15 juillet 2014

American Psychose

Brunch HD Diner Hôtel de Ville (75004 Paris 4eme)

Quelqu’un ayant grandi comme moi dans les années 80-90 pouvait raisonnablement penser qu’en matière d’américanisation, notre société avait eu son compte, que l’American way of life avait fait son chemin voire son temps, pénétré notre culture aussi profondément qu’il lui était possible. Quelqu’un comme moi pouvait penser qu’avec la domination écrasante de la musique et du cinéma, l'attrait irrésistible de la langue anglo-saxonne, la demande spontanée de fast-food et de marques vestimentaires, la vénération des stars et starlettes d’outre océan… le processus d'américanisation était achevé. 

Or depuis quelques années, tout montre que la marche s’est réenclenchée, qu’il est possible de pousser l’acculturation beaucoup plus loin.

A Paris comme dans d’autres villes, nous voyons fleurir ces boutiques qui sont des copies conformes de commerces américains :

  • ici un restaurant à « bagels » tenu par un type à bonnet new-yorkais, où chaque détail jusqu’au sachet de mayonnaise et au bocal de cornichons a été importé de là-bas pour faire comme si… (pas d’Amora s’il vous plait, merci bien !)
  • là un « Diner » des années 50 où l’on fait bien sûr « le meilleur burger de la ville », celui qui fait tant glousser les imbéciles…
  • ici encore un foodtruck comme là-bas, qui circule et se propose de servir des « classiques californiens »…
  • là enfin, une boutique 100 % spécialisée qui fait d’adorables « cupcakes »… Mais si, vous savez, les cupcakes !
   
« Bonn'jouw, je swuis Ameuwicain' » 

A travers le langage également, un cap est franchi. Il ne s’agit plus, pour un jeune Français,
de parler un bon anglais, un anglais académique, mais aussi et plutôt un anglais parlé, un anglais de rue, l’anglais (ou l’américain) que vous auriez si vous viviez là-bas. Ainsi, Paul, Gontrand et Bernadette échangent quotidiennement du slang américain, argot, abréviations, acronymes, petites phrases et interjections branchées, toutes chaudes sorties des rues américaines… Les ont-ils entendues dans des films ? Le principal est en tout cas d’être réactif, d’adopter le nouveau parlé quelques mois après qu’il soit établi outre-Atlantique, de délaisser suffisamment tôt les expressions passées de mode pour les remplacer par les nouvelles…

Dernier signe d’acculturation totale : le fait de juger la qualité des remakes ou adaptations du cinéma américain. Quand Hollywood transpose sur écran un comics des années 40 que personne ne connaissait et qui n’a jamais pris racine en France, il est de bon ton, pour le critique français, de se prononcer sur la fidélité de l’adaptation par rapport à « l’esprit » de l’original. Le critique français est évidemment infusé de « l’esprit » de la pop culture américaine, de la tête aux pieds, bien plus que le cinéaste californien qui a réalisé le film. Il est le garant de cet esprit et c’est à lui qu’il faut demander, en dernier recours, si tel blockbuster est fidèle ou pas à la BD qu’il fait semblant d’avoir toujours connue.

Ainsi donc, la nouvelle assimilation de l'Amérique consiste à non plus vendre des burgers en France, mais vendre les burgers de là-bas. Non plus ouvrir une boutique de hot dog à Turcoing, mais y proposer le hot dog tel qu’il est vendu sur la 5ème Avenue. Pas seulement le hot dog donc, mais aussi la serveuse et son look, les sacs en papier kraft, le gobelet à pourboires et toute la comédie de l’Amérique…

Fausse nostalgie reconstituée. Singerie totale. Il ne s’agit plus de s’inspirer, d’incorporer un peu de culture américaine, mais de la décalquer et de faire comme si on en était. Donner l’impression qu’on était à Miami la semaine dernière. Simuler une passion dévorante pour une saloperie de confiserie censée nous rappeler celles qu’on avait goûtées là-bas, lors d’un voyage en terre sainte américaine. Se prononcer sur le restaurant de Paris qui fait « le meilleur hamburger de la ville » (et sous-entendre ainsi que l’on détient la recette originale et ultime dans un coin de sa tête)…

  
 « Beboper-lula she's my baby... » 

L’ingestion de culture américaine a rarement réussi aux Français, ce n’est pas nouveau : déjà dans les années 60, nous avions le cas embarrassant de ces rockabillies made in France, qui traînaient au café de Montargis avec leur blouson jean et leur banane tout en sirotant un picon-bière... La vague actuelle de singerie a le même côté ridicule. Le même côté « mal digéré ».

