Nous arrivons à un âge où la toute première jeunesse est passée, il faut bien le reconnaître. Un âge où malgré notre bonne volonté, les choses ne nous impressionneront plus jamais autant. C’est comme si nous avions fait un tour de manège et que nous nous apprêtions à en faire un deuxième : il n’est pas dit qu’il ne reste pas quelques surprises qui nous aient échappées, et fort heureusement nous avons de la curiosité à revendre, mais enfin nous avons perdu un certain pucelage de notre vision des choses, et nous ne serons plus tout à fait si innocents ni si dupes.
Une présidentielle à la télé, un nouveau conflit international qui éclate… et nous avons un peu l’impression d’avoir déjà vu le film. Un gogo qui débarque dans notre entourage, un énergumène se prévalant d’originalité, et il se trouve que nous connaissons déjà sa comédie : nous en avions un semblable avec nous à la fac ou dans notre premier boulot. Un nouveau prodige musical, un nouveau « plus grand groupe de tous les temps », et la farce est usée : on ne nous la fait plus, parce qu’il se trouve que nous étions déjà là pour le plus grand groupe de tous les temps de l’année dernière.
En un mot : on vieillit, on s'encroûte, et ce n’est pas si grave. Je n’arrive pas à me désoler qu’en matière de musique par exemple, je m’en tienne de plus en plus aux vieilleries que j’ai toujours écoutées. J’essaie pourtant, sporadiquement : je laisse traîner une oreille dans l’actualité. Mais jamais rien ne me renverse définitivement. Tout est au mieux gentillet. Ici un groupe qui fait du vieux mais avec des moyens actuels, là un groupe-à-un-seul-tube, dont le reste de l’album est désespérant de tricotage... Rien qui reste et qui perdure. Rien qui de lui-même se révèle indispensable, parvienne à ne pas disparaître dans l'oubli. Et c'est assez naturel, au fond, que les choses découvertes dans sa jeunesse aient cette indélébilité sur laquelle ce qui succède ne peut pas s'accrocher. C'est assez naturel que la musique et les découvertes de sa jeunesse constituent la palette de couleurs à travers laquelle on voit et on aime les choses pour le restant de sa vie, et que hormis quelques exceptions qui réussissent à s’intercaler, la bande originale de sa vie soit pour la plupart déjà constituée passés les 30 ans.
« Dick foriver »
Et tout irait pour le mieux, finalement, s'il n'y avait les autres pour nous inspirer un soupçon de culpabilité. Le trentenaire d’aujourd’hui vit avec - planant au-dessus de lui - le spectre du vieux con : celui bloqué dans son époque, œil dans le rétro, qu’il ne faut surtout pas devenir. Ces gens vivent comme terrorisés à l’idée de louper quelque chose, vieillissent avec le souci de maintenir le rythme auquel ils « découvrent », avec le souci de connaître les dernières modes, les derniers codes - et, pour les plus pathétiques, de les adopter. Ils s’acharnent à conserver et renouveler l'habitus de cette jeunesse dont ils ne font plus partie et à qui ils refusent de céder la place.
En les voyant faire, je n’ai pas tellement l’impression de passer à côté de la nouveauté, de rater une cure de jouvence, mais plutôt d'être préservé du renouvellement : l’incessant et stérile renouvellement du même. En les voyant, je vois une terrible fuite en avant, similaire à celle de ces vieilles qui recourent aux injections plastiques pour repousser l'inévitable de quelques années. Fuite en avant qui sera de toute façon tôt ou tard impossible à tenir. Alors souffle un coup, détends-toi, laisse aller. Rester cool, c'est beaucoup moins jouer l'ado perpétuellement émerveillé que d’accepter sereinement d’en rester aux choses de son époque. Pire que le vieux con, il y a le vieux beau, celui qui à trop vouloir rester dans le coup, demeurer jeune et vivant, est le dernier à s’apercevoir qu’il n’est vraiment plus ni l'un ni l'autre.
