15 août 2016

Happy thirty !



« Happy 30 ! » peux-tu lire sur ton fil d’actualités Facebook, parmi des dizaines de messages à ton attention, la plupart se résumant à « HB ma biiiiche ;-) », « joyeux anniversaire guapaaa », « ouhouh fête ça bien ! xoxoxo », mais, passant presque inaperçu dans ce fouillis de smileys et d’émoticônes traduisant un enthousiasme de circonstance, tu lis, émanant d’une copine que tu n’as plus vue depuis longtemps : « Happy 30 ! ».

Happy thirty. Il n’y a  rien de particulièrement joyeux dans ce nombre. Il sonne comme une échéance, une sentence, une porte qui se ferme.

Tu as trente ans et tu es seule, voilà la grande vérité de tes jours. Tu es seule, c’est ainsi que tu te définis, c’est comme ça que tu te vois, constante réalisation glacée que tu fais chaque matin devant ton miroir où tu guettes les signes de la débâcle, la lente et inscrutable débâcle du temps qui passe, l’effondrement des chairs qui tombent, de tes traits qui bouffissent, de ta peau qui perd progressivement son éclat, de l’éclatante fraicheur élastique de tes vingt ans qui a à présent totalement disparu, de tes seins qui amorcent leur chute, de la cellulite qui guette dans tes jambes encore fines et qui pourtant semblent déjà se tasser. Soyons de bon compte, tu es encore belle, tu es encore jeune, un homme pourrait encore te désirer, mais tout est dans cet « encore » : tu es belle ; tu le seras moins demain. Tes plus beaux jours, le sommet de ton enveloppe physique est à présent derrière toi, quelque part entre seize et vingt-cinq ans. Les jours qui viennent ne seront pas meilleurs. Ton avenir reluit moins que ton passé. Demain contient moins de promesses que hier.


Ton univers s’est étréci aux limites de ton appartement. Tu en as passé du temps, sur Immoweb, sur les sites des agences immobilières, en coup de fil et en visites, à le chercher, ton deux pièces, ton lieu de vie, ton chez-toi, ton cocon, ton petit nid, là où tu feras ta vie. Mais un nid suppose une famille, un mari, des enfants, une mission nourricière, la découverte de la maternité. Ton nid à toi reste stérile. Et assise dans ton nouvel appartement, face à ta télévision écran plat, dans ce canapé dont tu as toi-même choisi la couleur et la matière, devant cette bouteille de vin blanc que tu boiras seule, tu réalises que la chasse à l’appartement a remplacé la chasse à l’homme de ta vie.

De grandes possibilités s’offrent pourtant à toi. D’argent et de temps tu ne manques pas. Ta carrière professionnelle tu la mènes bien, ni potiche ni excessivement carriériste, tu fais correctement ton travail et tu en es récompensée. Tu peux t’offrir des brunchs à 60 balles au MIM, des virées shopping à Londres, des séances soins du corps et relaxation en wellness center, des mojitos fraise à quinze balles et plus de paires de chaussures que tu ne pourras jamais en mettre. Tu es une femme accomplie, et pourtant tu es vide, creuse d’une absence que nulle promotion, nulle acquisition immobilière, nulle distraction ne peut combler.  



Ce que tu voudrais, c’est précisément ce que tu ne peux pas acheter : quelqu’un. Tu as revu tes critères à la baisse, tu ne demandes pas l’impossible, juste quelqu’un de gentil et pas trop moche : juste quelqu’un. Quelqu’un avec qui partir en week-end à Milan ou à Rome ou à New-York. Quelqu’un qui t’embrasses sur Times Square, un brunch à deux chez Bagel’s Factory, emménager ensemble, des photos de couple à mettre sur Facebook : ta vision du bonheur, si triviale et si universellement partagée, si simple et si répandue autour de toi, et qui t’est pourtant inaccessible, résolument hors de portée.

Tu as pourtant tout fait comme on te l’a dit, tu as suivi le cahier des charges dessiné par les magazines féminins, par les séries télé, par tes amies, par tout le monde autour de toi, enfin par la société, c’est-à-dire tout ce bruit blanc perpétuel, cet interminable jacassement qui fait office de pensée chez toi et tes semblables.

Tu as profité de tes jeunes années pour prendre du bon temps, ainsi que le commandait la sagesse populaire qui voit dans la période des études universitaires un temps « d’expériences » : tu as fait la fête, tu as voyagé, tu es sortie avec des mecs. Ni trop salope ni trop prude, tu as couché avec un nombre de types relativement moyen, tu as vécu des relations sentimentales distraites et incertaines, tu as étudié pour réussir tes examens, tu t’es fait des sorties entre copines tu as craqué des virées shopping tu as été en vacances à Marbella ou en sac à dos en Amérique du sud tu as fait de l’humanitaire en Afrique tu as bu tu as ri tu as vécu les nuits tièdes et intenses à la sortie des boîtes à cinq heures du matin, et tout cela s’est achevé.

