2 novembre 2014

L'atonalisme contre les heures sombres


Lecteur, je te conseille furieusement de prendre cinquante-neuf minutes de ton temps pour regarder la vidéo ci-dessous. C'est un document exceptionnel. Il traite de la musique atonale, autrement appelée musique moderne, autrement appelée musique contemporaine. Il en traite d'une façon à la fois savante et simple, démonstrative et drôle, ce qui est extrêmement rare, et en fait tout l'intérêt.

En avril 2013, Jérôme Ducros donne une conférence au Collège de France : l'atonalisme. Et après ? Il y développe une analyse et une critique de la musique atonale en utilisant les ressources de sa propre expérience, celles du corpus atonal, et une belle dose d''ironie. Il y démontre de façon claire et implacable que l'atonalisme est une impasse. Son idée est tout entière contenue dans le titre de sa conférence : constatant les limites de l'expérience atonale (et ne jetant certainement pas celle-ci aux orties), il prédit le "retour" prochain de la musique tonale.

Comme tu t’en doutes, lecteur, Jérôme Ducros est, depuis lors, régulièrement traité de nazi. On l’a comparé aux pires monstres du siècle passé et, si personne n’a osé évoquer Dracula, c’est probablement parce que nous ne connaissons pas précisément les goûts du Comte pour la musique. Comme chaque fois avec les avant-gardes, nous sommes obligés de constater que la critique est non seulement impossible mais aussi interdite. Interdite sous peine de se voir traîner dans la boue, de se voir attaqué bassement par les défenseurs auto-proclamés de la liberté. Interdite surtout parce qu'elle suppose le risque d’une mise à l’écart de la vie professionnelle et sociale : qui voudrait continuer de fréquenter un nazi ? Qui lui donnerait du travail ? La seule critique autorisée est donc celle qu’on pratique entre soi, la critique de surface qui ne remet jamais réellement les choses en cause.
Curieux renversement des valeurs : l’art contemporain est né de la volonté de faire table rase du passé, il s’est développé au nom du droit à la déconstruction des valeurs anciennes, il a pris la liberté comme valeur fondamentale mais, sitôt qu’un insolent à la moindre velléité d’appliquer ce programme à l’art contemporain lui-même, il est réduit au rang des nazis. Si on critique vraiment l’art contemporain, non pas comme un beauf qui ne comprend rien mais grâce aux secours de la grande culture, à la manière d’un Jean Clair par exemple, c’est qu’on est nazi. A croire que pour les idolâtres de l’art contemporain, les nazis ont le monopole de la critique !

A part sa vanité absolue, ce qui étonne le plus, dans ce genre d’accusation, c’est le gouffre qui la sépare de la réalité constatable. On peut reprendre les arguments de Jérôme Ducros un à un, on ne trouvera rien qui puisse l’apparenter à ce que les nazis pensaient de l’art moderne. Nulle part il n’est dit quoi que ce soit qui puisse faire penser que Ducros souhaiterait qu’un sort horrible soit fait aux musiciens de l’atonalisme, nulle référence à des déportations, à des procès de lèse bon goût, à la fameuse « dégénérescence » de l’art, nulle proposition d’un art nouveau et formidable censé relever le moral du peuple, rien. Il reconnaît ses mérites à l’atonalisme mais, à l’inverse de ses bigots, il en démontre les limites. C’est un genre de crime, définir la limite, qu’un moderne conséquent ne saurait pardonner.


28 commentaires:

  1. Ce monsieur Ducros... est tout simplement excellent.

    Voilà une conférence qui mérite le tag #indispensable !

    Merci Beboper, pour la découverte !







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  2. Ce que dit Jérôme Ducros, c'est qu'on ne peut pas à la fois prétendre dire quelque chose, et refuser d'apprendre à maîtriser les règles d'un langage pour ce faire. Y-a-t-il une synthase cachée dans la musique atonale ? Y'a-t-il certaines règles cachées qu'il faudrait apprendre, pour accéder au "sens" complexe de cette musique, ou plus simplement - car ici on ne parle que de musique, et pas d'une œuvre "à message" - pour que cette musique accède à nos sens ? C'est ce que je voudrais savoir...

    Le goût est quelque chose qui se travaille. C'est-à-dire que nous savons tous que pour accéder à certains plaisirs artistiques très élaborés, il faut auparavant avoir été éduqué dans ce sens. Je suis prêt à croire à la beauté de la musique atonale, si cette beauté est possiblement quelque chose qui s'enseigne.

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    1. La musique atonale a souvent une certaine structure (par exemple en utilisant des séries)... le problème à mon avis, c'est que ces structures sont trop abstraites: on peut les repérer en étudiant la partition, mais pas à l'écoute! L'oreille humaine peut facilement repérer certaines structures - contours mélodiques, rythme, type de gamme (majeure, mineure, phrygienne etc), et c'est précisément ce genre de structure facilement audibles qui sont écartées par les avant-gardistes.

      En gros on espérait bâtir des nouvelles structures audibles complètement différentes, et de ce point de vue, l'échec est total: la musique d'avant garde et toujours aussi indéchiffrable que depuis Schoenberg. On a aussi espéré que l'oreille des auditeurs évoluerait à l'exposition de cette nouvelle musique, et encore une fois on a un échec total: les gens sont toujours totalement sourds face à Boulez, alors qu'ils naviguent les bizarreries harmoniques et rythmiques du jazz ou de la samba sans aucune difficulté.