C'est marrant, je me faisais la même réflexion, mais plutôt concernant le cinéma. Les grandes baffes je les ai prises ado, ou jeune adulte, aujourd'hui la production coule sur moi avec indifférence, que ce soit celle du moment ou les films de périodes plus anciennes. Mon panthéon s'est quasi figé il y a une dizaine d'années.
RépondreSupprimerPour la zique, j'étais déjà principalement coincé dans la période 60/70 quand j'étais ado, alors la poursuite de la tendance, ça me concerne pas vraiment. Même le rap, par son utilisation du sample, m'a renvoyé vers mon époque fétiche mais c'était pour creuser des genres que je connaissais peu ou mal. Mais aujourd'hui je continue de prendre des claques, d'être obsédé par des morceaux ou des styles que je découvre.
du coup, je réécoute les Smiths.... BB Brunes, Johnny Legend, j'arrive pas.
RépondreSupprimerAh ah, bonne pioche ! La toute première écoute de "This charming man", son intro, j'en garde un vrai souvenir pour le coup !
SupprimerPareil, mais appliqué à l'espèce humaine.
RépondreSupprimerJe préfère les fachos de l'époque, les loubards de l'époque, les beaufs de l'époque, les intellos de l'époque...
aujourd'hui, toute cette société me fait gerber, détruite par les complexes, la peur de la vérité.
Je crois qu'il y a deux phénomènes décrits là, sans peut-être que tu les aies identifiés clairement. D'un côté, l'empreinte de l'enfance, de la jeunesse, c'est à dire les choses qui te constituent parce qu'elle ont impressionné (au sens photographique) l'apprenti-homme que tu étais. De l'autre côté, la répétition du même que la société nous sert, c'est à dire la mode qui se redonne comme neuve, le vintage, la mode rétro, la resucée, dont Michel Clouscard traite dans "Le capitalisme de la séduction" et qu'il définit comme tentative du système de contrôler la mémoire même : rien de ce qu'il nous propose n'est neuf, tout vient du système industriel ludique, tout doit se régurgiter. D'où le malaise devant ces formes abâtardies : on adorait la soul mais on dégueule devant la version singée qu'on nous enjoint d'aimer.
RépondreSupprimerEt puis, bien sûr, il y a la stupeur de voir les médias surjouer une élection présidentielle, alors que tout est déjà joué, et qu'on en a vu d'autres qui n'ont rien changé à rien...
C'est très vrai tout ça.
RépondreSupprimerMais l'ancien colle à l'époque de l'ancien.
On ne peut pas refaire du Ouvrard en 2013. Oder ?
La musique de Michel Berger chantée par Jénifère, c'est quelque chose !
Elle a raison de râler, France Gall...
Mouais, en gros le gars à peur de vieillir et commence à taper une petite dépression ^^ Il a été conditionné à penser comme ça par la société de la jeunesse et de l'avancé technique constante. "Le grand groupe" aimer un groupe qui est considéré comme le nouveau "grand groupe" à toute les époques ça aurait été de la merde de toute façon U2 ou une autre merde dans le genre, il vaut mieux ne pas baser ses gouts musicaux sur ce genre truque. Va élever des poules et cultiver ton propre potager Xix la société et son poids commence à te ronger sévèrement. La vie ne s'arrête qu'a 30ans ou 40 pour Houellebecq que par ce qu'il le décide.. à 20ans on est un jeune con et on ne fait qu'aiguiser nos sens dans le reste de notre vie pour avoir de plus en plus de qualité à nous offrir. Du moins je le vois comme ça.
RépondreSupprimerCe réchauffage perpétuel est encore plus net pour la politique que pour l'art. Au pire, l'art recyclé distrait. Une élection présidentielle, à l'inverse, non seulement ça ne sert à rien, non seulement ça n'a aucune conséquence, mais en plus, c'est chiant à crever. Et pourtant, le show continue. Et les gens en redemandent, sans se rendre compte que c'était la même chose cinq ans auparavant et que rien n'a changé.
RépondreSupprimerC'est que ça deviendrait gênant et même dangereux, de se rendre compte que tout ce cirque ne rime à rien.