Tu as tout fait comme il fallait, et le principe était que, après avoir ainsi profité de tes plus belles années, tu rencontrerais, entre tes vingt-cinq et tes vingt-sept ans, celui qui serait l’homme de ta vie. A y repenser, personne n’expliquait clairement comment cela se passait, comment on s’y prenait pour attraper « le bon », alors que le cercle social et les occasions de faire la fête se réduisaient brutalement en l’espace de quelques mois, et que cette période, absurdement courte, coïncidait avec le début de la carrière professionnelle, chose à laquelle tu étais également tenue d’accorder une importance primordiale.

A y réfléchir, tu aurais dû voir qu’il y avait une faille dans la stratégie, que les magazines féminins existaient pour une raison, que les femmes célibataires et malheureuses étaient aussi quelque chose qui existait, à peine quelques années au-delà de ton horizon. La prolifération des sites de rencontre et des articles qui s’adressent clairement à cette catégorie bien particulière de lectrices aurait dû te mettre la puce à l’oreille, mais comme toutes tes copines tu étais aveugle à tout ce qui dépassait la portée de ton regard ivre et lumineux, à tout ce qui dépassait ce soir, cette nuit, cette semaine. Rien de mal ne pouvait survenir, ni déception, ni ennui, ni solitude, et tu avais toute la vie devant toi.

*

Tu as trente ans et tu te sens volée, victime d’une sourde injustice dont personne n’est coupable. Tu regardes les profils Facebook des mecs que tu as connu, les coups d’un soir comme les amourettes qui n’ont débouché sur rien, les mecs que tu as embrassé en Erasmus ou sur la plage en vacances comme ceux avec lesquels tu es sorti pendant plusieurs mois et qui t’ont plaquée, ou que tu as plaqué sur un coup de tête, parce que tu voulais t’amuser, parce que tes copines te disaient qu’il était chiant, parce que tu pouvais trouver mieux. A ceux qui ne sont pas encore mariés, tu envoies parfois un message Facebook. Ils répondent rarement.  

*

Tu as trente ans et le temps est un couperet au-dessus de ta nuque. Tu lis encore les magazines féminins, mais tu ne les crois plus quand ils te disent que « chaque relation est une expérience ». La vérité, c’est qu’après vingt-cinq ans, chaque relation qui n’aboutit pas n’est rien d’autre qu’une glaçante perte de temps, un effroyable gâchis, un cran de plus vers la solitude. Tu plais encore aux hommes, tu es encore belle, mais tu analyses désormais chaque relation potentielle sous cet angle, celui de la perte de temps : le nombre d’années que tu vas perdre si tu te tentes le coup avec ce mec et que ça foire, l’âge que tu auras quand il faudra te remettre sur le marché, les autres mecs que tu auras raté pendant ce temps-là. Une spirale d’hystérie, un serpent qui se mange la queue.

*

Tu as trente ans et tu deviens folle. Chaque samedi soir, chaque sortie est une bouteille jetée à la mer, une nuit dont tu attends tout et dont tu ne retires rien. Tu te jettes sur chaque mec un tant soit peu correct, tu flirtes agressivement, tu les touches presque obsessivement, tu tentes d’accrocher leur regard, tu ris trop bruyamment et trop souvent, tu es prête à t’offrir, à faire tout ce qu’ils veulent, sans réaliser que tu as l’air complètement hystérique, que tu as déjà un mojito de trop dans le nez, et les mecs gentils finissent par s’enfuir, presque terrifiés, pour te laisser aux mains des affreux que tu ramènes chez toi vers trois heures du matin, complètement bourrée, pour quelques minutes d’un sexe éthylique et sans joie, des mouvements pénibles et écœurants qui te laissent misérable et seule dans la grisaille du petit matin, seule dans ton formidable appartement si bien meublé, si bien situé.


Tu as trente ans, et tu es seule.


17 commentaires:

  1. Bonjour,
    Je m'interroge toujours sur ce type d´articles. Une mise en garde pour les vingt/vingt-cinq-naires ou un texte de dépit par un Roméo n'arrivant pas à trouver cette Juliette ? Que ce soit un simple conte m'étonnerait et j'ai bien peur de ne pas avoir la bonne grille de lecture.

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    1. Pas de grille de lecture particulière, ni de prétention pédagogique. Juste un texte tiré de mon observation du réel, comme on dit, c'est à dire de meufs rencontrées et observées. Aucune prétention à une règle générale.

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  2. Elle peut aller sur Elite rencontre pour ne pas perdre trop de temps. Faut se dépêcher quand même, avec les menaces terroristes, la crise des réfugiés, le climat, le chômage pour tous, la guerre nucléaire, la déconvenue suivra bien vite après que le fantasme.
    Moi qui est passé il y a peu ce cap "fatidique", et bien physiquement je trouve que les femmes à 50 ans sont encore désirables, sans faire la comparaison avec les photos retouchées des magazines. Et puis ses copines vont bientôt perdre leur job, divorcer, s'épuiser, elle aura l'avantage de ne pas s'être fait couillonée avant les autres et se tapera des minots, fera des gang bang, ya plus qu'à profiter de cette vie "minable" de la femme libérée qui se fait baiser comme jamais!

