27 septembre 2015

Choses vues : à la station-service



Hier, je m’arrête à la station Total de Feyzin, ville supermoche au sud de Lyon, et je fais le plein de ma limousine. Ma petite affaire faite, j’entre dans le bureau de l’employé pour payer ma note. Sur le point de composer mon code secret à l’abri des regards de la NSA, j’entends un client derrière moi demander au préposé s’il peut se laver les mains : il venait de se tâcher avec le pistolet du diesel. « Non, il n’y a pas de toilettes », entends-je répondre. Le client maculé se tire, sans rien dire.


Quand j’étais petit, dans toutes les stations-service de France, on servait le client. Il pouvait rester au volant de son bolide (c’est souvent ce qui se passait) et commander le plein : un type payé pour ça le lui faisait. Systématiquement, celui-ci tentait de fourguer une autre petite prestation appelant pourboire, c’était de bonne guerre. Il n’y avait donc aucune raison technique pour qu’on mît un lavabo à disposition dudit client, puisque celui-ci ne quittait pas ses gants (ah, oui, il fut un temps où les gens conduisaient avec des gants, je n’ai jamais bien compris pourquoi, et je n’ai pas pensé à demander ça à mon paternel, c’est trop tard). Puis, progressivement, les enflures qui vendent de l’essence se sont mis à supprimer un service qui allait de soi. Des gens arrivaient avec leur bagnole et, après trois coups de klaxon, comprenaient qu’il fallait désormais qu’ils se démerdassent tout seuls (pourquoi que je me mets à utiliser l’imparfait du subjonctif, alors que ce temps, comme le service aux pompes à essence, a disparu du pays ? Mystère). J’ai donc connu un temps où mon paternel faisait des détours comac pour aller prendre du jus là oùsque le mec, y te sert (voilà une syntaxe plus adaptée, non ?). Et, comme chacun le sait, ces stations ont toutes disparu.

Après des décennies de domestication, le Français moyen que je suis trouverait même curieux qu’on lui propose de lui remplir son réservoir d’essence. Ce service jadis gratuit a tellement disparu, son souvenir est devenu si lointain que, mis à part les petits vieux et les mecs comme moi entre deux âges, personne ne sait plus qu’il fut longtemps la règle absolue. Mais l’enculerie ne s’arrête donc pas là : après nous avoir mis au boulot dans leurs pompes dégueu, les Thénardiers qui vendent de l’essence nous refusent désormais l’accès à un point d’eau, si par hasard on s’est salopé en faisant leur taf ! Et il ne s’agit pas d’un caprice d’employé : la station Total de Feyzin n’est tout simplement pas équipée en cagouinces !


Soudain, nous voici plongés dans Restriction durable, l’épatant livre de Sixte, au chapitre où il remarque que ce que nous connaissions comme service minimal (le fait, par exemple, d’avoir un contact humain avec le con qui vous vend une babiole, le fait qu’il vous dise bonjour naturellement et non comme un robot qu’on a formé pour cela) ne se retrouve plus désormais qu’à l’étranger, dans des pays dits « en voie de développement », qui n’ont pas encore fait passer le rapport courtois entre les gens et « les choses qui se font » sous les fourches caudines de l’ingénierie de services ! « Toute science-fiction est inutile quand on a l’utopie pour paysage ». Tu l’as dit !

Naviguant entre le hasard et la nécessité, le citoyen moderne doit donc faire un choix. Non, nous ne viendrons plus chez Total par hasard, mais uniquement quand la plus cruelle nécessité nous y poussera, tas d’enfoirés !

18 commentaires:

  1. Qui se souvient encore des ouvreuses de cinéma ?
    (il fut un temps, vers la fin, où elles se contentaient de tendre la main sans faire mine de bouger, une sorte de péage)
    Sinon j'ai toujours roulé à l'essence, l'essence ça sent bon, et le fioule ça pue.

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  2. Un instant j'ai cru que Restriction durable se trouvait dans toutes les bonnes stations Total, rayon cagoinces.

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  3. On a retrouvé le lapin de l'illustration : https://www.youtube.com/watch?v=eO8E0s_Uv6g .

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  4. Monsieur, nos avocats vont vous contacter pour vous pomper un max de pognon, qui sachez-le, n'a pas d'odeur. Le service général juridique de TOTAL (Service de matraquage des blaireaux extrémistes).

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    1. Monsieur,
      Les menaces de Total, je m'en lave les mains. Et je fais ça en dehors des stations Total !

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  5. ça se fait trop rare ces derniers temps les articles de beboper....

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    1. C'est gentil. Mais que veux-tu, il faut bien que je prenne le temps de dépenser tout le pognon que je gagne, en partant en vacances, par exemple. Et comme je gagne gros (le CGB est très rentable, et les gens du fisc sont fans et nous font une fleur), je pars longtemps !

