4 janvier 2016

Incontinences

Dans-la-rue-sous-la-pluie-avec-son-Starbucks

Parmi les nouveautés qui ornent les trottoirs, nous trouvons ces urbains qui promènent sur eux en permanence leur petit godet-thermos contenant un thé ou un café. C’est ainsi qu’un matin, alors que les portes de votre métro s’ouvrent, vous tombez nez à nez avec un type tenant à la main sa petite boisson chaude. Impression désagréable d’avoir poussé par erreur la porte de la cuisine d’un inconnu en plein petit-déjeuner…

Le consommateur est appelé à développer son incontinence : il lui faut son Banania maintenant, pas avant ni après, de la même façon qu’un gamin ne sachant pas anticiper son besoin se fait dessus à la seconde où il a envie. Cette incontinence se manifeste plus largement dans la nouvelle façon de consommer la musique. Tout comme les abonnements UGC vous incitent à consommer du cinéma dès que vous avez un moment et non quand quelque chose qui vous semble valoir le coup se présente, la musique dématérialisée propose l’écoute à la demande (c’est-à-dire tout le temps), l’accès infini aux playlists, compils, Jukebox et best of en continu… Et voilà que tout le monde troque l’encombrant format CD contre le lecteur numérique, transportable, connecté à la bibliothèque universelle de la production musicale. On me dira que c’est bien pratique, et certainement économique aussi. Mais un charnier aussi, c’est bien pratique ! Les tongs, c’est pratique ! Le gaz sarin, c’est pratique ! Face à l’argument pratique et économique, nous voilà seul à entretenir des scrupules devant l’acte de transférer le patrimoine musical de toute une vie dans l’immatérialité d’un damné téléphone, à conserver de l’affection pour l’objet physique de la musique…

C’est que notre réticence n’est nullement une question d’affection ou de nostalgie mais plutôt de conception de la musique. Nous n’avons jamais considéré la musique comme une chose qui se doive écouter tout le temps et autant que possible. Nous ne croyons pas que les plages de temps inoccupé doivent se combler par un fond sonore, quelle que soit sa qualité, ni que la vie doive être un long parcours à travers une galerie marchande à ambiance musicale. Nous réservons au contraire la musique à certains moments privilégiés, comme un bon champagne ou un produit de valeur. A certains moments où nous pouvons nous y consacrer. Nous n’avons jamais écouté « de la musique » mais plutôt une œuvre, un album dans son entièreté et dans sa progressivité, dans l’histoire qu’il occupe au sein de la discographie d’un artiste. Nous avons pour cela besoin de saisir l’objet musical, de le choisir parmi les autres et de l’en retirer.

Je garde à ce sujet le souvenir ému et terrifié d’un collègue avec qui j’avais à effectuer de fréquents trajets en transports, et qui avait cette effarante capacité, aussitôt assis sur le strapontin, à s’injecter de la musique dans les oreilles et à s’endormir sur le champ, quelle que soit l’heure de la journée, pour se réveiller intuitivement pile au moment où nous atteignions la destination. Il rattrapait ainsi jusqu’à une heure complète de sommeil dans la journée, mais quel terrifiant spectacle que ce pantin endormi, ce cerveau en mode on/off mobilisable sur demande, anesthésiable sur commande par de la musique en péridurale – musique dont il se croyait évidemment féru du fait qu’il en ait à disposition en permanence, à tout moment et tout endroit de la journée. Gastronome de la merde… J’ai toujours eu un œil, une fois qu’il se fut levé pour descendre, à l’endroit de la banquette qu’il avait occupée. De crainte qu’il nous l’ait laissée humide.

18 commentaires:

  1. Je vais être sournois : lorsque vous finîtes de faire chemin ensemble, votre collègue continuait-il à écouter sa musique ?
    (mon Dieu, faites que la concordance soit bonne !)

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    1. Y'a une faute, c'est ça ? Hein ? Où ? Où ça ?

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    2. Pas que je sache, je parlais de moi (je suis un sournois égocentrique)

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  2. y a pas que dans le domaine de la consommation que règne l'immédiateté
    dans celui des idées , c'est à qui imposera sa 'tite crotte le premier
    témoin, les "preums" que les ternautes affichent avec fierté dans les commentaires dès l'article paru en ligne

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  3. enivrez-vous!
    de vin, de poësie ou de vertu; à votre guise.
    C.B.

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    1. pas de vertu , merde, pas de vertu !
      pour s'enivrer de vertu , faudrait être barje !
      ou alors c'est se payer de mots !
      enivrons nous de vice , ça , ça aurait de la gueule !

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  4. Ha non, hein, je m'insurge, critiquez pas le thermos et la bouilloire ! La gorgée de thé en hiver c'est tout de même plus sympa que le litron et demi de cristalline, non mais !
    Pour la suite du billet, j'applaudis...

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    1. et la Starbuckisation des esprits ?

      Incontinences... y'a eu quelques cas signalés à Cologne apparemment.

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    2. le litron de cristalline?
      je préfère le cubi de kiravi ou de père goulou !
      pas très pratique à manipuler , ceci dit

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  5. Tout cela va nous fabriquer une belle bande d'éjaculateurs précoces...

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    1. faut pas croire.....le fait de s'astiquer devant le net , jour et nuit ( paraît que le total d'heure de visualisation de porno sur le net est de 4 milliards d'heures ) doit , en toute logique , rendre anorgasmique ou peine à jouir....diminution de sensibilité des zones érogènes , toussa ....

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  6. qu'est-ce que vous foutez au CGB ?!!!! des semaines qu'il n'y a quasiment plus rien à lire... alors au boulot svp, c'est le seul média que je peux encore lire/écouter/voir sans me sentir en proie à la paranoïa... d'avance merci, bien cordialement, veuillez agréer M. le Directeur, etc. FC

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    1. On fatigue, on vieillit, on a besoin de sang neuf, d'une dialyse, un peu de pitié merde !

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    2. presque dix ans de bénévolat et on nous traite encore au knout !

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  7. J'imagine qu'en d'autres temps, ceux de l'apparition des premiers supports d'enregistrement, il y en avait pour hurler que se consacrer à ma musique consistait à se rendre dans une salle de concert.
    Cet article aura au moins le mérite de rappeler qu'on finit toujours par devenir un vieux con.

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    1. Je ne le suis pas devenu, je l'ai toujours été.

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    2. Vous aussi ?
      Merdalors !
      Où que j'aille, je tombe sur mes semblables !

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