22 commentaires:

  1. Mouais... j'ai vécu 7 ans sur la Côte est des Etats-Unis. Ma conclusion: tout ce que vous décrivez n'est pas les Etats-Unis, mais une imitation des Etats-Unis, vue par les colonisés (Nous) et exportée par les compagnies américaines (ou chinoises)... La plupart des Américains blancs que je connais écoutent du country-rock totalement inconnu ici. Les Noirs écoutent eux aussi un rap inconnu ici - ainsi, il y a des musiques/scènes funk ou rap régionales... Cela se réduit hors les Etats-Unis à quelques trucs caricaturaux, parfois stupidement imités - L'Elvis période Las-Vegas fut imité par un Johny Halliday allemand par exemple, idem pour le gansta rap US imité par nos banlieusards... Sans compter la fameuse bouteille d'alcool planquée dans un sac en papier par des ados lyonnais, en vertue du pricnipe qu'ils ont vu cela dans un film US... Si vous croyez que tout lemonde bouffe des bagels aux Us, c'est faux... c'est surtout côte-est (et c'est d'ailleurs yddisch)... AU centre, ils bouffent du maïs, t-bone steak, deep-fried pickles, hamburgers, etc...

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    1. Mais justement, cher anonyme, ce que tu décris des imitations est le sujet même de l'article. Les "concept stores" à la con qui envahissent nos belles zones commerciales ne sont, évidemment, que des imitations d'une image de l'Amérique, image elle-même simplificatrice.
      Et quand on simplifie un truc déjà simplifié, il ne faut pas s'étonner que ça plaise aux abrutis !

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  2. Question connement candide mais, hormis la plus grande vulgarité, en quoi c'est différent d'un resto italien qui présente une carte entièrement en italien?

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  3. Je ne sais pas si c'est le même que celui illustré dans l'article, mais j'avais été étonné (d'ailleurs, je me demande pourquoi je l'étais) de voir un machin vendeur de Bagels près du Panthéon. Dans le même registre, j'ai remarqué la semaine dernière qu'il y avait, du coté de St-Lazare, deux Starbucks dans un rayon de 100 mètres, ou presque.

    Certains médias, comme Rue89, se sont fait une spécialité de pondre des articles à chaque fait divers, phénomène ou "tendance" traversant l'Amérique. Et lorsqu'on lit ces articles, on a le sentiment que le journaliste ne fait plus la différence entre la France et l'Amérique, les deux ayant fusionnées, ou plutôt l'un ayant avalé l'autre.

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  4. Pile dans le sujet en ce moment : les pubs pour le “California Chicken” (sic) et le “Florida Beef” (re-sic) de McDonald's, où les acteurs mélangent le français et l'anglais en mode québécois, tout en mâchant leurs burgers. À la fin, la voix-off promet au consommateur qu'il peut “être américain pendant un mois... enfin presque”. Anecdotique, mais symptomatique.

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  5. Et que dire également de la tendance dégueulasse de la récupération des mots anglais, sans même chercher à les traduire.

    Existe-t-il un mot plus dégueulasse que "Spoiler" ?

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    1. Encore faudrait-il être disposé à inventer des mots correspondant aux nouvelles pratiques. Or, en France, dès que quelqu'un tente de faire vivre la langue en créant de nouveaux termes, on lui objecte qu'il s'agit d'un « néologisme ». Comme si la langue devait être conservée dans du formol plutôt que vivre par sa réinvention permanente. C'est aussi cela qui favorise la prolifération des mots anglais.

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    2. Bonjour M. Le Défenseur,

      Que pensez-vous de "fake" ?

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    3. "Existe-t-il un mot plus dégueulasse que "Spoiler" ?"
      Tu m'étonnes : dispatcher !

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    4. pire que spoiler,pire que dispatcher, ....sex toy !
      déjà le concept.....
      pas que je nie qu'on puisse s'amuser avec son organe , mais bon gu d'bon gu , lorsqu'y a une cavité , c'est pour la combler que l'homme est fait,pas pour rester à l'entrée en vibrant !
      en vibrionnant pourrait on même ( oui , même , et merde pour ceux qui sont pas contents) ajouter !
      ou alors ....sex tape , tape comme tapette?
      non tape comme ....cassette....alors que ça fait bien 10 ans que le plus lourdaud des anti modernes n'en utilise plus...