      Donc oui, la musique atonale est structurée (sauf lorsqu'elle est aléatoire), le problème c'est plutôt qu'elle ignore totalement le fonctionnement de l'oreille humaine. Bref, c'est une construction, mais c'est une construction mal faite, mal pensée et prête à s'effondrer à tout moment.

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    2. En somme, ce que vous dites, c'est que le musicien atonal est une sorte de type qui clame haut et fort qu'il veut réinventer l'amour... suite à quoi il ne trouve rien de mieux à faire, au premier rendez-vous avec une fille, au lieu de commencer par les préliminaires habituels, que de lui fourrer subrepticement sa bite dans l'oreille.

      Ca me fait penser que dans la mythologique grecque Harmonie est la fille naturelle des amours contre-nature entre Vénus, qui est la déesse à proprement parler de l'amour, et Mars qui incarne la guerre (c'est-à-dire le contraire de l'amour). La question que nous pose la légende d'Harmonie (qui est, il faut le savoir, une divinité qui a été déchue de son immortalité, donc qui a été maudite) est la suivante : Lorsque Vénus réussit à séduire Mars, est-ce que c'est elle qui gagne ? Ou lorsque Mars réussit à séduire Vénus, est-ce lui qui la vainc ? Éternel questionnement insoluble - éternel questionnement maudit.

      Lorsque Ducros nous raconte comment la musique classique dite "harmonique", consiste précisément, comme dans le Triton de Bach qui utilise ce qu'on appelait à l'époque un "accord du Diable", à créer des harmoniques à partir de sons qui ne sont pas forcément a-priori, en soi, harmonieux, il nous renvoie une fois de plus à ce mythe.

      Voilà un débat qu'on pourrait qualifier de débat platonicien : y'a-t-il un beau absolu ? y'a-t-il des suites d'harmoniques absolument harmonieuses et des suites harmoniques absolument dis-harmonieuses ?

      Lorsqu'on écoute de la musique sérielle, pourtant élaborée selon une méthode qu'on pourrait dire scientifique, car elle répond à des symétries internes - comme ferait par exemple une équation - qui ont été préalablement dûment calculées, on est obligé de se rendre à l'évidence : cette musique sérielle semble essentiellement composée d' "harmoniques du Diable"... c'est une enfant de Mars et de Vénus qui tient tellement de Mars et tellement peu de Vénus, qu'on se demande si pour la créer Mars et Vénus se sont jamais aimés.

      Quand Bach danse avec le Diable une danse de l'amour, il semble le vaincre. Quand Stockhausen prétend qu'il n'y a pas de Diable, ni d'harmoniques du Diables, et décrète que toutes les harmoniques sont harmonieuses, on dirait que Mars le bouffe corps et âme, s'empare de lui dans un maelstrom cacophonique militaro-industiel (cf : la symphonie pour Hélicoptère, notamment)... en somme, que le Diable n'en fait qu'une bouchée.

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    3. Correction :

      *comme lorsque Bach utilise le triton qui était considéré à l'époque comme l'accord du Diable

      Le triton de la musicologie n'est pas le Triton de la mythologie... hum.

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    4. @Dr Swing : Votre conclusion est absurde car les compositeurs de l'atonalité comprennent parfaitement le fonctionnement de l'oreille et c'est précisément grâce à cette connaissance qu'ils parviennent à le troubler, le déstabiliser. La musique est un jeu, "jeu de la vie", et donc jeu avec l'auditeur, que cela vous plaise ou non.

      Enfin, dire que cette musique est "mal faite " et "mal pensée" n'a aucun sens. Propos typique de philistin. Si vous tenez à la critiquer un peu plus intelligemment, dites plutôt qu'elle est justement trop pensée, trop cérébrale à la limite. Trop ésotérique si cela vous chante...

      @Steppenwolf : Et le contexte historique de Stockhausen ? Son monde, loin des confettis parisiens, est celui de Cologne après le passage des Américains : un monde en ruine. Une catastrophe dont les compositeurs allemands ne pouvaient pas se remettre en plongeant tête baissée dans la guinguette et les gentillesses d'un système tonal réinventé dans l'urgence. Vous connaissez sûrement le nom de la première oeuvre de musique électronique : Gesang der Jünglinge im Feuerofen (Le chant des adolescents dans la fournaise). C'est le chant décomposé de ces Hitlerjugend qui, du jour au lendemain, se sont retrouvés totalement perdus, sans Dieu, livrés à eux-mêmes entre des parents blême de honte et des voisins haineux.

      Ceci explique, du moins en partie, la radicalisation après-guerre de la musique sérielle (et aussi, mais ceci est un autre chapitre, la naissance du Krautrock et de la musique psychédélique).

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    5. Ils veulent jouer avec les propriétés nos oreilles, hein ? Concerto pour craie sur un tableau ? Vous savez comment on appelle quelqu'un qui joue à faire suer les autres, et à qui ça procure du plaisir ? Un sadique.

