26 septembre 2016

Tel père, tel fils de pute

L’année dernière, à l’approche de Noël, ma belle-mère me demande ce qui ferait plaisir à son petit-fils de 4 ans. Je lui réponds « un sabre laser », car c’est ce dont il parlait à l’époque. Comme elle s’étonne qu’il connaisse déjà La guerre des étoiles, je lui explique qu’il ne connait pas mais qu’il a vu une réplique du sabre chez un oncle de l’autre côté de la galaxie familiale, et que depuis il veut le même. 

Là, elle tombe interloquée. Sans ironie et avec l’œil sincère de celle qui ne comprend pas, elle me demande ce qu’un type, sensiblement du même âge que moi, fait avec un sabre laser factice chez lui. Une incongruité que j’avais omis de relever, accoutumé à vivre parmi une génération où ce genre d’accessoires se trouve communément chez le mâle un peu « geek », mais qui m’apparut alors à mon tour, subitement et dans toute sa splendeur.

Décontenancé, je fus totalement incapable de fournir une réponse valable, audible par une femme normale, d’une soixantaine d’années, vivant à la campagne. Nous avons achevé notre tasse de café tous les deux, dans le silence et la perplexité.


Ne dissertons pas sur ces nouveaux mâles adulescents, cultivant leur infantilisme par la tenue vestimentaire, les goûts ou les activités, n’entretenant plus qu’un rapport lointain avec ce que l’on appelait un adulte il y a 30 ou 40 ans. Le fait est connu. Intéressons-nous en revanche au rapport qu’ont ces hommes d’aujourd’hui à l’enfant ou à la parentalité, comme on dit. Nouveaux pères ou nouveaux non-pères, ils adulent l’enfance, non pas les enfants, précisément parce que ceux-ci squattent la place qu’ils convoitent dans la société.

Cette semaine, je lis qu’un Allemand sur cinq regrette d’avoir été parent, pour la vie et la liberté qu’il a ainsi sacrifiées. A quelques jours d’intervalle, je lis qu’un jeune père aurait fracassé la tête de son bébé dont les pleurs l’empêchaient de jouer à la console... L’irruption d’un enfant oblige effectivement à donner de son temps et de son confort à quelqu’un d’autre, à partager sa bulle. En refusant de passer la main, le nouvel adulte enraye la roue des générations, grignote du terrain et finit par se trouver en concurrence narcissique avec l’enfant. Comme ces lions mâles des documentaires animaliers, qui acceptent de jouer avec les lionceaux la plupart du temps mais les tuent sur-le-champ dès qu’ils entravent la disponibilité câline de la maman.

La trentaine plus qu’entamée, un type me vanta, un jour, sur le ton de la défensive, son choix d’être sans enfants (sans doute des parents trop béats l’avaient gonflé juste auparavant) : il avait ainsi tout son temps pour faire ce qu’il voulait. Sortir, dormir tard, jouer, regarder des films, faire des câlins sous la couette… Ma foi je n'avais pas grand chose à y redire, si ce n'est que, sans s’en rendre compte, l’emploi du temps "idéal" qu’il décrivait était celui d’un petit garçon heureux d’être en vacances. Sa plaidoirie elle-même, le fait de se retrouver en situation de me raconter des choses pareilles, avait quelque chose de puéril. Ce bon gars se complaisait dans son cocon, sans estimer que le moment était venu de le laisser à la génération suivante, ou simplement de passer à autre chose.


Je croisai un autre jour le chemin d'un autre type, qui lui était père et avait résolu différemment le problème du partage de la manette de jeux. Emménageant dans un petit pavillon avec sa famille, il avait fait installer un grand espace de jeux au grenier. Attirail de jeux vidéo, projecteur, grand écran, accessoires multiples, sono surround… « Ça doit être super pour les enfants », avais-je émis. Ce à quoi il répondit que cette pièce était la sienne et que les petits ne devaient pas y mettre les pieds : il fallait laisser jouer Papa après sa journée de travail. Les enfants, eux, avaient leur petite chambre. Je n'ai pas pu vérifier si la parure de draps sur laquelle il baisait sa femme dans la chambre à coucher était Lucky Luke.

