1 mai 2015

Les papas et les mamans



La comédie humaine ne se montre pas avare de prétextes pour nous faire détester nos semblables, oh non. Les plus grands vices côtoient même, dans ce catalogue désespérant, les tics les plus infimes. Car un bon détestateur n’a nul besoin de grandes causes pour répandre son mépris sur le genre humain : les broutilles font aussi bien l’affaire. Produire local, se contenter de peu, détester pour une virgule : c’est son credo.
La langue française est comme toutes les langues : mélange de règle et de pratiques. La pratique finit toujours par l’emporter sur la règle, à la longue, la chose est certaine. Cela ne doit pas nous dissuader de défendre la règle quand on l’attaque par ignorance, par fainéantise et mauvais goût, ce qui représente 99% des cas. Mais plus encore que la règle, c’est l’esprit que la règle encadre qu’il s’agit de protéger. Un des cas les plus navrants de ces attentats est l’habitude proliférante de parler de papas et de mamans en lieu et place de pères et de mères.

Vous l’avez sûrement constaté par vous-même : les petits enfants parlent de leur papa et de leur maman. C’est ainsi qu’ils s’expriment, complétant même ceci avec un bon gros pronom possessif du meilleur effet. On se souvient qu’Achille Talon, enfant s’il en fut, ne s’adressait à son père qu’en disant « mon papa », voire « mon papa à moi », adorable exagération dans la redondance. Jusque-là, la règle et l’esprit sont respectés. Utilisé sur le mode vocatif, papa est encore la meilleure façon de s’adresser directement à son père.
En revanche, l’infantilisation s’associe avec l’ignorance quand on se met à parler des papas et des mamans pour désigner une catégorie de population en général : les parents. L’expression « les mamans viennent attendre leurs enfants à cinq heures » remplace désormais « les mères de famille », et « les papas attendent dans le monospace » remplace « les pères se retrouvent au bistrot » !

Comment ne pas se sentir mal à l’aise quand un quadragénaire de 110 kilos, avec des mains grosses comme des poêles à frire velues (modèle fabriqué au Liban), vous dit : « Ce week-end, je vais descendre dans le Lubéron voir ma maman ». Pire encore, il lui arrive de la désigner sans le pronom possessif, directement « maman », comme s’il parlait d’elle en famille, comme s’il remplaçait le prénom de sa mère (Chantal, Josiane, Arlette) par maman, tout simplement, et devant de purs étrangers !

Je le dis et je le décrète, maman doit rester le mot qu’on ne dit qu’à une seule femme au monde : sa propre mère. En dehors de cette règle, c’est perversion et compagnie ! Et c’est un privilège qu’on ne partage qu’avec ses frères et sœurs. Une de mes sœurs, justement, qui travaille dans une école, me dit un jour qu’elle recevait des mamans. Je l’agonis immédiatement d’injures : tu ne peux pas recevoir « des » mamans, parce que « maman », il n’y en a qu’une seule au monde, et c’est la nôtre, bourrique ! Maman n’est pas une fonction, lui-hurlais-je au pif, c’est un mot d’amour enfantin. Etre une maman n’a aucun sens en dehors du cercle familial ! Est-ce qu’on dirait que la sainte vierge était la maman du Christ ? Elle me dit alors que dans son milieu, parler de "mères" n'est pas bien vu...

J’ai reçu un mail m’annonçant qu’un certain Michel venait « de perdre son papa ». Le Michel en question est un solide père de famille lui-même, qui taquine les cinquante balais. Il a donc perdu son père, et non son papa. J’en fais la remarque à l’auteur du mail, qui me rétorque que « père », ça fait plus « dur » (des mois sont passés depuis, je n’ai toujours pas compris ce que cela peut bien signifier – en attendant, j’ai coupé les ponts avec ce con). Je lui pose donc la question : aurais-tu eu l’idée d’écrire que Michel a perdu son pépé, ou sa tatie ? « Non, qu’il me rétorque (ça fait deux fois qu’il rétorque, notez bien), ç’aurait été ridicule » !