      Hitlerjugend ou pas, le fait d'avoir souffert n'autorise pas à faire souffrir les autres. C'est tout de même hallucinant, ça, que des progressistes puissent supposer froidement qu'on ne souffrait pas (ou si peu) à l'époque de Bach ! Mais alors, si les souffrances des hommes de l'époque de Bach (ou de nos grands-parents qui allaient danser dans les guingettes) n'étaient rien, étaient des "gentillesses, des enfantillages, en comparaison de la souffrance des modernes... mais alors, mais alors... votre point de vue est déjà en soi un plaidoyer contre la modernité !

      Soyons raisonnables deux minutes, voulez-vous... imaginez un roi, en des temps reculé, qui au terme de l'une de ces innombrables guerres sans pitié dont l'Histoire du monde regorge, aurait soudain décrété ceci : "Bien trop de gens sont morts pour que nous puissions tranquillement recommencer à nous amuser... Dès aujourd'hui nous nous habillerons tous en noir - plus de robes colorées, plus de couronnes de fleurs, plus de chapeaux rigolos, rien que des vestes noires, des chemises blanches, des pantalons gris, même pour les femmes -, nous n'irons plus au bal, les banquets sont finis, nous ajournerons pour quelques temps tous les mariages, et puis tous les mariages ne se feront plus qu'à huis clos, et dans le secret. De toute façon il n'y aura plus de musique pour danser. Moi je déteste la musique qui fait danser. C'est vulgaire, c'est tellement vulgaire ! Voulez-vous être un peuple de ploucs ? A présent toutes les célébrations se feront sur fond de symphonie pour craie et tableau... Je vous défends aussi de pleurer."

      La seule raison pour laquelle nous en venons pourtant, à l'échelle de nations entières, à accepter des décrets aussi absurdes, c'est parce qu'il n'y a plus de rois de qui se moquer lorsqu'ils deviennent fous, et qu'on nous fait croire que ces décrets se font au nom du peuple, pour le peuple, et même qu'ils émanent du peuple (ou de la compassion pour la vie du peuple)... - Alors que c'est totalement faux, bien sûr ! La musique atonale est (dans le meilleur des cas - c-à-d quand ce n'est pas juste un foutage de gueule total) un délire et un concours de bite de vieux pontes musicologues sur-diplômés über-snob. C'est-à-dire qu'elle descend sur la gueule du peuple béant comme la parole sacro-sainte désodorisante des hautes-sphères sur la puanteur du fumier.

      Hy-po-cri-sie.

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    6. [..]

      Qui sont ces femmes, qu'on voyait toujours habillées en noir, qui portaient le deuil de leurs morts toujours plus longtemps que les autres, qui se faisaient une gloire de ne jamais rire - car la vie est une chose sérieuse ! - de ne jamais jouir de la vie - car la vie ici-bas n'est que corruption et saloperie, qu'il faut penser un peu à ceux qui souffrent et que les femmes honnêtes n'ont pas de plaisir ? - C'étaient les bigotes, monsieur Ostia ! Les gens se moquaient autrefois des vieilles sorcières qui raisonnaient ainsi ! Elles gardaient, paraissait-il, un diamant pur entre leurs fesses... et Brel a dit que s'il avait été Dieu, en les voyant prier, il en aurait éperdu la foi.

      "Vêtues de noir comme Monsieur le Curé
      Qui est trop bon avec les créatures [traduction : les salopes !!]
      Elles s'embigotent les yeux baissés
      Comme si Dieu dormait sous leurs chaussures
      De bigotes

      Le samedi soir après le turbin
      On voit l'ouvrier parisien [accompagnement guilleret, accordéon]
      Mais pas de bigotes
      Car c'est au fond de leur maison
      Qu'elles se préservent des garçons
      Les bigotes


      ***

      Si les hommes ont inventé la musique, c'est avant tout pour faire la fête, pour s'enivrer au moins (comme le disait Baudelaire : "enivrez-vous !"), pour se faire tourner la tête... pour oublier quelques temps leurs malheur et s'en consoler... car lorsqu'on accepte de rentrer dans la ronde après avoir beaucoup souffert, cela veut dire qu'on se réconcilie avec la vie. Les élégies elle-mêmes, les requiem, les musiques dédiées aux morts ou qui chantent la tristesse, ne servent à rien d'autre qu'à embaumer cette tristesse, qu'à lui donner des dehors attrayants, séduisants, des reflets précieux, des reflets dorés.

      Les hommes n'ont pas inventé la musique pour se conforter dans cette idée aisément accessible à l'homme du ressentiment, cynique et par essence contre-productive, que le monde était laid et dissonant. Si Luther décide qu'il n'aime pas le monde, il ne peut pas aimer non plus continuer à aimer la musique. L'oreille humaine le veut ainsi.

      En vérité, Stockhausen est plus extrémiste encore que les moines grégoriens dans sa haine de l'harmonie, il aurait dû proposer ses services aux législateurs de l'Islam.

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    7. Vous faites semblant, mais avec une certaine conviction cependant, de ne pas comprendre.

      Je vais laisser de côté vos réflexions puériles sur les souffrances des aînés vs les souffrances des modernes. Ce n'est absolument pas le sujet. La guerre totale est si terriblement particulière, si exceptionnellement sordide, que je me sentirais bien couillon de vouloir le démontrer mieux que cela n'a déjà été fait.

