18 janvier 2018

Au train où vont les choses

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Le train était l’un des rares lieux où l’on pouvait s’emmerder ensemble. Un lieu où l’on se savait enfermé pour quelques heures avec des inconnus, seulement reliés par la destination, gens avec qui on n’avait rien à faire qu’attendre d’être arrivés. Tout cela instillait une ambiance et un silence particuliers : on tuait le temps, on avançait son livre de quelques pages, suspendu tant au développement de ce mauvais polar qu’à la transformation du paysage derrière la vitre. On allait même jusqu’à nouer discussion, poussé dans ses retranchements. Le train : tout un univers dont on pensait qu'il serait, par la grâce de l’inertie du service public, chose éternelle.

C’est pourtant bel et bien terminé. Le train, aujourd’hui, se veut bon élève de l’air du temps. Il se rue sur absolument toutes les bêtises que l’époque lui soumet. Des animations en gare aux systèmes d’enchères et de prix fluctuants des billets en ligne, des formules voyage à option IDZen, IDChic, IDZap alors qu’on demande simplement à effectuer un trajet sur un fauteuil à un prix juste et équitable, aux gares nouvelles qui ressemblent à s’y méprendre à d’infernales galeries commerciales : le train se conçoit désormais autour d’une « expérience passager enrichie », c’est-à-dire d’une saturation de sollicitations, intellectuelles, sensorielles, consommatrices. Il démultiplie les écrans, signalétiques, publicitaires, informatifs, tout en proposant, dans les espaces d'attente des gares, de pédaler pour recharger son portable, comprenez-vous : car le train veut à la fois brancher tout ce qui l'être, et promouvoir les économies d’énergie. Plus connecté, plus lumineux, plus musical, avec beaucoup plus d’écrans à tripoter, le train de demain. Bientôt : des tables luminescentes et tactiles, des enceintes intégrées aux fauteuils, des fenêtres même, peut-être, qui sauront se rendre opaques et diffuser de chouettes fluctuations colorées pour cacher cette morne campagne… C'est ce que les gens demandent, non ? Eh bien tant pis, ils en auront quand même !


Pour le moment nous n’en sommes encore qu’à l’inflation des prises électriques et USB, au wifi à bord et à la 5G pour que sa connerie reste bien connectée d’un bout à l’autre du trajet, c’est important. L'abruti dérangeur dispose ainsi de toute la technologie nécessaire à sa besogne : emmerder. On n'est absolument pas légitime à se plaindre de lui lorsque, assis sur le fauteuil à côté, il joue un DVD sur un écran 22 pouces, générant agitation visuelle intempestive et son nasillard s'échappant des oreillettes. D’abord parce qu’il représente 25 % des passagers de la rame. Ensuite parce qu’il est chez lui : c'est lui que l'on souhaite accueillir, c'est lui le client recherché, c'est vous qui n'êtes pas à votre place. Les trains ne sont pas faits pour lire, ils sont faits pour ceux qui utilisent à pleine capacité les ressources mises à disposition. On a mené toutes ces dernières années une politique industrielle pour équiper les emmerdeurs en gadgets emmerdants et vous empêcher de lire, c’est tout de même malheureux que vous ne compreniez pas. Les instructions sont pourtant claires, ne voyez-vous pas le panneau ? Lecteurs, flâneurs, sont priés d'aller se faire foutre.

Voilà comment, en une poignée d'années, le train aura rejoint les salles de cinéma dans le cimetière des atmosphères autrefois spéciales, profondes, populaires, et aujourd'hui totalement bousillées. Le véritable cinéphile des salles obscures ne peut avoir aucun rapport avec celui actuel, amateur des multiplexes à 20 salles, des réservoirs de pop corn et des distributeurs de lunettes 3D : ils ont le même nom mais sont deux hommes radicalement étrangers qui n'ont rien à se dire, le second est l'enfer du premier. De la même façon, le train étant devenu ce qu'il est, il ne pourra plus jamais naître d'amoureux du rail, de doux rêveur de l'univers ferroviaire comme nous en connaissions jusque là. A l'avenir, il n'y aura, dans les rames et sur les quais, plus que des consommateurs impulsifs empruntant un transport rapide.

1 commentaire:

  1. kobus van cleef , conscience zoziale28 janvier 2018 à 18:56

    une anecdote personnelle?
    non?
    non, vous êtes sûr ?
    ha....vous hésitez.....bon, prenons ça pour un oui

    il y a pas loin d'un an, lors de la prolongation de la ligne TGV ouest , nous eûmes , madame moitié et moi , l'insigne déplaisir d'être pris dans l'inauguration, wagon de tête , toubien

    une animatrice clamait dans son micro que tout allait bien et que l'équipe distractive et padagogique allait passer parmi nous

    et , effectivement, l'équipe passa

    chapeaux de paille promotionnels, petits bracelets merdiques, petites denrées alimentaires ....et mouche sur l'étron,jeu concours, avec interrogation écrite

    heureusement , le gagnant fut un type qui cochait toutes les cases , espingouin, informaticien , avec l'accent tout bien....


    et pire du pire, à l'arrivée en gare , la prominenz descendit en premier, la trogne enluminée par les rafraichissements servis....et croisa l'équipe de maintenance , pauvres femmes , souchardes aux alentours de la cinquantaine, habituellement levées aux aurores , précaires de la tête aux pieds

    juxtaposition surréaliste de ces poliptichiens à la démarche ébrieuse et aux falzars étroits tire bouchonnant sur leurs grolles et de ces pauvresses usées avant l'âge , en blouse de nylon avec leur attirail de nettoyage

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