25 mai 2016

Jesse Hugues, tu n'auras pas notre haine !


Picasso était communiste. Céline était antisémite. Et ce bluesman britannique dont les mélodies vous plaisent tant a toutes les chances d’être un parfait abruti ivre de bière et pas autrement cultivé que par la télévision qu’il regarde à l’hôtel, l’après-midi, durant ses tournées. C'est comme ça : en matière d'art, la vérité est aveugle, et ça n’empêche pas tous ces gens d’atteindre, chacun dans leur domaine, une sensibilité hors du commun. C'est comme si les idées et opinions, chez l’artiste touché par la grâce, n’avaient aucune espèce d’importance.

Le fait est relativement commun et on finit de s'en étonner généralement à l'âge de 19 ans. Mais pas Charlie, qui vient de découvrir que le chanteur des Eagles of Death Metal pourrait bien ne pas être de gauche ! Attaché à la liberté d'expression, Charlie a immédiatement annulé le groupe à plusieurs festivals français, suite aux propos "rances" proférés par le chanteur.

"Jesse Hugues, conservateur ? Et si ça se trouve, Sweet Home Alabama,
ça a un rapport avec les Confédérés ?" 

Les propos ou opinions de Monsieur Hugues n'ont pourtant jamais été ignorés. Je me souviens très précisément d'un "spécialiste des Inrocks" venu en faire état à la radio les jours qui suivaient les attentats de novembre. Après plusieurs jours de direct H24 sur les fusillades, les médias commençaient à tourner en rond, alors pour remplir l'antenne on s'intéressait à n'importe quel détail. Et notamment à ce groupe, qui nécessairement, devait être tout aussi formidable que les gens qui se sont fait tirer dans le dos. Et si les terroristes n'avaient pas choisi cette salle, ce concert, ce groupe par hasard ? Puisqu'ils en veulent à notre mode de vie, c'est nécessairement que les Eagles of Death Metal sont le symbole de ce mode de vie. Mais c'est bien sûr ! Ces Eagles sont admirables, magnifiques, ils incarnent mieux que quiconque nos valeurs et notre Liberté ! Comment ? Le chanteur aurait des convictions néo-conservatrices ? Il serait favorable aux armes à feu et contre l'avortement ? Certes, c'est ce qu'on dit, mais ni l'Inrockuptible ni le France Intérien n'y trouvaient alors à redire. Au contraire, "cela faisait partie du personnage", cela faisait partie du délire. A ce moment on avait trop besoin d'un gros doudou pour faire la fine bouche ! Tout devait faire symbole pour sublimer la peur. 


Pigeons of Death Metal

Eagles of Death Metal. Ça fait partie du personnage. Poses parodiques pour groupe de rock parodique, à l'adresse d'un public parodiquement fan. Cible : le salarié du tertiaire qui aime ACDC parce que le t-shirt va 'achement bien avec son nouveau Levis. Avec les doigts d'une main, il fait les cornes du Diable tandis qu'il tient de l'autre son gobelet de Kro à 10 euros, parce que c'est comme ça que font les vrais, paraît-il... Son tatouage ne remonte pas plus haut que le col de la chemise, parce que lundi on retourne au bureau.

Ivre de peur, ivre de douleur, Charlie était prêt à s'accrocher à n'importe quoi. Son Jesse Hugues était là. Il continuerait à lui balancer du son dans les oreilles pour ne rien voir, rien entendre. Il lui faisait même l'honneur de revenir à Paris pour un concert de morts-vivants réservé aux rescapés de la tuerie. Le pied ! On allait pouvoir encore allumer des bougies ! Ah si seulement il avait fermé sa gueule, on aurait continué à fermer les yeux très forts et à profiter encore de ce pur moment de bonheur de s'être fait mitraillé sur son sol. Mais voilà, on finit par décuver, et la connerie du Jesse Hugues, elle, perdure. Il revient à la charge avec ses délires "racistes et complotistes".

En somme, il ne dit rien de bien méchant. Ses déclarations sont moins des opinions que des témoignages de ce qu'il a vu ou croit avoir vu. Il pense que les terroristes avaient la complicité du personnel de sécurité. Il pense avoir vu certains des terroristes errer dans les coulisses plus tôt dans la journée. Faut dire que pour un raciste, tous les noirs et les arabes se ressemblent ! Le considère-t-on comme un témoin de premier plan ? Se précipite-on pour lui demander des précisions, pour corroborer ses dires ? Que nenni. Il sera conspué. Au moment même où les juges chargés de l'enquête reçoivent les parties civiles pour les tenir au courant des avancées (ils attendent que Salah leur explique, ils n'ont pas compris ce qu'ils avaient fait de mal), on annule ses concerts. No pasara !