      Je suis pour ma part un passionné de musique - tonale, sérielle, grotesque, charnelle, horrible, minimale, chatoyante et j'en passe - et n'ai aucun problème pour passer le plus naturellement du monde de Bach à Xenakis, ou de Brigitte Bardot à Throbbing Gristle dans un autre domaine. Or, lorsque je vous lis, j'ai la nette impression d'avoir à faire à quelqu'un qui ne peut en aucun cas imaginer qu'un compositeur digne de ce nom puisse vouloir s'enivrer autrement qu'avec le très officiel vin de messe (vin de masse, en l'occurence...) Que la musique servit, à l'origine, de divertissement populaire (et en même temps d'accompagnement pour d'autres formes d'art, comme avec la tragédie chez les Grecs) c'est très juste de le rappeler. Mais ce qui compte ici, c'est ce que la musique occidentale est devenue depuis et ce surtout grâce à la chiquenaude de Luther : un art indépendant de l'Eglise et des bals populaires. Un art entier, autonome et qui se démarque de tous les autres peut-être parce qu'il arrive tardivement, à la traîne. Bach et Schoenberg font partie de la même famille. Et vous voudriez me faire croire que l'un est l'ami du peuple tandis que l'autre lui chie dessus ? Bullshit ! L'un et l'autre étaient des artistes curieux comme seul les enfants savent l'être, passionnés et totalement dévoués à la création musicale. Le reste (le plaisir auditif) n'est qu'une question de goût, d'appréciation personnelle, de vécu, etc...On en fait une montagne alors qu'en vérité il s'agit là d'un détail.

      Et puis toute la musique moderne ne se résume pas au dodécaphonisme (au cas ou, il y a aussi Stravinsky, Strauss, Porokofiev, Messiaen, Penderecki etc...), de même qu'il y a autant de différences entre Stockhausen et Webern qu'il y en a entre Warhol et Kandinsky.

      Voyez, le sado a aussi ses penchants humanistes - c'est son côté maso...

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    8. "Je vais laisser de côté vos réflexions puériles sur les souffrances des aînés vs les souffrances des modernes. Ce n'est absolument pas le sujet."

      Mais si, c'est le sujet ! C'est le sujet si je veux que ce soit le sujet. Retourner tête baissée dans la guinguette, façon Piaf dans l'accordéoniste ? Ou décider que rien ne sera plus jamais comme avant et se hisser au-dessus de toute l'Histoire, au-dessus de toute la misère du monde, avec dédain ? - C'est un parti-pris politique. Pas une différence de qualité et de profondeur de souffrance, contrairement à ce que l'on aime à nous enseigner en cours d'Histoire.

      Oh ma chère, une telle différence de qualité dans la souffrance !... la guerre moderne si exceptionnellement sordide !... Du jamais vu, du jamais senti ! ... La crème de l'horreur ! L'aristocratie de l'horreur ! Car on a atteint le sublime, et ça il faut le savoir !... - La condition des moderne... bien sûr tellement plus paradoxale dans le trragique que celle des grands-mères paysannes qui survivaient à tout... ou qui n'y survivaient pas d'ailleurs... peu importe.

      Ha ha ! Vous rendez-vous compte de ce que vous dites en répétant ainsi cette doxa ?

      Moi j'en ai vu de mes yeux vu, des choses sordides, dans la campagne française... souvenir d'un hospice notamment... mourir un hiver entre un courant d'air et une flaque de pisse... affaissé sur soi-même dans un vieux fauteuil de fer, comme une plante ramollie par le gel... une vieille plante coquette qui avait jusque-là vécu tranquille contre la fenêtre de la cuisine à côté du fourneau et qu'on a sortie dehors un beau jour d'hiver blanc, parce qu'il était l'heure, que les enfants se faisaient vieux à leur tour, voulaient profiter de leurs dernières bonnes années... voulaient en profiter je suppose pour rompre avec les traditions... Mourir ainsi en vitesse accélérée, sans colère et sans aigreur, avec la douceur de toujours, une craquelure de sécheresse sur la joue, sans chaleur et sans soin, quelques réminiscences étranges d'un langage inconnu à la bouche, en disant qu'il est bien temps, comme la vieille de la Balade de Narayama... Vous me dites qu'il y a des sordides de plus grande qualité que les autres... j'ai envie de vous arracher ces mots de la gueule, mais vous ne pouvez pas comprendre. Vous pouvez juste faire des phrases. Et relativiser.

      Les guinguettes, vous croyez que c'était quoi ? Le bal des enfants heureux ? Vous ne savez pas... vous ne savez rien... mais vous avez suivi des cours d'histoire... et il y a des choses que vous savez qu'on n'a pas le droit de dire ! Mais c'est très bien pour vous !

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    9. Quand Dieudonné attaque cette idée transmise par les livres d'histoires actuels qu'il n'y aurait pas de souffrance au monde supérieure à la souffrance de qui on sait dans les circonstances que l'on sait... lorsque Dieudonné attaque cette idées admise en nous parlant à tort et à travers de la souffrance de ses propres ancêtres noirs, (souffrance due en bonne partie, on ne peut pas le nier, aux esclavagistes du Levant qui pratiquaient le commerce triangulaire), il répond simplement à une certaine doxa mémorielle au moyen une autre doxa mémorielle (une doxa mémorielle concurrente) - sortie de son chapeau.