      @ critucus
      je m'en vais vous en donner des nouveaux mots pour de nouvelles pratiques, moive, et vous allez pas en revenir
      par exemple,l'attitude qui consiste à feindre de se moquer de l'avis et de l'opinion des gens tout en le redoutant "inditocher" néologisme fait de la coalition de "indifférer" ( oui ça peut être transitif direct) et "pétocher"
      exemple "hanchois molleglande inditoche ,en suant à grosses gouttes , lorsqu'il passe les troupes en revue"
      mais y en a beaucoup d'autres , demandez , il vous serra accordé

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    5. Mais bien sûr qu'il sera beaucoup accordé !
      Tiens, "baramiser" par exemple, est un néologisme qui dit FUCK aux Ricains pasqu'il est plus français que Français : c'est la contraction de baratiner + sodomiser. Un verbe appelé à un grand succès dès qu'on aura compris que ça fait 25 ans qu'on nous l'applique sans le dire. A la place, on dit "plan marketing", on dit "parler vrai", on dit "austérité".
      Alors, pas cool la langue françoise ?

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    6. J'approuve, ami bebop !
      Et si on construisait nos néologismes sur le mode des verbes irréguliers, ça n'en serait que meilleur
      Pasque à force d'à force, le premier groupe, ça commence à faire iech

      Alors baramisir, ça claque et inditochoir, ça fouette !

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  6. la saison des marronniers est officiellement ouverte !

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  7. Le pitch est parfait.
    On est un peu djeust en moutarde et en ketch eup.
    D'ailleurs on ne prend plus la peine de traduire les titres.

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    1. On peut noter l'exemple intéressant des Québécois qui ne se gênent pas: "Fiction pulpeuse", "Danse lascive", "Film de peur"...Connaissant mal cette lointaine mais amicale peuplade, quelqu'un sait comment ça sonne donc à leurs oreilles qu'ils zont elfiques à ce qu'il se dit ?
      Sont-il américanisés au point de ne pas être saisis d'un léger sentiment de répugnance auditive à l'écoute de ces combinaisons grammatico-orthographiques à la poésie douteuse ?
      Parce que quand même, "Danse lascive" ou "Dirty dancing", ya pas à tortiller, ya pas histoire ici de traduction littérale ou quoi ou qu'est-ce. C'est juste nul mais alors vraiment bien nul. Dans n'importe quelle langue du monde.

      En anglais chez nous ; est-ce simplement du markedingue surfant sur notre globale carence en langues étrangères pour faire du flouze car personne n’irait voir « Dance lascive » ou existe-t-il vraiment des volontés d'abêtisation des peuples à échelle planétaire, adaptées localement (notamment au travers de la langue dans notre cas présent), en vu d'un contrôle sociétal sans précédent ?
      En somme, est-ce que dans 15 ans, en France, on aura droit à "Danse lascive 4" (je viens d'apprendre qu'il y en a déjà 3 nom de diou), sans que ça ne choque personne ?


      Idem pour l'exemple de la sextape cité plus haut. Ma mère putain, ma mère devrait pouvoir me dire sextape dans une conversation, mais jamais vidéo porno privée ou truc du genre. Le concept, le signifié de la sextape est ainsi flouté, alors qu'en français...
      Pas la peine de parler du porno-soft (ah ah ah) dans tout bon produit culturel amerloc, à n’importe quelle heure de diffusion.
      Et là on ne parle que de "cul".

      Est-ce simplement une forme d’entraineuse, de taxi-girl (re- ah ah ah), pour vendre de la pub, ou subissons-nous une véritable invasion par filouterie en vue d'une modification radicale de "nos" codes moraux (je ne dis pas qu'ils ne peuvent pas évoluer bien entendu).
      A qui profite le crime ?
      Certain qu'il est dans l'intérêt de nos propres gouvernants de baisser leur froc, mais putain, ils pourraient nous contrôler, mais à la façon bien de chez nous, ça doit être bandant d'inventer la baguette pour mener 60 millions d'gonzes. Mais non, ils suivent. Pourquoi ? Leur laisse-t-on le choix ?