Si un quinqua peut impunément évoquer sa maman, celle-ci peut-elle perler de lui en disant "mon bébé"? Entendra-t-on bientôt "Bébé est DRH dans une grosse boîte, il a licencié huit cents personnes le mois dernier"? Partis comme on est....

Papa, maman, tatie, tantine, des mots intimes qui sont comme le butin de l’enfance. Ils sont ce qui nous reste des premiers mots prononcés et, passé un certain âge (en gros, dès la puberté), il est ridicule de les employer encore (je veux dire en dehors de la présence physique des personnes qu’ils désignent). Ce ridicule devrait suffire pour en obtenir l’interdiction, chose que je promets solennellement au genre humain s’il consent à me donner un jour le pouvoir.

14 commentaires:

  1. néoténie mon gars!

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  2. Je me souviens d'un billet de Didier Goux traitant ce grave problème du remplacement des mots père et mère.
    Infantilisation généralisée ? Ya plus d'adultes ?
    On dirait qu'il ne reste que des ados attardés. Et forcément compassionnels, vu leur âge mental.

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  3. Mais, et Camus dans tout ça ?

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    1. Billet très camusien en effet ! (Je devrais plutôt dire rinaldo-camusien, afin d'éviter toute ambiguïté.)

      Cela étant, depuis que la lecture de Camus m'a fait découvrir ce glissement des pères et mères vers les papas et les mamans, je ne cesse de rencontrer de très bons auteurs, du XXe voire du XIXe siècles qui ont, sans état d'âme apparent utilisé les vocables maudits. Il est possible, donc, que nous accusions la modernité un peu vite.

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  4. Et que dire de ces couples dont le poids des ans de la vie à deux finissent par s'appeler mutuellement "Maman" et "Papa" ! Mais ceux là ne sont pas les pires - mettons ça sur le compte de l'âge et la lassitude.
    Cette régression dans un état niais et enfantin est aussi présente chez les cathos: quand je me suis échouée en BTS après le lycée, une de mes amies, catholique pétillante qui va à la messe et qui a trois mille dîners par semaine, s'est soudain exprimé devant toute la classe en commençant par: "Papa à son travail...blablabla..." Cette adorable enfant avait 20 ans.

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  5. Novlangue pour l'expression "il vendrait père et mère" :
    il vendrait son papa et sa mouman.
    C'est-y pas mignon ?

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    1. Nique ta maman!

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    2. Savez-vous que c'est une inscription que j'ai réellement vue, "taguée" à la base d'un mur du lycée de Levallois-Perret ? Je crois même que j'en avais fait un petit billet ; mais du diable si j'arrive à le retrouver…

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  6. Ah voilà, je ne m'étais pas trompée et vous l'avez retrouvé.
    Mais il me semble que vous en avez écrit un autre, plus développé.

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  7. Je me suis fait la réflexion il n’y a pas si longtemps, alors que j’avais entendu une septuagénaire évoquer « Maman »… Ce n’est en effet pas une question de modernité : ce malheureux usage a même plutôt cours dans le milieu tradi il me semble.

    Je comprends peut-être à présent pourquoi j’ai toujours gardé en tête une déclaration insignifiante de Lambert Wilson entendue à la radio (il venait de perdre son père) : « Pâpâ âdorait le théââtre… », avait-il lancé. Ce n’était peut-être pas les « a » circonflexes qui m’avaient le plus choqué, mais plutôt le « Papa » !

    La prochaine fois que quelqu’un annonce « je suis Papa », sautez lui au cou en criant : « PAPA ! »

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    1. Vaut mieux être papa que charlie !

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    2. On connaît en effet cette tradition lamentable dans une certaine haute société, "papa gère des mines en Ouganda, je crois"... Ceci n'excuse rien, évidemment.

      De toute façon, le marqueur absolu qui révèle l'aberration de cette connerie, c'est de remplacer papa par tonton, ou maman par tantine : j'attends de voir un con suffisamment décomplexé pour annoncer "mon tonton se rend à Lourdes chaque printemps !", ou "tantine refuse absolument la sodomie le dimanche!"

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    3. kobus van cleef8 mai 2015 à 15:54

      le dimanche ,c'est abstinence
      la sodo c'est le vendredi

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