      A la base, je crois qu'il a fait ça pour démontrer l'inanité morale de tels procédés.

      Etant donné que l'inanité morale de ses propres procédés saute aux yeux, s'ils ne sont qu'une copie en miroir des procédés de ses ennemis, on peut dire qu'au strict niveau de la démonstration logique, ça fonctionne. [C'est au niveau moral évidemment que ça continue à pécher - forcément.]

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  3. Personnellement, je ne rangerai pas les précurseurs de la musique sérielle (Schoenberg, Berg et Webern donc) dans la catégorie de l'art contemporain où la pure provocation et le snobisme sont presque toujours de mise. Il y avait chez eux une véritable quête de la beauté, d'un "frisson nouveau" pour reprendre le mot d'Hugo sur Baudelaire. En ce sens, ils continuaient le romantisme jusque dans ses excès bien plus qu'ils ne l'annulaient.

    Excellente vidéo cela dit (j'adore la trogne de Ducros lorsqu'il nous fait entendre le triton chez Bach).

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    1. Je pense que c'est ce que Ducros pointe aussi dans sa conférence. Il ne traite pas les précurseurs comme des guignols et, contrairement à certains commentateurs trop pressés de s'exprimer, il sait bien que Stockhausen est un musicien de valeur. La question est de se rendre compte que ceux qui se prétendent d'avant-garde aujourd'hui sont une arrière-garde, et le peu d'évolution dont témoigne leur musique devrait rendre cela éclatant. Cette arrière-garde est rendue plus grotesque encore quand elle prétend interdire qu'on la critique: caractère classique de la décadence...

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    2. Ah, vous voilà enfin ? Il faut donc pousser le bouchon pour avoir une réponse ?

      Moi ce je pense c'est que certains musiciens se prennent un peu trop au sérieux... l'art n'est sacré que dans la mesure où il s'autorise à toucher au sacré - mais les vrais religieux ne touchent pas au sacré, ils le vénèrent et interdisent qu'on y touche.

      Ne pas s'autoriser à dire que la musique atonale fait mal aux oreilles, est agressive, n'est pas belle et n'est pas mélodieuse (alors que c'est tout ce qu'on demande à la musique, rien de plus), c'est ne pas s'autoriser à dire la vérité, et cela pour des raisons dogmatiques.

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    3. @Beboper : " La question est de se rendre compte que ceux qui se prétendent d'avant-garde aujourd'hui sont une arrière-garde, et le peu d'évolution dont témoigne leur musique devrait rendre cela éclatant." - Je suis on ne peut plus d'accord et c'est pourquoi je voulais rappeler, à vos lecteurs plutôt qu'à vous, le caractère audacieux et à la fois naturel des Viennois ainsi que de leurs dignes successeurs.

      Si vous voulez (je vous reformule à ma façon) : les avant-gardistes d'aujourd'hui sont les pompeux académiciens d'hier. Donc ils ne sont pas avant-gardistes...

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  4. Même chose avec le Free Jazz qui prétend renouveler le principe de l'élément dissonant qui est corrigé par une résolution (Bop). Truc de bobos. Pas de subtilité décelable, pas d'écoute possible plus de 10 min. Poubelle.

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  5. Steppenwolf : "le musicien atonal est une sorte de type qui clame haut et fort qu'il veut réinventer l'amour... suite à quoi il ne trouve rien de mieux à faire, au premier rendez-vous avec une fille, au lieu de commencer par les préliminaires habituels, que de lui fourrer subrepticement sa bite dans l'oreille" . Très bon ! Au-delà de la rigolade, il y a du vrai dans ton résumé de la démarche "moderne" : faire table rase du passé entraîne, effectivement, ce genre de pratiques nouvelles... L’ambition de ces extrémistes était aussi de produire un homme nouveau (qui eût certainement trouvé normal de se servir de sa bite comme tu le dis). Mais voilà, l’homme nouveau n’est pas arrivé, et les gens - ces gros cons- préfèrent encore écouter Chopin que Stockhausen. Voir aussi les élucubrations des Futuristes italiens qui voulaient, entre autre bonnes idées, raser Venise pour en faire un parking. Il y avait bien sûr de la provocation dans ce genre de projet, mais il y avait surtout une sorte de foi absolue d'avoir raison, typique de l'esprit totalitaire. L’impossibilité d’accepter la critique n’est-elle pas, chez les artistes contemporains, un reliquat de cet esprit initial ?

    Sinon, je ne suis pas du tout d’accord avec les critiques qui se bornent à dire que la musique moderne /contemporaine est incompréhensible, donc mauvaise. L’argument ne me semble pas bon parce qu’il est assez facile d’expliquer ce qui se passe vraiment, d’un point de vue technique, dans un morceau sériel ou dodécaphonique. Le fait qu’on comprenne ou qu’on ne comprenne pas me paraît tout à fait secondaire (savez-vous ce qui se passe, vous, dans le concerto pour deux violons et orchestres de Bach ?). En revanche, que l’on comprenne ou pas la cuisine interne d’une œuvre ne change rien à la richesse du système où elle prend place. Le système tonal est-il riche, est-il épuisé ou a-t-il encore des choses à donner, et sous quelle conditions ? C’est la question de Ducros.