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    1. kobus van cleef17 août 2016 à 17:10

      c'est certain que , pour reprendre un auteur connu "mon cher , avec le traitement hormonal substitutif , il n'y a plus de femmes ménopausées!"
      bon, je préfère encore les jeunes
      même si j'ai du mal à les convaincre

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  3. Ca fout le bourdon, et ça se transpose aisément au sexe opposé.

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  4. MIM: Musée des Instruments de Musique, BXL?

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    1. Ils servent des brunchs au dernier étage, avec vue sur la ville. Pas sûr du prix toutefois. Mais je sais de source certaine qu'une coupe de champagne est offerte lorsqu'on opte pour la formule "tout compris".

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    2. kobus van cleef24 août 2016 à 21:11

      le champe ça me fait roter
      on dit d'ailleurs "une roteuse" pour une bouteille de champe
      bon, avoir vue sur la ville en grignotant des pauvretés,et en sirotant du mousseux....autant ne pas s'emmerder au dernier étage.....
      c'est cher, c'est nul, et pour les rencontres, bof

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  5. trop triste!!
    une solution qu'elle m'appelle! 06 60----
    ah zut j'ai 61 balais.

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  6. Si à l’adolescence on ne t’affranchit pas sur ta fonction de femelle et sur ton devoir clanique, tu passes complétement à côté de ta destinée. Mais ce rappel de la réalité ne serait pas un peu provocant de nos jours ? On assiste à des techniques de vente et de matraquage publicitaire tellement évoluées que rien ne paraît être à la hauteur d’un weekend sympa à Marrakech, stan smith aux pieds, et du sac Michael Kors en vachette à 400 euros, le tout posté sur insta avec un filtre de bonheur factice éphémère.

    Ce que je trouve pénible sont les démonstrations de ce « self empowerement » ou ce « girl power » faussement gai et candide, qu’internet relaie avec abondance. Vous noterez toutefois que la réalité du Temps n’est pas inconnu – il est simplement ignoré et brassé dans cette masse de mode et de comportement identique existant entre les filles/femmes de 16-28 ans voire plus.

    Il est vrai qu’une femme vieillissant seule peut paraître un peu désolant et triste, là où peut-être un homme ou un homosexuel aura une certaine majesté, un œil un peu plus acéré, une parure de liberté. Surtout quand ces dernières se mentent à elle-même et aux autres – jetez-y un œil (c’est de l’angliche et c’est excellent) : https://www.youtube.com/watch?v=kWxfn0grqkY

    Entre les femmes « pour qui sonne le glas », et celles pour qui il s’agit d’une décision raisonnée et raisonnable à prendre… voir le lien ci-dessous d’un interview de Léa Seydoux : « Aujourd’hui, la question de la surpopulation me semble trop angoissante pour procréer sans se soucier du reste. A la limite, adopter me semblerait presque plus sage. »
    http://www.elle.fr/People/La-vie-des-people/News/Lea-Seydoux-se-confie-sur-l-homme-de-sa-vie-2934878

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  7. C'est hardcore, cruel...Mais tellement vrai. J'aurais pu écrire la même chose en pensant à 80% des filles que j'ai rencontré. La version pour hommes n'est sans doute pas plus reluisante, m^me sin la notions du temps qui passe peut être moins présente

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  8. olivier vendome24 août 2016 à 22:33

    Tu as 30 ans et tu n'a pas fait porter le poids de ta soumission au troupeau sur tes enfants voire demi-enfants, tu as trente ans et tu as économisé 5 à 10 ans du lavage de cervelle de 20heures tapantes, tu a trente ans et tu vas faire un choix de RAISON pour ta vie maritale, tu as encore dix à quinze ans pour reproduire, tu vas tracer une route au lieu de suivre un chemin, tu va éduquer tes enfants car tu est convaincue que ceux de tes amis sont illettrés et stupides, tu va faire des choix sans demi-mesure , tu ne seras plus la cible de la pub pour la b-box, tu va choisir quelqu'un de différent de toi pour respirer à nouveau, et j'en passe tant....

    Rien ne sert de courir il faut partir à point.

    Bonne trentaine.

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  9. Ça va, le copier-coller de Houellebecq ?

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  10. https://www.youtube.com/watch?v=5pwuCTFwxng

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  11. la trentaine et la quarantaine sont des ages a la con car on n'est plus vraiment jeune mais pas vraiment vieux non plus La libido diminue lentement mais surement en tout cas chez les hommes, on voit la fin se rapprocher et la mort commencer a esquisser un petit sourire genre eh oui toi aussi t'y couperas pas Et la plupart des gens de cet age prennent conscience qu'il ne seront jamais des stars du foot du cinéma de la tv ou de la chanson et que selon seguela ils ont donc un peu raté leur vie, puisque la réussite est soi disant a portée de tous

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  12. Faut vraiment être minable pour ne s'en rendre compte qu'à 40 ans.

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