"Alors, heureuse ?"

Préserver son pré-carré infantile : subterfuge du nouveau père pour prolonger le plaisir et dumper la concurrence déloyale des enfants sur son mode de vie. Une autre stratégie plus tordue consistant, au niveau sociétal, à extirper les enfants de l’Enfance pour s’y faire de la place : brouiller les pistes et les repères afin qu’on ne sache plus vraiment ce qui est propre à l’enfance et à la maturité. Pratique en vogue chez les « grands enfants » d’Hollywood et chez les parents qui les imitent : on expulse sa progéniture de l’enfance en la sexualisant le plus tôt possible, en l’habillant selon les codes de la mode adulte, en la confrontant à l’argent ou en n’ayant de hâte que d’effacer pour eux les repères du bien et du mal, du faux et du juste...

Le 20ème siècle se targuait d’avoir accordé à l’enfant une place et une considération dans la société, après des siècles où le monde ne s’était pas soucié de lui - c’est un état de fait, mais il n’est pas irréversible. Peut-être même sommes-nous entrés dans une ère où l’enfant devra se tasser, faire place aux nouveaux adultes, qui convoitent ses privilèges et n'entendent plus lui céder de leur temps. L’enfant apparaissant de plus en plus, au niveau de la morale publique, comme un sacrifice dispensable pour celui ou celle qui veut profiter de la vie, être parent devient une activité qui n’a plus rien d’automatique ni de naturel, mais qui relève du sacerdoce, comme d’autres se dédient à leur carrière ou à leur passion des motos. Ce qui ne veut pas dire que le parent de demain y gagnera en considération. Au contraire : seront parents, aux yeux de la société, ceux qui n’avaient pas d’autre vocation plus évidente à poursuivre.

15 commentaires:

  1. mais le sabre laser c'est un sport pas plus ridicule que le 3000 steeple ou le 50km marche,

    https://youtu.be/yvi9H7UP-qM

    surtout quand je rapplique avec ma Cold Steel à trancher le jambon

    https://youtu.be/u3nAuowwqhI

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  2. Personnellement je préfère Warhammer.. Une épée tronçonneuse ça a quand une autre gueule que ces néons à la con..!
    Pendant des centaines de générations l'ambition des plus jeunes a été de rentrer dans le monde des adultes, cela se faisait, en général, par le rituel du service militaire. Depuis une cinquantaine d'années, la survalorisation du "jeune" à entrainé la ringardisation du "vieux", pas étonnant de voir des trentenaires s'accrocher à leurs trotinettes et se faire des soirées club dorothée.. Les mêmes qui en réaction aux attentats vont acheter des peluches et crayonner de faux dessins d'enfants.

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  3. Ou tout simplement on ne voit pas bien l'intérêt d'un tube digestif bruyant qui empêche de dormir et de baiser ? Il est facile de réduire la population masculine sans enfants à cette image d'adulescent qui passe son temps libre à faire des jeux vidéo. Quid de ceux qui ont un vrai boulot qui leur prend du temps, de ceux qui décident de voyager toute l'année, de s'installer régulièrement dans un nouveau pays pour quelques temps, de ceux qui sont en découverte permanente du monde – au sens large – qui les entoure ?
    À quel moment le non-désir d'enfant devient-il choix assumé de pas se faire inutilement pourrir sa vie d'adulte, parce qu'on est moins con et moins empressée génétiquement de se retrouver dans la même misère que les copains parents quoi nous entourent ?

    Quel imbécile se réjouit d'un gosse qui hurle dans un supermarché ? Qui se dit "oh putain, j'adore cette sirène sur patte, je veux la même à la maison !" ?

    La soumission au devoir générationnel est-elle obligatoire ?

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    1. En l'occurrence, je m'intéresse précisément qu'à ces énergumènes "adulescents" (ou "enfultes" comme préconise de les appeler Beboper), quarantenaires joueurs de jeux vidéo, sans du tout y réduire tous les hommes qui n'ont pas d'enfants.
      La soumission au devoir générationnel n'a rien d'obligatoire, mais comme pour tout, le problème surgit quand il devient massif. Je n'ai rien à dire contre le tatouage quand il concerne le marin ou le motard, en revanche on peut commencer à rigoler quand 3 mecs sur 5 à la table de la cantine de la MAAF s'en sont fait faire un. Même chose pour les non-pères, que je questionne à partir du moment où le phénomène touche une frange large de notre génération.