    En outre, on oublie trop souvent que la musique, au moins dans son acception classique, a toujours une fonction, elle sert à quelque chose (musique de mariage, musique de danse, musique de marche, musique de deuil, musique sacrée, etc.). Au fond, le principe de tout l’art moderne est peut-être résumable ainsi : se donner de nouvelles règles pour produire un art qui ne réponde plus à une quelconque utilité, à part témoigner de la créativité de l’artiste lui-même (d’où cette course l’originalité qui commence sérieusement à nous casser les couilles). Les artistes du passé, au moins les plus grands, ont produit un art qui entre encore en résonance avec nos esprits, malgré les siècles, tandis que les artistes contemporains n’entrent en résonance qu’avec des financeurs emperlouzés, sous l’œil mi goguenard mi désemparé du populo.
    Ceci dit, à titre personnel, je trouve bien des œuvres modernes très convaincantes. Et, pour reprendre l’exemple donné ci-dessus d’une musique apocalyptique, je pense qu’elle illustrerait à la perfection certains livres de Céline, comme Nord. Et pour les allergiques à la musique atonale (ce que je ne suis pas du tout), dites-vous bien que les films que vous regardez au cinéma en sont souvent farcis (souvent des passages atonaux dans un cadre général tonal). La question ne doit donc pas, à mon avis, s’arrêter sur la question du goût personnel, mais sur celle du divorce de cette musique d’avec le peuple. Toute proportion gardée, n’est-ce pas le même problème qu’avec la peinture abstraite (dont les partisans traitèrent les figuratifs avec une condescendance lamentable), dont l’abstraction toujours poussée plus loin aboutit à la disparition de la peinture elle-même ? Et quand la peinture a disparu, les amateurs de peinture risquent aussi de disparaître...

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    2. "Ceci dit, à titre personnel, je trouve bien des œuvres modernes très convaincantes."

      Je n'ai rien contre le moderne. C'est après le post-moderne que j'en ai.

      "Toute proportion gardée, n’est-ce pas le même problème qu’avec la peinture abstraite (dont les partisans traitèrent les figuratifs avec une condescendance lamentable), dont l’abstraction toujours poussée plus loin aboutit à la disparition de la peinture elle-même ? Et quand la peinture a disparu, les amateurs de peinture risquent aussi de disparaître..."

      Sisi, c'est bien ça le problème : à un moment donné, la musique atonale n'est plus de la musique. Par cette comparaison, vous le dites à mi-mot vous-même, mais vous refusez quand même que cela soit dit.

      Au cinéma, on utilise aussi des bruitages... le bruit n'est pas la musique.

      "Au fond, le principe de tout l’art moderne est peut-être résumable ainsi : se donner de nouvelles règles pour produire un art qui ne réponde plus à une quelconque utilité"

      Quand un poète dit : "Je refuse d'être utile", cela veut dire : "je ne veux pas être un instrument, même pas l'instrument de moi-même, je suis un homme libre". Car le poète n'est pas matérialiste.

      Quand le faux artiste "créateur de valeur à partir de rien" subventionné dit : "Je refuse d'être utile", cela veut dire : "Je ne vous autorise pas à discuter avec moi, je ne vous autorise pas à me juger, je ne vous autorise pas à chercher de qui je suis le serviteur".

      "Sinon, je ne suis pas du tout d’accord avec les critiques qui se bornent à dire que la musique moderne /contemporaine est incompréhensible, donc mauvaise. L’argument ne me semble pas bon parce qu’il est assez facile d’expliquer ce qui se passe vraiment, d’un point de vue technique, dans un morceau sériel ou dodécaphonique. Le fait qu’on comprenne ou qu’on ne comprenne pas me paraît tout à fait secondaire (savez-vous ce qui se passe, vous, dans le concerto pour deux violons et orchestres de Bach ?). En revanche, que l’on comprenne ou pas la cuisine interne d’une œuvre ne change rien à la richesse du système où elle prend place."

      Ah... là... là selon moi vous déconnez.

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      Lorsqu'on reproche à la musique atonale d'être incompréhensible intellectuellement, c'est parce qu'en amont on ne réussit pas à la comprendre du point de vue sensible. Les sens s'avouant vaincus, on demande donc une explication accessible à l'esprit. C'est alors qu'on nous sert la fameuse explication selon quoi il y aurait une logique interne et tout serait scientifiquement étudié. Alors on se dit que si l'on comprenait ce qu'ont voulu faire ces grands musicologues compositeurs, on arriverait peut-être à apprécier, car, n'est-ce pas, le goût est quelque chose qui s'éduque... Or qui dit éducation, dit que ce qui passe tout d'abord par l'esprit peut un jour accéder aux sens. [C'est ce qui arrive par exemple à celui qui a étudié longtemps la liberté dans les livres, et puis qui un jour se retrouve dans sa vie face à un choix cornélien où il doit se montrer vertueux et courageux, et qui pour la première fois comprend enfin ce que le mot liberté veut dire, ce mot "liberté" qu'on lui avait appris à aimer, mais qu'il n'avait encore jamais vraiment aimé jusque là.]

