se retrousser les manches pour se mettre à la portée de ceux qui restent dans l’ignorance. Mais je ne l’imagine pas s’agacer ou se révolter parce que sa crémière n’a pas saisi du premier coup sa révélation cosmologique.

Peut-être après tout que les Progressistes d'aujourd'hui développent des dons réellement surhumains, comme le suggérait un grand Psychothérapeute à propos des rescapés d'attentats dont on n'aura pas la haine, et qui atteignent avec une facilité déconcertante au Pardon et à la paix intérieure (source). C'est extraordinaire de le faire si facilement, et encore plus extraordinaire de considérer que c'est une chose naturelle au point que ceux qui n'y arrivent pas sont des ordures.

2 commentaires:

  1. Bien vu l'argument final! On ne peut pas à la fois clamer qu'une chose est nouvelle, révolutionnaire, et exiger que chacun fasse comme si elle avait toujours été là...
    C'est en effet un trait nouveau et maintes fois repéré: toute réaction aux événements nouveaux, aussi étonnants, formidables, traumatiques ou insolites qu'ils soient, est plus ou moins illégitimes. Quand un mantra ressassé cent trente fois nous convainc qu'il n'y a pas de critère à la liberté, surtout pas à la liberté d'expression, il devient sans doute "hyper glauque" de leur opposer quoi que ce soit. On le voyait dans l'exemple Pussy Riot, d'ailleurs(http://beboper.blogspot.com/2012/08/): les bien-pensants s'offusquaient que les cibles des Pussy riot ripostent, c'est un droit qu'implicitement on leur refusait. La chose est tellement intégrée que tes convives ne voient même plus qu'il est parfaitement légitime de refuser le changement de sexe du type, de refuser de le supporter, de le lui dire, de l'agonir d'injures et de lui conseiller d'aller se faire foutre.

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    1. On pourrait résumer cet état d'esprit par « Pas de relativisme pour les ennemis du relativisme ».

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