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    2. Ceci dit Breivik passait son temps a s'entrainer sur des jeux videos shoot and kill. Et on ne peut pas dire que c'est un enfulte

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  4. Vous avez bien raison, Monsieur Sartre ; jouissez donc ; content de voir que vous n'êtes pas mort...
    FC

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  5. Monsieur Xix, je crois que vous pouvez compléter la liste d'exemples de votre article avec le commentaire de l'anonyme du 28 septembre 2016 à 11:16.

    Et à part ça, merci au CGB !

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  6. oui, le salut à M. Sartre est bien évidemment adressé à l'anonyme du 28 septembre à 11:16, slave va de soit comme on dit en Sainte Russie.
    FC

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  7. d'autant plus qu'a notre époque chaque parent un tant soi peu sevère (genre celui qui a la main un peu leste et qui goute fort peu les cris et les caprices des moutards) passe vite pour un tortionnaire en puissance au yeux des gens Il suffit de voir comment l'opinion publique occidentale ou ses médias juge ou ont jugé les le pen, sarkozy, Zemmour, Benoit XVI, Poutine, Juan Carlos, George W, des types qui ont ou avaient le tort supreme de ne pas etre de grands sentimentaux

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  8. Peut-être bien que ce sont les femmes qui ne donnent plus envie d'être père ?

    J'ai lu sur Atlantico que les jeunes hommes seuls de la génération Y (sic)préfèrent la compagnie des chats et dépassent les femmes sur ce terrain.

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  9. Ta grand-mère, je lui fous un low kick, connard.

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  10. Ah mon avis, tout ca, c'est un exces d'individualite. tous ces connards croient sinceremrnt au devoir de devenir ce qu'ils sont... Ils y croient... On le leur a apprs... Personne ne leur a appris que ce pouvait etre un devoir que de procreer, sns parler ce que de maturation et d'accomplissement cela pouvait representer... Tout ca, c'est des prurits d'individualisme. Ca se change en dix ans de programmes educatifs pro-devoir et collectif...

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    1. Le "devoir de procréer", lol. On voit ce que ça donne avec des pays comme la Chine ou le Japon : la maturité des femmes qui s'occupent des gosses et les mecs qui ont encore 12 ans d'âge mental, sans parler de leur incapacité à faire quoi que ce soit de leurs 10 doigts. Et tout ça est malheureux les pierres.
      Vivement qu'on nous impose ce "devoir de procréer", donc !

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    2. Ce n'est pas la peine d'imposer. Il suffit d'éduquer. Et sincèrement, le "devoir de procréer" - terme provocateur volontaire, me parâit moins con - et moins égoïste - que le devoir d'accomplissement personnel qui convaint une génération de crétins immatures qu'ils peuvent faire du saut à l'élastique le week end par affirmation de soi ou non-conformisme

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    3. Excuse-moi de te reprendre, mais à part lutter contre ce "grand remplacement" que certains nous promettent, je vois pas bien en quoi avoir un gamin est une garantie de quoi que ce soit, notamment de "maturation" et d'"accomplissement". C'est pas comme si on avait des générations d'abrutis pour nous prouver le contraire (le mâle japonais, typiquement, mais la vieille France c'est pas forcément la victoire de l'intellectualisme non plus, hein : c'est pas parce que t'es un vieux Français que t'es systématiquement un Victor Hugo en puissance). Sans parler de tous les cons actuels qui ont des chiards ET des Xbox pour occuper leurs week-ends, précisément parce que la maturité, elle s'obtient justement quand t'es dans la merde et que ta vie c'est lutter pour en sortir (rarement le cas des mecs qui Xboxisent), ou par une recherche perso ("je veux un gamin et l'éduquer pour en faire quelqu'un de bien qui apportera sa pierre à l'édifice sociétal"), ce qui ne va pas de soi non plus.

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