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    3. - 2 -

      Lorsqu'on se contente en revanche de vous dire stupidement : "cette musique est incompréhensible" sans chercher plus loin à quelles règles cachées elle répond, vous répondez (je vous cite) : "Le fait qu’on comprenne ou qu’on ne comprenne pas me paraît tout à fait secondaire (savez-vous ce qui se passe, vous, dans le concerto pour deux violons et orchestres de Bach ?)"
      Voilà qu'impénitent vous faites ressurgir à votre service la vieille idée "intuitive" (que je croyais pourtant réactionnaire) selon laquelle la musique devrait d'abord parler aux sens, flatter l'oreille... et si l'on vous rétorque que le concerto pour craie sur tableau ne flatte pas l'oreille, je suppose que vous ajoutez : "peut-être ne flatte-t-il pas votre oreille à vous, mais tous les goûts sont dans la nature et il en faut pour toutes les subjectivités".

      C'est un cercle vicieux ! Un piège !

      Si moi qui ne "sens" pas la musique atonale, je ne puis pas non plus me contenter de vouloir intellectuellement la comprendre, car la musique n'est pas une chose intellectuelle, alors quoi, que me faut-il pour accéder à la musique atonale ? La Grâce ? Comme Luther ?

      Le roi n'a pas l'air habillé mais on n'a pas le droit de dire que le roi est nu.

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    4. Vous n'avez pas tort, mais ce que je voulais dire est un peu à côté, et je n'ai pas assez développé : je voulais dire (et j'ai dit) que le système tonal me semble plus riche et plus intéressant que le système atonal. C'est pour ça que je pointais le peu d'importance de l'argument qui consiste à dire qu'on ne COMPREND pas la musique atonale, puisque le fait de "ne pas comprendre" peut facilement être résolu (apprentissage). D'ailleurs, je faisais remarquer qu'on peut parfaitement aimer la musique de Bach sans rien n'y comprendre. C'est tout. La différence est évidemment à rechercher sur le terrain sensible où, d'une façon écrasante, Bach encule Boulez.

      Je ne sais pas si des gens sont assez intellectuels pour apprécier la musique de façon intellectuelle. Ce que je sais, en revanche, c'est que ce faisant, ils n'aiment pas la musique comme moi je l'aime. Mais en l'espèce, on se trompe souvent de mot : apprécier un concerto de craie sur tableau ne suppose pas une intellectualisation, cela suppose une éducation de l'oreille, ce qui est très différent. Et je pense qu'en matière de musique dodécaphonique comme en peinture, une éducation sensitive est sans doute plus efficace qu'une simple connaissance intellectuelle des mécanismes. Ensuite, bien sûr, rien n'oblige l'oreille, aussi éduquée soit-elle, à apprécier un truc dissonant.

      Allons-y pour une anecdote personnelle : sur le coup des douze ou treize ans, je suis tombé sur un disque d’une de mes sœurs : le premier album de Dire Straits. On est loin de la musique sérielle ! Eh bien je me souviens d’avoir écouté ça tout seul dans ma chambre et de m’être demandé comment des gens pouvaient supporter ça ? ça n’avait aucun sens pour moi, ça me semblait totalement bordélique, et le son m’horripilait… Quelques mois plus tard, intrigué par la capacité surnaturelle que je prêtais à ma sœur, je revins écouter l’album, et je commençai d’abord à me faire au son, puis je compris que tout ça était bien logique, et je devins tout à fait amateur du truc. C’est ce que j’appelle éducation de l’oreille : la familiariser avec une chose qui peut paraître étrange de prime abord. Ça me paraît simple mais je suis incapable de l’expliquer plus finement.

      Du reste, quand on n’a pas baigné dans la musique classique, et qu’on n’a pas reçu non plus l’éducation musicale idoine, on doit d’abord faire l’effort de supporter la nouveauté que constitue un opéra (avec ces voix artificielles et ses récitatifs assommants), c’est-à-dire éduquer son oreille, lui apprendre petit à petit à apprécier et reconnaître les choses. Partant de là, il est bien compréhensible que les musiques dites expérimentales soient plus difficiles à apprécier d’emblée que la valse. Mais encore une fois, ce n’est pas pour ça qu’elles ont « une valeur ». La célèbre formule de Picasso, « je ne cherche pas, je trouve », a l’immense avantage d’être réversible : il y a de nombreux artistes qui cherchent et ne trouvent rien du tout. Et l’hypothèse mérite d’être faite pour les musiciens dont personne ou presque n’a envie d’écouter la musique (étant entendu qu’une musique qui n’est appréciée que par les étudiants en musicologie et les mathématiciens n’est pas promise à un grand avenir)

      En passant et pour conclure, Steppenwolf, je ne dirai jamais que telle ou telle chose n'est qu'une question de goût (enfin, je n'utiliserai jamais ce navrant cliché comme argument, surtout pas sur ce blog !), et je suis parfaitement l'aise pour dire à quelqu'un que ses goûts sont équivalents à un kilo de merde, et que les miens sont splendides.