Pauvre Jesse Hugues ! Il me fait de la peine, tiens ! Moi-même je ne comprends pas ce qu'il y a de si inconcevable à son hypothèse, ni à quel idéal cela contrevient-il que les vigiles aient été de mèche - Alors vous pensez, le pauvre Ricain ! Il ne doit rien paner à la polémique ! Hier on le priait de revenir nous jouer un air - le Death Metal adoucit les moeurs - peut-être même qu'on s'apprêtait à lui remettre la Légion d'honneur, on l'aurait bien vu rendre hommage aux combattants de Verdun... et aujourd'hui on le fout dehors avec un coup de pied au cul ! Il sait pas où il a mis les pieds, le gars ! Ici t'es en France, mec ! On veut des victimes, pas des témoins ni des inquisiteurs ! Laisse nos terroristes tranquilles, veux-tu ! Vas donc t'occuper des tiens ! Nos musulmans, tu les aimes ou tu nous quittes !

"Ils sont fous ces Gaulois !"

13 commentaires:

  1. Avec une belle barbe à la JEB Stuart, en plus.

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  2. Curieusement, il est très difficile de trouver les propos originaux et intégraux du chanteur. Seulement des articles qui rapportent leur caractère délirant et "complotiste".

    J'ai fini par trouver l'interview sur ce site "breton" dont je la colle : http://breizatao.com/2016/05/17/attentats-du-bataclan-je-suis-degoute-les-francais-ne-blament-pas-lislam-ils-ont-plus-peur-que-je-promeuve-la-xenophobie-chanteur-des-eagles-death-metal/

    Il y a indéniablement des conneries et une part de délire dans ce qu'il dit, mais en lisant l'interview on comprend ce qui gêne réellement et ce qui ne doit pas être su. Plus que les propos islamophobes, ce qui choque et qui est tabou, c'est le témoignage du massacre et sa description de spectateurs tétanisés, se "rendant à la mort" sans même le réflexe de se planquer. C'est en réalité le premier témoignage qui ne verse pas dans la simple peur, dans le pardon ou dans l'amour.

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    1. pourtant l'occidental moyen bien que n'étant pas au niveau disons de l'africain de base dans ce domaine, devrait pourtant avoir une certaines expérience en matière de scénario catastrophes et apocalyptiques (livres, bd, films, série TV, jeux vidéos et j'en passe)Y parait aussi que la tv et le porno rendent violent Il semble donc que toutes les idées recues sur la violence des jeunes qui augmente "a cause des images et des musiques violentes" soit du pipeau de première ordre

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    2. Merci pour le lien. J'ignore si l'entretien est réel ou bidonné mais c'est intéressant. En revanche, pourquoi utilisez-vous le mot "islamophobie", mot qui n'existe pas dans la langue française, et qui surtout est une création des prosélytes islamistes pour interdire toute critique de leur "religion" et les placer en victimes. Parler d'islamophobie, c'est juste donner raison à ces assassins doublés d'imbéciles.

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    3. L'interview originelle a été réalisée par Takimag, et porte le titre évocateur de "Surrendering to Death" - effectivement, ce qui frappe beaucoup Jesse Hugues, ce sont les spectateurs qui demeurent complètement apathiques devant la mort.

      http://takimag.com/article/surrendering_to_death_gavin_mcinnes/print#axzz49tNPgnBU

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  3. kobus van cleef28 mai 2016 à 15:50

    dans votre titre j'avais lu "jean hugues"
    bon gû !
    qu'est ce que les gontrans et les pierre-emmanuels viennent faire sur le cigibi?
    bon, ça s'est corrigé après
    faudrait toujours chausser ses double foyers pour aller sur la toile

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  4. http://takimag.com/article/surrendering_to_death_gavin_mcinnes/print

    Voici l'interview complète de Jesse Hughes qui a fait polémique. Alors, on peut mettre en doute la véracité des propos tenues ; dans un massacre, on perd forcément ses esprits.