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  6. Cher tous (Car si dans le futur il n'est plus besoin de savoir à qui on envoie des messages puisque les mots-clefs qu'ils contiennent indiquent aux différents services de messagerie à qui les messages doivent être transférés, au point que des messages tout écrits nous parviennent pour que nous les expédions, et notre pensée avec, dans le présent, les utilisateurs du courrier électronique doivent encore connaître leurs destinataires, ce dont ils peuvent toutefois se consoler en débutant leurs messages avec un "Chers tous" avant de les ponctuer d'une lettre unique indiquant leur prénom, tels autrefois de vulgaires auteurs de bédés, qui d'ailleurs en proposaient deux),
    je suis tout heureux, car le livre de Xix n'existe plus à mon esprit uniquement comme cet objet physique après tout appelé s'effacer derrière le propos qu'il tient. Ça y est, je l'ai retrouvé ! Le bougre était caché dans ma bibliothèque, le voilà à nouveau prêtable.

    Et voici l'arnaque : j'ai moi aussi un livre à conseiller, même si pas du tout made in CGB. Cessez tout, et lisez "Après la vertu" de Alasdair MacIntyre, en commençant par les chapitres qui ont l'air de vous botter, et par le début si vous êtes studieux. Vous y trouverez des choses très bien. Peut-être connaissez-vous déjà, mais ce truc a éclairé mon mois de septembre, et je ne comprends pas pourquoi on ne me l'a pas plus chaudement recommandé auparavant (enfin si je comprends, parce qu'il n'est pas assez lu).
    Cordialement,
    L.

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    1. Luccio,
      On a plein de livres non lus sur le bureau, on procrastine à mort, donc ne voudrais-tu pas nous en dire plus ? Voire nous pondre un truc plus solide, qu'on diffuserait au web mondial via notre plateforme culturelle partouzarde...

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    2. Je tâcherai. Dans ces prochains mois. Si je n'en trouve pas une déjà écrite.
      (car pour l'instant j'ai une fiche manuscrite et mon plaisir à y repenser ; quand tout sera clair je pondrai une petite fiche numérique)

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  7. Dans le futur (donc dans notre présent car "toute science fiction est inutile quand on a l'utopie pour paysage" dit l'auteur), la société de services a été descendue des cieux, et tout service est auréolé d'un compris. Service compris, c'est à dire que le service, qui appelait généralement un pourboire a totalement disparu. D'aucuns journalistes du futur multiplient ainsi les sujets sur la disparition... du pourboire.
    Dans le futur, vous êtes donc au service des serveurs, espèce d'aristocrate simulateur d'expertise en boustifaille et autres fripes - et peut être pseudo comédien, pour votre plus grand malheur - des gardiens d'immeuble, toujours Portugais mais devenus locataire voire copropriétaires comme les autres et qui travaillent à côté de leur fonction première qu'ils n'assument plus que du bout des doigts, des livreurs, qui refusent de franchir ne serait-ce que le palier de votre immeuble pour vous monter l'objet commandé, tandis que la livraison a été grassement payée, et caetera, et caetera.
    Dans le futur, inutile d'attendre la moindre attention ou prévenance de qui que ce soit, tous les esclaves étant devenus les maîtres de tous - dans leurs têtes - sauf de soi.
    PUTAIN MAIS ACHETEZ RESTRICTION DURABLE BORDEL. A moins que vous ne le valiez pas.

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    1. Mais arrêtez enfin ! Vous allez laisser croire qu'il ne se vend pas comme des petits pains ! Merci d'y aller mollo sur les commandes. Je vais être obligé de redescendre à la cave voir s'il m'en reste.

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  8. Ah si on veut parler de Total...
    J'ai bien compris que le sujet est plus général mais quand même les enfoirés totaleux méritent un sort spécial de la part de gens de bonne compagnie comme ceux du CGB et de leurs lecteurs.
    Boycott !
    Je boycotte férocement Total depuis Erika.
    Ces enfoirés vendent leur saloperie encore plus cher en Loire Atlantique qu'ailleurs.
    Faut le faire !
    Sans parler des tarifs pratiqués dans les DOM où ils se gavent comme nulle part ailleurs (même si là c'est l'état qui se gave : 1, 65 € le litre d'essence en Guyane... c'est pas beau, ça ? En Fwanss hein, et tout près du Vénézuela producteur).
    Mais que fait la taube ? Elle pille.

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  9. « Et, comme chacun le sait, ces stations ont toutes disparu. »

    Eh bien non, pas toutes ! Je vous accorde qu'il en reste autant que de pandas vivant en liberté, mais enfin, l'espèce n'est pas tout à fait éteinte : j'en connais une, de ces stations préhistorique, à Pacy-sur-Eure, à moins de cinq kilomètres de chez moi.

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    1. Il y a beaucoup de choses étonnantes à Pacy-sur-Eure :
      http://www.dailymotion.com/video/x8cs7v_serge-gainsbourg-le-fossoyeur-de-pa_music

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    2. Alors, là, vous m'en bouchez un coin ! J'ignorais totalement l'existence de cette "version"…

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    3. Il en a fait plein d'autres, à l'époque, parce qu'il ne savait pas laquelle allait marcher. Alors par précaution (une de ses grandes qualités), il a fait "Je suis le potier de Jassans-Riottier", "je suis le livreur de charbon de Joinville-le-Pont" et, si mes souvenirs sont exacts, "Je suis l'attaché de presse de Bourg-en-Bresse". Rha-là là, Goux, vous en avez des trucs à découvrir encore...

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  10. Vous avez remarqué qu'on aura bientôt plus de caissière au McDo ? Vivement qu'ils mettent aussi des bornes aux urgences !

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