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    5. Ce que vous racontez à propos de Dire Straits, ça me parle... Tout ce que j'aime le plus aujourd'hui, c'est ce que j'ai appris à aimer. :)

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  6. "Les artistes du passé, au moins les plus grands, ont produit un art qui entre encore en résonance avec nos esprits, malgré les siècles, tandis que les artistes contemporains n’entrent en résonance qu’avec des financeurs emperlouzés, sous l’œil mi goguenard mi désemparé du populo."

    Je ne pense pas que ce soit là que se situe la différence. Les artistes du passé produisaient également pour des financeurs emperlouzés, et souvent dans des buts très pratiques ou politiques (et peut-être même bien que le populo regardait ça goguenard, d'ailleurs !). Mais, allons savoir pourquoi, les "emperlouzés" d'alors avaient besoin de plus qu'un tas de merde pour s'extasier... et payer.

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    1. Transformer la merde en or : c'est freudien. C'est aussi le rêve de ces psychopathes à la American_Psycho qui pour diriger la marche du monde actuel actionnent à mains nues sur les places boursières un zvastika monumental qui ne dit pas son nom : supprimer le réel, créer de la valeur en se passant de la valeur réelle des choses, des êtres, du talent, et du travail.

      Ils veulent pouvoir faire de l'argent tranquille en se passant des gens : reconnaître le talent d'un artiste, et lui accorder un prix, c'est encore reconnaître une valeur réelle, et reconnaître un mérite, or c'est justement ce qu'ils ne veulent pas. Ils veulent pouvoir continuer à posséder plus d'argent, sous forme de chiffres résolument abstraits additionnés dans des ordinateurs, qu'il ne faudrait objectivement à un homme excessivement gourmand pour acheter tout ce qu'il y a à acheter sur la terre à son prix réel, mais cela sans gourmandise aucune, juste pour le jeu, et sans jamais avoir à penser à ce que cela représente dans le réel, c'est-à-dire à leurs responsabilités. Il veulent pouvoir continuer à faire cela sans que ne soit jamais posée la question de l'utilité objective d'une chose pareille, ni bien sûr que ne soit jamais posée la question de leur légitimité à disposer d'un pouvoir pareil (c'est-à-dire la question de leur mérite) - un pouvoir, il faut le savoir, qui est le plus grand dans l'absolu que n'en a jamais eu aucun despote de toute éternité à travers l'histoire.

      Ils veulent court-circuiter toute réflexion autour de leur légitimité, car ils ne sont manifestement pas en mesure de faire quoi que ce soit de tangible et de significatif d'un tel pouvoir immense... car ils savent bien, ces financiers, que l'hyperclasse n'a aucun moyen objectif, recevable intellectuellement, de justifier qu'elle soit l'hytperclasse. C'est un pouvoir qui en un mot n'est pas noble, en ce qu'il ne se reconnaît aucune supériorité particulière, mais qui est purement bourgeois : ce sont des parvenus qui n'ont jamais eu d'autre ambition que celle d'accumuler, mais qui ne sont pas des bâtisseurs (ni des décideurs). C'est cela que le boursicotage effréné des grandes fortunes autour de l'art contemporain, par-delà son côté bien-commode (du point de vue de l'impôt notamment), signifie sur le plan symbolique. Voilà ce qu'ils nous disent avec l'art contemporain (qui n'est même plus de l'art, qui n'est même pas moderne) : "Nous achetons du vent, nous sommes du vent, ce n'est pas la peine de discuter avec nous, nous ne sommes pas des interlocuteurs, ce qui veut dire que notre pouvoir est indiscutable, nous sommes là et nous y resterons sans qu'il n'y ait aucun sens fondamental à cela, un Reich de mille ans et plus, nous sommes inatteignables."

      Quand on nous vente des milliardaires "friendly" et des dirigeants "normaux", c'est toute cette situation merdique qu'en loucedé on nous refourgue sous la forme d'un beau rêve sucré : on nous dit en somme que les gens qui campent sur le toit du monde sont des gens comme nous, des gens ordinaires, des gens comme les autres. "Que pouvez-vous reprocher à des gens ordinaires qui ne valent pas mieux que vous, braves gens ?" - nous disent ces bourgeois démagogues. Ils sont bien-soulagés en réalité de n'avoir plus le devoir, aujourd'hui que nous sommes en démocratie, de se comporter comme des nobles (c'est-à-dire avec noblesse). Ca leur évite d'avoir à se comporter comme des gens responsables. Pour des psychopathes qui actionnent les ficelles du monde sans aucune sensibilité pour les conséquences de leurs actes, c'est fort pratique. Leur procédé rhétorique de démagogues ["nous sommes comme vous, ni pire ni meilleurs"] pourrait être amusant - on pourrait en rire, comme à une bonne farce - si les conséquences n'en étaient pas aussi graves.

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  7. Cette conversation est passionnante.
    Merci Messieurs et Dames (le cas échéant mais j'en doute)

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  8. donc si j'ai bien compris ce qu'explique beboper, la musique atonale c'est comme la sodomie: il faut "s’éduquer" pour apprécier.

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  9. Mouais, un 'nazi' au collège de France : on a vu pire opprobre !

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