    Mais il a l'air plutôt franc avec lui-même et direct ; et, au delà de la théorie du complot, le gars sentait bien une sorte de mauvaise ambiance dès le début du concert. "Bad feelings", comme ils disent.

    Ses propos sur l'islam sont celles d'un Américain qui a encore des couilles de ne pas avoir honte de ce qu'il représente. On n'est pas habitué à cela en France parce que, bon, vous voyez, "L'islam, c'est gentil, c'est bien, c'est divers". Résultat : à part lui et Trump (qu'il soutient d'ailleurs), personne n'ose dire PUBLIQUEMENT ses 4 vérités à cette satanée de religion de fous furieux.

    Citation de l'interviewer que j'aime bien : "Islam is crying wolf about Islamophobia in order to anesthetize us and make us easier prey."

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  5. Je crois aussi que Jesse Hughes délire, avec l'aide complice de son interlocuteur bien bas de plafond (du genre à croiser une bonne idée dans sa vie, puis à en faire l'alpha et l'oméga de toute son analyse, comme si les autres êtres humains n'en avaient pas aussi, eux, des idées). Mais cela me semble compréhensible chez un traumatisé.

    Et je crois comprendre davantage encore ceux qui le déprogramment. Il y a prudence ou panique, parfois les deux. Deux raisons assez simple pour éviter d'écouter la parole d'un traumatisé.

    La prudence tout d'abord. Sans doute n'est-ce pas simple de travailler avec un type fatigué, et autant l'inviter à se reposer. De même, cet homme demeure un symbole, or un symbole se manie avec précaution. Ou bien vous voulez l'enrichir, en le faisant rencontrer du monde pour lui donner le sens qui vous plaît, et c'est du travail (surtout s'il est traumatisé) ; ou bien vous voulez le manipuler sans vous blesser, au risque de faire quelques mécontents à contrôler, et c'est du travail (surtout s'ils sont traumatisés). Bref, c'est délicat et noueux. Même avouer le nœud est noueux. Si je le regrette un peu, je ne me vois pas, depuis mon fauteuil, donner des conseils.

    En revanche, depuis mon fauteuil, je puis imaginer une psychologie. En partant de moi : si mon esprit s'arrêtait au spectacle de mes contemporains, cela pourrait être bien triste. Il faut dire que mon esprit n'est pas toujours bon dramaturge. Tout d'abord parce que la mémoire ne retient que ce qui ne va pas (10 personnes peuvent vous répondre "Bonjour" que vous trouverez toujours le temps de vous concentrer 10 fois sur celle qui ne vous a pas répondu). Ensuite parce que l'imagination n'a pas peur de généraliser au hasard. C'est souvent que la pièce est mauvaise, organisée autour de caractères improbables, les fameux « amalgames ». Au lieu d'être construits méthodiquement, l'imagination les construit selon une espèce de rationalité du pire. Alors, à ne pas réfléchir, nous pouvons nous construire un monde rempli d'idées bien crasses (si je n'aime pas trop l'idée méprisante des "propos nauséabonds", ma pensée a bien souvent eu besoin d'un décrassage).

    Or, à part si vous êtes une brute (voir parenthèses du début), être crasseux est déplaisant. Alors, pour ne pas nous laisser aller, nous nous méfions, et fuyons nos préjugés… pour d'autres préjugés. Le politiquement correct commence-t-il à vous miner, vous rejoignez l'intolérance ; et si l'intolérance vous épuise, vous balancez vers le politiquement correct. Les plus paresseux se contentent d'aller-retour entre leur expérience personnelle trop subjective, et de mauvais commentaires tout aussi biasés. Ce mouvement peut suffire à la vie de votre esprit. J'ai parfois tendance à m'y complaire. Les plus exigent s'en agacent, et s'informent pour en sortir. Les plus malins deviennent Gilles Kepel ou Stéphane Beau (http://www.alternatives-economiques.fr/pays-de-malheur--un-jeune-de-cite-ecrit-a-un-sociologue-par-younes-amrani-et-stephane-beaud_fr_art_185_20861.html). Les mois malins paniquent.

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  6. Qui panique, campe. Qui campe est sur la bonne rive. L'autre rive est honnie, et syncrétise divers défauts sous une même marque d'infamie. Je ne sais pas qui je suis, mais là-bas, au moins, je n'y suis pas. Et plus ce sera moche (rationalité du pire), mieux je me porterai. A chacun ses "racistes" ou ses "festivus". Et encore, festivus ou racistes sont des concepts intéressants, à qui il arrive de tomber juste, pour chacun de nous. Il y a des catégories bien moins raisonnables.