      PS : sans déconner, l’histoire du tournage de Dirty dancing est sympa. Swayze (vrai pro perfectionniste avant de plonger… et de surfer…) ne pouvait pas blairer sa potiche de collègue (incapable, légère ; franchement teubée). Ya une scène dans laquelle il doit lui apprendre une figure, elle se marre comme une conne, fait nimp’, l’exaspère au plus haut point. Comme quand un chiard vous fait chier pendant des heures et que vous n’avez absolument pas le droit de cogner 'voyez.
      Il finit tout de même par la secouer sèchement et lui jette un de ces regards noirs… Dans cette fraction de seconde, la colère pure, le mépris justifié d’une âme supérieure à une autre y sont concentrés. C’est très beau à voir ; et absolument réel ; le réalisateur conservant ce moment, stupéfait par la puissance et la maîtrise de Swayze.

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  8. rien de neuf depuis le bourgeois gentilhomme: imitation de la forme sans en comprendre l'esprit.
    N'empêche, je me fais l'avocat de la défense: les types qui imitent les burgers américains s'investissent plus dans leur tambouille que le restaurateur-rentier qui se contente de presser jusqu'à la lie une clientèle captive.
    cette concurrence, pour grégaire qu'elle soit, est bienvenue.

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  9. enfin le burger c est plus trop à la mode , ça fait 50 ans qu'on mange des burgers, l’américanisation de nos jours ça passe plus par les végans...
    l'invasion du milk shake et du hot dog c 'est l’époque de Brando c'est comme de fumer Marlboro ou manger chinois on en rêve plus la nuit , maintenant c'est régime végétarien/bio draconien façon sœurs Olsen...health food c'est 2010's!

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    1. Jusqu'au début des années 2000, « manger un burger en France » était synonyme de « aller à McDo ».

      La floraison de restaurants indépendants spécialisés et l'apparition de burgers dans les menus de restaurants conventionnels est un phénomène très récent.

      Maintenant on voit se généraliser le « Cantal Burger », notamment dans d'anciens bistros auvergnats. Vins, charbons & burgers, ça ne fait pas 50 ans.

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  10. La mode vegan
    Comment dire ?
    Ça recouvre aussi une perversion qui consiste à s'enfiler des végétaux dans les orifices
    Sublime, forcément sublime

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  11. Même à Rennes, chez nous autres bouseux Bretons, cette tendance est marquée. Sa dernière manifestation étant un food truck place Hoche (pour ceux qui connaissent). Or, et même si comme toute ville importante, Rennes a son comptant de parasites (étudiants, avocats, fonctionnaires, cultureux, consultants...), les prix à la parisienne font tâche dans le paysage : 15 euros le hamburger (là aussi présenté comme ayant une recette savoureuse et unique, blablabla), ça fait chéro pour déjeuner et ça fait cher le folklore.

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    1. kobus van cleef7 août 2014 à 19:49

      Ha mais je connais très bien Rennes
      C'est là que j'y ai connu ma femme, m'y suis marié, mes zenfants y sont nés
      Place hoche, ça paraît peu logique pour un foude treuque
      Je m'explique
      Même si la fac de sciences eco déboule pas loin, la fac de droit déverse ses étudiants plus haut ( j'ai d'ailleurs habité à son pied, quasiment, entre le lycée jean mass et la rudfouger', je voyais les fenêtres allumées en pleine nuit et je me disais que les mecs qui préparaient leurs concours, c'était des bêtes.... j'ai compris depuis que c'étaient les femmes de ménage)
      Non, pour être rentable, faudrait soit choisir vers la cité judiciaire, mais c'est un peu trop vers la gare, soit vers la fac de médecine, mais ça colle à villejean et là, bonjour les prolos

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  12. Je m'étonne que le terme "bobo" ne soit pas lâché, car cupcake, gentil foodtruck, glaces au yaourt et récits poignants du dernier week-end de la collègue à Nyou-York entrent dans ladite catégorie. En dehors du phénomène que j'observe depuis quelques temps, où une bonne part la production de biens de consommation (meubles, musiques, vêtements, ..) s'essaye au revival (on a les années 50, les années 60, le style pop des 70's, on nous refourgue même des 30's), je dirais que la demande pour ces caricatures made in America s'appuient logiquement sur vieillissement des soixante huitards et la nostalgie qui accompagne + les jeunes qui n'ont pas connu cela mais qui se le mangent depuis 40-50 ans. Sans compter la nullité des systèmes de production français, incapables de lutter et proposer des choses acceptables en face.

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