    Or, dans notre espace public est friand de ces bêtises. Saturé de commentaires, il colle au plus grand nombre, à l'analyse experte le plus rapidement reproductible ; même si l'analyse du réel n'est qu'une réduction de l'image qu'on s'en fait aux idées qu'on croit maîtriser. Pourtant quelques événements demeurent surprenants, même aux experts experts. Ainsi des déclarations de Jesse Hughes, où Hughes le sujet de débat n'a pas encore tout perdu de la complexité de Hughes l'être humain. Si vous n'êtes pas trop bête, vous vous retiendrez de parler trop vite, et resterez un peu dans ce moment de doute, d'étonnement, de distance et d'empathie (rappelons une banalité : il est traumatisé – même si notre époque forge des victimes pour faire des héros, ici on tient un cas non idéologique). Si vous êtes un peu pressé, vous lui trouverez une excuse, de votre cru.

    Une prix du jury toutefois, pour ceux qui – s'il existent – s'excitent ou s'indignent. Ceux qui les accusent, son public et lui, de s'être pris un retour de bâton bien mérité ; ceux qui l'accusent, lui tout seul, de traîtrise, de se laisser au racisme. Les uns aspirent à une vie de fêtes, les autres au racisme. Peut-être ne veulent-ils ne pas se laisser aller à leurs mauvais penchants, et cela les honorerait s'ils ne vivaient pas dans le déni. Le déni bien entendu, non de la réalité, mais d'une image qu'il s'en font et n'osent s'avouer. Car ils s'étonnent d'assister au spectacle de leurs envies cachées, au lieu où d'ordinaire il les fuient.

    Enfin, pour finir par l'essentiel, mon cher Xix, merci pour ce billet et le lien. Ils donnent à réfléchir.

    PS : Je suis navré pour ce long propos, mais j'ai vécu ce jour la convergence d'une intellectuellement exigeante et du temps libre : fallait bien que je me repose un peu. Et comme disait Pascal, je n'ai pas eu le temps de faire plus court.

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    1. Ça par contre, cher Luccio, je veux dire ces deux commentaires, c'est impardonnable. Comment avez-vous osé ? Expliquez-nous, non pas ce que vous avez voulu dire (on n'a pas le temps de lire plus long), mais qu'est-ce qui vous a pris ? On dirait un commentaire de Tagada Grand Vénérable de la Hype, les points d'exclamation en moins.

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    2. On m'a dit pareil dans une correspondance privée. Il faut croire que ma conviction de lucidité m'a trompé. Je devais être fatigué (et j'ai fini ma journée en allant voir candidement voir Ma loute; imaginez mon état à la fin de la journée).
      Pour l'essentiel : Jesse Hughes est un bout de réalité loin de nos habitudes, du coup il doit déconcerter bien des gens certains de savoir décrypter le monde. J'aurais dû faire plus court, car je ne suis pas ici chez moi. (Ce long truc peut se virer sans que je m'en offusque).

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    3. Tiens, et Ma Loute, c'est bien ?

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    4. J'ai vu deux vieilles dames quitter la salle (mais j'ai pensé à Steven Spielberg s'obligeant à finir tout film commencé). J'ai discuté avec un mien camarade qui a bien aimé la photo (et c'est vrai, c'est pas mal). J'ai eu du mal à subir toute cette moraline (les bourgeois, les hommes, le sexe-genre, la bouffe ; et la dévotion, mais là c'est un peu original, et moins compréhensible). D'autres plus tranquilles se sont contentés d'avoir à subir du vide. J'ai été un peu triste d'acteurs faisant confiance au réalisateur, et d'un réalisateur faisant confiance aux acteurs, sans que personne essaye de ne pas trop cabotiner -- se contenter d'un ou deux choix artistiques, c'est risqué. (Un autre mien camarade image que le réalisateur a sciemment cherché à humilier au moins un acteur).
      Bref, ce fut long, et j'en sortis énervé, mais au moins ça donne à causer, et il y avait un dîner.
      Mais comme je reste un gentil assez mainstream, je vais déclarer publiquement qu'il paraît qu'trouve des choses jolies et intéressante chez le réalisateur (dans ses œuvres précédentes).
      Quand j'aurais davantage de culture, je chercherai à quoi comparer.

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